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Mère

Entretiens

 

Le 4 décembre 1957

L'enregistrement   

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«En fait, nous voyons que les principes de la création sont permanents et invariables: chaque type d’être reste ce qu’il est, sans essayer ni avoir le moindre besoin de devenir autre qu’il n’est. En admettant que certains types d’existence disparaissent et que d’autres apparaissent, c’est parce que la Conscience-Force dans l’univers retire sa joie de vivre des types qui périssent et se met à en créer d’autres pour son plaisir. Mais chaque type de vie, tant qu’il dure, garde sa propre structure et lui reste fidèle quelles que soient les variations mineures. Il est lié à sa propre conscience et ne peut s’en écarter pour passer dans une autre conscience; il est limité à sa propre nature et ne peut franchir ses frontières pour passer dans une autre nature. Si la Conscience-Force de l’Infini a manifesté la vie après avoir manifesté la matière, et le mental après avoir manifesté la vie, il ne s’ensuit pas qu’elle continuera en manifestant le supramental comme prochaine création terrestre. Car le mental et le supramental appartiennent à deux hémisphères tout à fait différents: le mental au statut inférieur de l’ignorance, le supramental au statut supérieur de la Connaissance divine. Ce monde est un monde d’ignorance et destiné à n’être que cela; il n’existe pas nécessairement une intention de faire descendre les pouvoirs de l’hémisphère supérieur dans la moitié inférieure de l’existence, ou d’y manifester leur présence cachée. Car si réellement ces pouvoirs existent ici-bas, c’est dans une immanence occulte, incommunicable, et seulement pour maintenir la création, non pour la perfectionner. L’homme est le sommet de cette création ignorante; il a atteint toute la conscience et toute la connaissance dont cette création est capable; s’il essaie d’aller plus loin, il tournera seulement en rond dans les cercles plus larges de sa propre mentalité. Car telle est la courbe de son existence ici-bas, une ronde limitée qui emporte le mental dans ses révolutions et retourne toujours au point d’où elle est partie. Le mental ne peut pas sortir de sa propre orbite; toute idée de mouvement en ligne droite ou de progrès qui s’élève indéfiniment ou s’élargit dans l’Infini, est une illusion. Si l’âme de l’homme doit dépasser l’humanité pour atteindre un état supramental ou un état plus élevé encore, elle doit sortir de cette existence cosmique et entrer, soit dans une région ou un monde de béatitude et de connaissance, soit dans l’Éternel et Infini non manifesté.» (L’Évolution spirituelle, p. 5-6)

Au fond, il faudrait faire un petit travail préparatoire et noter l’idée nouvelle de chaque nouveau paragraphe en l’ajoutant aux idées précédentes pour que, à la fin du chapitre, vous ayez le tableau complet. Parce que, si vous me posez une question maintenant sur ce que je viens de lire, cette question pourra nécessiter une réponse presque contradictoire parfois de ce que nous avons vu au paragraphe précédent. Cela tient à sa façon de procéder à la démonstration. C’est comme si Sri Aurobindo se mettait au centre d’une sorte de sphère, comme au centre d’une roue dont les rayons aboutiraient à une périphérie. Et il reprend toujours de son point de départ et il va jusqu’à la surface, et ainsi de suite, ce qui fait qu’il semble répéter la même chose plusieurs fois, mais c’est simplement la démonstration de la pensée pour qu’on puisse la suivre. Il faut avoir une mémoire des idées très claire pour vraiment comprendre ce qu’il dit.

J’insiste là-dessus parce que, à moins que vous ne procédiez systématiquement, vous ne tirerez pas beaucoup de profit de la lecture, cela vous paraîtra une sorte de méandre où il est très difficile de se conduire... Toutes les idées sont jointes au centre; et à la périphérie, elles vont dans des directions tout à fait différentes.

Vous avez des questions cette fois-ci?... Non.

C’est difficile, n’est-ce pas. Je lis et je vois bien qu’il est difficile de poser une question, parce que, à moins que l’on ne soit au bout de la démonstration, on ne sait pas où il veut en venir ni ce qu’il veut enseigner; et en même temps, si on lisait toute la démonstration, il serait impossible (à moins que l’on n’ait une mémoire particulièrement fidèle) de se rappeler tous les points. Avant d’arriver à la fin, on oublierait ce qui est écrit au commencement! Il serait assez intéressant de prendre des notes, de brèves notes, de tâcher de résumer chaque paragraphe avec une ou deux idées maîtresses de façon à pouvoir les comparer.

(silence)

Sri Aurobindo dit ici que chaque espèce est satisfaite des qualités spéciales de l’espèce, des principes de sa construction, et n’essaye pas de se transformer ou de se changer en une espèce nouvelle. Le chien reste satisfait d’être chien, le cheval reste satisfait d’être cheval et n’essaye jamais, par exemple, de devenir un éléphant! Partant de là, Sri Aurobindo pose la question: l’homme restera-t-il satisfait d’être homme ou s’éveillera-t-il à la nécessité d’être autre chose qu’un homme, c’est-à-dire un surhomme?

C’est le résumé du paragraphe.

Mais quand on a l’habitude de ces exposés, l’esprit spéculatif, et qu’on lit cela, il y a quelque chose dans l’être qui n’est pas satisfait. C’est-à-dire qu’il n’est question ici que de la forme la plus extérieure, cette espèce d’écorce de l’être, mais on sent au-dedans de soi «quelque chose» qui, au contraire, a une sorte de tendance impérieuse à dépasser cette forme. Et c’est cela que Sri Aurobindo veut nous faire toucher du doigt.

J’ai vu des animaux familiers qui avaient vraiment une sorte de besoin intérieur d’être autre chose qu’ils n’étaient. J’ai connu des chiens qui étaient comme cela, des chats qui étaient comme cela, des chevaux qui étaient comme cela, et même des oiseaux qui étaient comme cela. La forme extérieure était inévitablement ce qu’elle était, mais il y avait quelque chose de vivant et de perceptible dans l’animal, qui faisait un effort évident pour arriver à une autre expression, à une autre forme. Et tout homme qui a dépassé le stade de l’animal-homme et qui devient l’homme-homme a vraiment un besoin, que je pourrais appeler «incorrigible», d’être autre chose que ce demi-animal, tout à fait insatisfaisant — insatisfaisant dans son expression et ses moyens d’expression et ses moyens de vie. Alors le problème est celui-ci: est-ce que ce besoin impérieux sera suffisamment efficace dans son aspiration pour que la forme elle-même, l’espèce, se développe et se transforme, ou est-ce seulement cette chose, cette conscience impérissable dans l’être, qui sortira de cette forme-ci quand elle périra, pour entrer dans une forme supérieure, qui d’ailleurs, comme nous le voyons maintenant, n’existe pas encore?

Et le problème se pose: comment cette forme supérieure sera-t-elle créée? Si l’on regarde le problème, cela devient très intéressant. Est-ce par un procédé, que nous devons imaginer, que cette forme-ci, petit à petit, se transformera pour en créer une nouvelle, ou est-ce par un autre moyen, un moyen pour nous encore inconnu, que cette forme nouvelle apparaîtra dans le monde?

C’est-à-dire, est-ce qu’il y aura une continuité ou est-ce qu’il y aura une brusque apparition de quelque chose de nouveau? Y aura-t-il un passage progressif entre ce que nous sommes maintenant et ce que notre esprit intérieur aspire à devenir, ou est-ce qu’il y aura une rupture, c’est-à-dire que nous serons obligés de laisser tomber cette forme humaine actuelle pour attendre l’apparition d’une forme nouvelle — apparition dont nous ne prévoyons pas le procédé, et qui n’aura aucun rapport avec ce que nous sommes maintenant? Pouvons-nous espérer que ce corps, qui est maintenant notre moyen de manifestation terrestre, aura la possibilité de se transformer progressivement en quelque chose qui pourra exprimer une vie supérieure, ou est-ce qu’il faudra abandonner cette forme totalement pour entrer dans une autre qui n’existe pas encore sur la Terre?

Voilà le problème. C’est un problème très intéressant.

Si vous voulez y réfléchir, cela pourra vous mener à un petit peu plus de lumière.

Nous pouvons y réfléchir tout de suite.

(méditation)

Au moment de la première publication de cet Entretien (le 6 mars 1963), Mère a ajouté les remarques suivantes:

Pourquoi pas les deux?

Les deux seront en même temps; l’une n’exclut pas l’autre.

Oui, mais est-ce que c’est l’une qui se transformera en l’autre?

L’une se transformera et sera comme une ébauche de l’autre. Et l’autre, parfaite, apparaîtra quand celle-ci existera. Parce que les deux choses ont leur beauté et leur raison d’être, par conséquent elles seront là toutes les deux.

Le mental essaye toujours de choisir, de décider — ce n’est pas comme cela. Même tout ce que nous pouvons imaginer est beaucoup moins que ce qui sera. À dire vrai, chacun qui a une aspiration intense et une certitude intérieure sera appelé à la réaliser.

Partout, dans tous les domaines et toujours et éternellement, tout sera possible. Et tout ce qui est possible, tout sera à un moment donné — à un moment donné plus ou moins prolongé, mais tout sera.

De même qu’on a trouvé toutes sortes de possibilités entre les animaux et l’homme, qui ne sont pas restées, de même il y aura toutes sortes de possibilités: chacun essayera à sa manière. Et tout cela ensemble aidera à préparer la réalisation future.

La question que l’on pourrait se poser: est-ce que l’espèce humaine sera comme certaines espèces qui ont disparu de la terre?... Certaines espèces ont disparu de la terre. Mais pas des espèces qui ont duré aussi longtemps que l’espèce humaine, je ne pense pas; et justement, pas les espèces qui avaient en elles ce germe de progrès, cette possibilité de progrès. On a plutôt l’impression que l’évolution suivra une courbe qui se rapprochera de plus en plus d’une espèce supérieure et, peut-être, tout ce qui est encore trop près des espèces inférieures tombera, comme ces espèces sont tombées.

On oublie toujours que non seulement tout est possible — tout, même les choses les plus contradictoires —, mais que tous les possibles ont au moins un moment d’existence.