SITE OF SRI AUROBINDO & THE MOTHER
      
Home Page |Workings |Audio Collection | Pensées et Aphorismes

Mère

Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo

Traduction et commentaires. Tape recordings (1958)

 

12 — Ils m’ont prouvé avec des raisons convaincantes que Dieu n’existe pas, et je les ai crus. Plus tard, j’ai vu Dieu, car il est venu et m’a embrassé. Et maintenant que dois-je croire, les raisonnements des autres ou ma propre expérience?

Ce n’est pas une question que pose Sri Aurobindo, c’est une boutade ironique. C’est pour faire ressortir clairement la stupidité des raisonnements du mental qui s’imagine pouvoir parler de ce qu’il ne sait pas. Ce n’est pas autre chose que cela.

On peut tout prouver avec le mental. Quand on sait s’en servir et qu’on a la science du raisonnement et de la déduction, on peut tout prouver. D’ailleurs, c’est un exercice que l’on donne dans les écoles supérieures pour assouplir l’esprit: on vous fait prouver une thèse, et immédiatement après vous devez prouver avec autant de conviction l’antithèse, et c’est dans l’espoir que si vous vous élevez un peu au-dessus, vous trouverez la synthèse.

Par conséquent, du moment qu’on admet que l’on peut tout prouver, c’est que les raisonnements ne mènent à rien, parce que si vous pouvez prouver une chose et immédiatement après prouver le contraire, c’est la preuve que vos preuves ne valent rien.

Il y a l’expérience. Pour un coeur simple, une nature sincère et droite, une nature qui sait que son expérience est sincère, que ce n’est pas une falsification du désir ou de l’ambition mentale mais un mouvement spontané qui vient de l’âme, l’expérience est absolument convaincante. Elle perd sa puissance de conviction quand il s’y mêle ces choses: ou le désir d’avoir une expérience ou l’ambition de se croire quelqu’un de très supérieur. Si vous avez cela en vous, alors méfiez-vous, parce que les désirs et l’ambition falsifient l’expérience. Le mental est formateur, et si vous avez un très fort désir que quelque chose de très important et de très intéressant vous arrive, vous pouvez le faire arriver, du moins en apparence pour ceux qui voient superficiellement les choses. Mais à part ces cas, quand on est droit, sincère, spontané, et surtout quand les expériences vous arrivent sans que vous ayez fait des efforts pour les avoir, spontanément, comme l’expression de votre aspiration profonde, alors ces expériences-là portent avec elles le cachet d’une authenticité absolue, et le monde tout entier peut vous dire que ce sont des bêtises ou des illusions sans que cela change rien à votre conviction personnelle. Mais naturellement, pour cela, il ne faut pas que vous vous trompiez vous-même, il faut que vous soyez sincère et droit, avec une rectitude intérieure complète.

Quelqu’un m’a demandé: «Comment se peut-il que Dieu se manifeste à quelqu’un qui est incroyant?» Ça, c’est comique, parce que s’il plaît à Dieu de se manifester à un incroyant, je ne vois pas ce qui L’empêcherait de se manifester!

Au contraire, Il a le sens de l’humour (Sri Aurobindo nous a répété déjà plusieurs fois que le Suprême a le sens de l’humour, que c’est nous qui voulons en faire un personnage grave et toujours sérieux) et Il peut trouver très amusant de venir embrasser un incroyant. Celui qui la veille aura dit: «Dieu n’existe pas, je n’y crois pas, c’est une sottise et une ignorance», alors Il le prend dans ses bras, Il le serre sur son coeur et Il lui rit au nez.

Tout est possible, même les choses qui, à notre petite intelligence limitée, paraissent absurdes.

Au fond, c’est seulement quand nous aurons lu ces aphorismes jusqu’au dernier que nous aurons une chance de les comprendre, parce que, dans chacun, Sri Aurobindo nous met dans une position tout à fait différente vis-à-vis de la vérité à découvrir. Les angles sont innombrables. Les points de vue sont innombrables. Et on peut dire les choses les plus contradictoires sans se démentir, sans se contredire; tout dépend de la façon dont on regarde. Et même quand nous aurons tout vu, à tous les points de vue qui nous sont accessibles tout autour de la Vérité centrale, nous n’aurons encore qu’un tout petit aperçu — la Vérité nous échappera de tous les côtés à la fois. Mais ce qui est remarquable, c’est que si nous avons l’expérience d’un seul contact avec le Divin — une vraie expérience, spontanée et sincère —, à ce moment-là, dans cette expérience, nous saurons tout et encore davantage. C’est pourquoi il est si important de vivre le petit peu que l’on sait en toute sincérité, afin de se rendre capable d’avoir des expériences et de savoir par expérience; savoir non pas mentalement mais parce que l’on vit les choses, parce qu’elles deviennent une partie de votre être et de votre conscience.

Mettre en pratique le peu que l’on sait est le meilleur moyen de savoir davantage, c’est le plus puissant moyen d’avancer sur la route — un tout petit peu de pratique, bien sincère. Par exemple, quand on sait que quelque chose ne doit pas être fait, ne pas le faire. Quand on a vu dans son être une faiblesse, une infirmité, ne pas lui permettre de se reproduire. Quand on a eu la vision de ce que l’on doit être, ne serait-ce qu’un moment, dans une ardente aspiration, ne pas — jamais — oublier de le devenir.

Il y a des personnes qui se lamentent toujours sur leurs infirmités. Ça ne mène pas très loin. Si on les a vues une fois vraiment, et que vraiment, sincèrement on a compris, on a vu que l’on ne doit pas être comme cela, c’est fini les lamentations, c’est l’effort quotidien, c’est la construction de la volonté, c’est la vigilance de chaque instant — on ne doit jamais permettre à une faute reconnue de se renouveler. Se tromper par ignorance, se tromper par inconscience, est une chose évidemment fort regrettable mais elle est réparable. Tandis que continuer à faire une faute en sachant qu’elle ne doit pas être faite, est une lâcheté et nous ne devons pas nous la permettre.

Dire: «Oh! la nature humaine est comme ça. Oh! nous sommes dans l’inconscience. Oh! nous sommes dans l’ignorance.» Tout cela, c’est de la paresse et de la faiblesse. Et derrière cette paresse et cette faiblesse, il y a une grande mauvaise volonté. Voilà.

Je dis cela parce qu’il y a beaucoup de gens qui m’ont fait cette réflexion, beaucoup. Et c’est toujours une façon de se donner des excuses. Dire: «O h! nous faisons ce que nous pouvons.» Ce n’est pas vrai. Parce que si l’on est sincère, une fois qu’on a vu, cela devrait être définitif. Tant qu’on n’a pas vu, il n’y a rien à dire, mais le moment où l’on voit, c’est le moment où l’on reçoit la Grâce, et du moment où on a reçu la Grâce, on n’a plus le droit de l’oublier.

5 decembre 1958