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Mère

Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo

Traduction et commentaires. Tape recordings (1958)

 

9 — Ce que l’âme voit et l’expérience qu’elle fait, cela elle le connaît; tout le reste est apparence, préjugé et opinion.

Ceci revient à dire que toute connaissance qui n’est pas le résultat d’une vision de l’âme ou de son expérience est une connaissance qui n’a pas de valeur vraie.

Mais immédiatement se pose la question, qui m’a été posée d’ailleurs: «Comment savoir ce que l’âme voit?»

Évidemment, il n’y a qu’une solution, c’est de devenir conscient de son âme; et ceci complète l’aphorisme: à moins que l’on ne soit conscient de son âme, on n’a pas la connaissance vraie. Par conséquent, le premier effort doit consister à trouver son âme au-dedans de soi, à s’unir à elle et à la laisser gouverner la vie.

Certains demandent: «Comment savoir si c’est l’âme?» J’ai déjà répondu à cette question plusieurs fois. Ceux qui la posent, par le fait même qu’ils la posent, prouvent qu’ils ne sont pas conscients de leur âme, parce que de la minute où l’on est conscient de son âme et identifié à elle, on le sait d’une façon positive et on ne demande plus comment le savoir. Et cette expérience-là n’est pas une expérience qui se copie ou s’imagine, on ne peut pas faire semblant d’être en contact avec son âme — c’est une chose qui ne s’invente pas, qui ne se copie pas. Quand c’est l’âme qui gouverne la vie, on le sait d’une façon absolue et on ne questionne plus.

Mais l’utilité de l’aphorisme que nous venons de lire, c’est de vous faire comprendre que tout ce que vous croyez connaître, que vous avez appris ou même qui vous est venu au cours de la vie par des observations personnelles, des déductions personnelles, des comparaisons, tout cela est une connaissance très relative et sur laquelle vous ne pouvez pas établir un système de vie durable et vraiment efficace.

Nous avons répété cela combien de fois, que tout ce qui vient du mental est tout à fait relatif, que le mental, plus il est éduqué, plus il a suivi de disciplines, plus il est capable de prouver que ce qu’il avance ou ce qu’il dit est vrai. On peut prouver la vérité de toute chose par le raisonnement, mais cela ne veut pas dire pour autant que c’est vrai. Cela reste des opinions, des préjugés et une connaissance basée sur une apparence qui elle-meme est plus que douteuse.

Ainsi, il semble n’y avoir qu’une porte de sortie, c’est d’aller à la recherche de son âme et de la trouver. Elle est là, elle ne se cache pas exprès, elle ne joue pas avec vous pour vous donner des difficultés; au contraire, elle fait beaucoup d’efforts pour que vous la trouviez et pour se faire entendre, seulement il y a entre elle et votre conscience active deux personnages, le vital et le mental, qui ont l’habitude de faire beaucoup de bruit. Et comme ils font beaucoup de bruit et que l’âme n’en fait pas, ou en fait aussi peu que possible, leur bruit vous empêche d’entendre sa voix.

Quand vous voulez savoir ce qu’elle sait, votre âme, vous pouvez faire un effort intérieur, être très attentif, et en fait, si on est attentif, derrière ce bruit très extérieur du mental et du vital, on peut discerner quelque chose de très subtil, très tranquille, très paisible, qui sait, et qui dit ce que cela sait. Mais l’insistance des autres est si impérieuse et ca c’est si tranquille que, très facilement, on se trompe et qu’on écoute celui qui fait le plus de bruit, pour s’apercevoir après, le plus souvent, que c’était l’autre qui avait raison. Mais ça ne s’impose pas, ça ne vous oblige pas à l’écouter, parce que ça n’a pas de violence.

Quand vous hésitez, quand vous vous demandez que faire dans une circonstance ou une autre, il y a le désir, la préférence à la fois mentale et vitale, qui poussent, qui insistent, qui s’affirment, qui s’imposent, et avec les meilleures raisons du monde font tout un argument, et si vous n’êtes pas sur vos gardes, si vous n’avez pas une forte discipline, si vous n’avez pas l’habitude de vous contrôler, ils finissent par vous convaincre qu’ils ont raison et, comme je le disais tout à l’heure, ça fait tant de bruit que vous n’entendez même pas la toute petite voix ou la toute petite indication très tranquille de l’âme qui dit: «Ne le fais pas.»

Ce «ne le fais pas», cela arrive souvent, et d’un coup on le jette de côté comme une chose qui n’a pas de force et on suit son destin impulsif. Mais si, vraiment, on est sincère dans sa volonté de trouver la vérité et de la vivre, alors on apprend à écouter de mieux en mieux, on apprend à discerner de plus en plus, et même si cela coûte un effort, même si cela cause une douleur, on apprend à obéir. Et même si l’on n’a obéi qu’une fois, c’est une aide puissante, c’est un progrès considérable sur le chemin du discernement entre ce qui est l’âme et ce qui ne l’est pas, et avec ce discernement et la sincérité nécessaire on est sûr d’arriver au but.

Mais il ne faut pas être pressé, il ne faut pas être impatient, il faut être très persévérant. On se trompe dix fois pour une où l’on fait ce qu’il faut, mais quand on se trompe, il ne faut pas tout abandonner et être désespéré, il faut se dire que la Grâce ne vous abandonne jamais et que la prochaine fois ce sera mieux.

Ainsi, en conclusion, nous dirons que pour connaître les choses telles qu’elles sont, il faut d’abord s’unir à son âme, et que pour s’unir à son âme, il faut le vouloir avec persistance et persévérance.

C’est seulement le degré de concentration sur le but qui peut diminuer la longueur du chemin.

14 novembre 1958