SITE OF SRI AUROBINDO & THE MOTHER
      
Home Page |Workings |Audio Collection | Commentaires sur Le Dhammapada

Mère

Commentaires sur Le Dhammapada

Tape records

 

Que l’homme intelligent se crée une île qu’aucun flot ne sera capable de submerger et cela par ses efforts, sa vigilance, sa discipline et sa maîtrise de soi.

Les insensés, dans leur manque d’intelligence, s’abandonnent à la négligence. Le vrai sage conserve la vigilance comme son trésor le plus précieux.

Ne vous laissez pas aller à l’insouciance ni au plaisir des sens. Celui qui est vigilant et adonné à la méditation acquiert un grand bonheur.

L’homme intelligent qui par sa vigilance a écarté la négligence, gravit les hauteurs de la sagesse d’où il contemple la foule des affligés comme un montagnard contemple les gens de la plaine.

Vigilant parmi les négligents, parfaitement éveillé parmi les somnolents, l’homme intelligent avance tel un rapide coursier laissant derrière lui la pauvre rosse.

La vigilance est admirée. La négligence blâmée. Par la vigilance, Indra s’est élevé au plus haut rang des dieux.

Le bhikkhu1 qui se délecte dans la vigilance et qui redoute la négligence avance comme un feu consumant tous ses liens, grands ou petits.

Le bhikkhu qui se plaît dans la vigilance et redoute la négligence ne peut plus déchoir. Il se rapproche du Nirvâna.

Je vous ai lu tout le chapitre parce qu’il m’a semblé que c’est l’ensemble de ces versets qui crée une atmosphère et qu’ils sont faits plus pour être pris en une seule fois que chacun séparément. Mais je vous recommande vivement de ne pas prendre les mots employés ici dans leur sens littéral habituel.

Ainsi, par exemple, je suis bien convaincue que la pensée originale ne voulait pas dire qu’il faut être vigilant pour être admiré et qu’il ne faut pas être négligent pour ne pas être blâmé. Et d’ailleurs, l’exemple donné le prouve, car ce n’est certainement pas pour être admiré qu’Indra, le chef des dieux du Surmental dans l’ancienne tradition hindoue, a pratiqué la vigilance. C’est une façon très enfantine de dire les choses. Pourtant, si l’on prend ces versets tous ensemble, ils ont, par leur répétition et par leur insistance, un pouvoir évocateur de la chose qui veut être exprimée; cela vous met en rapport avec une certaine attitude psychologique qui est très utile et qui a un effet assez considérable si l’on suit cette discipline.

Les deux derniers versets particulièrement sont très évocateurs. Le bhikkhu avance comme la flamme ardente de l’aspiration et il redoute la négligence.

La négligence, c’est vraiment ce relâchement de la volonté qui fait que l’on oublie son but et que l’on passe son temps à faire toutes sortes de choses qui, loin de contribuer au but que l’on veut atteindre, vous arrêtent sur le chemin, et souvent même vous en détournent. Alors, la flamme d’aspiration du bhikkhu lui fait redouter la négligence. Il se souvient à chaque moment que le temps est relativement court, qu’il ne faut pas le gaspiller en route, qu’il faut aller vite, aussi vite que l’on peut, ne pas perdre une minute. Et celui-là qui est vigilant et qui ne perd pas de temps, il voit ses entraves tomber, toutes — les grandes, les petites, toutes les difficultés s’évanouissent grâce à la vigilance; et si l’on persiste dans cette attitude, que l’on y trouve sa pleine satisfaction, il arrive au bout d’un certain temps que le bonheur ressenti à être vigilant est si puissant que, bientôt, on se sentirait très malheureux si l’on perdait cette vigilance.

C’est un fait que lorsqu’on s’est appliqué à ne pas perdre de temps en chemin, tout temps perdu devient une souffrance et on ne peut y trouver aucun plaisir d’aucune sorte. Et une fois que l’on est dans cet état-là, une fois que cet effort de progrès et de transformation est la chose la plus importante de la vie, celle à laquelle on pense constamment, alors vraiment on est en route vers l’existence éternelle, la vérité de l’être.

Il y a certainement un moment du développement intérieur où loin d’avoir à faire un effort pour se concentrer, s’absorber dans la contemplation et la recherche de la vérité et de son expression la meilleure — ce que les bouddhistes appellent la méditation —, on éprouve, au contraire, une sorte de soulagement, de détente, de repos, de joie, et d’avoir à en sortir pour s’occuper de choses qui ne sont pas essentielles, tout ce qui peut ressembler à un gaspillage de temps, devient terriblement douloureux. Les activités extérieures se réduisent à la nécessité absolue, et celles qui sont faites comme un service pour le Divin. Tout ce qui est futile, inutile, et qui justement ressemble à un gaspillage de temps et d’effort, tout cela, loin de donner la moindre satisfaction, crée une sorte de malaise et de fatigue; on ne se sent heureux que quand on est concentré sur son but.

Alors, on est vraiment en route.

14 février 1958

 

1 Membre du Sangha (communauté bouddhique), moine mendiant qui ne doit rien posséder.

Back