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Sri Aurobindo

Le Secret du Véda
Suivi de hymnes choisis du Rig-Véda

Avec commentaires

6. l’Aurore Divine (3.61)

3.61.1

उषो॒ वाजे॑न वाजिनि॒ प्रचे॑ता॒: स्तोमं॑ जुषस्व गृण॒तो म॑घोनि ।

पु॒रा॒णी दे॑वि युव॒तिः पुरं॑धि॒रनु॑ व्र॒तं च॑रसि विश्ववारे ॥१॥

uṣaḥ vājena vājini pra-cetāḥ stomam juṣasva gṛṇataḥ maghoni

purāṇī devi yuvatiḥ puram-dhiḥ anu vratam carasi viśva-vāre

Aurore, ô brillante, richement pourvue en substance, consciente, attache-toi à l’hymne d’affirmation de celui qui t’exprime, ô toi maîtresse des plénitudes; l’ancienne et toujours jeune pourtant, multiple en pensée, ô déesse, qui te meus en suivant la loi divine de ton action, porteuse de tous les bienfaits.

3.61.2

उषो॑ दे॒व्यम॑र्त्या॒ वि भा॑हि च॒न्द्रर॑था सू॒नृता॑ ई॒रय॑न्ती ।

आ त्वा॑ वहन्तु सु॒यमा॑सो॒ अश्वा॒ हिर॑ण्यवर्णां पृथु॒पाज॑सो॒ ये ॥२॥

uṣaḥ devi amartyā vi bhāhi candra-rathā sūnṛtāḥ īrayantī

ā tvā vahantu su-yamāsaḥ aśvāḥ hiraṇya-varṇām pṛthu-pājasaḥ ye

Aurore divine, ô brillante, resplendis immortelle, sur ton char d’heureuse lumière, envoyant les douces voix de la Vérité; que t’amènent ici des coursiers sûrement guidés couleur d’or scintillant et immensément puissants.

3.61.3

उषः॑ प्रती॒ची भुव॑नानि॒ विश्वो॒र्ध्वा ति॑ष्ठस्य॒मृत॑स्य के॒तुः ।

स॒मा॒नमर्थं॑ चरणी॒यमा॑ना च॒क्रमि॑व नव्य॒स्या व॑वृत्स्व ॥३॥

uṣaḥ pratīcī bhuvanāni viśvā ūrdhvā tiṣṭhasi amṛtasya ketuḥ

samānam artham caraṇīyamānā cakram-iva navyasi ā vavṛtsva

Aurore, ô brillante, face à tous les mondes, haute juchée, tu es leur perception de l’Immortalité; [voyageuse sans trêve vers le même but,] comme une roue glissant sur une plaine, parcours-les, ô Jour nouveau.

3.61.4

अव॒ स्यूमे॑व चिन्व॒ती म॒घोन्यु॒षा या॑ति॒ स्वस॑रस्य॒ पत्नी॑ ।

स्व१́र्जन॑न्ती सु॒भगा॑ सु॒दंसा॒ आन्ता॑द्दि॒वः प॑प्रथ॒ आ पृ॑थि॒व्याः ॥४॥

ava syūma-iva cinvatī maghonī uṣāḥ yāti svasarasya patnī

svaḥ janantī su-bhagā su-daṁsāḥ ā antāt divaḥ paprathe ā pṛthivyāḥ

Telle une femme qui abandonne sa tunique, l’Aurore va, la brillante, elle si riche, l’épouse de la Béatitude; créant Svar, parfaite dans son action, parfaite dans sa joie, elle se répand depuis l’extrémité du ciel jusqu’à [ou: et] celle de la terre.

3.61.5

अच्छा॑ वो दे॒वीमु॒षसं॑ विभा॒तीं प्र वो॑ भरध्वं॒ नम॑सा सुवृ॒क्तिम् ।

ऊ॒र्ध्वं म॑धु॒धा दि॒वि पाजो॑ अश्रे॒त्प्र रो॑च॒ना रु॑रुचे र॒ण्वसं॑दृक् ॥५॥

accha vaḥ devīm uṣasam vi-bhātīm pra vaḥ bharadhvam namasā su-vṛktim

ūrdhvam madhudhā divi pājaḥ aśret pra rocanā ruruce raṇva-sandṛk

Rencontrez l’Aurore, la brillante, tandis qu’elle pointe sur vous sa vaste lumière, et soumettez-lui votre entière énergie; en plein ciel juchée est la force à laquelle elle culmine, établissant la douceur; elle fait resplendir les royaumes lumineux, elle est une vision de Félicité.

3.61.6

ऋ॒ताव॑री दि॒वो अ॒र्कैर॑बो॒ध्या रे॒वती॒ रोद॑सी चि॒त्रम॑स्थात् ।

आ॒य॒तीम॑ग्न उ॒षसं॑ विभा॒तीं वा॒ममे॑षि॒ द्रवि॑णं॒ भिक्ष॑माणः ॥६॥

ṛta-varī divaḥ arkaiḥ abodhi ā revatī rodasī iti citram āsthāt

āyatīm agne uṣasam vi-bhātīm vāmam eṣi draviṇam bhikṣamāṇaḥ

Par les illuminations célestes on s’aperçoit qu’elle porte la Vérité, ivre d’extase elle pénètre les deux firmaments de sa lumière chatoyante; à l’Aurore, la brillante, qui vient resplendir sur toi tu réclames, ô Agni, la substance du délice, et l’obtiens.

3.61.7

ऋ॒तस्य॑ बु॒ध्न उ॒षसा॑मिष॒ण्यन्वृषा॑ म॒ही रोद॑सी॒ आ वि॑वेश ।

म॒ही मि॒त्रस्य॒ वरु॑णस्य मा॒या च॒न्द्रेव॑ भा॒नुं वि द॑धे पुरु॒त्रा ॥७॥

ṛtasya budhna uṣasām iṣaṇyan vṛṣā mahī rodasī ā viveśa

mahī mitrasya varuṇasya māyā candreva bhānuṁ vi dadhe purutrā

Au fondement de la Vérité, fondement des Aurores, les brillantes, lançant son impulsion, le Taureau, leur seigneur, occupe l’immensité de la terre et du ciel; vaste, la Sagesse de Mitra et Varuna, comme dans une heureuse clarté, arrange de multiples façons la Lumière.

Commentaire

Chargé de communiquer l’illumination, Surya Savitri suit le progrès de l’Aurore. Un autre hymne dit des mouvements du mental qu’ils deviennent conscients et lumineux grâce au pouvoir éclatant des Aurores continues (1-171-5). Dans le Véda, Usha, fille du Ciel, conserve de bout en bout la même fonction. C’est celle qui permet aux autres dieux de s’éveiller, d’agir et de grandir; elle est la condition initiale de la réalisation védique. Son illumination croissante clarifie la nature complète de l’homme; grâce à elle il arrive à la Vérité, grâce à elle il goûte la Béatitude. L’Aurore divine des Rishis marque l’avènement de la Lumière divine, rejetant voile après voile et révélant dans les activités de l’homme la lumineuse divinité. Avec cette lumière l’Œuvre est accomplie, le sacrifice offert et l’humanité récolte ses bienfaits.

(rik 1 ) – Dans bon nombre d’hymnes, cette vérité intime de la déesse Usha se cache, c’est vrai, derrière les images superbes de l’aurore terrestre; mais dans ce texte du grand Rishi Vishvamitra, le symbolisme psychologique de l’Aurore védique est patent du début à la fin, et s’exprime même ouvertement sans qu’il soit nécessaire d’approfondir la pensée. “Ô Aurore, pourvue d’une riche substance, clame-t-il, consciente, attache-toi à l’affirmation de celui qui te formule, ô toi qui as les plénitudes.” Le mot pracetas et le mot voisin vicetas sont des termes convenus de la phraséologie védique; ils semblent correspondre aux notions exprimées plus tard par les vocables védantiques prajñāna et vijñāna. Prajñāna est la conscience qui appréhende les choses en tant qu’objets soumis à son observation; dans le mental divin, il s’agit de la connaissance envisagée comme source, propriétaire et témoin de cela qu’elle regarde. Vijñana est la connaissance compréhensive, qui contient, pénètre les choses, y diffuse sa conscience en s’identifiant pour ainsi dire avec leur vérité. Usha doit occuper la pensée et le verbe révélateurs du Rishi en tant que pouvoir de connaissance, conscient de la vérité de tout ce que pensée et parole présentent au mental pour être formulé en l’homme. L’affirmation, suggère-t-on, sera complète et ample; car Usha est vājena vājini, maghoni, riche est le trésor de sa substance, elle possède toutes les plénitudes.

Le progrès de cette Aurore se règle toujours sur une action divine; nombreuses sont les pensées qu’elle apporte quand elle avance, mais sa démarche est sûre et tout ce qui est souhaitable, toutes les faveurs suprêmes, les dons de l’Ananda, les bénédictions de l’existence divine – elle les tient dans ses mains. Elle est ancienne et éternelle, naissance d’une Lumière qui a toujours été, purāṇī, mais semble à chaque visite jeune et nouvelle à l’âme qui la reçoit.

(rik 2) – Elle doit resplendir loin, cette Aurore divine, cette lumière de l’existence immortelle révélant en l’homme les pouvoirs ou les voix de la Vérité et de la Joie (sūnṛtāḥ – mot qui à lui seul exprime ensemble ce qui est vrai et agréable); son mouvement ne véhicule-t-il pas en effet dans son char lumière et bonheur simultanément? Du reste, le mot candra lui-même dans candrarathā – désignant en outre la divinité lunaire du Soma, seigneur du délice de l’Immortalité qui se déverse en l’homme, ānanda et amṛta – signifie à la fois lumineux et bienheureux. Quant aux chevaux qui la tirent, image des forces nerveuses qui soutiennent et font avancer toute notre action, il faut les maîtriser parfaitement; dorée, de couleur vive, il faut que leur nature (car pour ce symbolisme ancien la couleur dénote la qualité, le caractère, le tempérament) devienne un dynamisme de connaissance idéale lumineusement concentré. Largement diffusée doit être la masse compacte de cette force, pṛthupājaso ye.

(rik 3) – L’Aurore divine visite donc l’âme avec la lumière de sa connaissance, prajñāna, confrontant tous les mondes pour en faire le champ de cette connaissance – autrement dit, toutes les provinces de notre être universel, le mental, la vitalité, la conscience physique. Juchée au-dessus d’eux sur des sommets qui dépassent le mental, dans le ciel le plus haut, elle les domine en tant que perception de l’Immortalité ou de l’Immortel, amṛtasya ketuḥ, révélant en eux l’existence éternelle et béatifique, ou la Divinité éternelle qui est Toute-Béatitude. Ainsi perchée, elle se tient prête à effectuer le mouvement de la connaissance divine, progressant dans les activités harmonisées et nivelées de ces mondes comme une nouvelle révélation de la vérité éternelle, navyasi, telle une roue qui se déplace sans heurts sur une surface plane; divergences et discordes ayant été éliminées, ceux-ci en effet n’offrent plus maintenant d’obstacles à ce mouvement uniforme.

(rik 4) – Ayant atteint son apogée, elle détache, en quelque sorte, et rejette le vêtement minutieusement cousu qui recouvrait la vérité des choses pour devenir dans son mouvement l’épouse de l’Amant, l’énergie de son Seigneur tout bienheureux, svasarasya patnī. Au comble de sa félicité, jouissant pleinement du succès de son action, subhagā sudaṃsāḥ, ses révélations font naître en nous Svar, le mental lumineux occulte, notre ciel mental suprême; et ainsi, depuis les confins de l’être mental elle se déploie par-dessus la conscience physique.

(rik 5) – Tandis que cette Aurore divine fait déferler sur les hommes sa lumière, ceux-ci, obéissant à la loi de son décret et de son mouvement divins, doivent produire pour elle la totalité pleinement dynamisée de leur être et de leurs capacités, pour servir de véhicule à sa lumière, de siège à ses activités sacrificielles.

Le Rishi insiste alors sur deux tâches capitales de l’Aurore divine en l’homme – l’élever à la pleine force de la Lumière et à la révélation de la Vérité, et déverser, dans son existence mentale et corporelle, l’Ananda, l’Amrita, le vin de Soma, la félicité de l’Être immortel. Dans le monde du mental pur, divi, elle monte et devient intégralement la force massive de la Lumière, ūrdhvaṃ pājo aśret, et depuis ces pures hauteurs établit la douceur, madhu, le nectar du Soma. Elle fait resplendir les trois mondes lumineux, rocanā; elle est alors ou apporte avec elle la vision béatifique.

(rik 6) – Grâce à l’action des illuminations de la mentalité pure, grâce au Verbe concrétisateur, divo arkaiḥ, elle est perçue comme celle qui porte la Vérité et, avec la Vérité, pénètre, depuis le monde transcendant le Mental, pleine de délice, en jouant diversement de sa pensée et de son activité multiples, dans la conscience mentale et corporelle, ces frontières qui délimitent le champ d’action de l’homme. C’est d’elle, comme elle arrive ainsi richement pourvue, vājena vājini, qu’Agni, la Force divine travaillant ici dans le corps et le mental à élever le mortel, sollicite et obtient le Soma, le vin de la Béatitude, la savoureuse substance.

(rik 7) – Le monde supramental en nous, fondement de la Vérité, est le fondement des Aurores, qui font descendre sur la nature mortelle la Lumière de cette immortelle Vérité, ṛtaṃ jyotis. Le seigneur des Aurores, maître de ta Vérité, Illuminateur, Créateur, Organisateur, produisant dans le fondement de la Vérité, au-dessus du mental, l’impulsion de ses activités, entre avec elles, grâce à cette déesse, dans une existence corporelle et mentale non plus obscurcie mais désormais affranchie de ses limites et capable d’immensité, mahī rodasī. Le seigneur de la Vérité est l’unique Seigneur des choses. Il est Varuna, âme de grandeur et de pureté; il est Mitra, source d’amour et de lumière et d’harmonie. Sa Sagesse créatrice, mahī mitrasya varuṇasya māyā, d’une portée illimitée – puisqu’il est Varuna –, candreva, semblable à une lumière de joie et de félicité – puisqu’il est Mitra –, arrange, organise parfaitement, sous de multiples aspects, dans l’immensité de la nature libérée, les expansions lumineuses, les expressions sereines de la Vérité. Il combine les splendeurs variées avec lesquelles son Aurore a pénétré nos firmaments; il marie en une chorale unique ses voix vraies et heureuses.

L’Aurore divine marque l’arrivée de la Divinité. C’est la lumière de la Vérité et de la Félicité qui vient du seigneur de Sagesse et de Béatitude se répandre sur nous, amṛtasya ketuḥ, svasarasya patnī.

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