Mère
l'Agenda
Volume 11
Quelqu'un m'a écrit de France qu'il avait tout essayé et que rien n'avait réussi, qu'il était tout à fait désespéré et que... Alors j'ai répondu ceci:
(Mère tend une note)
C'est au moment où tout paraît perdu que tout peut être sauvé. Quand on a perdu confiance en son pouvoir personnel, il faut avoir la foi en la Grâce Divine.
C'est utile pour beaucoup de gens.
Ça a été dit je ne sais combien de fois, mais il semble toujours nécessaire de le redire.
(silence)
Alors, le vieux système de la propriété personnelle est en train de s'écrouler dans le monde. Seulement, comme d'habitude, ça s'écroule d'une façon dégoûtante... Ici, ils ont mis un espionnage sur tout le pays, un espionnage répugnant, pour les gens qui envoient de l'argent d'un endroit à un autre pour en recevoir davantage. Moi, cela m'est égal parce que je ne fais rien, seulement je sais qu'ici il y en a qui le font. Et je ne voudrais pas qu'il y ait des histoires.
On a dénoncé S parce qu'elle avait de l'argent (je ne sais pas exactement quoi, je ne comprends même pas ces histoires), en tout cas cet argent est allé à un ami en Amérique, et l'ami le lui a envoyé pour qu'elle puisse l'avoir. Et alors, on est venu lui demander des explications. Mais tout s'était passé très correctement... Enfin, je veux dire que, même à l'Ashram, ils soupçonnent.
Alors, si jamais quelqu'un te fait une confidence, tu lui diras: «Faites attention.»
C'étaient des gens qui étaient venus trouver S en lui disant qu'ils venaient de la part de la Radio, figure-toi! (comme cela, des petites histoires ignobles, pleines de mensonge). Ils sont venus lui dire qu'ils venaient de la part de la Radio; naturellement, elle les a reçus, a répondu, puis ils ont posé des questions: «Avez-vous reçu de l'argent et de qui et comment?...» Alors elle a répondu la vérité, c'était tout à fait normal. Puis elle m'a écrit. J'ai passé la lettre à C en lui disant: «Qu'est-ce que c'est que cette histoire?» Il m'a dit que plusieurs ici ont été ennuyés comme cela... Et ils ont un système d'espionnage partout pour attraper les gens qui le font.
Je n'y comprends rien, d'ailleurs. Quel mal peut-il y avoir à recevoir de l'argent d'ici au lieu de le recevoir de là, je ne sais pas! Quelle faute cela peut être, je n'y comprends rien.
C'est plus le plaisir de filouter qu'autre chose – une roupie de plus ou deux roupies de plus, qu'est-ce que c'est? Ce n'est rien. On excite les gens – en leur disant «C'est défendu», immédiatement ils ont envie de le faire.
Mais dans la Constitution de l'Inde, il y avait un article spécifiant que la propriété personnelle ne pouvait d'aucune façon être retirée, c'est-à-dire que l'on affirmait le droit de la propriété personnelle. Ils vont l'enlever, ils vont dire qu'il y a «des cas» où ça peut être retiré. Alors tu comprends...
C'est évident, je le sais: c'est passé, ça s'en va – la propriété personnelle, c'est le passé. Seulement... N'est-ce pas, les Russes avaient dit que c'était l'État qui remplaçait la personne, et alors (riant), avec l'État qu'est-ce qui est arrivé? – C'est l'État qui s'est enrichi aux dépens de tout le monde. Et maintenant, ils sont en train de faire machine arrière. Mais les autres pays, sans avoir le bon sens de profiter de l'expérience, veulent suivre la même bêtise...
Mais personne encore n'a osé dire: l'argent est une force et elle n'appartient à personne, mais elle doit être utilisée par la personne la plus désintéressée et la plus clairvoyante du pays (la ou les personnes).
On n'en est pas encore là.
Il s'en faut!
Ça prendra quelques centaines d'années – peut-être pas tant que cela.
(silence)
C'est très simple, on n'ose pas vous dire: «Vous n'avez plus d'argent, ce n'est pas à vous», mais on vous empêche de le dépenser comme vous le voulez, où vous voulez – vous n'avez plus le droit. Vous n'avez plus le droit d'en faire ce que vous voulez; on ne vous le prend pas, mais vous ne pouvez pas l'utiliser. Alors, à quoi ça sert?
(silence)
Mais il y a une satisfaction extraordinaire, vraiment formidable, à pouvoir dire: «Moi, je n'ai rien – rien.» (Mère rit)... Il y avait quelqu'un (Sri Aurobindo était encore là) qui s'était plaint du «luxe» dans lequel je vivais, et alors Sri Aurobindo a répondu: «La Mère ne considère pas que les robes qu'elle met soient sa propriété personnelle, mais on les lui prête pour que nous ayons une Mère agréable à voir (!) et si elle quittait son poste, elle quitterait ses robes aussi!» (Mère rit beaucoup)
Je t'assure que la vie est drôle!1
(long silence)
Tu as des nouvelles de ton livre?2
Non, douce Mère.
Cette personne qui devait s'en occuper, elle n'a pas de nouvelles?
Non, pas de nouvelles... Je ne sais pas très bien quelle attitude avoir vis-à-vis de ce livre... Non pas que je me tourmente mais... j'y pense. Je me demande si c'est conduit?
Tu sais, mon petit, de PLUS EN PLUS et d'une façon ABSOLUE, je VOIS – n'est-ce pas, je vois, je sens: tout est décidé.
Tout est décidé.
Et chaque chose a une raison d'être – qui nous échappe parce que notre vision n'est pas assez large.
Et tu comprends, la vie, l'existence, enfin le monde n'aurait aucun sens s'il en était autrement.
Oui.
C'est... c'est une sorte de conviction absolue. Et je le VOIS, n'est-ce pas, c'est une chose que je vois. Comment dire?... Je suis en train de la payer, cette conviction! Le corps, dans son transfert d'autorité (ce que j'appelle le transfert), a des moments difficiles, vraiment des moments difficiles, et alors, vu avec la vision ordinaire, ça n'aurait aucun sens parce que les difficultés semblent augmenter avec ce que l'on pourrait appeler la «conversion», mais... pour la vraie vision (quand on est DANS la vraie vision), c'est le restant du Mensonge qui est la cause de tous les désagréments (ce qui est encore mélangé). Et même tout à fait matériellement (moralement, c'est conquis depuis longtemps: avec la disparition des désirs, tous les tourments disparaissent, sont remplacés par un sourire perpétuel et tout à fait sincère – pas voulu, pas avec un effort –, naturel et spontané), mais ce que je veux dire, c'est physiquement, matériellement: malaises et difficultés et tout cela. C'est la même chose. C'est la même chose, seulement... on est moins prêt, n'est-ce pas; la matière est plus lente à se transformer, alors il y a plus de résistance.
Et la seule solution, à chaque minute et dans tous les cas, c'est... (geste d'abandon): «Ce que Tu veux.» C'est-à-dire l'abolition de la préférence et du désir. Même la préférence pour ne pas souffrir.
Mais ce que l'on a du mal à comprendre, c'est que cette Conscience... on comprend bien qu'elle dirige tout dans l'immensité et dans l'éternité, mais est-ce qu'elle dirige tout dans le tout petit détail, c'est cela qui est...?
Dans le microscopique.
Dans le microscopique.
Et c'est justement ce que je voyais, je comprends pourquoi. Le problème était là, ce matin: la conscience individuelle, même très vaste, n'arrive pas à réaliser, c'est-à-dire à comprendre concrètement la possibilité d'être conscient de tout en même temps. Parce qu'elle n'est pas comme cela. Et alors, elle a de la difficulté justement à comprendre que la Conscience est consciente de tout en même temps: dans l'ensemble, dans la totalité et dans le moindre détail. Ça...
Oui, c'est difficile... Mais c'est réconfortant!
Ah! ça vous rend très tranquille, très tranquille... Et je t'ai dit l'autre jour que le corps avait eu cette expérience de mourir sans mourir, et alors l'expérience a servi au corps à dire: «Bien... c'est bien.» Accepter sans... (comment dire?) sans effort: adhérer. Et alors c'est fini. Toute la vieille illusion de disparaître avec la dissolution du corps, il y a longtemps qu'elle n'est plus là, n'est-ce pas, et maintenant, le corps lui-même est tout à fait convaincu que même s'il était répandu comme cela, ça élargirait son champ de conscience... Je ne sais même pas comment expliquer parce que ce sens du personnel et de la nécessité du personnel pour la conscience a disparu.
Et je vois bien, le corps se rend bien compte que ce n'est que par sa résistance – sa résistance à la Vérité – qu'il peut souffrir. Partout où il y a une adhésion complète, la souffrance disparaît immédiatement.
(silence)
Mais c'est la même chose pour les pays et les États: c'est le même changement d'autorité. Au lieu des autorités personnelles, cela va être une autorité divine, et le même changement d'autorité fait l'innommable chaos dans lequel on vit – à cause de la résistance.
(long silence)
Plus une partie de l'être (quelle qu'elle soit) s'approche du moment de la transition, c'est-à-dire plus elle est prête à cette transition, plus sa sensibilité croît. Et alors, au moment où l'on peut dépasser le stade des problèmes et voir de la vision universelle, les problèmes prennent, pour la sensibilité personnelle, une acuité tout à fait aiguë. Ça, je l'avais remarqué avant; maintenant, ça se reproduit pour le corps. Il prend une sensibilité... terrifiante, n'est-ce pas. Les gens qui ne savent pas pourquoi c'est comme cela sont vraiment terrifiés... La possibilité du malaise, de... Et c'est la même chose pour les problèmes. Seulement, pour ceux qui SAVENT et qui ont compris, c'est l'occasion de faire le dernier progrès, de faire comme cela: (Mère ouvre les mains vers le haut).
Au fond, ce qui a encore l'illusion d'être quelque chose de séparé doit se dissoudre. Ça doit se dire: «Ça ne me regarde pas, je n'existe pas.» C'est la meilleure attitude que ça puisse prendre. Alors... ça rentre dans le Grand Rythme universel.3
(méditation)
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1 L'enregistrement du début de cette conversation n'a pas été conservé.
2 Le Sannyasin, depuis un an à Paris. II est curieux de noter que la veille, le disciple avait écrit un mot à Mère en lui demandant: «Est-ce que le destin du Sannyasin est conduit par Sri Aurobindo?...» Mais il n'avait pas envoyé cette lettre à Mère; simplement, il l'avait emmenée avec lui dans son dossier, sans en dire un mot.
3 Il existe un enregistrement de cette deuxième partie de la conversation.