Mère
l'Agenda
Volume 1
Décembre 1958
(Cette note a été écrite en anglais de la main de Mère. Il s’agit d’une attaque de magie noire qui a menacé sa vie, et en tout cas complètement changé son existence extérieure. Une nouvelle étape commence)
Two or three days after I retired in my room upstairs,1 early in the night, I fell into a very heavy sleep and found myself out of the body much more materially than I do usually. This degree of density in which you can see the material surroundings exactly as they are. The part that was out seemed to be under a spell and only half conscious. When I found myself at the first floor where everything was absolutely black, I wanted to go up again, but then I discovered that my hand was held by a young girl whom I could not see in the darkness but whose contact was very familiar. She pulled me by the hand telling me laughingly, «no come, come down with me, we shall kill the young princess». I could not understand what she meant by this «young princess» and, rather unwillingly, I followed her to see what it was. Arriving in the anteroom which is at the top of the staircase leading to the ground-floor, my attention was drawn in the midst of all this total obscurity to the white figure of Kamala2 standing in the middle of the passage between the hall and Sri Aurobindo’s room. She was as it were in full light while everything else was black. Then I saw on her face such an expression of intense anxiety that to comfort her I said, «I am coming back». The sound of my voice shook off from me the semi-trance in which I was before and suddenly I thought, «Where am I going?» and I pushed away from me the dark figure who was pulling me and in whom, while she was running down the steps, I recognised a young girl who lived with Sri Aurobindo and me for many years and died five years back. This girl during her life was under the most diabolical influence. And then I saw very distinctly (as through the walls of the staircase) down below a small black tent which could scarcely be perceived in the surrounding darkness and standing in the middle of the tent the figure of a man, head and face entirely shaved (like the sannyasin or the Buddhist monks) covered from head to foot with a knitted outfit following tightly the form of his body which was tall and slim. No other cloth or garment could give an indication as to who he could be. He was standing in front of a black pot placed on a dark red fire which was throwing its reddish glow on him. He had his right arm stretched over the pot, holding between two fingers a thin gold chain which looked like one of mine and was unnaturally visible and bright. Shaking gently the chain he was chanting some words which translated in my mind, «She must die the young princess, she must pay for all she has done, she must die the young princess.»
Then I suddenly realised that it was I the young Princess and as I burst into laughter, I found myself awake in my bed.
I did not like the idea of something or somebody having the power to pull me like that so materially out of my body without my previous consent. That is why I gave some importance to the experience.
(Traduction)
Deux ou trois jours après m’être retirée dans ma chambre du haut, de bonne heure dans la nuit, je suis tombée dans un très lourd sommeil et me suis retrouvée hors de mon corps, beaucoup plus matériellement que je ne le fais d’habitude. C’est un degré de densité où l’on peut voir l’entourage matériel exactement comme il est. La partie qui était sortie semblait prise par un sortilège et seulement à demi consciente. Quand je me suis retrouvée au premier étage, tout était absolument noir; j’ai voulu remonter mais je me suis aperçue que ma main était tenue par une jeune fille que je ne pouvais pas voir dans l’obscurité, mais dont le contact était très familier. Elle m’a tirée par la main en riant: «Non, viens, descends avec moi, nous allons tuer la jeune princesse.» Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire par cette «jeune princesse» et, à contre-cœur, je l’ai suivie pour voir ce que c’était. En arrivant à l’antichambre qui se trouve en haut de l’escalier conduisant au rez-de-chaussée, mon attention a été attirée, au milieu de cette obscurité totale, par la forme blanche de Kamala,3 debout au milieu du passage qui sépare le hall et la chambre de Sri Aurobindo. Elle était en pleine lumière, pour ainsi dire, tandis que tout le reste était noir. Puis, j’ai vu sur son visage une telle expression d’anxiété intense que, pour la réconforter, je lui ai dit: «Je reviens.» Le son de ma voix m’a secouée de cette semi-transe où j’étais avant et soudain j’ai pensé: «Où est-ce que je vais?» et j’ai repoussé de moi cette forme noire qui me tirait, et en qui j’ai reconnu, pendant qu’elle descendait les escaliers en courant, une jeune fille qui a vécu avec Sri Aurobindo et moi pendant de nombreuses années et qui est morte il y a cinq ans. Durant sa vie, cette fille était sous une influence des plus diaboliques. Puis j’ai vu très distinctement (comme à travers les murs de l’escalier), en bas, une petite tente noire que l’on devinait à peine dans l’obscurité environnante et, debout au milieu de la tente, la forme d’un homme, le crâne et le visage entièrement rasés (comme les Sannyasins ou les moines bouddhistes), couvert de la tête aux pieds d’une sorte de vêtement tricoté qui épousait étroitement la forme de son corps: un corps grand et mince. Aucun autre vêtement ou étoffe n’indiquait qui il pouvait être. Il se tenait debout devant un chaudron noir posé sur un feu rouge sombre qui jetait des lueurs rougeoyantes sur lui. Sa main droite était tendue au-dessus du chaudron et il tenait entre deux doigts une fine chaîne d’or qui ressemblait à l’une des miennes et qui était étrangement visible et brillante. Il balançait doucement la chaîne en psalmodiant des mots qui se traduisirent ainsi dans mon mental: «Elle doit mourir, la jeune princesse, elle doit payer pour tout ce qu’elle a fait, elle doit mourir, la jeune princesse...»
Et tout à coup j’ai réalisé que c’était moi, la jeune Princesse, et éclatant de rire, je me suis retrouvée réveillée dans mon lit.
Je n’ai pas aimé l’idée que quelqu’un ou quelque chose ait le pouvoir de me tirer d’une façon si matérielle hors de mon corps, sans mon consentement préalable. C’est pourquoi j’ai attaché de l’importance à cette expérience.
1 Mère s’est retirée le 9 décembre. En fait, Mère était souffrante depuis plus d’un mois déjà avant de se retirer. Le 26 novembre avait eu lieu la dernière «classe du mercredi» au Terrain de Jeu; le 28 novembre, la dernière «classe du vendredi»; le 6 décembre, la dernière «classe de traduction»; le 7 décembre, la fin du tennis de Mère et la dernière visite au Terrain de Jeu. Le 9 décembre, Elle est encore descendue pour la méditation autour du Samâdhi. A partir du 10 décembre et pendant un mois, Mère est restée dans sa chambre. Une grande période s’achevait. Mère ne sortira plus qu’exceptionnellement.
2 Une disciple.
3 Une disciple.