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Mère

Commentaires sur Le Dhammapada

Tape records

 

Ayant bien compris ce qu’est la vigilance, les sages s’en délectent et se complaisent dans la sphère de la connaissance des vrais disciples.

Tout au long de cet enseignement, il y a une chose à remarquer, c’est que l’on ne vous dit jamais que de bien vivre, de bien penser, soit le résultat d’un effort ou d’un sacrifice, mais au contraire que c’est l’état délectable qui guérit de toute souffrance. En ce temps-là, le temps du Bouddha, vivre la vie spirituelle était la joie, la béatitude, la condition la plus heureuse, celle qui vous libérait de tous les ennuis du monde, de toutes les souffrances, de tous les soucis, qui vous rendait heureux, satisfait, content.

C’est le matérialisme des temps modernes qui a fait de l’effort spirituel un effort douloureux et un sacrifice, un renoncement pénible à toutes les prétendues joies de la vie.

Cette insistance sur l’exclusive réalité du monde physique, des plaisirs physiques, des joies physiques, des possessions physiques est le résultat de toute la tendance matérialiste de la civilisation humaine. C’était impensable dans l’ancien temps. Au contraire, la retraite, la concentration, la libération de tous les soucis matériels, la consécration à la joie spirituelle, c’est cela qui était le bonheur.

À ce point de vue, il est de toute évidence que l’humanité est loin d’avoir progressé; et ceux qui sont nés dans le monde dans ces centres de civilisation matérialiste ont dans leur subconscient cette chose affreuse que seules les réalités matérielles sont réelles et que s’occuper de choses qui ne sont pas matérielles représente un esprit de sacrifice merveilleux, un effort presque sublime. Ne pas être du matin au soir et du soir au matin préoccupé de toutes les petites satisfactions physiques, de tous les plaisirs physiques, de toutes les sensations physiques, les préoccupations physiques, c’est faire preuve d’un esprit remarquable. On ne se rend pas compte de cela, mais toute la civilisation moderne est bâtie sur cette conception: «Ah! ce qu’on touche, on est sûr que c’est vrai, ce qu’on voit on est sûr que c’est vrai, ce qu’on mange on est sûr qu’on l’a mangé, mais tout le reste — pff! nous ne sommes pas sûrs que ce ne soient pas de vains rêves et que nous ne lâchions pas le réel pour l’irréel, la proie pour l’ombre. Après tout, qu’allez-vous y gagner? Quelques rêves! Tandis que, lorsque vous avez de gros sous dans votre poche, vous êtes sûr que vous les avez là.»

Et cela, c’est partout, en dessous de tout. Vous grattez un petit peu les apparences et, dans votre conscience, c’est là; et de temps en temps, vous entendez cette chose qui chuchote en vous: «Prenez garde, ne soyez pas dupe...» Au fond, c’est lamentable.

On nous dit que l’évolution est progressive et qu’elle suit une progression ascendante, en spirale; je ne doute pas que ce que l’on appelle confort dans les cités modernes soit un degré d’évolution très supérieur au confort de l’homme des cavernes, mais dans les histoires anciennes, on parlait toujours d’un pouvoir de prévision, d’un esprit prophétique, de l’annonce des événements par des visions, d’une intimité de la vie avec quelque chose de plus subtil, qui pour les gens simples de cette époque avait une réalité très concrète.

Maintenant, dans ces belles cités si confortables, quand on veut condamner quelque chose, qu’est-ce que l’on dit? «C’est un rêve, c’est une imagination.»

Et justement, l’homme qui vit dans une perception intérieure, on le regarde un peu de travers, on se demande s’il est tout à fait sain d’esprit. Celui qui ne passe pas son temps à essayer de s’enrichir ou d’augmenter son confort et son bien-être ou d’avoir une belle position ou de devenir une personne importante, l’homme qui n’est pas comme cela, on s’en méfie, on se demande s’il est bien sain d’esprit.

Et tout cela, c’est tellement l’étoffe de l’atmosphère, le contenu de l’air qu’on respire, l’orientation des pensées que l’on reçoit des autres, que cela paraît tout à fait naturel. On ne sent pas que c’est une monstruosité grotesque.

Devenir un peu plus conscient de soi-même, entrer en rapport avec la vie derrière les apparences, cela ne vous paraît pas de tous les biens le meilleur. Quand vous vous asseyez dans un fauteuil, confortable, devant une table bien garnie, et que vous vous remplissez l’estomac de mets délectables, cela vous paraît certainement beaucoup plus concret et beaucoup plus intéressant. Et si vous regardez la journée qui s’est passée, le bilan de votre journée, si vous avez eu quelque avantage matériel, un plaisir quelconque, une satisfaction physique, vous la marquez comme une bonne journée, mais si vous avez reçu une bonne leçon de la vie, si elle vous a donné une tape sur le nez pour vous dire que vous êtes un sot, vous ne remerciez pas la Grâce, vous dites: «Ah! ce n’est pas toujours drôle de vivre!»

Quand je lis ces textes anciens, j’ai justement l’impression qu’au point de vue intérieur, au point de vue de la vie vraie, eh bien, on a terriblement reculé, et que pour l’acquisition de quelques mécanismes ingénieux et de quelques encouragements à la paresse physique, l’acquisition d’instruments ou d’appareils qui économisent les efforts pour vivre, on a renoncé à la réalité de la vie intérieure. C’est ce sens-là que l’on a perdu, et il vous faut un effort pour songer à apprendre le sens de la vie, la raison d’être de l’existence, le but vers lequel nous devons nous avancer — vers lequel toute la vie s’avance, que vous le vouliez ou non. Un pas vers le but, ah! il faut beaucoup d’efforts pour le faire! Et généralement on n’y pense que quand les circonstances extérieures ne sont pas agréables.

Comme nous sommes loin du temps où le berger, qui n’allait pas à l’école et qui gardait ses troupeaux la nuit sous les étoiles, pouvait lire dans ces étoiles ce qui allait se passer, communier avec quelque chose qui s’exprimait à travers la Nature, et il avait le sens de la beauté profonde et cette paix que donne la simplicité de la vie.

C’est très malheureux qu’il faille abandonner une chose pour en avoir une autre. Quand je vous parle de la vie intérieure, je suis loin de m’opposer à toutes les inventions modernes, il s’en faut de beaucoup, mais comme ces inventions nous ont rendus artificiels et sots! Comme nous avons perdu le sens de la vraie beauté, comme nous nous encombrons de besoins inutiles!

Peut-être le temps est-il venu de continuer l’ascension dans la courbe de la spirale, et avec tout ce que cette connaissance de la matière nous a apporté, nous pourrons donner à notre progrès spirituel une base plus solide; forts de ce que nous avons appris des secrets de la Nature matérielle, nous pourrons alors joindre les deux extrêmes et retrouver la suprême Réalité au centre de l’atome.

24 janvier 1958