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Mère

Entretiens

 

Le 26 novembre 1958

L'enregistrement   

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«... De même que le mental est établi ici-bas sur la base d’une ignorance qui cherche la connaissance et qui grandit dans la connaissance, de même le supramental doit s’établir ici-bas sur la base d’une connaissance qui grandit dans sa propre lumière plus haute. Mais ceci ne peut se faire tant que l’être mental-spirituel ne s’est pas pleinement élevé jusqu’au supramental pour faire descendre ses pouvoirs dans l’existence terrestre. Car un pont doit être jeté sur l’abîme qui sépare le mental du supramental, les passages fermés doivent être ouverts et des routes créées pour monter et descendre, là où maintenant il n’est que vide et silence. Ceci ne peut se faire que par la triple transformation dont nous avons déjà parlé en passant. Il faut d’abord que le changement psychique se produise, la conversion de notre nature actuelle tout entière en un instrument de l’âme; après cela ou en même temps, doit avoir lieu le changement spirituel, la descente d’une lumière, d’une connaissance, une puissance, une force, une félicité, une pureté plus hautes, dans tout notre être, même dans les replis les plus bas de la vie et du corps, même dans l’obscurité de notre subconscience; enfin, couronnant l’ensemble, doit survenir la transmutation supramentale, l’ascension dans le supramental et la descente transformatrice de la Conscience supramentale dans tout notre être et dans notre nature tout entière.» (L’Évolution spirituelle, p. 83)

Quel est le rôle de l’esprit?

On peut dire que c’est à la fois l’intermédiaire conscient entre le Suprême et la manifestation, et le lieu de rencontre de la manifestation avec le Suprême.

L’esprit est capable de comprendre et de communier avec la divinité la plus haute et en même temps il est l’intermédiaire le plus pur, le moins déformé peut-on dire, de la divinité la plus haute dans la manifestation la plus extérieure. C’est l’esprit, à l’aide de l’âme, qui tourne la conscience vers le Haut, vers le Divin, et c’est dans l’esprit que la conscience peut commencer à comprendre le Divin.

On pourrait dire que ce que l’on appelle «esprit», c’est l’atmosphère apportée par la Grâce dans le monde matériel afin qu’il se réveille à la conscience de son origine et qu’il aspire au retour à elle. C’est vraiment comme une sorte d’atmosphère qui libère, qui ouvre les portes, qui débride la conscience. C’est elle qui permet la réalisation de la vérité et qui donne à l’aspiration son plein pouvoir d’accomplissement.

Vu de plus haut, on pourrait dire de l’autre manière: c’est à cette action, à cette influence lumineuse et libératrice, qu’a été donné le nom d’»esprit», à tout ce qui nous ouvre le chemin vers les réalités suprêmes, qui nous tire de notre engluement dans la boue de l’Ignorance, qui nous ouvre les portes, qui nous montre le chemin, qui nous conduit là où il faut aller. C’est à cela que l’homme a donné le nom d’»esprit». C’est l’atmosphère créée par la Grâce divine dans l’univers pour le sauver des ténèbres dans lesquelles il est tombé.

L’âme est comme sa concentration individuelle, sa représentation individuelle dans l’être humain. L’âme est une chose spéciale à l’humanité, elle n’existe que dans l’homme. C’est comme une expression spéciale de l’esprit dans l’être humain. Les êtres des autres régions n’ont pas d’âme, mais ils peuvent vivre dans l’esprit. On pourrait dire que l’âme est une délégation de l’esprit dans l’espèce humaine, une aide spéciale pour le mener plus vite. C’est l’âme qui permet le progrès individuel. L’esprit, dans sa forme originelle, a une action plus générale, plus collective.

L’esprit, pour le moment, joue le rôle d’une aide et d’un guide, mais il n’est pas le maître tout-puissant de la manifestation matérielle; quand le Supramental sera organisé en un monde nouveau, alors l’esprit deviendra le maître et gouvernera la Nature d’une façon évidente et visible.

Ce que l’on appelle «la nouvelle naissance», c’est la naissance à la vie spirituelle, à la conscience spirituelle, c’est porter en soi quelque chose de l’esprit qui, individuellement, à travers l’âme, peut commencer à gouverner la vie et à être le maître de l’existence. Mais dans le monde supramental, c’est l’esprit qui sera le maître de ce monde tout entier et de toutes ses manifestations, de toutes ses expressions, consciemment, spontanément, naturellement.

Dans l’existence individuelle, c’est cela qui fait toute la différence; tant que l’on parle de l’esprit et que c’est quelque chose que l’on a lu, dont on connaît vaguement l’existence et qui est une réalité pas très concrète pour la conscience, cela veut dire qu’on n’est pas né à l’esprit. Et quand on est né à l’esprit, il devient quelque chose de beaucoup plus concret, beaucoup plus vivant, beaucoup plus réel, beaucoup plus tangible que tout le monde matériel. Et c’est cela qui fait la différence essentielle entre les êtres. Quand c’est ça qui est spontanément réel — l’existence vraie, concrète, l’atmosphère dans laquelle on peut respirer librement —, alors on sait qu’on est passé de l’autre côté. Mais tant que c’est quelque chose d’un peu vague et imprécis — on en a bien entendu parler, on sait que ça existe mais... ça n’a pas de réalité concrète —, eh bien, cela veut dire que la nouvelle naissance n’a pas encore eu lieu. Tant que l’on se dit: «Oui, ça je vois, ça je touche, le mal dont je souffre, la faim qui me tourmente, le sommeil qui m’alourdit, ça c’est vrai, ça c’est concret...», (Mère rit) cela veut dire qu’on n’est pas encore passé de l’autre côté, on n’est pas né à l’esprit.

(silence)

Au fond, l’immense majorité des hommes sont comme des prisonniers avec toutes les portes et toutes les fenêtres fermées, alors ils étouffent (ce qui est assez naturel), mais ils ont avec eux la clef qui ouvre les portes et les fenêtres, et ils ne s’en servent pas... Certainement, il y a une période où ils ne savent pas qu’ils ont la clef, mais longtemps après qu’ils le savent, longtemps après qu’on le leur a dit, ils hésitent à s’en servir et ils doutent qu’elle ait le pouvoir d’ouvrir portes et fenêtres, ou même qu’il soit bon d’ouvrir les portes et les fenêtres! Et même quand ils ont une impression que, «après tout, ce serait peutêtre bien», il reste une crainte: «Qu’est-ce qui va arriver quand ces portes et ces fenêtres seront ouvertes?...» et ils ont peur. Ils ont peur de se perdre dans cette lumière et dans cette liberté. Ils veulent rester ce qu’ils appellent «eux-mêmes». Ils aiment leur mensonge et leur esclavage. Quelque chose en eux l’aime et y reste agrippé. Il leur reste l’impression que sans leurs limites, ils n’existeraient plus.

C’est pour cela que le trajet est si long, c’est pour cela qu’il est difficile. Parce que si, vraiment, on consentait à ne plus être, tout deviendrait si facile, si rapide, si lumineux, si joyeux — mais peut-être pas de la manière dont les hommes conçoivent la joie et la facilité. Au fond, il y a très peu d’êtres qui n’aiment pas la bataille. Il y en a très peu qui consentiraient à ce qu’il n’y ait pas de nuit, et qui ne conçoivent la lumière que comme l’opposé de l’obscurité: «Sans ombre, il n’y aurait pas de tableau. Sans lutte, il n’y aurait pas de victoire. Sans souffrance, il n’y aurait pas de joie.» Voilà ce qu’ils pensent, et tant que l’on pense comme cela, on n’est pas encore né à l’esprit.