SITE OF SRI AUROBINDO & THE MOTHER
      
Home Page | Workings | Works of the Mother | Entretiens: Tape records

Mère

Entretiens

 

Le 7 août 1957

L'enregistrement   

This text will be replaced

Sri Aurobindo a écrit: «La descente du Supramental apportera toutes les possibilités de la vie divine à celui qui le reçoit et qui a pleinement réalisé la consciencede- vérité. Elle embrassera non seulement toute l’expérience caractéristique qui constitue la vie spirituelle telle que nous l’admettons déjà, mais aussi tout ce que nous excluons maintenant de cette catégorie.» (La Manifestation Supramentale, chap. III)

Alors qu’est-ce que vous demandez? Ce qu’on exclut?

Qu’est-ce que nous excluons!... Cela dépend des gens.

Mais qu’est-ce que vous demandez vraiment?

Je ne vois pas ce que nous excluons.

Ah! voilà qui est raisonnable. Ici, nous professons que nous n’excluons rien. C’est justement pour cela. Nous avons adopté toutes les activités humaines, quelles qu’elles soient, y compris celles qui sont considérées comme les moins spirituelles. Mais je dois dire qu’il est très, très difficile de changer leur nature! Mais enfin, nous essayons, nous y mettons toute la bonne volonté possible.

Il est dit aussi que la descente facilitera le changement1.

Il y a deux points qui sont très résistants. C’est tout ce qui a trait à la politique et tout ce qui a trait à l’argent. Ce sont les deux points sur lesquels il est le plus difficile de changer l’attitude humaine.

En principe, nous avons dit que nous n’avons rien à voir avec la politique, et il est vrai que nous n’avons rien à voir avec la politique telle qu’elle se pratique maintenant. Mais il est de toute évidence que si l’on prend la politique dans son esprit vrai, c’est-à-dire l’organisation des masses humaines et tous les détails de gouvernement et de régulation de la vie collective, et les relations avec les autres collectivités (c’est-à-dire d’autres nations, d’autres pays), il faut nécessairement qu’elle entre dans la transformation supramentale, parce que, tant que les vies nationales et les relations entre nations seront ce qu’elles sont, il est tout à fait impossible de vivre une vie supramentale sur la terre. Alors il faudra bien que cela change; il faudra bien que l’on s’occupe de cela aussi.

Quant aux questions financières, c’est-à-dire trouver un moyen d’échange et de production qui soit simple — «simple», enfin, qui devrait être simple, plus simple que ne l’était l’échange primitif de celui qui avait besoin de donner une chose pour en recevoir une autre —, quelque chose qui puisse en principe être terrestre, universel; c’est tout à fait indispensable aussi pour la simplification de la vie. Maintenant, avec le caractère humain, c’est justement tout le contraire qui se produit! La situation est telle qu’elle est devenue presque... intolérable. Il est devenu presque impossible d’avoir la moindre relation avec les autres pays, et ce fameux moyen d’échange qui devait être une simplification est devenu d’une complication telle qu’on va bientôt aboutir à une impossibilité — on est très, très proche de ne plus pouvoir rien faire, d’être lié pour tout. Si l’on veut la moindre chose d’un autre pays, il faut suivre des procédés tellement compliqués et laborieux qu’on finira par rester dans son petit coin à se contenter des pommes de terre qu’on pourra cultiver dans son jardin, sans espérer savoir le moins du monde ce qui se passe et se produit ailleurs.

Eh bien, ces deux points-là sont les points les plus résistants. Dans la conscience humaine, c’est ce qui est encore le plus soumis aux forces d’ignorance, d’inconscience, et je dois dire très généralement, de mauvaise volonté. C’est ce qui se refuse le plus à tout progrès et à toute marche vers la vérité; et malheureusement, dans chaque individu humain, c’est là aussi qu’est le point résistant, le point qui reste étroitement stupide et refuse de comprendre tout ce qui n’est pas son habitude. Là, c’est vraiment une action... héroïque de vouloir prendre ces choses et de les transformer. Eh bien, on essaye cela aussi, et à moins que ce ne soit fait, il sera impossible de changer les conditions de la terre.

Il est relativement (très relativement) plus facile de changer les conditions économiques et les conditions sociales que de changer les conditions politiques et financières. Il y a certaines idées générales, terrestres, au point de vue économique et au point de vue social, qui sont accessibles à la pensée humaine; certaines libérations, certains élargissements, une certaine organisation collective, qui ne paraissent pas absolument insensés et irréalisables; mais dès que vous touchez aux deux autres questions, qui sont pourtant d’une importance capitale, surtout la question politique, il en va tout autrement... Parce que l’on pourrait imaginer une vie qui se débarrasserait de toutes les complications financières — quoique, sans jeu de mots, ce serait un véritable appauvrissement: il y a dans ce qu’apportent les possibilités financières, les procédés financiers, une richesse de possibilités très considérable, parce que s’ils étaient utilisés de la vraie manière et dans le vrai esprit, cela devrait simplifier toutes les relations et toutes les entreprises humaines à un très grand degré et permettre une complexité de vie qui serait très difficile en d’autres conditions. Mais je ne sais pour quelle raison (sinon que le pire précède toujours le meilleur), au lieu de prendre le chemin de la simplification, on a pris le chemin de la complication à un point tel que, malgré les avions qui vous amènent en deux jours d’un bout du monde à l’autre, malgré toutes les inventions modernes qui tentent de rendre la vie si «petite», si proche qu’on pourrait faire le tour du monde, non plus en quatre-vingts jours mais en très peu de jours, malgré cela, les complications des changes, par exemple, sont si grandes qu’il ne manque pas de gens qui ne peuvent pas sortir de chez eux, je veux dire du pays où ils se trouvent, parce qu’ils n’ont aucun moyen d’aller dans un autre et que, s’ils demandent, par exemple, l’argent nécessaire pour vivre dans un autre pays, on leur dit: «Est-ce que c’est très important, votre voyage? Vous pourriez peut-être attendre un peu, parce que pour nous c’est très difficile en ce moment...» Je ne plaisante pas, c’est sérieux, cela arrive. C’est-à-dire que l’on devient de plus en plus prisonnier de l’endroit où l’on est né, alors que toutes les tendances scientifiques vont vers une proximité si grande entre les pays que l’on pourrait être universel, ou en tout cas terrestre, très facilement.

Voilà. C’est la situation. Cela a empiré considérablement depuis la dernière guerre, cela empire d’année en année, et on se trouve dans une situation si ridicule que, malheureusement, comme on est à bout de ressources pour simplifier ce que l’on a tellement compliqué, il y a l’idée dans l’atmosphère terrestre — cette idée que je pourrais appeler saugrenue, mais malheureusement, c’est bien pire que saugrenu, elle est catastrophique —, cette idée que, s’il y avait un grand bouleversement, peut-être que ce serait mieux après... On est tellement coincé dans les prohibitions, les impossibilités, les défenses, les règlements, les complications de chaque seconde, que l’on se sent en train d’étouffer, et on a vraiment cette idée admirable que si l’on démolit tout, peut-être que ce sera mieux après!... Ça flotte dans l’air. Et les gouvernements se sont mis tous dans des conditions si impossibles, ils se sont tellement liés qu’il leur semble qu’il faudra tout casser pour pouvoir avancer... (silence) C’est malheureusement un peu plus qu’une possibilité, c’est une menace très sérieuse. Et il n’est pas tout à fait sûr qu’on ne rendra pas la vie encore plus impossible parce qu’on se sent incapable de sortir du chaos — du chaos de complications — dans lequel l’humanité s’est placée. C’est comme l’ombre — mais malheureusement une ombre très active — du nouvel Espoir qui a germé dans la conscience humaine, un espoir et un besoin de quelque chose de plus harmonieux; et le besoin devient d’autant plus aigu que la vie telle qu’elle est organisée actuellement devient de plus en plus son opposé. Les deux contraires se font face avec tant d’intensité que l’on peut s’attendre à quelque chose comme une explosion...

(silence)

C’est la condition terrestre, et elle n’est pas très brillante. Mais pour nous, il nous reste une possibilité (je vous en ai déjà parlé plusieurs fois): même si, en dehors, les choses se gâtent tout à fait et que la catastrophe ne puisse pas être évitée, il nous reste à nous (je veux dire, ceux pour qui la vie supramentale n’est pas un vain rêve, ceux qui ont la foi en sa réalité et l’aspiration de la réaliser; je ne veux pas dire nécessairement ceux qui sont réunis ici à Pondichéry, dans l’Ashram, mais ceux qui ont entre eux le lien de la connaissance que Sri Aurobindo a donnée et de la volonté de vivre selon cette connaissance), il leur reste la possibilité d’intensifier leur aspiration, leur volonté, leur effort, de rassembler leurs énergies et de raccourcir le temps de la réalisation. Il leur reste la possibilité de faire ce miracle individuel (et collectif dans une petite mesure) de conquérir l’espace, la durée, le temps nécessaires pour cette réalisation; de remplacer le temps par l’intensité de l’effort, et d’aller assez vite et assez loin dans la réalisation, pour se libérer des conséquences de la situation terrestre actuelle; de faire une concentration de force, de puissance, de lumière, de vérité, telle que par cette réalisation même on soit au-dessus et à l’abri de ces conséquences, qu’on jouisse de la protection octroyée par la Lumière et la Vérité, par la Pureté — la Pureté divine par la transformation intérieure — et que l’orage puisse passer sur le monde sans qu’il arrive à détruire ce grand Espoir de l’avenir proche; que l’ouragan n’emporte pas ce commencement de réalisation.

Au lieu de s’endormir dans une quiétude facile et de laisser les choses s’accomplir selon leur rythme propre, si l’on tend sa volonté, son ardeur, son aspiration et que l’on surgisse dans la lumière, alors on peut avoir la tête plus haute; on peut avoir, dans une région supérieure de conscience, de la place pour vivre, pour respirer, pour croître et se développer au-dessus du cyclone qui passe.

C’est possible. Dans une toute petite mesure, cela a été déjà fait au moment de la dernière guerre, quand Sri Aurobindo était là. Cela peut se refaire. Mais il faut le vouloir et que chacun fasse son propre travail aussi sincèrement et aussi complètement qu’il le peut.

 

1 «... une vie divine sur la terre ne sera pas nécessairement une chose à part et exclusive, sans aucune relation avec l’existence terrestre commune: elle embrassera l’être humain et la vie humaine, transformera ce qui peut être transformé, spiritualisera tout ce qui peut être spiritualisé, répandra son influence sur le reste et effectuera soit un changement radical, soit une élévation; elle amènera une communion plus profonde entre l’individu et l’univers, envahira l’idéal par la vérité spirituelle dont il est l’ombre lumineuse, et aidera à soulever l’être humain et sa vie vers et dans une existence plus grande et plus haute. [...] Il est évident que si le Supramental est là et qu’un ordre d’existence supramental s’établit comme principe directeur de la nature terrestre, de même que le mental est maintenant le principe directeur, mais avec une solidité et un gouvernement complet de l’existence terrestre, il en résulterait inévitablement une capacité de transformation pour tous, chacun à son propre niveau et dans ses propres limites naturelles — ce dont le mental n’était pas capable dans son imperfection —, et nous verrions un immense changement de la vie humaine, même s’il n’allait pas jusqu’à la transformation.» (La Manifestation Supramentale, chap. III)

En arrière