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Mère

Entretiens

 

Le 26 juin 1957

L'enregistrement   

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«Si nous voulons éviter cette nécessité [des moyens de procréation naturels], il faut que devienne possible une méthode purement occulte, un recours à des procédés supraphysiques agissant par des moyens supraphysiques pour obtenir un résultat physique, sinon le recours à l’impulsion sexuelle et à son processus animal ne pourrait pas être dépassé. S’il y a quelque réalité dans les phénomènes de matérialisation et de dématérialisation que les occultistes déclarent possibles et qui sont attestés par des occurrences dont beaucoup d’entre nous ont été les témoins1, une méthode de ce genre ne sortirait pas du domaine des possibilités. En effet, suivant la théorie occultiste et d’après la gradation des plans et des étendues de notre être tels que la science yoguique les décrit, il existe non seulement une force physique subtile, mais une matière physique subtile qui se situe entre la vie et la matière grossière; créer dans cette substance physique subtile et précipiter les formes ainsi créées dans notre matérialité plus grossière, est faisable. Il devrait être possible, et nous croyons qu’il est possible, qu’un objet formé dans cette substance physique subtile puisse passer de cet état subtil à l’état de matière grossière directement par l’intervention d’une force et d’une méthode occultes, avec ou même sans l’aide ni l’intervention d’un procédé matériel grossier. Une âme qui désirerait entrer dans un corps ou se former un corps pour elle-même afin de prendre part à la vie divine sur la terre, pourrait ainsi être aidée à le faire, ou même pourrait se voir fournir une forme par ce procédé de transmutation directe sans passer par la naissance résultant des moyens sexuels et sans être soumise à aucune des dégradations et des lourdes limitations qui frappent inévitablement notre croissance mentale et le développement de notre corps matériel dans notre mode d’existence actuel. Elle pourrait alors acquérir tout de suite la structure, les pouvoirs et les fonctionnements supérieurs d’un corps matériel vraiment divin tel qu’il émergera un jour dans une évolution progressive conduisant à une existence totalement transformée en sa vie comme en sa forme, au sein d’une nature terrestre divinisée.» (La Manifestation Supramentale, chap. II)

Mère, cette méthode de transmutation directe sans passer par la naissance est-elle possible maintenant, puisque le Supramental est maintenant sur la terre?

Si c’est possible? vous demandez si c’est possible?... Tout est possible. Qu’est-ce que vous voulez savoir? Si cela a été déjà fait?

Oui.

Pas jusqu’au plan le plus matériel; jusqu’au physique subtil perceptible — perceptible par des sens intermédiaires entre les sens physiques et les sens du physique subtil; par exemple, comme un souffle qui est senti comme une brise légère, comme certaines perceptions de l’odorat, comme des parfums subtils. Naturellement, ceux qui ont une vision interne voient, mais pour les sens les plus matériels, il n’y a pas... comment dire... la permanence que donne le corps physique tel que nous le connaissons matériellement. Il y a des phénomènes, oui, même de vision, mais c’est passager. Il n’y pas de stabilité, c’est la stabilité dans la matière, la fixité qui n’a pas été obtenue. Je veux dire qu’il y a contact, il y a même contact de toucher, il y a perception, mais il n’y pas cette permanence que donne le corps matériel. Ce sont des phénomènes passagers qui, naturellement, ne vous donnent pas la même impression de réalité tout à fait tangible. Pourtant, l’influence est constante, l’intervention est constante, la perception est constante, mais il n’y pas cette stabilité d’un corps qui... eh bien, quand il sort de la chambre et qu’il rentre, il rentre le même qu’il est sorti, vous comprenez? Ou quand vous vous asseyez à une place, cela occupe une place d’une façon tout à fait concrète.

Je ne peux pas dire parce que, n’est-ce pas, je ne sais pas tout ce qui s’est passé et tout ce qui se passe sur la terre, mais à ma connaissance, on n’a pas encore obtenu cela, cette permanence concrète.

C’était pourtant de la matière puisqu’il y a eu vision, il y a eu contact, il y a eu audition. Mais audition, cela n’a pas besoin d’être très matériel: les sons de la vie physique subtile, les vibrations peuvent s’entendre très bien; et c’est assez curieux, c’est l’audition et l’odorat qui semblent être les plus permanents dans le monde physique subtil, plus que la perception de la forme, et un certain sens du contact qui est très, très concret. Seulement, cette présence lourdement matérielle d’un corps physique qui occupe une place absolument définie et concrète et qui empêche une autre chose d’occuper la même place, cela ne paraît pas être encore possible; par conséquent, ce que l’on a obtenu jusqu’à présent doit être tout de même un peu plus fluide que la matérialité la plus lourde.

Est-ce que ce progrès dépend de la conscience humaine?

Vous voulez dire pour une matérialisation plus complète?... Cela dépend d’un pouvoir de maniement des vibrations de la matière. Ce pouvoir de maniement est nécessairement le résultat d’un certain état de conscience. Et tout dépend du point de vue auquel on se place, parce qu’il n’y a pas de progrès individuel qui puisse se produire sans ce que l’on pourrait appeler l’»autorisation» de la Volonté divine. Finalement, rien dans la création ne peut se produire sans l’assentiment de la Volonté divine. Alors...

Mère, est-ce que le premier corps supramental sera comme cela?

Il sera comme quoi?

Une transformation sans passer par la naissance terrestre.

Ah! pardon, il ne faut pas confondre. Il y a deux choses. Il y a la possibilité d’une création purement supramentale, d’une part, et la possibilité d’une transformation progressive d’un corps physique en un corps supramental, ou plutôt d’un corps humain en un corps surhumain. Là, ce serait une transformation progressive qui pourrait prendre un certain nombre d’années, probablement assez considérable, et qui produirait un être qui ne serait plus un homme au sens animal du mot, mais qui ne serait pas l’être supramental formé de toutes pièces en dehors de l’animalité, puisque l’origine actuelle est forcément une origine animale. Alors, il peut se produire une transmutation, une transformation suffisante pour se libérer de cette origine, mais ce ne serait pas, tout de même, une création purement et entièrement supramentale. Sri Aurobindo a dit qu’il y aurait une race intermédiaire — une race ou peut-être quelques individus, on ne sait pas —, un échelon intermédiaire qui servirait de passage ou qui pourrait être perpétué selon les nécessités et les besoins de la création. Mais si l’on part d’un corps formé tels que le sont les corps humains maintenant, ce ne sera jamais le même résultat qu’un être entièrement formé selon la méthode et le procédé supramental. Ce sera peut-être plus du côté surhumain en ce sens que toute expression animale peut disparaître, mais cela ne pourra pas avoir la perfection absolue d’un corps purement supramental dans sa formation.

Et dans ce corps humain transformé, est-ce qu’il y aura une différenciation entre l’homme et la femme?

Quoi, qu’est-ce que vous dites?

Si le Supramental accepte ce corps transformé...

Accepte? Qu’est-ce que cela veut dire, «accepte»?

Cela veut dire «descend» dans ce corps semi-humain, est-ce qu’il y aura une différenciation?

Mais ce n’est pas comme cela, ce n’est pas une bouteille dans laquelle on met un liquide! Ce n’est pas cela.

Vous demandez si le corps gardera sa forme, ou masculine ou féminine?... Il est probable que ce sera laissé au choix de l’être qui entrera dans la maison, de l’occupant... Cela vous intéresse beaucoup, cette différence? (rires)

Vous nous dites qu’il n’y aura pas de différence, mais jusqu’ici il reste encore beaucoup de différence.

À quel point de vue? Si c’est l’apparence physique, c’est entendu — et encore, pas tant que cela, mais enfin. À quel point de vue?

Du point de vue de l’idée de sexe, qu’il y a deux sexes différents. Cela existe encore.

L’idée! Mais c’est la faute de celui qui pense! On peut très bien se passer de penser. Cela, n’est-ce pas, ces toutes petites limites de pensée, ce sont des choses qui doivent disparaître avant que vous puissiez même essayer de transformer votre corps. Si vous êtes encore dans ces toutes petites idées qui sont purement animales, il n’y a pas beaucoup d’espoir que vous puissiez commencer le moindre procédé de transformation de votre corps. Il faut d’abord que vous transformiez votre pensée... Ça, c’est quelque chose qui grouille encore tout en bas. Si vous n’êtes pas capable de sentir qu’un être conscient et vivant peut être tout à fait libre, même dans une forme donnée, de tout sentiment de sexe, c’est... cela veut dire que vous êtes encore jusqu’au cou dans l’animalité d’origine.

Dans la pensée intérieure, on sent, mais dans l’actualité de la vie matérielle...

Quoi, l’actualité?

Dans la vie extérieure, je n’ai pas encore réalisé cela. Dans l’intérieur...

Vous passez votre temps à y penser?

Mais on peut vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre sans avoir une pensée pour cette différence-là! Il faut vraiment être hypnotisé par cette affaire. Vous croyez que, quand je vous parle, je pense que vous êtes un homme, et quand je parle à Tara, je pense qu’elle est une femme?

Pourtant il y a une différence!

Ah! ce n’est pas du tout nécessaire!

En principe, je comprends.

En principe! Quel principe?

Qu’il n’y a pas de différence. Mais quand je suis en contact avec quelqu’un, c’est à l’homme que je parle, ou à la femme.

Eh bien, c’est dommage pour vous et pour cette personne.

Non, c’est justement tout le contraire de ce qui doit se passer! Quand vous êtes en contact avec quelqu’un et que vous lui parlez, c’est justement à ce qui dépasse toute animalité que vous devez parler; c’est à l’âme qu’il faut vous adresser, jamais au corps. On vous demande même bien davantage, puisqu’on vous demande de vous adresser au Divin — même pas à l’âme — au Divin unique en tout être, et d’avoir conscience de cela.

Mais si un seul côté est conscient et que l’autre soit une brute, qu’est-ce que cela fera?

Si l’on est seul à être conscient? Et qu’en savez-vous? Et comment et sur quel plan jugez-vous que l’autre n’est pas conscient?

La façon de répondre.

Mais peut-être que lui pense la même chose de vous!

Eh bien, moi, je vous dis que tant que ce n’est pas à la Présence divine que vous vous adressez quand vous parlez à quelqu’un, cela veut dire que vous n’en avez pas la conscience en vous. Et qu’alors, c’est une outrecuidance formidable de juger de l’état dans lequel cette autre personne se trouve. Qu’est-ce que vous en savez? Si vous-même, vous n’êtes pas conscient du Divin dans l’autre être, de quel droit pouvez-vous dire qu’il en est ou qu’il n’en est pas conscient? Sur quoi vous basez-vous? Sur votre petite intelligence extérieure? Mais elle ne sait rien! Elle est tout à fait incapable de percevoir quoi que ce soit.

À moins que votre vision ne soit constamment la vision du Divin en toutes choses, vous n’avez non seulement aucun droit, mais aucune capacité de pouvoir juger de la condition dans laquelle se trouvent les autres. Et prononcer un jugement sur quelqu’un sans avoir cette vision spontanément, sans effort, représente justement l’outrecuidance mentale dont Sri Aurobindo a toujours parlé... Et il se trouve ceci, que celui qui a la vision, celui qui a la conscience, qui est capable de voir la vérité en toutes choses, celui-là ne sent nullement le besoin de juger quoi que ce soit. Parce qu’il comprend tout et qu’il sait tout. Par conséquent, une fois pour toutes, il faut vous dire que de la minute où vous commencez à juger des choses, des gens, des circonstances, vous êtes dans l’ignorance humaine la plus totale.

On pourrait résumer ainsi: quand on comprend, on ne juge plus et quand on juge, c’est qu’on ne sait pas.

Juger est l’une des premières choses qui doit être balayée totalement de la conscience avant que vous puissiez faire un pas sur le chemin supramental, parce que cela, ce n’est pas un progrès matériel, ce n’est pas un progrès corporel, c’est un progrès seulement un petit peu de la pensée, mental. Et à moins que vous n’ayez balayé votre mental de toute son ignorance, vous ne pouvez pas espérer faire un pas sur le chemin supramental.

En fait, vous avez dit une chose formidable. Quand vous avez dit: «Je ne peux pas m’adresser à son âme, s’il est une brute», eh bien, vous vous êtes donné... vous vous êtes mis une étiquette. Voilà.

Tous ceux qui ont eu vraiment et sincèrement l’expérience de la Présence divine, tous ceux qui ont été vraiment en contact avec le Divin ont toujours dit la même chose, que c’est parfois — c’est même souvent — dans ce qui est le plus décrié des hommes, le plus méprisé par les hommes, le plus condamné par la «sagesse» humaine, que l’on peut voir briller la Lumière divine.

Ce ne sont pas des mots, ce sont des expériences vivantes.

Toutes ces notions de bien, de mal, de bon, de mauvais, de supérieur, d’inférieur, ce sont toutes des notions qui appartiennent à l’ignorance du mental humain, et si l’on veut vraiment entrer en contact avec la vie divine, il faut se libérer totalement de cette ignorance, il faut s’élever à une région de conscience où ces choses n’ont pas de réalité. Le sentiment de supériorité et d’infériorité disparaît totalement, il est remplacé par quelque chose d’autre, qui est d’une nature très différente... Une sorte de capacité de filtrer les apparences, de passer à travers les masques, de déplacer le point de vue.

Et ce ne sont pas des mots, c’est tout à fait vrai que tout change d’apparence, totalement; que la vie, les choses sont tout à fait différentes de ce qu’elles paraissent.

Tout ce contact, cette perception ordinaire du monde, perd totalement sa réalité. C’est cela qui paraît irréel, fantastique, illusoire, inexistant. Il y a quelque chose — et quelque chose de très matériel, de très concret, de très physique — qui devient la réalité de l’être, et qui n’a rien de commun avec la façon de voir ordinaire. Quand on a cette perception-là — la perception du travail de la Force divine, du mouvement qui s’élabore derrière l’apparence, dans l’apparence, par l’apparence — on commence à être prêt à vivre quelque chose de plus vrai que le mensonge humain ordinaire. Mais pas avant.

Il n’y a pas de compromis, n’est-ce pas. Ce n’est pas comme une convalescence après une maladie: il faut changer de monde. Tant que votre mental est réel pour vous, tant que votre façon de penser est une chose vraie pour vous, réelle, concrète, cela prouve que vous n’y êtes pas encore. Il faut passer de l’autre côté, d’abord. Après, vous pourrez comprendre ce que je vous dis.

Passez de l’autre côté.

Ce n’est pas vrai que l’on peut comprendre petit à petit, ce n’est pas comme cela. Ce genre de progrès-là n’est pas comme cela. Ce qui est plus vrai, c’est que l’on est enfermé dans une coquille, et que dans la coquille il y a quelque chose qui se passe, comme le poussin dans l’oeuf. Il est en train de se préparer làdedans. Il est là-dedans. On ne le voit pas. Il se passe quelque chose dans la coquille, mais au-dehors on ne voit rien. Et c’est seulement quand on est prêt qu’alors il y a la capacité de percer la coquille et de naître au plein jour.

Ce n’est pas que l’on devienne de plus en plus perceptible, ou visible: on est enfermé — on est enfermé — et même, pour les gens sensibles, il y a cette sensation terrible d’être comprimé, d’essayer de passer au travers comme cela, et puis on est en présence d’un mur. Et alors on cogne, et on cogne, et on cogne, et on ne passe pas.

Et tant qu’on est là, dedans, on est dans le mensonge. Et c’est seulement le jour où, par la Grâce divine, on peut casser la coquille et surgir dans la Lumière, alors on est libre.

Cela peut se faire tout d’un coup, spontanément, d’une façon tout à fait inattendue.

Je ne pense pas que l’on puisse passer au travers progressivement. Je ne pense pas que ce soit quelque chose qui puisse s’user, s’user, s’user jusqu’à ce qu’on puisse voir au travers. Je n’en ai pas eu d’exemple jusqu’à présent. Il y a plutôt une sorte d’accumulation du pouvoir à l’intérieur, une intensification du besoin, et une endurance dans l’effort qui devient libre de toute crainte, de toute anxiété, de tout calcul; un besoin si impérieux qu’on ne se soucie plus des conséquences.

On est comme un explosif auquel rien ne peut résister, et on jaillit hors de sa prison dans un éblouissement de lumière.

Après cela, on ne peut plus retomber en arrière.

C’est vraiment une nouvelle naissance.

 

1 Sri Aurobindo fait allusion (entre autres choses) à un incident qui s’est produit en 1921 à Pondichéry, dans le «Guest House» où il habitait. Un cuisinier congédié était allé trouver un magicien local pour se venger, et une pluie de pierres s’est mise à tomber dans la cour du «Guest House» régulièrement, pendant plusieurs jours. Ceux qui étaient au premier étage pouvaient voir les pierres se former juste à hauteur de leurs yeux, puis tomber dans la cour. Ces pierres étaient si réelles qu’elles ont blessé un jeune serviteur et que l’on pouvait les ramasser — certains disciples en ont même gardé pendant plusieurs années, elles avaient la particularité d’être toutes couvertes de mousse. Enfin, les pierres se sont mises à tomber de plus en plus grosses, dans les chambres fermées. Il ne pouvait plus y avoir de doute sur leur origine occulte. La Mère est alors intervenue avec son pouvoir intérieur et la «pluie» a cessé... Mais quelques jours après, on vit accourir la fille du cuisinier qui venait demander la grâce de Sri Aurobindo — le cuisinier était en train de mourir à l’hôpital, frappé par le «choc en retour» de sa pluie de pierres. Sri Aurobindo a répondu avec un sourire: «Oh! just for a few stones!» (Oh! pour quelques pierres!) Et tout est rentré dans l’ordre. Cet incident est relaté en détail dans l’Entretien de la Mère du 10 mars 1954.

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