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Mère

Entretiens

 

Le 25 avril 1956

L'enregistrement   

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«Par-delà la conception humaine limitée de Dieu, il [le chercheur] passera à l’éternel Un divin...» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 143)

Ce que l’homme appelle Dieu est une conscience limitée de Dieu, mais pas la pleine conscience de Dieu; alors il dépassera cette conscience limitée de Dieu pour aller vers le Divin véritable.

Sri Aurobindo veut dire que l’homme a une connaissance, une conscience, une perception, une expérience limitées de Dieu, pas la pleine expérience du Divin, et qu’il doit dépasser cette connaissance et cette perception pour aller vers la perception plus vaste et plus vraie.

Douce Mère, la justification de l’existence terrestre...

Oui, la justification de l’existence terrestre, c’est que l’on est sur la terre pour réaliser le Divin.

Sans cette raison-là, la vie terrestre serait une monstruosité.

(silence)

S’il n’y avait pas cette suprême raison de redécouvrir le Divin, et de Le devenir, de Le manifester, de Le réaliser extérieurement, la vie terrestre telle qu’elle est serait une chose monstrueuse.

Naturellement, plus les gens sont inconscients, moins ils s’en aperçoivent, parce qu’ils n’objectivent pas, ils vivent mécaniquement, avec le sens de l’habitude, sans même s’apercevoir ni objectiver ce qu’ils vivent. Et à mesure que la conscience croît, on s’aperçoit de l’espèce d’enfer monstrueux qu’est la vie telle qu’elle est.

Et c’est seulement quand on devient conscient de ce vers quoi mène cette vie, qu’on peut l’accepter et la comprendre.

C’est seulement cette raison d’être de l’existence qui fait qu’elle est acceptable.

Sans elle, ce serait vraiment une monstruosité effroyable.

Douce Mère, qu’est-ce qu’un «plaisir divin»1?

C’est le plaisir du Divin.

Comment?

Qu’est-ce que tu veux que je te dise! Il faut le vivre et alors tu sauras ce que c’est.

C’est ce qu’en sanskrit on appelle Ânanda. Et nous avons dit déjà plusieurs fois que pour connaître l’Ânanda, il faut d’abord avoir renoncé complètement à tous les plaisirs humains, pour commencer, parce que, tant qu’un plaisir humain est plaisant pour vous, vous n’êtes pas en condition de connaître l’Ânanda.

Il peut venir à vous et vous ne vous en apercevez même pas.

«Une Vérité et une Perfection spirituelles ont convaincu d’imperfection ou de mensonge le bien et le mal de ce monde et ont révélé un Bien suprême [...] Mais derrière toutes ces choses et en elles, il [le chercheur] a senti une Divinité qui est toutes ces choses, le Porteur de lumière, le Guide et Connaisseur de tout, le Maître de la Force et le Donneur de Béatitude, l’Ami, l’Aide, le Père, la Mère, le Compagnon dans le jeu cosmique, le Maître absolu de son être, l’Amant et l’Aimé de son âme.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 142)

Est-ce que pour une personne la Divinité peut être toutes ces choses ensemble?

Oui, et beaucoup d’autres.

C’est seulement une toute petite description!

Mais là encore, si l’on veut avoir cette expérience, il ne faut plus chercher dans la vie et parmi les hommes à avoir ces relations-là, parce que, si on les cherche dans la vie ordinaire, avec les relations ordinaires, on se met dans l’incapacité de les sentir telles que le Divin peut les donner. Et généralement, la majorité des gens, même de ceux qui ont une âme vivante, ne cherchent à avoir ces relations avec le Divin que quand ils ont eu les expériences les plus amères et les plus décevantes dans leur recherche des relations de la vie humaine.

Cela leur fait perdre beaucoup de temps, ça gaspille beaucoup d’énergie. Et généralement, ils arrivent déjà très usés, très épuisés, à l’état où ils deviennent capables d’avoir ces relations dans toute leur splendeur avec la Présence divine.

Cela fait beaucoup de temps perdu et beaucoup d’énergie gaspillée; mais il semblerait qu’il y a très peu de gens qui peuvent aller sans faire tous ces détours. La plupart du temps, quand on leur dit qu’il y a une Joie divine et une Plénitude divine qui dépassent tout ce qu’ils peuvent imaginer dans la vie ordinaire, ils ne le croient pas; et pour le croire il faut, comme je dis, qu’ils aient eu une expérience douloureuse de tout ce qu’il y a de faux, de trompeur et de décevant dans les relations ordinaires.

On dit que l’exemple est le meilleur éducateur, mais en fait, il y a très peu de gens qui se soucient de suivre un exemple — surtout quand les exemples les dépassent un peu trop. Ils veulent tous faire leur propre expérience; ils en ont le droit, mais cela rend le chemin interminable.

Douce Mère, si on a besoin d’une de ces choses, comme l’affection de la mère, ou une aide, comment est-ce qu’on peut la sentir dans la Divinité, selon notre besoin?

Qu’est-ce que tu veux dire exactement?

Si, par exemple, on veut savoir quelque chose, ou on a besoin d’être guidé, ou quelque chose, comment est-ce qu’on peut l’avoir de la Divinité, selon notre besoin?

En le demandant à la Divinité. Si tu ne Lui demandes pas, comment peux-tu l’avoir?

Si tu te tournes vers la Divinité et que tu aies pleine confiance, et que tu Lui demandes, tu auras ce dont tu as besoin — pas nécessairement ce que tu t’imagines avoir besoin; mais la vraie chose dont tu as besoin, tu l’auras. Mais il faut le Lui demander.

Il faut faire l’expérience sincèrement; il ne faut pas chercher à l’avoir par toutes sortes de moyens extérieurs, puis s’attendre à ce que ce soit le Divin qui vous le donne, sans même le Lui avoir demandé. Au fond, quand tu veux que quelqu’un te donne quelque chose, tu le lui demandes, n’est-ce pas. Et pourquoi t’attends-tu à ce que le Divin te le donne sans le Lui avoir demandé?

Dans la conscience ordinaire, le mouvement est juste à l’opposé. On postule une chose, on dit: «J’ai besoin de ceci, j’ai besoin de cette relation, j’ai besoin de cette affection, j’ai besoin de cette connaissance, etc. Eh bien, le Divin doit me le donner, autrement ce n’est pas le Divin.» C’est-à-dire que vous renversez complètement le problème.

Première chose, tu dis: «J’ai besoin.» Est-ce que tu sais si vraiment tu as besoin, ou si c’est seulement une impression que tu as, ou un désir, ou un mouvement tout à fait ignorant? Premier point: tu n’en sais rien.

Second point: justement, c’est ta propre volonté que tu veux imposer au Divin en Lui disant «j’ai besoin de ça». Et puis tu ne Lui demandes même pas: «Donne-le-moi», tu dis: «J’en ai besoin. Par conséquent, puisque j’en ai besoin, ça doit me venir, tout naturellement, spontanément; la besogne du Divin, c’est de me donner tout ce dont j’ai besoin.»

Mais s’il se trouve que tu ne sais pas vraiment ce dont tu as besoin et que ce soit simplement une illusion et pas une vérité et, par-dessus le marché, que tu le demandes à la vie tout autour et que tu ne t’adresses pas au Divin, que tu ne crées aucune relation entre toi et Lui, que tu ne penses pas à Lui ou que tu ne te tournes pas vers Lui avec au moins une certaine sincérité dans l’attitude, alors, comme tu ne Lui demandes rien, il n’y a aucune raison pour qu’Il te donne quelque chose.

Mais si tu Lui demandes, comme c’est le Divin, Il sait un peu mieux que toi ce dont tu as besoin; Il te donnera ce dont tu as besoin.

Ou bien, si tu insistes et veux imposer ta volonté, il se peut qu’Il te donne ce que tu veux, pour t’éclairer et pour que tu t’aperçoives que tu t’es trompée, que ce n’était pas vraiment la chose dont tu avais besoin. Et alors, tu commences à protester (je ne dis pas toi personnellement, je dis tous les êtres humains) et tu dis: «Pourquoi est-ce que le Divin m’a donné quelque chose qui me fait du mal?» — oubliant totalement que c’est toi qui l’avais demandé!

Dans les deux cas, tu protestes toujours. S’Il te donne ce que tu demandes et puis que cela te fasse plus de mal que de bien, tu protestes. Et puis s’Il ne te le donne pas, tu protestes aussi: «Comment! je Lui ai dit que j’en avais besoin et Il ne me le donne pas!»

Dans les deux cas, toi, tu protestes, et le pauvre Divin est accusé.

Seulement, si au lieu de tout cela tu as en toi simplement une aspiration, un élan, un besoin intense, ardent de trouver Ça, que tu conçois plus ou moins bien comme étant la Vérité de ton être, la Source de toutes choses, le Bien suprême, la Réponse à tout ce que nous désirons, la Solution de tous les problèmes; s’il y a en toi ce besoin intense et que tu aspires à sa réalisation, tu ne diras plus au Divin: «Donne-moi ceci, donne-moi cela», ou: «J’ai besoin de ceci, il me faut cela.» Tu lui diras: «Fais pour moi ce qu’il faut et conduis-moi vers la Vérité de mon être. Donne-moi ce que, dans Ta Sagesse suprême, Tu vois comme la chose qu’il me faut.»

Et alors là, tu es sûre de ne pas te tromper, et Il ne te donnera pas quelque chose qui te fera du mal.

Il y a un pas encore plus haut, mais ça, c’est un petit peu plus difficile pour commencer.

Mais celui-là est déjà une approche beaucoup plus vraie que celle qui consiste à dire au Divin: «J’ai besoin de ça, donnele- moi.» Parce que, au fond, il y a très peu de gens qui savent vraiment ce dont ils ont besoin — très peu. Et la preuve en est qu’ils sont toujours à poursuivre la réalisation de leurs désirs, tout leur effort tend vers cela, et que, chaque fois qu’un de leurs désirs est réalisé, ils sont déçus. Et ils passent à un autre.

Et après avoir beaucoup cherché, s’être beaucoup trompé, avoir plus ou moins souffert, et être très désappointé, alors, quelquefois, on commence à être sage et on se demande s’il n’y a pas une façon d’en sortir, c’est-à-dire de sortir de sa propre ignorance.

Et alors, c’est le moment où l’on peut faire comme ça: (Mère ouvre les bras) «Me voilà, prends-moi et conduis-moi sur le vrai chemin.»

Alors ça commence à aller bien.

 

1 «Une Béatitude l’a envahi, montrant qu’elle pouvait rendre impossibles la souffrance et le chagrin, et transmuer la douleur elle-même en plaisir divin.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 142)

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