Mère
l'Agenda
Volume 6
Il y a un petit espoir que ce mental matériel, le mental des cellules, se transforme.
C'est une bonne nouvelle!
N'est-ce pas! J'en suis tout étonnée. Je m'en suis aperçue hier ou avant-hier (ça n'allait pas bien, enfin c'était désagréable) et tout d'un coup, voilà tout ce mental qui fait une prière. Une prière... tu sais comment je faisais les prières avant, les Prières et Méditations: c'était le Mental qui faisait des prières; il avait des expériences et il faisait des prières; eh bien, voilà, maintenant c'est l'expérience de toutes les cellules: une aspiration intense, et tout d'un coup, tout ça qui se met à l'exprimer en mots.
Je l'ai noté.
Et alors, c'est assez intéressant...
C'était l'heure du dîner; il y avait eu (il y a toujours) une fatigue, une tension, le besoin de plus d'harmonie dans l'atmosphère... ça devient un peu pénible; et j'étais assise là, lorsque tout d'un coup, tout ça s'est redressé comme une flamme, oh! dans une grande intensité, et puis c'était comme si ce mental du corps, au nom du corps (c'était le corps qui commençait à se mentaliser), faisait une prière... (Mère cherche une note.) Et il a beaucoup le sentiment de l'unité de la Matière (c'est très fort depuis très-très longtemps, mais ça devient très conscient: une sorte d'identité); alors il y avait le sentiment de toute la Matière – Matière terrestre, humaine, Matière humaine – et il a dit:
«Je suis fatigué de notre indignité. Mais ce n'est pas au repos que ce corps aspire...
Et ça, c'était senti dans toutes les cellules.
«... Ce n'est pas au repos que ce corps aspire, c'est à la gloire de Ta Conscience, la gloire de Ta Lumière, la gloire de Ton Pouvoir, et surtout...
Là, c'est devenu encore beaucoup plus intense:
«... à la gloire de Ton Amour tout-puissant et éternel.»
Et tous ces mots avaient un sens si concret!
J'ai écrit ça vite, puis je l'ai laissé là. Mais voilà que ce mental est comme l'autre... (Mère cherche une deuxième note), il a une espèce de souci de la perfection de l'expression; et le lendemain après-midi (c'est généralement après mon bain, il y a une sorte d'activité spéciale à ce moment-là), après mon bain, il était dans cet état et j'ai dû écrire ceci (c'était devenu tout à fait comme une prière):
«OM, Seigneur suprême,
Dieu de bonté et de miséricorde,
OM, Seigneur suprême,
Dieu d'amour et de béatitude...
Au moment de «béatitude»... toutes ces cellules étaient comme gonflées.
«... Je suis fatigué de notre infirmité. Mais ce n'est pas au repos que ce corps aspire, il aspire à la plénitude de Ta Conscience, il aspire à la splendeur de Ta Lumière, il aspire à la magnificence de Ton Pouvoir; par-dessus tout, il aspire à la gloire de Ton Amour tout-puissant et éternel.»
Il y a une sorte de contenu concret dans les mots, qui n'a rien à voir avec le mental. C'est quelque chose de vécu – pas seulement senti: vécu.
Et puis, dans l'après-midi, ce n'était plus une prière mais c'était une constatation (Mère cherche une troisième note)... J'ai trouvé que cela devenait intéressant. Il a dit:
«Les autres états d'être...
Si tu savais avec quelle espèce de dédain, comme ça, un air de supériorité, il parlait!
«Les autres états d'être, le vital, le mental, peuvent se plaire aux contacts intermédiaires...
C'est-à-dire, tous les états d'être intermédiaires, puis les dieux, les entités et toutes ces choses. Et il parlait avec une puissance et une sorte de dignité – oui, c'était une dignité, presque une fierté, mais il n'y avait pas d'orgueil, rien de tout cela. C'est le sens d'une noblesse.
«... Seul, le Seigneur suprême peut me satisfaire.»
Et alors, tout d'un coup, il y avait cette vision si claire que c'est seulement ce qu'il y a de suprêmement parfait qui peut donner la plénitude à ce corps (geste de jonction du Haut et du Bas).
J'ai trouvé cela intéressant.
C'est le commencement de quelque chose.
(silence)
Ça a commencé par le dégoût – un dégoût... un dégoût écœurant – de toutes ces misères, toutes ces faiblesses, toutes ces fatigues, tous ces malaises, tout ce tiraillement, ce grincement, ouf .... Et c'était très intéressant parce que, il y avait ce dégoût, et en même temps il y avait comme une suggestion qui venait, de l'Anéantissement, du Néant: de la Paix éternelle, n'est-ce pas. Et il a balayé tout cela, comme si tout le corps se redressait: «Eh! mais ce n'est pas ça! Ce n'est pas ça que je veux. Je veux... (et alors, ça a été un éblouissement – un éblouissement de lumière dorée)... je veux la splendeur de Ta Conscience.»
Ça, c'était une expérience.
(silence)
Il y a encore un peu de tiraillement, mais enfin ça va mieux. Tout à l'heure... N'est-ce pas, ils sont deux, trois à me précipiter dessus les demandes de tous les gens, le travail à faire, les réponses à donner, les chèques à signer; c'est un travail... on est harcelé, labouré comme par des griffes. Et il y a cette fatigue que je sens tous les jours, toujours, et qui fait que j'ai besoin de rester tout à fait tranquille (c'est comme si l'on était griffé), et j'ai vu que c'était parce que tout le travail que l'on fait faire au corps ne vient pas de Ce à quoi il aspire – ce n'est pas de là-haut que ça vient: ça vient d'ici, de tout autour –, et c'est pour cela que ça grince, comme si l'on broyait quelque chose. Alors très consciemment, ce mental a fait appel à cette aspiration-là et à l'équanimité, l'égalité cellulaire: «Eh bien, c'est le moment d'être dans l'égalité», et immédiatement, il y a eu une sorte d'immobilité tranquille qui s'est établie, et ça a été mieux, j'ai pu aller jusqu'au bout.
J'ai l'impression que c'est comme si l'on avait attrapé la queue de la solution.1 Maintenant il faut, naturellement, work it out [l'élaborer].
Enfin, il y a un espoir.
J'étais toujours sous l'impression de ce que Sri Aurobindo avait dit: «Cet instrument [le mental physique] n'est bon à rien, il n'y a qu'à s'en débarrasser»...2 C'était très difficile de s'en débarrasser parce qu'il était si intimement lié à l'amalgame du corps physique et de sa forme présente... c'était difficile; et quand j'essayais et qu'une conscience plus profonde voulait se manifester, ça produisait l'évanouissement. Je veux dire que l'union, la fusion, l'identification avec la Présence Suprême, sans ça, sans ce mental physique, en l'annulant, cela produisait l'évanouissement. Je ne savais pas comment faire. Maintenant que ça collabore, et collabore consciemment (et il semble avec une grande puissance de sensation), peut-être les choses vont-elles changer.
Tout ce qui était mental... Je me souviens très clairement de l'état dans lequel j'étais quand j'écrivais ces Prières et Méditations, surtout quand je les écrivais ici (toutes celles que j'ai écrites ici en 1914): ça me paraît froid et sec... oui, sec, sans vie. C'est lumineux, c'est joli, c'est agréable, mais c'est froid, c'est sans vie. Tandis que cette aspiration ici [du mental cellulaire], oh! ça a une puissance – une puissance de réalisation – tout à fait extraordinaire. Si ça s'organise, quelque chose pourra être fait. Là, il y a une puissance accumulée.
(silence)
Et depuis deux nuits, les activités du matin, celles qui se passent dans le physique subtil avec Sri Aurobindo et tous les gens d'ici, concernent la nourriture tout d'un coup! mais sous un aspect tout à fait différent. C'est toujours pour me donner des indications sur les gens, les choses. La nuit d'avant, il y avait un incident amusant. Vous savez que Mridou, la grosse bonne femme qui faisait la cuisine pour Sri Aurobindo, est dans le physique subtil. Quand elle est morte, Sri Aurobindo (je ne savais même pas qu'elle était morte), Sri Aurobindo est allé la chercher dans sa maison, puis il me l'a apportée et il l'a mise à mes pieds ici: c'est comme cela que j'ai su qu'elle était morte (le lendemain matin, on me l'a dit). Mais je ne comprenais pas ce qui s'était passé; j'ai vu Sri Aurobindo qui allait dans la maison de Mridou, puis il est revenu (riant) avec un petit paquet comme ça, et il l'a mis à mes pieds! J'étais ahurie, j'ai vu que c'était Mridou, et j'ai couru après Sri Aurobindo pour lui demander: «Mais qu'est-ce que c'est que ça?!» Puis tout est parti. Le lendemain, on m'a dit qu'elle était morte. Et elle vit comme cela, dans le physique subtil, et je la vois très-très souvent, très souvent (elle est un peu mieux qu'elle n'était physiquement, mais pas beaucoup plus intelligente!). Mais l'autre nuit, elle m'avait apporté de gros pruneaux (ils étaient grands comme ça) et j'en mangeais, et je trouvais cela très bon; puis Pavitra est arrivé et il a regardé ces malheureux pruneaux et il m'a dit: «Oh! il ne faut pas manger ça, il y a des moisissures!» Je m'en suis souvenue parce que cela m'a amusée. Et je regardais, je disais (riant): «Je ne vois pas de moisissures, et puis ils sont très bons!» Et la nuit dernière, c'était un homme (que je connais très bien, mais je ne peux plus me souvenir de son nom), qui me disait qu'il fallait absolument que je boive du lait! (il y a des années et des années que je ne bois pas une goutte de lait), et il me montrait le lait, il me disait: «Vous voyez, il faut mélanger le lait à la soupe, à ceci, à cela.» Je me suis demandé: «Tiens, pourquoi tout d'un coup?...» Jamais-jamais je n'avais de rêves de nourriture! (ce ne sont pas des rêves d'ailleurs: je ne suis pas endormie, je suis tout à fait consciente). Ça a commencé depuis deux nuits; d'abord je mangeais des pruneaux – de gros pruneaux comme cela –, puis la nuit dernière, il fallait que je prenne du lait! Mais c'était si insistant que je me suis demandé un moment ce matin s'il fallait que je me mette à boire du lait!
C'est nouveau aussi.
La série avait commencé par cette vision (toujours dans le même domaine) où j'étais allée chercher du thé pour Sri Aurobindo, et l'on m'avait donné de la terre avec une tranche de pain sec!
C'est tout un monde qui commence à s'ouvrir. Nous allons voir.
Voilà. Alors tu apportes quelque chose?...
Mais c'est vrai, j'ai l'impression d'une atmosphère plus agréable depuis un ou deux jours.
Ah!
Je ne sais pas si cela tient à moi personnellement, mais une atmosphère, oui, plus contente...
Oui, c'est cela.
... qui grince moins.
Oui, c'est comme cela que ce doit être. Nous allons voir... Si ce que je perçois est correct, ça doit aller dans ce sens-là.
Généralement, quand tu ne «vas pas bien», je suis d'une mauvaise humeur terrible.
Oui... Oh! mais moi, je dis le contraire, mon petit!
(Riant) Je ne te l'ai pas dit par gentillesse, mais j'avais envie de te dire: «Sapristi! comme tu es de mauvaise humeur, ça me rend malade!» (rires)
C'est vrai, ce n'est ni dans ce sens-là ni dans ce sens-ci (geste de Mère au disciple et du disciple à Mère): c'est tout un. C'est pour cela que je n'ai rien dit. Parce que nous avons l'habitude de faire comme cela (geste qui va de l'un à l'autre), mais ce n'est pas vrai, ce n'est pas comme cela: c'est un tout qui, dans chacun, prend son expression propre.
*
* *
Peu après, à propos de «Savitri» et du dialogue avec la Mort:
Il avait dit qu'il voulait le refaire, tout ce passage, mais il ne l'a jamais fait. Et quand on lui a demandé (je ne sais pas si c'était Nirod ou Purani), il a dit: «Non, plus tard.»
Et il savait très bien qu'il n'y avait pas de «plus tard». Il le savait déjà à ce moment-là.
«Non, plus tard.»
Je ne sais pas...
*
* *
Le disciple se lève pour partir:
Alors, il ne faut pas être de mauvaise humeur. (Riant) Tu vas me dire qu'il ne faut pas être malade!... Bien-bien.
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1 Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser à la «formule mathématique» de Sri Aurobindo: «Maintenant, écrivait-il en août 1935, j'ai attrapé le truc... Comme un vrai Einstein, j'ai la formule mathématique de toute l'affaire (inintelligible pour quiconque sauf pour moi, comme dans le cas d'Einstein) et je l'élabore [work it out] chiffre par chiffre.» Mère emploie presque les mêmes mots.
2 Voir notamment Sri Aurobindo, Conversations avec Pavitra, p. 162, le 20 novembre 1926. Pavitra se plaignait de cette «partie mécanique du mental qui m'entraîne». Et Sri Aurobindo avait répondu: «C'est simplement un fonctionnement extérieur et il sera laissé et rejeté au cours du processus.» C'était en 1926. Sri Aurobindo a changé d'avis après, peut-être justement lorsqu'il a découvert sa «formule mathématique».
3 Il existe un enregistrement de cette conversation. La suite n'a pas été conservée, sauf les quelques mots de la fin.