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Mère

Entretiens

 

Le 18 décembre 1957

L'enregistrement   

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Après lecture d’un paragraphe de La Vie Divine (L’Évolution spirituelle, p. 7-9)

Le seul point vraiment important que la science moderne ait découvert, c’est qu’au point de vue purement extérieur et physique, les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Quand vous regardez un corps, un être humain, un objet, un paysage, vous avez une perception de ces choses à l’aide de vos yeux, de votre toucher, de l’ouïe et, pour les détails, de l’odeur et du goût; eh bien, la science vous dit: «Tout cela est illusoire, vous ne voyez pas du tout les choses comme elles sont, vous ne les touchez pas telles qu’elles sont, vous ne les sentez pas telles qu’elles sont, vous ne les goûtez pas telles qu’elles sont. C’est la construction de vos organes qui vous met en rapport avec ces choses d’une certaine manière, qui est tout à fait superficielle, extérieure, illusoire et irréelle.»

Au point de vue de la science, vous êtes un ensemble de... même pas d’atomes... de quelque chose d’infiniment plus imperceptible qu’un atome, et dans un mouvement perpétuel. Il n’y a absolument rien qui ressemble à une figure, un nez, des yeux, une bouche, c’est seulement juste une apparence. Et les savants arrivent à cette conclusion — la même que les anciens spiritualistes effrénés — que le monde est une illusion. Cela, c’est une grande découverte, très grande... Un pas de plus et ils entreront dans la vérité. Par conséquent, quand on vient dire: «Mais je vois ça, je le touche, je le sens, j’en suis sûr», au point de vue scientifique c’est une ânerie. C’est ce que peut dire quelqu’un qui n’a jamais étudié scientifiquement les choses telles qu’elles sont. Alors, par des chemins diamétralement opposés, ils sont arrivés au même résultat: le monde tel que vous le voyez est une illusion.

Maintenant, qu’est-ce qui est vrai derrière?... Les gens qui ont recherché la connaissance spirituelle vous diront: «Nous en avons l’expérience», mais naturellement c’est une expérience purement subjective, et il n’existe pas encore de terrain sur lequel on puisse dire d’une façon absolue que l’expérience est indiscutable pour tout le monde. L’expérience de chacun est pour chacun indiscutable. Et si l’on pousse un peu plus loin...

Au fond, la valeur d’une expérience ou d’une découverte pourrait peut-être se prouver au pouvoir qu’elle donne: le pouvoir de changer ces apparences et de transformer les choses, les circonstances et le monde dans ce qu’il nous paraît être, selon la volonté qui se manifeste à travers cette expérience. Il me paraît que la preuve la plus universelle de la validité d’une expérience individuelle ou collective serait son pouvoir de rendre les choses — ces apparences que nous appelons le monde — autres qu’elles ne sont. Au point de vue subjectif, l’effet de l’expérience sur une conscience individuelle est une preuve indéniable: pour celui qui atteint à la béatitude, à la paix souveraine, à la joie invariable, à la connaissance profonde des choses, la preuve est plus que faite. Les effets sur la forme extérieure dépendent de beaucoup d’autres choses que l’expérience même (dépendent peut-être de la cause première de ces expériences), mais une chose dans tout cela paraît une preuve accessible à d’autres qu’à celui qui a l’expérience, c’est le pouvoir sur les autres et sur les choses (ce qui, pour la conscience ordinaire, est «objectif»). Par exemple, si celui qui a atteint cet état de conscience dont je parle avait le pouvoir de le communiquer à d’autres, ce serait partiellement (partiellement seulement) une preuve de la réalité de ces expériences; mais si, allant plus loin, l’état de conscience dans lequel il se trouve — par exemple, un état de parfaite harmonie — arrivait à créer cette harmonie dans le monde extérieur, dans ce qui apparemment n’est pas l’harmonie, ce serait, je pense, la preuve la plus facilement acceptée, même par l’esprit scientifique matérialiste. Si ces apparences illusoires pouvaient être changées en quelque chose de plus beau, de plus harmonieux, de plus heureux que le monde dans lequel nous vivons maintenant, ce serait peut-être une preuve indéniable. Et si nous poussons encore plus loin, si comme Sri Aurobindo nous le promet, la force, la conscience et la lumière supramentales transforment ce monde et créent une race nouvelle, alors, de même que les singes et les animaux (s’ils parlaient) ne pourraient pas nier l’existence de l’homme, de même l’homme ne pourrait pas nier l’existence de ces êtres nouveaux — à condition qu’ils soient suffisamment différents de la race humaine pour que cette différence soit sensible même aux organes trompeurs de l’homme.

Selon ces déductions, il semblerait que l’aspect le plus concluant, évident, et qui probablement sera le premier à se manifester (probablement), sera l’aspect de Pouvoir, plus que l’aspect de Joie et l’aspect de Vérité. Pour qu’une race nouvelle puisse s’établir sur la Terre, il faudrait nécessairement qu’elle soit protégée des autres éléments terrestres pour pouvoir survivre, et le pouvoir, c’est la protection (non pas un pouvoir artificiel, extérieur et faux, mais la Puissance véritable, la Volonté victorieuse). Il n’est donc pas impossible de penser que l’action supramentale, avant même d’être une action d’harmonisation, d’illumination, de joie, de beauté, soit une action de pouvoir, pour servir de protection. Naturellement, pour que cette action de pouvoir soit vraiment efficace, il faudrait qu’elle se fonde sur la Connaissance et la Vérité, et l’Amour, et l’Harmonie; mais ces choses pourraient se manifester — visiblement, petit à petit — lorsque, pour ainsi dire, le terrain aura été préparé par l’action d’une Volonté et d’un Pouvoir souverains.

Mais pour que la moindre de ces choses soit possible, il faut d’abord une base d’équilibre parfait, l’équilibre que donnent l’absence totale d’égoïsme, la soumission parfaite au Suprême, la vraie pureté: celle de l’identification avec le Suprême. Sans cette base d’équilibre parfait, le Pouvoir supramental est dangereux, et il ne faut à aucun prix le rechercher, vouloir l’attirer, parce que, même en quantité infinitésimale, il est si puissant et si formidable qu’il peut déséquilibrer le système tout entier.

Puisque je vous parle de cela, je veux vous faire une recommandation. Dans votre désir de progrès et votre aspiration vers la réalisation, gardez-vous bien d’essayer de tirer les forces vers vous. Donnez-vous, ouvrez-vous avec autant de désintéressement que vous pouvez en avoir par un oubli de soi constant, augmentez au maximum votre réceptivité, mais n’essayez jamais de tirer la Force vers vous, parce que vouloir tirer, c’est déjà un dangereux égoïsme. Vous pouvez aspirer, vous pouvez vous ouvrir, vous pouvez vous donner, mais ne cherchez jamais à prendre. Quand les choses vont mal, on met le blâme sur la Force, mais ce n’est pas la Force qui est responsable: c’est l’ambition, c’est l’égoïsme, c’est l’ignorance et c’est la faiblesse du réceptacle.

Donnez-vous généreusement et avec un désintéressement parfait, et au point de vue profond, il ne vous arrivera jamais rien de mauvais. Essayez de prendre et vous côtoierez l’abîme.