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Mère

Entretiens

 

Le 16 octobre 1957

L'enregistrement   

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J’ai reçu quatre questions. Elles ne concernent pas, naturellement, ce que je viens de lire, et elles sont sur trois sujets différents. Et chacune nécessite une très longue réponse. Mais enfin, je vais prendre les deux premières, qui se tiennent. Elles concernent l’involution de l’Esprit1.

Première question:

«Si tout ce qui doit se manifester est déjà involué dans la Matière, existe-t-il, cachés en elle, d’autres principes que le Supramental, qui se révéleront quand celui-ci sera pleinement manifesté?»

On peut dire logiquement «oui», parce que, essentiellement, il y a identité entre la Matière et le Suprême. Mais — et ceci introduit la seconde question:

«Est-ce que l’involution s’est passée dans le Temps et a-t-elle une Histoire comme l’évolution?»

On pourrait presque dire que la réponse à cette question dépend de l’attitude mentale de celui qui la pose... Les érudits vous diront qu’il y a des écoles très différentes, qui ont parlé de ces choses de façon très différente aussi. Il y a les métaphysiciens, qui naturellement se refusent à toute histoire, les esprits essentiellement spéculatifs, philosophiques et, comme je le disais, métaphysiques, abstraits, qui considèrent que les histoires, c’est bon pour les enfants. Il y a les psychologues, qui traduisent tout par des mouvements de conscience, et enfin il y a les gens qui aiment les images et pour qui l’histoire universelle est un grand développement que l’on pourrait appeler «cinématographique», et ce développement imagé est pour eux quelque chose de plus vivant, de plus tangible, car même s’il n’est que symbolique, il fait comprendre les choses d’une façon plus intime et plus réelle.

Il va de soi que les trois explications sont également vraies, et que le tout est de pouvoir les synthétiser et les harmoniser dans sa pensée; mais nous laisserons de côté les aridités métaphysiques parce qu’il est préférable de les lire dans les livres des érudits, qui vous diront les choses d’une façon très précise, très exacte et très sèche! Le point de vue psychologique... il vaut mieux le vivre que d’en parler. Il nous reste donc l’histoire à l’usage des enfants. Il est bon d’être un enfant toujours. Et si nous devons nous garder d’y croire comme à un dogme auquel il ne faut rien changer si l’on ne veut pas être sacrilège, nous pouvons au moins prendre ces histoires comme un moyen de rendre vivant, pour notre conscience enfantine, quelque chose qui serait autrement trop loin de nous.

Là, nous avons le choix entre beaucoup d’histoires qui ont été racontées, plus ou moins vraies, plus ou moins complètes, plus ou moins expressives. Mais si l’on peut, en s’intériorisant ou en s’extériorisant (ce qui, à un certain point de vue, est essentiellement la même chose), si l’on peut revivre cette histoire, au moins partiellement et dans ses grandes lignes, cela aide à comprendre, et par suite à maîtriser le comment et le pourquoi des choses. Certaines gens l’ont fait, ce sont ceux qu’on a l’habitude de considérer à la fois comme des initiés, des occultistes et des prophètes — et de très jolies histoires ont été racontées.

Je vais, d’une façon très succincte, vous en raconter une. Ne la prenez pas pour un évangile! Prenez la plutôt... comme une histoire.

Quand le Suprême décida de s’extérioriser pour pouvoir se voir Lui-même, la première chose de Lui-même qu’Il extériorisa fut la Connaissance du monde et le Pouvoir de le créer. Cette Connaissance-Conscience et Force commença son oeuvre; et dans la Volonté suprême, il y avait un plan, et le premier principe de ce plan était l’expression, à la fois, de la Joie et de la Liberté essentielles, qui paraissaient être le caractère le plus intéressant de cette création.

Donc, il fallait des intermédiaires pour exprimer dans les formes cette Joie et cette Liberté. Et quatre Êtres furent d’abord émanés pour commencer ce développement universel qui devait être l’objectivation progressive de tout ce qui est contenu potentiellement dans le Suprême. Ces Êtres étaient, dans le principe de leur être: Conscience et Lumière, Vie, Félicité et Amour, et Vérité.

Vous pouvez facilement concevoir qu’ils avaient le sens d’une grande puissance, d’un grand pouvoir, de quelque chose de formidable, puisqu’ils étaient essentiellement le principe de ces choses. En outre, ils avaient une liberté totale de choix puisque cette création devait être la Liberté même... Dès qu’ils se sont mis à l’oeuvre (ils avaient leur conception propre de la façon dont elle devait être faite), étant totalement libres, ils choisirent de la faire indépendamment. Au lieu de prendre l’attitude du serviteur et de l’instrument dont Sri Aurobindo parle dans ce que je viens de vous lire2, ils ont naturellement pris l’attitude du maître, et cette méprise (je peux le dire) a été la première cause, la cause essentielle, de tout le désordre dans l’univers. Dès qu’il y a eu séparation — parce que c’est cela, la cause essentielle de la séparation —, dès qu’il y a eu séparation entre le Suprême et ce qui a été émané, la Conscience s’est changée en inconscience, la Lumière en obscurité, l’Amour en haine, la Félicité en souffrance, la Vie en mort et la Vérité en mensonge. Et ils ont procédé à leur création indépendamment, dans la séparation et le désordre.

Le résultat, c’est le monde tel que nous le voyons. Il s’est fait progressivement, étape par étape, et ce serait vraiment un peu long de vous raconter tout cela, mais enfin l’achèvement, c’est la matière — obscure, inconsciente, misérable... La Force créatrice, qui avait émané ces quatre Êtres essentiellement pour la création du monde, assistait à ce qui se passait et, se tournant vers le Suprême, implora le remède et la guérison du mal qui avait était fait.

Alors l’ordre lui fut donné de précipiter sa Conscience dans cette inconscience, son Amour dans cette souffrance, et sa Vérité dans ce mensonge. Et ce fut une conscience plus grande, un amour plus total, une vérité plus parfaite que ce qui avait été tout d’abord émané, qui plongea pour ainsi dire dans l’horreur de la matière, afin d’y éveiller la Conscience, l’Amour et la Vérité, et de commencer ce mouvement de Rédemption qui devait ramener l’univers matériel vers son Origine suprême.

Ainsi, il y a eu ce que l’on pourrait appeler des involutions successives dans la matière, et une histoire de ces involutions. L’aboutissement actuel de ces involutions est l’apparition du Supramental émergeant de l’inconscience; mais rien ne dit qu’au-delà de cette apparition, il n’y en aura pas d’autres... parce que le Suprême est inépuisable et qu’Il créera toujours des mondes nouveaux.

Voilà mon histoire.

 

1 Rappelons que selon Sri Aurobindo l’évolution est le fruit d’une involution. Ainsi, la vie est involuée dans la matière, le mental est involué dans la vie et le supramental est involué dans le mental. Rien ne peut sortir de rien; c’est parce que le Suprême est involué dans la Matière que le Suprême peut émerger de la Matière.

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2 «L’épée a une joie dans le jeu de la bataille, la flèche est toute allégresse quand elle siffle et bondit, la terre est ravie de son tournoiement vertigineux dans l’espace, le soleil a la royale extase de sa splendeur enflammée et de son éternel mouvement. Ô toi, instrument conscient, réjouis-toi aussi des travaux qui t’ont été désignés...» (Sri Aurobindo, «La Joie des OEuvres», extrait de The Superman)

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