Sri Aurobindo
Le Secret du Véda
Suivi de hymnes choisis du Rig-Véda
Avec commentaires
2. Indra, pourvoyeur de lumière (1.4)
1.4.1
सु॒रू॒प॒कृ॒त्नुमू॒तये॑ सु॒दुघा॑मिव गो॒दुहे॑ ।
जु॒हू॒मसि॒ द्यवि॑द्यवि ॥१॥
surūpa-kṛtnum ūtaye sudughām-iva go-duhe
juhūmasi dyavi-dyavi
Le Façonneur de formes parfaites, telle une bonne vache laitière pour celui qui trait les Troupeaux, jour après jour nous l’invoquons pour notre grandissement (dans la lumière).
1.4.2
उप॑ न॒: सव॒ना ग॑हि॒ सोम॑स्य सोमपाः पिब ।
गो॒दा इद्रे॒वतो॒ मदः॑ ॥२॥
upa naḥ savanā ā gahi somasya soma-pāḥ piba
go-dāḥ it revataḥ madaḥ
Approche de nos libations de Soma et goûte au vin de Soma, ô Buveur de Soma; l’ivresse de ton extase donne réellement la Lumière.
1.4.3
अथा॑ ते॒ अन्त॑मानां वि॒द्याम॑ सुमती॒नाम् ।
मा नो॒ अति॑ ख्य॒ आ ग॑हि ॥३॥
atha te antamānām vidyāma su-matīnām
mā naḥ ati khyaḥ ā gahi
Puissions-nous alors connaître tant soit peu tes pensées si sublimement justes; ne reste pas si loin de nous, viens,
1.4.4
परे॑हि॒ विग्र॒मस्तृ॑त॒मिन्द्रं॑ पृच्छा विप॒श्चित॑म् ।
यस्ते॒ सखि॑भ्य॒ आ वर॑म् ॥४॥
parā̍ ihi vigram astṛ̍tam indram pṛccha vipaḥ-citam
yaḥ te sakhi-bhyaḥ ā varam
Va donc questionner Indra, le vigoureux, l’insoumis, à la conscience clairvoyante, qui à tes camarades a apporté le bien suprême.
1.4.5
उ॒त ब्रु॑वन्तु नो॒ निदो॒ निर॒न्यत॑श्चिदारत ।
दधा॑ना॒ इन्द्र॒ इद्दुवः॑ ॥५॥
uta bruvantu naḥ nidaḥ niḥ anyataḥ cit ārata
dadhānāḥ indre it duvaḥ
Et puissent les Privateurs1 nous dire, “Eh bien, en avant, poursuivez vos efforts dans d’autres domaines encore, reposant sur Indra votre activité”.
1.4.6
उ॒त नः॑ सु॒भगाँ॑ अ॒रिर्वो॒चेयु॑र्दस्म कृ॒ष्टयः॑ ।
स्यामेदिन्द्र॑स्य॒ शर्म॑णि ॥६॥
uta naḥ subhagān ariḥ voceyuḥ dasma kṛṣṭayaḥ
syāma it indrasya śarmaṇi
Et que les combattants, accomplisseurs de l’œuvre2, nous déclarent à jamais bénis, ô Réalisateur, et que la paix d’Indra soit avec nous,
1.4.7
एमा॒शुमा॒शवे॑ भर यज्ञ॒श्रियं॑ नृ॒माद॑नम् ।
प॒त॒यन्म॑न्द॒यत्स॑खम् ॥७॥
ā īm āśum āśave bhara yajña-śriyam nṛ-mādanam
patayat mandayat-sakham
Intense pour l’intense, confère ici la gloire du sacrifice, qui enivre l’Homme [ou: à l’extase divine, ou, pleine de force], faisant progresser Indra qui réjouit son ami.
1.4.8
अ॒स्य पी॒त्वा श॑तक्रतो घ॒नो वृ॒त्राणा॑मभवः ।
प्रावो॒ वाजे॑षु वा॒जिन॑म् ॥८॥
asya pītvā śatakrato iti śata-krato ghanaḥ vṛtrāṇām abhavaḥ
pra āvaḥ vājeṣu vājinam
Avec cette boisson, ô Volonté aux cent tâches [ou: formes, ou, pouvoirs], tu as fait périr ceux qui recouvrent [les Vritras], et tu as protégé les richesses chez le (mental) riche.
1.4.9
तं त्वा॒ वाजे॑षु वा॒जिनं॑ वा॒जया॑मः शतक्रतो ।
धना॑नामिन्द्र सा॒तये॑ ॥९॥
tam tvā vājeṣu vājinam vājayāmaḥ śatakrato iti śata-krato
dhanānām indra sātaye
Ainsi Toi, Maître de plénitude dans les plénitudes, nous te rendons plus riche encore, ô Volonté aux cent tâches, ô Indra, pour jouir en toute sécurité de notre bien.
यो रा॒यो॒३́ऽवनि॑र्म॒हान्सु॑पा॒रः सु॑न्व॒तः सखा॑ ।
तस्मा॒ इन्द्रा॑य गायत ॥१०॥
yaḥ rāyaḥ avaniḥ mahān su-pāraḥ sunvataḥ sakhā
tasmai indrāya gāyata
À ce vaste qui est un continent [ou: fleuve] de félicité, à lui le parfait Passeur, l’Ami de celui qui offre le Soma, à cet Indra élève ton hymne.
Interprétation de Sayana
1. Le façonneur de (ces œuvres qui ont) bonne forme, Indra, nous l’appelons quotidiennement pour la protection, comme (on réclame) une bonne vache laitière pour le vacher.
2. Viens à nos (trois) libations, bois du Sonia, ô buveur de Soma; l’ivresse de toi, le riche, est assurément donneuse de vaches.
3. Alors, (nous tenant) parmi les gens intelligents qui sont les plus proches de toi, puissions-nous te connaître. Ne (va) pas au-delà de nous pour (te) manifester (aux autres, mais) viens à nous.
4. Viens à lui et questionne-le à mon sujet, lui l’intelligent, (que je l’aie célébré justement ou non) – viens à l’intelligent et indemne Indra qui donne à tes amis (les prêtres) la richesse la meilleure.
5. Laisse-nous (nos prêtres) parler (louer Indra), – et aussi, ô vous qui censurez, sortez (d’ici) et d’ailleurs également –, (nos prêtres) faisant le service tout autour d’Indra.
6. Ô destructeur (des ennemis), puissent même nos ennemis parler de nous comme jouissant d’une grande richesse – les hommes (nos amis le diront bien entendu); puissions nous être dans la paix (accordée) par Indra.
7. Apporte ce Soma, cette richesse du sacrifice, qui réjouit tant les hommes; (le Soma) imprègne (les trois oblations) pour Indra qui imprègne (l’offrande du Soma), laquelle atteint les rites et est agréable à (Indra) qui donne la joie (à l’auteur du sacrifice).
8. Buvant de cela, ô toi aux multiples actions, tu es devenu un tueur de Vritras (les ennemis conduits par Vritra) et tu as complètement protégé le combattant dans les combats.
9. Ô Indra aux multiples actions, toi qui es fort dans les batailles3, nous te gavons de nourriture pour mieux jouir de nos richesses.
10. Chante cet Indra qui est protecteur de la richesse, grand, bon accomplisseur (des œuvres) et ami de l’auteur du sacrifice4.
Commentaire
En offrant le Soma, Madhucchandas, fils de Vishvamitra, invoque Indra, le maître du Mental lumineux, pour grandir dans la Lumière. La symbolique est celle d’un sacrifice collectif. L’hymne a pour sujet l’accroissement chez Indra du pouvoir et du délice grâce à la prise du Soma, le vin de l’immortalité, expansion conduisant à l’illumination de l’être humain, afin que, débarrassé des obstacles à sa connaissance intérieure, il puisse atteindre les splendeurs sublimes du mental libéré.
Mais que représente ce Soma, appelé parfois amṛta, l’ambroisie des Grecs, comme s’il s’agissait de la substance même de l’immortalité? C’est l’image de l’Ananda divin, le principe de Béatitude, d’où émane, selon la conception védique, l’existence de l’Homme, cet être mental. Un Délice secret est le fondement de l’existence, l’atmosphère qui la nourrit, sa substance quasiment. La Taittiriya Upanishad dit de cet Ananda qu’il est l’atmosphère éthérée de béatitude sans laquelle rien ne pourrait continuer à exister. Dans l’Aitaréya Upanishad, le Soma, considéré comme une divinité lunaire, naît du mental sensoriel dans le Purusha universel, puis, avec l’apparition de l’homme, s’exprime une nouvelle fois dans l’être humain sous forme de mentalité sensorielle. Car le délice est la raison d’être de la sensation ou, si l’on préfère, la sensation s’efforce de traduire le délice secret de l’existence comme l’exige la conscience physique. Mais dans cette conscience – souvent représentée par adri, la montagne, ou la pierre, ou la substance dense –, lumière divine et délice divin sont tous deux cachés et séquestrés, et doivent donc en être délivrés ou extraits. L’Ananda est préservé sous forme de rasa, la sève ou essence, dans les objets des sens et les expériences des sens, dans les végétaux et autres pousses de la Nature terrestre; et parmi celles-ci, la plante mystique du Soma symbolise cet élément, derrière tout le fonctionnement et le plaisir des sens, qui procure l’essence divine. Il faut la distiller puis ensuite la purifier, la concentrer pour en faire un produit lumineux, radieux, intense, plein d’énergie, gomat, āśu, yuvāku. Elle devient l’aliment par excellence des dieux qui, conviés à l’offrande du Soma, prennent leur part du régal et, fortifiés par cette extase, grandissent en l’homme, le hissent à ses possibilités les plus hautes, le rendent capable des expériences suprêmes. Ceux qui ne font pas don aux Pouvoirs divins du délice qu’ils éprouvent, préférant s’adonner au plaisir sensuel de la vie inférieure, adorent non pas les dieux mais les Panis, les maîtres de la conscience sensorielle, les trafiquants qui colportent ses mesquines activités, ne pressent pas le vin mystique, refusent l’offrande purifiée, n’entonnent pas le chant sacré. Ce sont les Panis qui nous dérobent les Rayons de la conscience illuminée, ces brillants troupeaux du Soleil, pour les parquer dans la caverne du subconscient, dans le roc dense de la matière, eux qui sont même prêts à corrompre Sarama, le lévrier du ciel, l’intuition lumineuse, quand lancée sur leurs traces elle parvient jusqu’à leur antre.
Mais cet hymne évoque un stade de notre développement intérieur où la défaite des Panis est consommée. Les Vritras ou Dissimulateurs qui confisquent nos pleins pouvoirs, appauvrissent notre action, et Vala qui accapare la Lumière, sont eux aussi déjà surpassés. Il subsiste toutefois, à ce stade encore, des pouvoirs qui bloquent notre perfection. Il s’agit des pouvoirs de restriction, les Privateurs ou Censeurs qui, sans véritablement obscurcir les rayons ou endiguer les énergies, cherchent néanmoins, en insistant constamment sur les lacunes de notre propre expression, à limiter son champ d’action et à faire du progrès réalisé un obstacle au progrès à venir. Madhucchandas demande à Indra d’ôter cette imperfection et d’affirmer à sa place une illumination croissante.
(rik 1) – Le principe que représente Indra est le Pouvoir du Mental, affranchi des limites et de l’obscurantisme de la conscience nerveuse. C’est cette Intelligence éclairée qui élabore des formes de pensée ou d’action justes ou parfaites, non dénaturées par les impulsions nerveuses, ni pénalisées par l’action mensongère des sens. L’image proposée est celle d’une vache prodiguant son lait à celui qui trait le troupeau. Le mot go possède en sanskrit un double sens, vache et rayon de lumière. Les symbolistes védiques s’en servent pour suggérer une double figure, qui était pour eux beaucoup plus qu’une figure; car la lumière, à leurs yeux, n’est pas simplement une heureuse métaphore de la pensée, mais est réellement sa forme concrète. Ces troupeaux que l’on trait représentent ainsi les Troupeaux du Soleil – Surya, dieu du mental révélateur et intuitif – ou encore de l’Aurore, la déesse qui manifeste la gloire solaire. Le Rishi désire qu’Indra agisse plus complètement en lui, et lui demande d’inonder de ses rayons le mental réceptif pour que grandisse quotidiennement cette lumière de la Vérité.
(rik 2) – L’expression consciente en nous du délice de l’existence divine et de l’activité divine, qui a pour emblème le vin de Soma, soutient et augmente l’activité de l’Intelligence pure illuminée. Plus l’Intelligence s’en nourrit, plus son intervention devient ivresse extasiée d’inspiration, permettant aux rayons de déferler joyeusement en nous. “Donneuse de lumière en vérité est l’euphorie de toi-même en ton ivresse”.
(rik 3) – Car, une fois franchies les limites sur lesquelles insistent encore les Emprisonneurs, on peut désormais s’approcher quelque peu des connaissances ultimes dont l’intelligence illuminée est capable. Pensées justes, émotions justes – tout cela est impliqué dans le mot sumati car mati dans le Véda désigne non seulement les parties pensantes mais aussi les parties émotionnelles de la mentalité. Lumière dans les pensées, sumati est aussi joie et bonté radieuses dans l’âme. Mais dans ce passage l’accent est mis sur la pensée juste et non sur les émotions. Cette réflexion juste doit cependant progresser d’abord dans le champ de conscience déjà atteint; il faut éviter les éclairs et les éblouissements qui, trop puissants pour nous, ne peuvent se traduire correctement dans la pensée et bouleversent le mental réceptif. Indra doit être non seulement celui qui illumine, mais celui qui conçoit bien les pensées, leur donne la forme juste, surūpakṛtnu.
(rik 4) – Se tournant ensuite vers un condisciple dans le Yoga collectif, ou s’adressant peut-être à son propre mental, le Rishi l’encourage à dépasser l’obstruction des suggestions adverses qui s’opposent à lui et, remettant en question le progrès de l’Intelligence divine, refusent l’accès au bien suprême qu’elle a déjà accordé à d’autres. Car seule cette Intelligence peut discerner avec clarté et résoudre ou éliminer toute confusion et obscurité qui persistent. Vive, intense, dynamique, son énergie ne la fait pas trébucher en chemin, contrairement aux impulsions de la conscience nerveuse. À moins que l’idée visée ici ne soit plutôt: son énergie invincible lui évite de succomber aux attaques des Dissimulateurs ou des pouvoirs qui limitent.
(rik 5) – Est décrit ensuite ce que le voyant espère obtenir. Quand cette lumière plus complète débouchera finalement sur ce que cherche la connaissance mentale, les pouvoirs de Restriction, satisfaits, spontanément se retireront, acceptant la reprise du progrès et les nouvelles activités lumineuses. Ils diront en substance: “Oui, maintenant vous avez cette permission qu’il était juste de vous refuser jusqu’ici. Non seulement en terre déjà conquise, mais dans d’autres provinces restées vierges poursuivez donc votre marche victorieuse. Reposez entièrement cette action sur l’Intelligence divine et non sur vos aptitudes inférieures. Car vos droits se mesureront à la grandeur de votre soumission”.
Le mot ārata, se mouvoir ou s’efforcer, comme ses congénères, ari, arya, ārya, arata, araṇi, exprime l’idée centrale du Véda. La racine ar indique toujours, quand il y a mouvement, un effort, une lutte, ou, s’agissant d’un état, une culmination, une prééminence; elle s’applique à des actions telles que ramer, labourer, combattre, soulever, escalader. L’Aryen est donc celui qui cherche à s’accomplir par l’action védique, le karma ou apas intérieur et extérieur, typiquement en sacrifiant aux dieux. Mais cette action s’apparente aussi à un voyage, une marche, une bataille, une ascension. L’homme aryen fait effort vers les hauteurs, lutte pour avancer, dans une marche qui à la fois progresse et monte. Voilà en quoi consiste son “aryénité”, son aretē, sa vertu, pour utiliser un mot grec issu de la même racine. Ārata, et le reste de la locution, pourrait se traduire par: “Allez! en route, poussez plus loin vers d’autres domaines!”
(rik 6) – Utilisant la méthode subtile chère au Véda qui consiste à relier des pensées en choisissant des termes qui se font écho, l’idée est reprise au vers suivant dans l’expression ariḥ kṛṣṭayaḥ. Il ne s’agit pas ici, selon moi, des nations aryennes sur terre – bien que ce sens aussi soit possible dans la mesure où il est question d’un Yoga collectif ou national, mais des pouvoirs qui aident l’homme dans son ascension, ses parents spirituels, la relation étant celle d’un camarade, d’un allié, d’un frère, d’un compagnon de travail, sakhāyaḥ, yujaḥ, jāmayaḥ; car son aspiration est leur aspiration et ils trouvent leur accomplissement dans sa réalisation. Les Privateurs, satisfaits, ont renoncé. Satisfaits eux aussi, ces pouvoirs doivent finalement à leur tour décréter leur mission accomplie en assurant à l’homme une félicité totale, quand l’âme se reposera dans la paix d’Indra qui accompagne la Lumière, la paix d’une impeccable mentalité comme juchée sur des sommets de conscience et de Béatitude parfaites.
(rik 7) – On verse donc l’Ananda divin, pour qu’il devienne vif et intense dans l’organisme, et on l’offre à Indra pour prolonger ses intensités. Car l’extase qui fortifie l’homme ou le dieu, c’est cette joie profonde perçue dans les sensations intérieures qui la procure. L’Intelligence divine pourra poursuivre le voyage encore inachevé et récompensera le don par des pouvoirs nouveaux de la Béatitude descendant sur l’ami de Dieu.
(rik 8) – C’est cette force, en effet, qui a permis au Mental divin en l’homme de détruire toute obstruction – que celle-ci bouche ou encercle – aux activités centuples de la volonté et de la pensée; c’est cette force qui lui a permis ensuite de défendre les possessions riches et variées précédemment conquises sur les Atris et les Dasyus, dévoreurs et pilleurs de nos gains.
(rik 9) – Bien que, poursuit Madhucchandas, cette Intelligence soit déjà bien pourvue et bien répartie, nous cherchons à accroître davantage encore son opulence, en éliminant Privateurs et Vritras, afin que nous soit garantie la pleine jouissance de nos richesses.
(rik 10) – Car dans sa totalité cette Lumière, ce continent de félicité, ne connaît pas de limites; c’est ce Pouvoir ami de l’âme humaine qui, à travers la bataille, la conduit indemne jusqu’au terme de son voyage, au sommet de son aspiration.
1 Ou “Censeurs”, Nidaḥ. Dans le Véda la racine nid possède à mon avis le sens d’asservissement, réclusion, limitation, les déductions philologiques en apportent l’absolue certitude. Elle sert à former nidita, lié, attaché, et nidāna, longe, attache. Mais la racine signifie aussi blâmer. Comme le veut la méthode propre au discours ésotérique, l’un des deux sens prédomine selon le contexte sans toutefois exclure complètement l’autre.
2 Ariḥ kṛṣṭayaḥ peut aussi se traduire par “le peuple aryen” ou “les nations guerrières”. Les termes kṛṣṭi et carṣaṇi, qui pour Sayana veulent dire “homme”, sont formés sur les racines kṛṣ et carṣ, impliquant au départ la notion de labeur, d’effort ou d’action laborieuse. Ils signifient tantôt l’agent du karma védique, tantôt le karma lui-même – l’ouvrier ou les œuvres.
3 A noter que Sayana interprète vājinam, au rik 8, par “combattant dans les combats” et la même expression au rik suivant, par “fort dans les combats”, et dans la formule vājeṣu vājinaṃ vājayāmaḥ, il donne au mot de base vāja trois significations différentes, “combat”, “force” et “nourriture”. Il y a là un exemple typique de l’incohérence délibérée de la méthode de Sayana.
4 J’ai joint les deux versions pour que le lecteur puisse facilement comparer les deux méthodes et leurs résultats. J’inclus entre parenthèses les explications du commentateur, chaque fois qu’elles sont nécessaires pour compléter le sens ou le rendre intelligible. Même si le lecteur ignore le sanskrit, ce simple exemple devrait, je pense, lui permettre d’apprécier les motifs pour lesquels de nos jours un esprit critique estime légitime de refuser tout crédit à l’interprétation du texte védique proposée par Sayana.