Mère
l'Agenda
Volume 10
Nous cherchions l'autre jour quelque chose pour «boucher un trou» dans le Bulletin et on m'a apporté ça (Mère tend un texte), c'est de Sri Aurobindo.
Sri Aurobindo is in no way bound by the present world's institutions or current ideas whether in political, social or economic field; it is not necessary for him either to approve or disapprove of them. He does not regard either capitalism or orthodox socialism as the right solution for the world's future; nor can he admit that the admission of private enterprise by itself makes the society capitalistic, a socialistic economy can very well admit some amount of controlled or subordinated private enterprise as an aid to its own working or a partial convenience without ceasing to be socialistic. Sri Aurobindo has his own views as to how far Congress economy is intended to be truly socialistic or whether that is only a cover, but he does not care to express his views on that point at present.
(15.4.1949)
La traduction
«Sri Aurobindo n'est d'aucune manière lié par les institutions du monde actuel ni par les idées courantes, que ce soit dans le domaine politique, social ou économique; il n'a pas besoin de les approuver ni de les désapprouver. Il ne considère pas que le capitalisme ni le socialisme orthodoxe soient la solution juste pour l'avenir du monde; il ne peut pas admettre non plus que de reconnaître l'entreprise privée suffise en soi à rendre capitaliste une société; une économie socialiste peut très bien admettre une certaine somme d'entreprise privée, contrôlée ou subordonnée, comme une aide à son propre fonctionnement ou comme une commodité partielle, sans pour autant cesser d'être socialiste. Sri Aurobindo a sa propre façon de voir dans quelle mesure l'économie du Congrès le rend vraiment socialiste ou si c'est seulement un camouflage, mais il ne se soucie pas d'exprimer pour le moment son point de vue à ce sujet.» Sri Aurobindo
(15.4.1949)
C'est intéressant.
On dirait que ça sort maintenant, c'est maintenant que ça commence à se montrer.1
Oui, c'est une réponse à maintenant.
Il paraît qu'il y a beaucoup de choses écrites de sa propre main où il dit: «Sri Aurobindo a dit», il parle de lui-même comme cela: Sri Aurobindo a dit.
Oui, j'ai vu cela plusieurs fois aussi; ça me frappait. Je me demande pourquoi?
C'était pour ne pas mettre «je» – je crois que c'est cela. C'était pour qu'il n'y ait pas de sentiment de «je» là-dedans. Ou bien c'est la Conscience qui, à travers lui, dit: «Sri Aurobindo a dit», parce qu'on a demandé à Sri Aurobindo, et la Conscience répond. C'est comme cela. Ça veut dire que ce sont des choses qui viennent directement d'en haut.2
(silence)
Tu as apporté quelque chose de spécial?... Moi, je n'ai rien, excepté une toute petite chose, c'est que cette nuit, pour la première fois, pendant à peu près deux heures de suite (j'étais simplement comme je suis toujours, comme cela, tranquille), et la Force... c'était comme si j'étais une éponge. Je ne sais pas comment dire; ce n'est pas que ça venait d'«en haut», ni comme ça (geste latéral), mais ça entrait – j'étais comme un tuyau –, et alors elle sortait-sortait-sortait... Pendant une heure, la Force, d'une couleur dorée intense, sortait comme cela, et puis se répandait sur le monde. Et c'est la première fois que je l'ai sentie physiquement – je sentais physiquement. Et c'était d'une puissance extraordinaire! Et ça (le corps), c'était comme si j'étais... un robinet ou un tuyau, tu comprends – mais ça ne venait pas d'un endroit précis: c'était comme si j'étais plongée dedans et que, par moi, ça passait et ça passait (geste à travers Mère, se répandant partout). Et ça, pendant plus de deux heures, de bonne heure le matin, c'est-à-dire entre une heure et quatre heures du matin (je ne sais pas exactement); j'ai l'impression que ça a duré plus de deux heures et demie comme cela. Et je voyais la Force. Le corps servait seulement comme moyen de toucher la terre – n'est-ce pas, ça venait et puis ça sortait et ça se répandait. Et ça allait... je voyais comme cela, je voyais que tous ceux qui appellent, ça allait vers eux. C'était dirigé par une conscience tout à fait consciente, mais moi, j'étais... tranquille, (riant) simplement j'étais le tuyau!
C'est la seule chose que j'avais à dire.
C'est la première fois que ça arrive physiquement, c'était physique.3
(silence)
Ça va mieux, la nuit? Tu n'as pas eu de rêves?
Rien de particulier.
Rien à la suite de ce que tu as dit?
Non... j'ai eu un rêve avec A.R. seulement.
Tiens!... Moi, je ne l'ai jamais vu la nuit, pas une fois.
Et tes nuits sont bien?
Oui, douce Mère, pas très conscientes mais ça va.
J'ai l'impression qu'il y a une pression pour que les choses aillent vite. Et la nature physique a été habituée à considérer qu'il faut faire attention aux malaises, autrement... À l'observation, j'ai remarqué que beaucoup de malaises ont un but précis pour agir sur une chose afin qu'elle change. Je t'en avais parlé la dernière fois. Ce n'est pas revenu du tout depuis ces deux fois-là (ces douleurs des nerfs), et j'ai eu la preuve que ça avait fait un changement considérable dans l'une des personnes; l'autre, je ne sais pas encore, je ne l'ai pas revue...
C'est-à-dire que le physique est un peu peureux de nature. Et maintenant, il apprend – il apprend.
Il a aussi une sorte de méfiance pour tout ce qui est nouveau dans son fonctionnement, c'est-à-dire que si le fonctionnement que l'on considère comme «normal» est changé, il a une méfiance, il se demande si... Je ne sais pas si tous les corps physiques sont comme cela, mais je m'aperçois que les autres gens, la moindre de ces choses que j'ai tout le temps maintenant, brr! ils en font une histoire! comme s'ils allaient être très malades. Alors je pense que c'est assez général. D'abord, j'avais commencé par gronder beaucoup ce corps en lui disant: «Tu es un poltron!» (Mère rit) mais le pauvre! je crois que c'est très général.
C'est sa spontanéité maintenant: n'importe quoi arrive (bon, mauvais, difficile, n'importe), tout de suite: l'aspiration, l'appel, l'expression de la confiance, qui ne se traduit pas par des mots mais c'est... vraiment: «Que Ta Volonté soit faite» – et lumineusement. Et j'ai l'impression que ça va vite – il faut que ça aille vite.
(silence)
Et au point de vue de l'attitude vis-à-vis des circonstances et du caractère des autres, il y a cet admirable atavisme que l'on a, qui est tellement «naturel» qu'on ne le remarque même pas, et maintenant... Pendant des années, j'ai regardé-regardé, eh bien, tu sais, quand on est né bourgeoisement, on est affreusement bourgeois! Et on ne s'en aperçoit même pas! (Mère rit) Et c'est tellement ridicule!... J'ai remarqué ici, pour les Indiens, qu'ils ont l'atavisme de leur caste; même quand, volontairement, ils sont sortis de la caste, ils ont cet atavisme; et c'est comme cela que j'ai commencé à voir; et puis je me suis aperçue que c'est juste la même chose pour moi! N'est-ce pas, on est né bourgeoisement, on est bourgeois affreux, affreusement – ridiculement!
Ça s'en va dans un sourire.
C'est dans la relation avec les autres. Je ne sais pas si dans ton «bourgeoisisme» c'est comme cela: une espèce de méfiance de l'aventurier.
Oh! oui.
C'est cela! Ce qui n'est pas «solidement admis». J'ai vu cela. Mais c'est fini maintenant. Maintenant, on peut voir tout cela et sourire – tout cela est parti. Dans T action, n'est-ce pas (dans la pensée, il n'en est pas question depuis très longtemps), mais c'est dans l'action, dans la façon d'agir avec les autres – là, on peut s'attraper!... C'est cela qui est amusant.
(silence)
Et Auroville est une grande Aventure.
Je vois comment c'est en train de s'organiser, c'est vraiment intéressant, vraiment intéressant.5
Est-ce que tu as rencontré ce Persan?
Non, je ne l'ai pas vu.
Ce n'est pas un intellectuel.
Qu'est-ce qu'il veut faire?
C'est un inventeur, homme d'action – je pourrais dire «inventeur-aventurier», mais je ne le dis pas: il est encore ici! (Mère rit) Mais c'est vraiment intéressant.
Mais qu'est-ce qu'il veut faire ici?
Oh!... il veut «aider» à la création d'Auroville. Il a déjà une société: Auroville International, et il va commencer son action – et il se promène. C'est un homme qui sait quatre ou cinq langues et il a un mental d'inventeur;6 il paraît que son invention... il y a des ingénieurs ici qui l'ont vue et qui ont dit que c'était remarquable, par conséquent... Moi, je ne peux pas en juger. C'est pour ces machines-là (Mère désigne le magnétophone), c'est une transformation des machines de réception et de reproduction. Je ne sais pas, mais les autres m'ont dit que c'était remarquable. Il aime organiser, mais il est... c'est justement: il aime l'aventure, c'est dans son tempérament (au fond, les inventions sont des aventures, et il est comme cela). Et alors, il a déjà fondé une société qui s'appelle «Auroville International», qui a des membres en Europe et son siège aux États-Unis... tout ce que l'on peut imaginer. Moi, je regarde et je m'amuse beaucoup! En apparence, il est très soumis et très dévoué, mais... Pour le moment, je n'ai pas de preuve que ce soit autre chose qu'une «apparence nécessaire». Mais il est gentil, c'est un homme de bonne volonté vraiment... mais je le vois avec un plumet sur son chapeau!
Alors on va voir.
a réagi à la lecture de ce «Grand Sens»?7
Oh! il a réagi, il «sait faire» les choses, mon petit (!) Il a dit: c'est très beau – d'un ton tout à fait convaincu! Mais... Je ne sais pas, je ne l'ai pas vu assez après, pour voir si ça avait changé son point de vue. Je crois que ça l'a fait se replier un peu sur lui-même, j'ai remarqué qu'intérieurement il a réagi. Et ce que j'ai vu, c'est que ça l'a rendu un peu prudent à mon égard!... Peut-être cela lui a-t-il donné l'impression que je pouvais voir à travers lui!8 (Mère rit)
Mais il est de ces gens qui vraiment ne sont pas bourgeois au point de vue de l'argent, c'est-à-dire qui n'ont pas beaucoup la notion de la propriété personnelle. Et alors, je me suis attrapée (c'est comme cela que je me suis attrapée!)... J'ai fait un effort, moi-même, pour arriver à ce point de vue: que l'argent est une force qui doit circuler et qui ne doit pas être une propriété personnelle; et dans la conscience, tout va bien, mais le corps a sa vieille habitude, et il a observé que cet homme est dans cet état-là: pour lui, l'argent est une force qui doit circuler, aller où elle doit aller, elle n'appartient pas à celui-ci ou celui-là – alors, il (le corps) a d'abord eu la réaction: «Ah! attention, c'est un aventurier.» (Mère rit) Je me suis attrapée, j'ai dit (riant): «Tu vois, tu prêches, et quand on fait comme tu dis!...» J'ai trouvé cela très amusant. Mais j'ai vu, il s'est enthousiasmé pour l'idée d'Auroville et ça paraît être tout à fait sincère, il a même dit que c'était ce qu'il avait cherché depuis longtemps. Alors, il y va «bon-jeu-bon-argent»... Il a été ministre en Perse; mais la Perse a eu des révolutions et il n'y est plus, il est en Amérique; mais c'est un homme qui a l'habitude de gagner de l'argent.
Là, je me suis bien attrapée, je me suis bien amusée. Je me suis dit: «Voyons, tu es tombée sur l'homme qui te comprend!» (Mère rit) C'est amusant, tu sais!
Cet Auroville va être une expérience très intéressante.
À première vue, Auroville n'est pas fait de gens encombrés par la morale!
Oh! non... Ah! nous avons beaucoup de petits Auroviliens, beaucoup, mais tu sais, il y en a là-dedans qui sont absolument remarquables au point de vue de la conscience; ils sont grands comme une botte, mon petit, ils sont conscients! C'est épatant. J'ai tenu un petit bébé tamoul dans mes mains, il y a quelques jours, il était grand comme cela, comme une poupée (formé délicieusement, des petits pieds exquis), et alors, cet enfant, j'ai voulu faire l'expérience: je l'ai pris sur mes genoux et puis j'ai mis la Force – si tu avais vu la transformation de son expression! Il n'a pas encore les yeux ouverts, et c'était comme une paix béatifique qui est venue sur lui. Je me suis dit: «Voyons s'il dort ou s'il est conscient?» Alors j'ai touché son pied – il a sauté, c'est-à-dire qu'il ne dormait pas du tout. Admirable! une expression admirable... J'en connais un autre qui n'a pas encore deux ans, mais mon petit, il a une façon de voir et d'agir d'un enfant de cinq ans! Alors, tout de même, il se passe quelque chose. Et la dernière expérience, c'est une femme (elle est venue avec la «caravane»), elle a eu en France un premier enfant: elle a souffert pendant trente-cinq heures pour l'avoir. Elle en a eu un ici (avant-hier, je crois): une heure sans souffrir. Et une heure après, quand c'était fini, elle était debout! Alors elle a dit: «Ça, c'est Mère, parce que moi, je ne sais pas comment ça se fait!»
Il se passe quelque chose.
(Mère entre dans une longue contemplation pendant laquelle le disciple sent comme une force créatrice très puissante.)
Je pense souvent à une autre création qui servirait un peu ce monde nouveau.
Quoi?
Je ne sais pas justement... L'aspiration à faire descendre quelque chose – par écrit puisque je n'ai rien d'autre – qui aiderait ce monde nouveau.
Oui, ce serait bien.
Mais quoi? Je ne sais pas.
Oh! si tu pouvais cristalliser... (comment dire?) l'intermédiaire; cristalliser le prochain pas, pour donner à ces gens quelque chose qu'ils puissent voir, qu'ils puissent... Ils sont dans une... une grande confusion.
Cette chose que tu as écrite (Le Grand Sens), c'est déjà très bien, mais il faudrait encore quelque chose d'autre. Ça va venir9 si tu...
Mais je ne sais pas sous quelle forme!
Ah?
On peut dire les choses d'une façon psychologique, comme dans «L'Aventure de la Conscience» (psychologique et raisonnée), et puis on peut les dire d'une façon plus poétique, c'est-à-dire sous une forme de roman, ou sous une forme de théâtre ou sous une forme de poème – je ne sais pas.
Poème? Tu n'as jamais écrit de poèmes?
Non, jamais!... Je ne sais pas quelle forme.
(Après un silence) Ça viendra, ça va venir.
Il y avait une très forte présence juste maintenant.
Sûrement, ça viendra.10
ADDENDUM
(Dernières notes de Mère sur Auroville.)
Qui a pris l'initiative de la construction d'Auroville?
Le Seigneur suprême.
Qui participe au financement d'Auroville?
Le Seigneur suprême.
Si l'on veut vivre à Auroville, qu'est-ce que cela signifie pour soi?
Essayer d'atteindre à la perfection suprême.
Doit-on être un étudiant du yoga pour pouvoir vivre à Auroville?
Toute la vie est un yoga. Ainsi on ne peut pas vivre sans pratiquer le yoga suprême.
La vie de famille continuera-t-elle à Auroville?
Si on en est encore là.
Peut-on conserver la religion à Auroville?
Si on en est encore là.
Peut-on être athée à Auroville?
Si on en est encore là.
Y aura-t-il une vie sociale à Auroville?
Si on en est encore là.
Y aura-t-il des activités communautaires obligatoires à Auroville?
Rien n'est obligatoire.
Y aura-t-il une circulation d'argent à Auroville?
Non. C'est seulement avec le dehors qu'Auroville aura des relations d'argent.
Qui sera propriétaire des terrains, des constructions?
Le Seigneur suprême.
En quelles langues l'enseignement sera-t-il donné?
Dans toutes les langues parlées sur terre.
8.10.1969
*
* *
Un jour viendra-t-il où il n'y aura plus de pauvres et plus de souffrances dans le monde?
Ceci est absolument certain pour tous ceux qui comprennent l'enseignement de Sri Aurobindo et ont foi en lui.
C'est avec l'intention de créer un endroit où il puisse en être ainsi que nous voulons fonder Auroville.
Mais pour que cette réalisation soit possible, il faut que chacun fasse effort pour se transformer lui-même, car la majorité des souffrances des êtres humains est le produit de leurs propres erreurs, physiques et morales.
8.11.1969
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Comment crois-tu qu'à Auroville il n'y aura plus de souffrance – tant que les gens qui viendront vivre à Auroville seront des hommes de ce même monde, nés avec les mêmes faiblesses et les mêmes défauts?
Je n'ai jamais pensé qu'il n'y aurait plus de souffrance à Auroville, parce que les hommes, tels qu'ils sont, aiment la souffrance et l'appellent, tout en la maudissant.
Mais on tâchera de leur enseigner à aimer vraiment la paix et à essayer de pratiquer l'égalité d'âme.
C'est de la pauvreté involontaire et de la mendicité dont je voulais parler.
La vie à Auroville sera organisée de telle sorte que cela n'existera pas – et si des mendiants viennent du dehors, ou bien ils devront partir, ou bien on les hospitalisera et leur apprendra la joie du travail.
9.11.1969
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* *
Quelle est la différence fondamentale entre l'idéal de l'Ashram et celui d'Auroville?
Il n'y a pas de différence fondamentale dans l'attitude à l'égard de l'avenir et du service du Divin.
Mais les gens de l'Ashram sont considérés comme ayant consacré leur vie au yoga (excepté, naturellement, les élèves qui ne sont ici que pour leurs études et à qui l'on ne demande pas d'avoir fait leur choix dans la vie).
Tandis qu'à Auroville, la seule bonne volonté de faire une expérience collective pour le progrès de l'humanité suffit pour être admis.
10.11.1969
This text will be replaced |
1 Indira Gandhi vient d'être «exclue» du Congrès par le groupe de politiciens qui s'opposait à sa nationalisation des banques.
2 L'enregistrement du début de cette conversation n'a pas été conservé.
3 L'enregistrement du fragment suivant n'a pas été conservé.
4 L'enregistrement reprend ci-après.
5 Voir en addendum les dernières notes de Mère sur Auroville.
6 L'enregistrement du passage suivant a été omis.
7 Mère lui avait donné ce texte.
8 L'enregistrement reprend ci-après.
9 L'année suivante (c'est-à-dire neuf mois plus tard), La Genèse du Surhomme tombera sur la tête du disciple.
10 Il existe un enregistrement de cette conversation.