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Mère

Entretiens

 

Le 30 octobre 1957

L'enregistrement   

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«Ce processus évolutif dans la Nature terrestre depuis la matière jusqu’au mental et au-delà, suit un double mouvement: d’une part, il y a un mouvement extérieur et visible d’évolution physique, avec la naissance pour mécanisme — car chaque forme corporelle apparue dans l’évolution, avec le pouvoir de conscience qui s’est en même temps développé, se maintient par l’hérédité qui assure sa continuité; et d’autre part, en même temps, il y a un mouvement invisible d’évolution de l’âme avec pour mécanisme la réincarnation suivant des degrés ascendants de forme et de conscience. Le premier mouvement, à lui seul, n’entraînerait qu’une évolution cosmique, car l’individu serait un instrument rapidement périssable, et la race, formulation collective plus durable, serait le véritable échelon dans la manifestation progressive de l’Habitant cosmique, l’Esprit universel. Ainsi, le deuxième mouvement avec la réincarnation est une condition indispensable pour une durée et une évolution prolongée de l’être individuel dans son existence terrestre. Chaque degré de la manifestation cosmique, chaque type de forme susceptible de recevoir l’hôte spirituel, devient avec la réincarnation un moyen pour l’âme individuelle, l’entité psychique, de manifester de plus en plus sa conscience cachée. Chaque vie devient un pas de plus dans la victoire sur la matière, grâce à une progression croissante de la conscience qui, finalement, fera de la matière elle-même un moyen de pleine manifestation de l’Esprit.» (L’Évolution spirituelle, p. 3)

C’est difficile à comprendre, Douce Mère.

Ah!...

Si vous prenez l’histoire terrestre, toutes les formes de vie sont apparues l’une après l’autre, dans un schéma général, un programme général, avec toujours l’addition d’une perfection nouvelle et d’une conscience plus grande. Prenez seulement les formes animales (parce que c’est plus facile à comprendre, ce sont les dernières avant l’homme); chaque forme animale qui a paru avait une perfection de plus dans son ensemble (je ne veux pas dire dans tous les détails), plus grande que les perfections précédentes, et le couronnement de la marche ascendante a été la forme humaine qui est, pour le moment, au point de vue conscience, la forme la plus capable de manifester la conscience; c’est-à-dire que la forme humaine à son maximum, au maximum de ses possibilités, est capable de plus de conscience que toutes les formes animales précédentes.

C’est une façon d’évolution de la Nature.

Sri Aurobindo nous a dit, la semaine dernière, que cette Nature suivait une progression ascendante pour manifester de plus en plus la Conscience divine qui est contenue dans toutes les formes. Alors, avec chaque forme nouvelle qu’elle produit, la Nature produit une forme capable d’exprimer plus complètement l’esprit que cette forme contient. Mais si c’était comme cela... une forme vient, se développe, arrive à son maximum et est suivie d’une autre forme; les autres ne disparaissent pas, mais l’individu ne progresse pas. L’individu chien ou l’individu singe, par exemple, appartient à une espèce qui a toutes ses caractéristiques propres; quand le singe ou l’homme sera arrivé à son maximum de possibilités, c’est-à-dire quand un individu humain sera le type le meilleur de l’humanité, ce sera fini; l’individu ne pourra pas progresser davantage. Il est espèce homme, il restera espèce homme. Ainsi, au point de vue de l’histoire terrestre, il y a un progrès puisque chaque espèce représente un progrès par rapport à l’espèce précédente, mais au point de vue de l’individu il n’y a pas de progrès: il naît, il suit son développement, il meurt et disparaît. Donc, pour assurer le progrès de l’individu, il a fallu trouver un autre moyen; celuilà ne suffisait pas. Mais au-dedans de l’individu, contenu dans chaque forme, il y a une organisation de conscience qui est plus proche et plus directement sous l’influence de la Présence divine intérieure, et cette forme qui est sous cette influence (cette sorte de concentration d’énergie intérieure) a une vie indépendante de la forme physique — c’est ce que nous appelons communément l’âme ou l’être psychique — et étant organisée autour du centre divin, elle appartient à la qualité divine, qui est immortelle, éternelle. Le corps extérieur tombe, et ça reste à travers chaque expérience que cela a dans chaque vie, et il y a un progrès de vie en vie, et c’est le progrès du même individu. Et ce mouvement-là complète l’autre, en ce sens qu’au lieu d’une espèce qui progresse par rapport aux autres espèces, c’est un individu qui passe par tous les progrès de ces espèces et qui peut continuer à progresser alors même que les espèces sont arrivées à leur maximum de possibilités et qu’elles demeurent ou qu’elles disparaissent (cela dépend des cas), mais elles ne peuvent pas aller plus loin, tandis que l’individu, ayant une vie indépendante de la forme purement matérielle, peut passer d’une forme à une autre et continuer in-de-fi-ni-ment son progrès. Cela fait un double mouvement qui se complète. Et c’est pourquoi chaque individu a la possibilité d’arriver au maximum de la réalisation, indépendamment de la forme à laquelle il appartient momentanément.

Il y a des gens (il y en a eu, il y en a encore je crois!) qui disent se souvenir de leurs vies antérieures et qui vous racontent ce qui s’est passé quand ils étaient chiens, ou quand ils étaient éléphants, ou quand ils étaient singes, et qui vous disent des histoires très détaillées sur ce qui leur est arrivé. Je n’entrerai pas en discussion avec eux, mais enfin c’est pour illustrer le fait qu’avant d’être homme, on a pu être singe — peut-être n’avait-on pas le pouvoir de se souvenir (!), c’est une autre affaire —, mais certainement cette étincelle divine intérieure a passé par des formes successives pour arriver à être de plus en plus consciente d’elle-même. Et s’il est prouvé que l’on peut se souvenir de la forme que l’on avait avant de devenir un être psychique tel qu’il est contenu dans la forme humaine, eh bien, on pourrait très bien se souvenir d’avoir grimpé aux arbres et mangé des noix de coco, et même fait toutes sortes de plaisanteries au voyageur qui passait en dessous!

En tout cas, le fait est là. Peut-être plus tard verrons-nous qu’il faut un certain état d’organisation intérieure pour que cet être psychique puisse avoir des souvenirs à la manière dont l’être mental les a — nous en parlerons plus tard, avec le livre —, mais en tout cas, le fait est établi: c’est ce double mouvement d’évolution qui s’entrecroise et se complète, qui donne le maximum de possibilités de réalisation à la Lumière divine qui est au-dedans de chaque être. C’est ce que Sri Aurobindo a expliqué. (S’adressant à l’enfant) C’est-à-dire que dans ton corps extérieur tu appartiens à l’espèce animale en voie de devenir une espèce supramentale — tu ne l’es pas encore! mais intérieurement tu as un être psychique qui a déjà vécu dans beaucoup, beaucoup, d’innombrables espèces auparavant, et qui a une expérience millénaire à l’intérieur de ton être, et qui continuera alors que ton corps humain restera humain jusqu’à ce qu’il se décompose.

Nous verrons plus tard si cet être psychique a la possibilité de transformer son corps et de créer lui-même une espèce intermédiaire entre l’homme animal et le surhomme — nous étudierons cela plus tard —, mais enfin, pour le moment, c’est une âme immortelle qui devient de plus en plus consciente d’elle-même dans un corps d’espèce humaine. Voilà. Maintenant tu as compris?

(Un autre enfant) Mère, dans la Nature, nous voyons souvent la disparition d’une espèce tout entière. Quelle en est la cause?

Probablement la Nature a-t-elle pensé que ce n’était pas réussi!... N’est-ce pas, elle se précipite dans l’action avec une abondance et un manque total de sens de l’économie. Nous pouvons le voir. Elle essaye tout ce qu’elle peut, de toutes les manières qu’elle peut, avec toutes sortes d’inventions, qui sont évidemment fort remarquables, mais quelquefois elle... c’est comme un chemin sans issue. En poussant de ce côté-là, au lieu de progresser, on arriverait à des choses évidemment absolument inacceptables. Elle jette son esprit créateur avec une abondance qui ne calcule point, et quand la combinaison n’est pas très réussie, eh bien, simplement elle fait comme cela (geste), puis elle la supprime, ça ne la gêne pas. Pour elle, n’est-ce pas, c’est une abondance qui n’a pas de limites. Je crois qu’elle ne se refuse à aucune espèce d’expérience. C’est seulement si quelque chose a une chance de conduire à une ligne qui ait un aboutissement qu’elle continue. Il y a eu très certainement des intermédiaires ou des formes parallèles entre le singe et l’homme; on en a trouvé des traces (peut-être avec beaucoup de bonne volonté! mais enfin, on en a trouvé des traces), eh bien, ces espèces-là ont disparu. Alors, si nous aimons à spéculer, nous pouvons nous demander si l’espèce qui va venir maintenant, et qui est un intermédiaire entre l’homme animal et le surhomme, demeurera, ou si elle sera considérée comme pas intéressante et supprimée... Cela, nous le verrons plus tard. La prochaine fois que nous nous retrouverons, on en reparlera!

C’est tout simplement l’action d’une abondance sans limites. Elle a suffisamment de connaissance et de conscience pour se comporter comme quelqu’un qui aurait une quantité innombrable et incalculable d’éléments qu’on mélange, qu’on resépare, qu’on reforme, qu’on redéfait et... C’est le gros chaudron: on tourne là-dedans, on en sort quelque chose; ça ne va pas, on le rejette dedans, on prend autre chose. Imaginez-vous à la dimension... prenons seulement la terre: vous comprenez, une forme ou deux formes ou cent formes, pour elle, cela n’a aucune espèce d’importance, il y en a des milliers et des milliers et des milliers; et puis des années, cent années, mille années, des millions d’années, cela n’a aucune espèce d’importance, on a l’éternité devant soi!

Simplement, quand nous regardons les choses à la proportion d’une dimension humaine, dans l’espace et dans le temps, oh! cela paraît considérable, mais pour elle, ce n’est rien. C’est simplement un amusement. On peut l’aimer plus ou moins, l’amusement, mais enfin c’est un amusement.

Il est de toute évidence que ça l’amuse et qu’elle n’est pas pressée. Si on lui parle de brûler les étapes et de finir vite telle ou telle partie de son travail, la réponse est toujours la même: «Mais pour quoi faire, pour quoi? Cela ne vous amuse pas?»