SITE DE SRI AUROBINDO ET LA MÈRE
      
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Mère

l'Agenda

Volume 8

26 août 1967

(À propos du groupement «World Union», l'Union du Monde.)

Ils sont vieux-jeu, oh! ce World Union... Il y a des centaines et des centaines de groupements comme cela qui bavardent, qui ne font rien et qui ne changent absolument rien à rien.

Oui, cela m'a toujours paru un enfantillage et un bavardage.

Oh!... D'ailleurs, l'homme qui a commencé ce groupe, dès que cela a été organisé, ils l'ont flanqué dehors! sous prétexte qu'il n'était pas honnête, mais enfin c'était tout de même lui, le fondateur. Il est allé en Russie et c'est en Russie que lui est venue l'idée du World Union. Alors ils ont formé ce World Union à quatre ou cinq personnes, et quinze jours après, ils commençaient à se disputer, et un an après, ils ont flanqué dehors le garçon qui l'avait fondé! Puis cela a été le tour de S qui, lui, a des idées... Enfin lui aussi, on l'a mis dehors. Alors ils sont venus à moi pour me dire leurs misères! Je leur ai dit: «Écoutez, vous êtes profondément ridicules, parce que vous voulez prêcher l'unité du monde et la première chose que vous faites, c'est de vous disputer! Cela prouve que vous n'êtes pas prêts.» Et c'est resté comme cela. Puis A.B. qui était très connu en Afrique a recruté toutes sortes de gens et il m'a fait voir certains d'entre eux pour me demander s'ils étaient capables de faire quelque chose – absolument rien, n'est-ce pas, rien: des vieux piliers de maison en ruine, pas autre chose...

*
*   *

(Mère écoute la lecture du cahier d'un disciple qui lui pose régulièrement des questions.)

«Douce Mère, on dit que c'est toujours le bon et le vrai qui triomphent, mais on voit que souvent, dans la vie, c'est autrement. Les méchants gagnent et semblent avoir quelque protection contre la souffrance.»

(Mère rit, puis reste silencieuse)

On confond toujours deux idées.

C'est au point de vue universel et spirituel que, pas positivement le «bien» tel que les hommes l'entendent, mais le Vrai, la Vérité, aura le dernier mot, c'est entendu. C'est-à-dire que finalement le Divin sera victorieux. C'est ce que l'on dit, ce que tous ceux qui ont vécu une vie spirituelle ont dit – c'est un fait absolu. Les hommes, quand ils le traduisent, disent: «Je suis un bon garçon, je vis selon ce que je pense être vrai, par conséquent toute l'existence doit être très bien pour moi»! (Mère rit) D'abord, l'appréciation de soi-même est toujours douteuse, et puis, dans le monde tel qu'il est maintenant, tout est mélangé, ce n'est pas la Loi de Vérité pure qui se manifeste ouvertement pour les consciences humaines à moitié aveugles – elles ne la comprendraient même pas. Je veux dire, pour être plus exacte, que c'est la vision suprême qui se réalise constamment, mais que sa réalisation dans le monde matériel mélangé n'apparaît pas à la vision humaine ignorante comme le triomphe du bien (de ce que les hommes appellent «bien» et «vrai»). Mais (pour le dire d'une façon amusante), ce n'est pas la faute du Seigneur, c'est la faute des hommes! C'est-à-dire que le Seigneur sait ce qu'il fait et que les hommes ne le comprennent pas.

Dans un monde vrai, tout serait pareil que maintenant peut-être, mais ce serait vu autrement

Les deux. Il y aurait une différence. C'est l'ignorance et l'obscurité présentes dans le monde qui donnent une apparence déformante à l'Action divine; et cela naturellement, ça doit avoir tendance à disparaître; mais il est vrai aussi qu'il y a une façon de voir les choses qui... on pourrait dire, qui donne une autre signification à leur apparence – les deux sont là, comme cela (geste entremêlé).

(silence)

On en revient toujours à ceci: que le jugement des hommes est faux – est faux parce que leur vision des choses est fausse, est incomplète – et que ce jugement a forcément des résultats faux aussi.

Le monde est en perpétuel changement – perpétuel, pas une seconde il n'est semblable à lui-même –, et l'harmonie générale s'exprime de plus en plus parfaitement; par conséquent rien ne peut rester ce qu'il est, et malgré toutes les apparences contraires, le TOUT est toujours dans une progression constante: l'harmonie devient de plus en plus harmonieuse, la vérité devient de plus en plus vraie dans la Manifestation. Mais pour voir cela, il faut voir le tout, et l'homme ne voit que... même pas seulement le domaine humain mais son domaine personnel tout petit-petit-petit, microscopique – il ne peut pas comprendre.

C'est une double chose qui va se complétant (même geste entremêlé) et avec une action réciproque: à mesure que la Manifestation devient plus consciente d'elle-même, son expression se perfectionne, devient aussi plus vraie. Les deux mouvements vont ensemble.

(silence)

C'était l'une des choses qui avait été vue très clairement l'autre jour quand il y avait cette Conscience-de-Connaissance: quand la Manifestation aura suffisamment émergé de l'Inconscient pour que toute cette nécessité de lutte créée par la présence de l'Inconscient devienne progressivement de plus en plus inutile, elle disparaîtra tout naturellement, et le progrès, au lieu de se faire dans l'effort et la lutte, commencera à se faire harmonieusement. C'est cela que la conscience humaine prévoit comme une création divine sur la terre – ce ne sera encore qu'une étape. Mais pour l'étape actuelle, c'est une sorte d'aboutissement harmonieux qui changera ce progrès universel (qui est constant) en un progrès dans la joie et l'harmonie au lieu d'un progrès dans la lutte et la souffrance... Mais ce qui était vu, c'est que ce sentiment d'insuffisance, de quelque chose qui n'est pas complet et qui n'est pas parfait, cela, il est à prévoir que ça existera pendant très longtemps (si la notion de temps reste la même, ça je ne sais pas?). Mais tout changement implique temps, n'est-ce pas; on peut ne pas le traduire par le temps tel que nous le concevons, mais cela implique une succession.

Tous ces prétendus problèmes (tout le temps, on reçoit des questions et des questions et des problèmes du mental – tous les problèmes dans l'Ignorance), ce sont les problèmes du ver de terre. Dès qu'on émerge là-haut, ce genre de problème n'existe plus. Il n'y a pas de contradictions non plus. Les contradictions viennent toujours de l'insuffisance de vision et de l'incapacité de voir quelque chose à tous les points de vue en même temps.

En tout cas, pour revenir au terre à terre de son cahier, aucun sage à aucun temps, je pense, n'a jamais dit: soyez bon et tout ira bien pour vous extérieurement – parce que c'est une ânerie. Dans un monde de désordre et dans un monde de mensonge, espérer cela n'est pas raisonnable. Mais on peut, si l'on est assez sincère et total dans sa manière d'être, on peut avoir la joie intérieure, la pleine satisfaction, quelles que soient les circonstances, et cela personne ni rien n'a le pouvoir d'y toucher. Ça, c'est autre chose. Mais que votre commerce marche bien, que votre femme vous soit fidèle et que vos enfants ne soient pas malades et toutes ces choses-là, n'est-ce pas, ce sont des âneries!

*
*   *

(Un peu plus tard, à propos de Mme Z, cette chrétienne sympathisante de l'Ashram, qui est venue, plusieurs fois rendre visite au disciple et qui allait devenir un peu... encombrante.)

... Je ne sais pas quoi faire. Je sens qu'elle a besoin, un besoin sincère, et qu'elle voudrait en sortir, sans pouvoir en sortir.

Elle ne veut pas totalement.

Oui!

Tu sais que j'ai eu une expérience comme cela, il y a fort longtemps (il y a très longtemps) quand j'étais en France encore, à Paris. Il y avait une camarade d'atelier (parce que j'étais à l'atelier de peinture pendant longtemps), une camarade, un très bon peintre, et nous étions très amies, et j'avais commencé à lui parler de la Revue Cosmique et de ce que Théon disait. Elle appartenait à une famille catholique avec des archevêques, même des cardinaux dans la famille, enfin c'était... Et elle était extrêmement intéressée et tout à fait convaincue: elle avait eu l'impression de la libération de l'esprit et de l'aspiration. Puis, quand j'ai eu l'enseignement de Sri Aurobindo, je le lui ai transmis, et alors là, vraiment, elle a été tout à fait prise. Mais souvent, elle m'a dit: «Tant que je suis éveillée, ça va très bien, mais dans mon sommeil, tout d'un coup je me réveille avec une panique épouvantable: et si l'enseignement catholique est vrai, je vais aller en enfer!» Et alors une torture. Et elle me disait: «Quand je suis tout à fait éveillée, je vois à quel point c'est ridicule...»

Mais tous ceux qui ont reçu le baptême et qui pendant un temps ont eu la confession, ils font partie d'un ensemble, d'une entité psychologique, intérieure, et c'est TRÈS DIFFICILE d'en sortir; ils sont liés à un tout – il y a... il y a une Église invisible, et tous ces gens sont tenus. Et pour sortir de là, il faut être un héros vital. Un vrai héros, n'est-ce pas. Parce que c'est très fort. J'ai vu: toutes les religions ont comme cela des espèces de congrégations dans l'invisible; mais de toutes, c'est la chrétienne qui est la plus forte au point de vue terrestre: elle est beaucoup plus forte que celle des bouddhistes, elle est beaucoup plus forte que celle des Chinois, elle est plus forte que les anciennes religions hindoues – c'est la plus forte; naturellement plus forte que les religions plus récentes aussi. Mais c'est la plus forte. Et quand on reçoit le baptême, on est lié. Si l'on ne suit pas la messe, si l'on n'a jamais été à confession, on peut, avec un peu d'énergie vitale, on peut se sortir de là, mais ceux qui ont été à confession – surtout la confession – et quand on reçoit la communion, quand on vous donne à manger le Christ... (encore une chose effroyable).

Alors cette fille-là était une vraie artiste et une grande intelligence, par conséquent j'ai eu l'exemple. Quand elle était éveillée, elle comprenait merveilleusement; et elle-même était furieuse, mais elle n'avait pas... elle n'avait pas le pouvoir de sortir de son subconscient l'emprise.

Elle était beaucoup plus intelligente que Mme Z, il n'y a pas de comparaison. C'était une grande artiste.

Qu'est-ce que je dois faire? Est-ce que je dois travailler à faire quelque chose? Je suis comme un intermédiaire, tu comprends. Ou est-ce qu'il faut que je la mette brutalement, mais avec conscience et force, devant le fait qu'elle est prisonnière et que vraiment je ne peux rien pour elle.

Je ne voudrais pas qu'elle empiète sur ta vie, voilà. Parce qu'elle ne le sait pas, mais cela peut être une formation adverse (elle est un instrument tout à fait inconscient). Si tu étais très costaud, tu comprends, que tu aies beaucoup de force vitale, je dirais: ça ne fait rien, on leur cassera le cou; mais tu as besoin de faire attention.

Tu dis toi-même que cela te fatigue.

Oh! oui, je suis épuisé. Oui, alors.

Une fois de temps en temps, cela ne fait rien, mais pas trop souvent.

Il faudrait que je le lui dise.

Oui, tu pourras lui dire très poliment... (riant) en lui disant qu'elle a besoin de prendre l'air! – Mais elle t'offrira de te rencontrer dehors!1

Je vais essayer de faire quelque chose... mais elle n'est pas très... Tiens, ils me font toujours l'effet (riant) d'être entourés de quelque chose de collant, comme s'ils avaient un tape [bande collante] autour d'eux! – On ne peut pas entrer.

Elle m'a demandé un nom indien.

Oh! elle t'a pris comme gourou.

Je ne sais pas. Elle m'a pris comme intermédiaire, oui. C'est un rôle que je n'aime pas DU TOUT!

(Mère rit) Oh! il est embêtant. Ça...

Mais tu comprends, je suis partagé entre le souci d'elle et le souci de moi. Qu'est-ce que je dois faire?

(Après un long silence) Est-ce que tu sais me mettre ou mettre Sri Aurobindo entre toi et les personnes que tu vois?

Je ne sais pas si je sais le faire, mais j'appelle toujours, je suis toujours comme cela [geste vers la conscience en haut], j'appelle là-haut.

Mais ce n'est pas comme cela! C'est comme cela ICI (Mère fait un geste devant la poitrine du disciple), tu te caches derrière... (riant) comme j'ai fait au balcon l'autre jour!

Quelle était la distance entre les deux visites?

Cinq ou six jours.

On va voir, on va essayer...

Elle m'a dit même, la dernière fois, qu'elle voudrait méditer avec moi – mais enfin je ne suis pas un gourou, moi!

Ce n'est pas un métier agréable! (rires)

On va voir, tu me diras.

(Mère entre en concentration)

Voilà, il y a Sri Aurobindo qui est là, comme ça, depuis ici jusque là (geste depuis le bas de la poitrine jusqu'au front). Alors si tu es comme cela quand les gens sont là près de toi...

Juste devant toi.

Tu as senti tout d'un coup? il y a eu une sorte de plénitude dans l'atmosphère. Est-ce que tu as senti cela? Comme si ça devenait quelque chose de... «confortable» est un tout petit mot: une sorte de plénitude, tu as senti?

Oui.

C'est quand il est arrivé.

Il est resté là.

Alors si tu as cela, tu peux voir n'importe qui, ça ne fait rien!

(silence)

Il y a aussi des choses bien obscures en mou.

(Après un silence) On les donne en offrande.

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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1 Notons que la personne en question occupe une position diplomatique importante, d'où la difficulté de l'envoyer... «prendre l'air».

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