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Mère

Entretiens

 

Le 13 août 1958

L'enregistrement   

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Douce Mère, en juillet 1953, tu nous as dit que dans cinq ans, tu nous donnerais des «cours de vie spirituelle1». J’ai apporté, Douce Mère, ce que tu as dit.

Tiens! Voilà qui est intéressant!

(Mère lit le texte que l’enfant lui donne) C’est imprimé?

Non, Mère.

Oh! que j’aime cette dernière phrase!

(Après un silence) Alors qu’est-ce que tu attends de moi?... Que je commence?

Oui, Mère.

Mais j’ai déjà commencé, non? Avant même que les cinq années soient passées!

Il paraît que ce jour-là, je... oh! j’ai écrit ici... c’est quelque chose que j’ai écrit...

C’est écrit dans les «Entretiens», Douce Mère2.

Là, j’ai écrit sur la confusion que l’on fait entre l’ascétisme et la vie spirituelle, et alors je promets qu’un jour je vous parlerai de la confusion que l’on fait entre ce que l’on appelle Dieu et ce que, moi, j’appelle le Divin.

Mais cela, je vous en ai déjà parlé plusieurs fois, non?

Je ne me souvenais pas de ma promesse, mais je l’ai tenue sans m’en souvenir et avant même que la date ne soit arrivée!

Maintenant, si vous me posez une question précise sur le sujet, je vais voir ce que je peux dire. Qu’est-ce que tu veux savoir à propos de la vie spirituelle?... Tu as une question spéciale?

Tu veux dire que tu as commencé les méditations, Douce Mère?

Oui!... Et à vous donner des explications sur ce que je lisais. Nous avons même, dans la petite classe, commencé à méditer sur les disciplines nécessaires pour mener une vie spirituelle. Et quand j’ai pris la lecture du Dhammapada, nous avons lu beaucoup de choses qui menaient à la connaissance de la vie spirituelle. Mais si tu as une question précise, sur un point donné, tu peux le faire, je répondrai.

Douce Mère, pourquoi ne profitons-nous pas autant que nous le devons de notre présence ici, à l’Ashram?

Ah! c’est très simple, c’est parce que c’est trop facile!... Quand il faut tourner autour du monde pour trouver un instructeur, quand il faut abandonner toutes choses pour obtenir seulement les premiers mots d’un enseignement, alors, cet enseignement, cette aide spirituelle, devient une chose très précieuse, comme tout ce qui est difficile à obtenir, et on fait un grand effort pour le mériter.

Ici, la plupart d’entre vous sont arrivés tout petits, à un âge où il n’est pas question de vie spirituelle, d’enseignement spirituel — ce serait tout à fait prématuré. Vous avez bien vécu dans l’atmosphère mais sans même vous en apercevoir; vous êtes habitués à me voir, à m’entendre, je vous parle comme on parle à tous les enfants, j’ai même joué avec vous comme on joue avec les enfants; vous n’avez qu’à venir vous asseoir et vous m’entendez parler, vous n’avez qu’à me poser une question et je vous réponds, je n’ai jamais refusé de dire quoi que ce soit à qui que ce soit, c’est si facile. Il suffit de... vivre — de dormir, de manger, de faire des exercices et d’apprendre à l’école. Vous vivez ici comme vous vivriez n’importe où. Et alors, on est habitué.

Si j’avais fait des règles sévères, si j’avais dit: «Je ne vous dirai quelque chose que quand vraiment vous aurez fait un effort pour l’entendre», alors peut-être auriez-vous fait des efforts, mais ce n’est pas conforme à mon idée. Je crois plus à la puissance de l’atmosphère et de l’exemple qu’à un enseignement rigoureux. Je compte plus sur quelque chose qui s’éveille dans l’être, par contagion, que par un effort réglé, discipliné.

Peut-être qu’après tout, quelque chose se prépare et qu’un jour ça jaillira au-dehors.

C’est cela que j’espère.

Un jour, vous vous direz: «Tiens! je suis resté là si longtemps, j’aurais pu tant apprendre, tant réaliser et je n’y ai même pas pensé! seulement comme ça, de temps en temps.» Et alors, ce jour-là... Eh bien, ce jour-là, figurez-vous, vous allez vous éveiller tout d’un coup à quelque chose que vous ne remarquiez point et qui est au fond de vous, et qui a soif de la vérité, et qui a soif de la transformation, et qui est prêt à faire l’effort voulu pour que cela se réalise. Ce jour-là, on ira très vite, on avancera à pas de géant... Peut-être, comme je l’avais dit, est-il venu ce jour-là, après cinq ans? J’avais dit: «Je vous donne cinq ans»... Maintenant les cinq ans sont passés, alors peut-être qu’il est venu! Peut-être que tout d’un coup, on va sentir un besoin irrésistible de ne pas vivre dans l’inconscience, dans l’ignorance, dans cet état où l’on fait les choses sans savoir pourquoi, où l’on sent les choses sans comprendre pourquoi, où l’on a des volontés contradictoires, où l’on ne comprend rien à rien, où l’on vit par habitude, par routine, par réaction — on se laisse vivre. Et un jour on n’est plus content de cela.

Ça dépend, pour chacun c’est différent. Le plus souvent, c’est le besoin de savoir, de comprendre; pour d’autres, c’est le besoin de faire ce qu’il faut de la manière qu’il faut; pour d’autres, c’est un vague sentiment que derrière cette vie si inconsciente, si futile, si dépourvue de sens, il y a quelque chose à trouver qui vaut d’être vécu — qu’il y a une réalité, une vérité derrière ces mensonges et ces illusions.

On sent tout d’un coup que tout ce que l’on fait, tout ce que l’on voit, ça n’a pas de sens, ça n’a pas de raison d’être, mais qu’il y a quelque chose qui a un sens; qu’au fond on est ici, sur terre, pour quelque chose; que tout cela, tous ces mouvements, toute cette agitation, tout ce gaspillage de force et d’énergie, tout cela, ça doit avoir une raison d’être, un but, et que ce malaise que l’on sent au-dedans de soi, ce manque de satisfaction, ce besoin, cette soif de quelque chose, ça doit nous conduire ailleurs.

Et un jour, on se pose la question: «Mais enfin, pourquoi est-ce qu’on est né?... Pourquoi est-ce qu’on meurt?... Pourquoi est-ce qu’on souffre?... Pourquoi est-ce qu’on agit?...»

On ne vit plus comme une petite machine, à peine à demi consciente. On veut sentir vraiment, on veut agir vraiment, on veut savoir vraiment. Alors, dans la vie ordinaire, on cherche des livres, on cherche des personnes qui en savent un peu plus que soi, on se met en quête de quelqu’un qui peut résoudre les questions, soulever le voile de l’Ignorance. Ici, c’est très simple. On n’a qu’à... faire les choses que l’on fait tous les jours, mais les faire avec une intention.

On va au Samâdhi, on regarde la photographie de Sri Aurobindo, on vient recevoir une fleur de moi, on s’assoit à la leçon; on fait tout ce que l’on fait mais... avec une question au-dedans de soi: pourquoi?

Et alors, si l’on pose la question, on reçoit la réponse.

Pourquoi?...

Parce que nous ne voulons plus de la vie telle qu’elle est, parce que nous ne voulons plus du mensonge et de l’ignorance, parce que nous ne voulons plus de la souffrance et de l’inconscience, parce que nous ne voulons plus du désordre et de la mauvaise volonté, parce que Sri Aurobindo est venu nous dire: «Il n’est pas nécessaire de quitter la terre pour trouver la Vérité, il n’est pas nécessaire de quitter la vie pour trouver son âme, il n’est pas nécessaire d’abandonner le monde ni d’avoir des croyances limitées pour entrer en relation avec le Divin. Le Divin est partout, en toute chose, et s’Il est caché... c’est que nous ne nous donnons pas la peine de Le découvrir.»

Nous pouvons, simplement par une aspiration sincère, ouvrir une porte scellée en nous et trouver... ce Quelque Chose qui changera toute la signification de la vie, qui répondra à toutes nos questions, qui résoudra tous les problèmes, et qui nous mènera vers cette perfection à laquelle nous aspirons sans le savoir, à cette Réalité qui seule peut nous satisfaire et nous donner une joie, un équilibre, une force, une vie durables.

Tout cela, vous l’avez entendu bien des fois.

Vous l’avez entendu — oh! il y en a même qui sont tellement habitués que ça leur paraît la même chose que de boire un verre d’eau ou d’ouvrir sa fenêtre pour faire entrer le soleil.

Mais puisque je vous ai promis que dans cinq ans vous seriez capables de vivre ces choses, d’en avoir l’expérience concrète, réelle, convaincante, eh bien, cela veut dire que vous devez être prêts et que nous allons commencer.

Nous avons essayé un petit peu, mais maintenant on va essayer sérieusement!

Le point de départ: vouloir — vraiment vouloir, en avoir besoin. Le pas suivant: penser surtout à ça. Un jour vient, très vite, où l’on ne peut pas penser à autre chose.

C’est la seule chose qui compte. Et puis...

On formule son aspiration, on laisse jaillir de son coeur la prière vraie, celle qui exprime la sincérité du besoin. Et alors... eh bien, on verra ce qui va arriver.

Il arrivera quelque chose. C’est sûr qu’il arrivera quelque chose. Pour chacun, cela prendra une forme différente.

Voilà. Je suis contente que tu m’aies donné cela.

 

1 Voir l’Entretien du 15 juillet 1953.

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2 Voir l’Entretien du 19 mai 1929.

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