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Mère

l'Agenda

Volume 5

2 décembre 1964

...Les lettres s'accumulent en nombre fantastique, et je n'ai pas répondu. Les gens devraient apprendre à recevoir: je réponds très fortement, très clairement, même avec des mots, une phrase précise. S'ils apprenaient à recevoir mentalement, ce serait bien. Je réponds toujours. Et même, quand c'est une chose importante et que je suis tranquille, que je n'ai pas d'action extérieure, je répète ma réponse en faisant une formation mentale très précise – ils devraient recevoir.

(Mère attrape au hasard une lettre d'une disciple occidentale qui demande à changer de travail ou à arrêter son travail extérieure, parce que, dit-elle, cela ne correspond pas à sa nature. Elle se plaint aussi de ses relations avec les autres et de leur «hostilité». Elle éprouve le besoin d'une nouvelle manière d'être et de faire.)

Elle est beaucoup plus en lutte avec sa vieille personnalité qu'avec les autres. Elle avait un certain genre de relation extrêmement personnel et superficiel avec les autres, et, lentement-lentement, elle en sort, mais avec l'impression que ce sont les autres qui lui sont hostiles, tandis qu'elle essaye de se rattraper vraiment.

C'est une période.

Seulement j'ai remarqué, surtout pour ceux qui ont eu une éducation occidentale, qu'il ne faut pas changer brusquement ses occupations extérieures. La plupart des gens ont tendance à vouloir changer de milieu, vouloir changer d'occupation, vouloir changer d'entourage, vouloir changer d'habitude, en pensant que c'est cela qui les aide à changer intérieurement – ce n'est pas vrai. On est beaucoup plus vigilant et averti pour résister au vieux mouvement, aux vieilles relations, aux vibrations dont on ne veut plus, quand on reste dans un cadre qui, justement, est assez habituel pour être automatique. Il ne faut pas être «intéressé» par une organisation extérieure nouvelle, parce que l'on a toujours tendance à y entrer avec sa même manière d'être.

C'est même très intéressant, c'est une étude que j'ai faite d'une façon très approfondie pour les gens qui pensent qu'en voyageant, ça va être différent... Quand on change d'entourage extérieur, on a au contraire, toujours, tendance à conserver son organisation intérieure pour conserver son individualité; tandis que si l'on est tenu par force dans le même cadre, les mêmes occupations, la même routine de vie, alors les manières d'être dont on ne veut plus deviennent de plus en plus évidentes et on peut lutter d'une façon beaucoup plus précise.

Au fond, dans l'être, c'est le vital qui a de la difficulté; c'est lui qui est le plus impulsif et qui a le plus de mal à changer sa manière d'être. Et c'est toujours le vital qui se sent «libre», encouragé, plus vivant dans les voyages, parce qu'il a l'occasion de se manifester librement dans un milieu nouveau où l'on a tout à apprendre: les réactions, les adaptations, etc. Au contraire, dans la routine d'une vie qui n'a rien de particulièrement excitant, il sent fortement (je veux dire, s'il est de bonne volonté et s'il a une aspiration au progrès), il sent fortement ses insuffisances et ses désirs, ses réactions, ses répulsions, attractions, etc. Quand on n'a pas cette intense volonté de progrès, il se sent emprisonné et dégoûté, écrasé – toute la chanson habituelle de la révolte.

(silence)

Quand elle est arrivée ici, elle vivait exclusivement dans le vital – exclusivement, d'une façon violente. Alors il y a un grand chemin à faire.

Et il faut que ce vital – qui était habitué à mener la barque, à tout gouverner, tout décider, enfin c'était le maître de la maison –, il faut qu'il commence d'abord par un détachement, qui généralement, quand il n'est pas très raffiné, se change en dégoût. Un détachement général. Puis tout d'un coup («tout d'un coup» quelquefois, lentement quelquefois), il sent que l'impulsion, l'inspiration doit venir du dedans, que plus rien ne doit venir du dehors pour l'exciter; et alors, s'il est de bonne volonté, il se tourne au-dedans et il commence à demander l'Inspiration, l'Ordre et la Direction, et après il peut recommencer à travailler.

Pour certaines gens, ça prend des années; pour certains, c'est très vite fait – ça dépend de la qualité du vital. Si c'est un vital raffiné et d'une qualité supérieure, ça va vite; si c'est quelque chose de très brutal qui va comme un bouledogue ou un buffle, ça prend un peu plus longtemps.

Enfin, il y a un long chemin à faire pour un vital qui avait l'habitude de tout gouverner et qui pensait qu'il détenait la vérité: que ce qu'il sentait était la vérité, que ce qu'il voulait était la vérité et que cette vérité devait dominer et gouverner les autres et la vie – ça... quand on est né dans cette illusion, ça prend longtemps. Ce qui sauve, c'est si le vital est PRIS d'une façon quelconque, intérieurement, s'il sent intérieurement qu'il y a quelque chose de plus grand que lui, alors ça va beaucoup plus vite.

Ceux qui fuient devant le changement nécessaire, ça peut vouloir dire plusieurs vies de plus. Ceux qui savent tenir le coup (qui ont généralement une intelligence supérieure suffisante pour gouverner), ceux qui ont de l'endurance et qui savent tenir le coup et ne pas s'inquiéter du manque de collaboration du vital, pour eux, ça peut être fait relativement vite.

C'est cela qui prend le plus de temps généralement.

*
*   *

Peu après

Tu as vu le dernier Illustrated Weekly? Tu sais que le pape est ici à Bombay, pour le «congrès eucharistique» – mais qu'est-ce que c'est que l'eucharistie, mon petit?

C'est la communion.

Ah! c'est bien ce que je pensais... Il y a l'histoire de ces congrès eucharistiques dans 1'«Illustrated», et il paraît que c'est une dame française qui a été à l'origine du premier congrès (il n'y a pas si longtemps, au siècle dernier, je crois). Et alors (Mère sourit), il y a un magnifique portrait du pape avec un message qu'il a écrit spécialement pour les lecteurs du «Weekly», où il a pris grand soin de ne pas se servir de mots chrétiens. Il leur souhaite... je ne sais quoi, et (c'est écrit en anglais) a celestial grace [une grâce céleste]. Alors j'ai vu (il a essayé d'être aussi impersonnel que possible), j'ai vu que, malgré tout, la plus grande difficulté des chrétiens, c'est que leur bonheur et leur accomplissement sont dans le ciel.

On m'avait lu, ou j'avais entendu, au lieu de «celestial grace», «a terrestrial grace»! [une grâce terrestre]. Quand j'ai entendu ça, quelque chose en moi a commencé à vibrer: «Comment! mais cet homme est converti!» Alors j'ai fait répéter et j'ai entendu que ce n'était pas ça, que c'était vraiment «celestial grace».

C'est le point.

Exactement.

Ils croient à une réalisation divine, mais la réalisation divine n'est pas terrestre, elle est quelque part ailleurs, dans un monde céleste, c'est-à-dire immatériel. Et c'est cela, leur grand obstacle.

Évidemment, en matière de foi (je ne veux pas dire pour un esprit scientifique très précis et très clair), mais en matière de foi, il n'y a pas jusqu'à présent de preuve évidente que le Seigneur veuille se réaliser ici; excepté, peut-être, deux ou trois illuminés qui ont eu l'expérience... Quelqu'un m'a demandé s'il y avait eu une réalisation supramentale auparavant, c'est-à-dire avant les temps historiques (parce que les temps historiques sont extrêmement réduits, n'est-ce pas). Naturellement, la question correspond toujours à l'une des choses qui me sont présentées dans les moments de concentration. Alors j'ai répondu très spontanément qu'une réalisation collective, il n'y en a jamais eu, mais qu'il se pouvait qu'il y ait eu une ou des réalisations individuelles, comme des exemples de ce qui serait et une promesse – une promesse et des exemples: «Voilà ce qui sera.»

J'ai eu des souvenirs très précis – des souvenirs vécus –, d'une vie humaine sur terre, tout à fait primitive (je veux dire en dehors de toute civilisation mentale), une vie humaine sur terre qui n'était pas une vie évolutive, qui était la manifestation d'êtres d'un autre monde. J'ai vécu comme cela pendant un temps – un souvenir vécu. Je le vois encore, j'ai encore l'image dans le souvenir. Ça n'avait rien à voir avec la civilisation et le développement mental: c'était un épanouissement de force, de beauté, dans une vie naturelle, spontanée, comme la vie animale, mais avec une perfection de conscience et de pouvoir qui dépasse de beaucoup celle que l'on a maintenant; justement avec un pouvoir sur toute la Nature autour, la nature animale et la nature végétale et la nature minérale, un maniement direct de la Matière, que les hommes n'ont pas – ils ont besoin d'intermédiaires, d'instruments matériels, tandis que c'était direct. Et ce n'étaient pas des pensées ou du raisonnement: c'était spontané (geste indiquant le rayonnement direct de la volonté sur la Matière). J'ai le souvenir vécu de cela. Et ça a dû exister sur la terre parce que ce n'était pas prémonitoire: ce n'était pas une vision de l'avenir, c'était un souvenir du passé. Donc il a dû y avoir un moment... C'était réduit à deux êtres: je n'ai pas l'impression qu'il y en avait beaucoup. Et il n'y avait pas d'enfantement ni rien d'animal, absolument pas; c'était une vie, oui, une vie vraiment supérieure dans un cadre de la Nature, mais d'une beauté et d'une harmonie extraordinaires! Et je n'ai pas l'impression que c'était (comment dire?) quelque chose de connu (les rapports avec la vie végétale et la vie animale étaient des rapports spontanés et absolument harmonieux et avec la sensation d'une puissance incontestée – on n'avait même pas l'impression que cela puisse ne pas être –, incontestée), mais aucune idée qu'il y avait d'autres êtres sur la terre et qu'il fallait s'occuper d'eux ou «démontrer» – rien de ce genre, absolument rien de la vie mentale, rien. Une vie comme cela, comme une belle plante ou un bel animal, mais avec une connaissance interne des choses, tout à fait spontanée et sans effort – une vie sans effort, tout à fait spontanée. Je n'ai même pas l'impression qu'il était question de se nourrir, je ne m'en souviens pas; mais il était question de la joie de la Vie, de la joie de la Beauté: il y avait des fleurs, il y avait de l'eau, il y avait des arbres, il y avait des bêtes, et tout ça était amical, mais spontanément. Et il n'y avait pas de problèmes! Il n'y avait aucun problème à résoudre, rien du tout – on vivait!

Certainement, une vie sans histoire.

Mais c'est loin, très loin autrefois. Parce qu'il n'y avait pas du tout le sentiment que l'on avait poussé d'en bas: c'était comme si l'on était tombé là, comme ça, pour s'amuser.

Ce devait être avant le premier homme issu de la Nature – pas après: avant.

C'étaient des formes humaines, mais je ne peux pas dire que je me souvienne: si l'on me demandait, par exemple, s'il y avait des ongles au bout des mains, ça, je ne sais pas! C'était très souple et très lumineux. Mais enfin, c'étaient comme des hommes.

(silence)

Ce pape a annoncé qu'il allait proclamer un message pour les non-chrétiens, j'ai demandé à le voir. Parce que dans mes conversations mentales avec lui, deux choses sont restées très précises... Il a une espèce d'attachement politique. C'est un homme très politique, en ce sens qu'il fait les choses pour une raison, dans un but précis et calculé selon sa propre compréhension, pour être le plus efficace dans ce but – un homme politique.

Il a un attachement politique au dogme. Par exemple, après l'une de mes conversations (j'ai eu pas mal de conversations avec lui, trois ou quatre, mentalement, et tout à fait objectives parce que ses réactions étaient inattendues, elles étaient pour moi très spontanées, c'est-à-dire que je recevais des réponses qui n'étaient pas du tout celles auxquelles je pouvais m'attendre – ça prouve que c'était authentique), mais par exemple, avant son élection, j'avais eu une rencontre avec lui (il y a une partie de son être mental, d'une intelligence supérieure, qui est très formée, consciente, individualisée), et j'avais eu une conversation spontanée que je n'avais pas cherché à avoir et qui était très intéressante, mais à un moment donné, je répondais à quelque chose qu'il disait et je lui ai dit avec la force que j'ai là (sur ce plan supérieur): «Le Seigneur est partout, même aux enfers le Seigneur est là.» Et à ce moment-là, ça a fait une telle violente réaction en lui que, poff! il a disparu. Ça m'a beaucoup frappée... Je ne connais pas le dogme, mais il paraît que dans les enfers, selon les catholiques, ce qui est pire que les souffrances, que le feu et tout ça, c'est l'absence du Seigneur. Il paraît que c'est un dogme, que le Seigneur est absent des enfers; et moi, je parlais de l'Unité universelle et je lui ai dit ça.

Il y a une autre chose dont je me souviens très clairement, qui m'a frappée. C'était après son élection (mais longtemps avant que son voyage en Inde ne soit décidé): il était venu dans l'Inde et il était venu à Pondichéry me trouver (pas me trouver: il était venu à Pondichéry, puis il était venu me trouver); une fois à Pondichéry, il était venu et je l'ai vu là, dans la chambre où je reçois. Nous avons eu une longue conversation, très longue conversation et intéressante, et tout d'un coup (c'était vers la fin, il était temps pour lui de s'en aller), quand il s'est levé, quelque chose le préoccupait; il m'a dit: «Quand vous parlerez de moi à vos enfants, qu'est-ce que vous leur direz?»... N'est-ce pas, l'ego qui se montrait. Alors je l'ai regardé (Mère sourit) et je lui ai dit: «Je leur dirai seulement que nous avons communié dans notre amour pour le Suprême.» Alors il s'est détendu et il est parti. Ça m'a frappée. Ce sont des choses très objectives.

Mais ça, ce sont les petits côtés de la nature. Autrement son rêve, c'est d'être le potentat de l'unité spirituelle humaine.

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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