SITE DE SRI AUROBINDO ET LA MÈRE
      
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Mère

l'Agenda

Volume 12

17 novembre 1971

J’avais des choses à te dire, mais... je ne me souviens plus.

Des choses de ton expérience?

Oui, comme cela.

C’est très étrange, toute la vision des choses a changé... Mais il y avait des expériences très significatives, un changement... Je me souviens que quand j’ai constaté cela, j’ai pensé: «Tiens, ce serait intéressant que Satprem sache.» Et puis, oublié.

Si totalement changé...

(long silence)

Je ne sais pas si tu as su cela. Il y a une disciple d’Allemagne qui, un jour, a vu un mendiant aveugle dans la rue, assis (tu sais qu’ils mettent une pancarte sur la poitrine), et il y avait sur la pancarte, en allemand, «l’ordre de Sri Aurobindo». L’«ordre», comment dit-on? Pas «commandement», non: le groupe.

L’association?1

Oui, c’est cela – l’ordre de Sri Aurobindo. Alors, la personne lui a demandé: «Mais il n’y a pas de mendiants dans l’ordre de Sri Aurobindo!» Et il a répondu: «Oh! Mère sait très bien!...» (tout cela en allemand naturellement).

C’est curieux.

Il y a des choses comme cela: des gens au Canada, en Amérique, en Allemagne, qui semblent recevoir des communications, des indications. Et très précises.

Sur les événements, ou quoi?

Oui, ou pour leur vie. Cela dépend. Ici [en Inde], à propos des événements.

(long silence)

Mais dans ce changement de vision radical dont tu parles, qu’est-ce qui fait la différence?

(après un long silence souriant)

C’est comme si la conscience n’était pas dans la même position vis-à-vis des choses – je ne sais pas comment dire. Alors elles apparaissent tout à fait différentes.

(silence)

Je ne sais pas comment expliquer... La conscience humaine ordinaire, même si on a les idées les plus larges et tout cela, est toujours au centre, et les choses sont comme cela (geste convergent de tous les côtés vers ce centre), tu comprends. Les choses existent (tout ce qu’on dit, rapetisse), elles existent par rapport à un centre. Tandis que... (Mère égrène une multitude de points à travers l’espace).

Oui, c’est ce qui exprime le mieux, je crois: dans la conscience humaine ordinaire, on est dans un point et toutes les choses existent dans leur relation avec ce point de conscience (même geste en étoile). Et maintenant, le point n’existe plus, alors les choses existent en elles-mêmes. Ce [le point] n’est pas la source.

C’est ce qui est le plus exact (ce n’est pas cela, mais...).

N’est-ce pas, ma conscience est dans les choses – elle n’est pas «quelque chose qui reçoit» (c’est beaucoup mieux que cela mais je ne sais pas comment dire).

C’est mieux que cela parce que ce n’est pas seulement «dans les choses»: c’est dans «quelque chose» qui est dans les choses et qui... les fait mouvoir.

Je pourrais faire une phrase; je pourrais dire (mais ce n’est pas cela): ce n’est plus un être parmi les autres, c’est... c’est le Divin en toutes choses. Mais ce n’est pas comme cela que je le sens. Ce qui fait mouvoir les choses, ou ce qui est conscient dans les choses. «Ce qui est conscient»... Ce n’est pas positivement «gouverne» parce que le mot gouverne ne donne pas le vrai sens – «anime» (ce n’est pas cela non plus, tout cela rapetisse et ça matérialise).

(silence)

C’est évidemment une question de conscience, mais pas une conscience comme les êtres humains l’ont ordinairement: c’est la qualité de la conscience qui a changé.

Il y a un phénomène, par exemple (parmi beaucoup d’autres), un phénomène curieux: quand je suis comme cela, la conscience dans les choses, dans les mouvements, dans la vie, et que je prends mon déjeuner, alors la nourriture est... il n’y a pas d’effort... (Mère reste silencieuse) C’est trop difficile à dire... Je n’ai pas l’impression que «je» mange, n’est-ce pas, et alors il n’y a pas la conscience de mettre les choses dans la bouche et d’avoir à les avaler et...

Oui, je comprends.

Je ne peux pas dire, mais le fait est comme cela: quand c’est dans la nouvelle conscience, je mange très facilement et sans m’en apercevoir et tout se passe très bien; dès que je deviens consciente de la vieille conscience, qui est de manger, de goûter de la nourriture, de la mettre dans la bouche – c’est difficile! J’ai toutes les peines du monde à ne pas avaler de travers.

C’est vraiment quelque chose de nouveau parce que je ne sais pas comment en parler.

Mais là, c’est extrêmement concret: quand je suis dans cette conscience-là, tout mon déjeuner est pris sans effort, sans difficulté; on me sert, j’avale et je ne m’en aperçois... – ce n’est pas que je ne m’en aperçoive pas (j’ai le goût, j’ai tout), mais la position est différente.

Oui, à ce moment-là, ça fait partie du mouvement universel.

Non, c’est quelque chose qui est à la fois en moi et dans la nourriture, qui goûte et qui prend, mais ce n’est plus... – ce n’est plus comme c’était avant, c’est tout ce que je peux dire.

C’est vraiment nouveau.

Et c’est très marqué pour la nourriture, parce que quand je suis dans cette conscience-là – qui vient dès que je ne fais plus rien, dès que je suis assise tranquille –, ce n’est pas comme quelque chose qui «entre» (geste vers un centre), c’est comme quelque chose (geste en expansion)... qui se développe, qui est libre de se développer. Et alors – alors c’est très bien. Mais si je suis dans la conscience ordinaire et que je mange (c’est «l’heure» d’un repas), oh! c’est tellement difficile que j’ai l’impression qu’il va être impossible de manger. Et dans l’autre cas, ça passe sans même que je m’en aperçoive. Et pourtant, je suis consciente de ce que je mange.

Mais ce que je dis maintenant, ce n’est pas cela, c’est autre chose... Tu comprends, la conscience est encore comme cela (geste oscillant d’un côté à l’autre). Il y a les deux. Alors... Et puis je ne trouve plus le moyen de me faire comprendre, parce qu’il faudrait inventer d’autres mots.

Ça, ça augmente de jour en jour.

C’est comme la nuit: je ne dors pas et je ne suis pas réveillée; j’entre dans un état où je ne dors pas du tout – et je ne suis pas réveillée. Et je ne sais pas comment décrire ce que c’est. Et quand c’est normal, ça pourrait... ça peut durer indéfiniment, il n’y a pas de sens du temps ni de la fatigue ni de la durée; quand la vieille conscience revient, c’est presque une souffrance intolérable: j’étouffe ou je ne peux pas respirer, ou il fait froid ou il fait chaud, toutes sortes de choses... qui sont comme exaspérées par une conscience qui ne devrait plus être là. Mais alors, tout naturellement et sans effort, je suis dans le nouvel état, mais si, par les circonstances, je suis tirée dans la vieille conscience, c’est devenu presque intolérable. Voilà. Et ça se traduit par des douleurs dans le corps, des... un mauvais fonctionnement. Et quand j’entre dans la nouvelle conscience, tout se passe tout à fait... sans même que je m’en aperçoive et sans un effort.

C’est tout ce que je peux dire pour le moment.

N’est-ce pas, mon corps est plein de douleurs, de mauvais fonctionnements, et puis dès que j’entre dans cet état-là (geste vaste, paisible), tout est fait – le temps n’existe plus. Le temps est interminable dans la vieille conscience, et il n’existe plus dans celle-ci. Je ne sais pas comment décrire.

(silence)

Si je faisais des phrases, je dirais: cette vieille conscience, c’est comme si... c’est la mort, c’est comme si on allait mourir à chaque minute: on souffre, on... c’est la conscience qui mène à la mort. Et l’autre (geste vaste, immuable, souriant), c’est la vie... la vie paisible, la vie éternelle. Ça, oui.

Mais tu comprends, ce n’est pas cela, ce sont des phrases.

(Mère entre en contemplation)

Je ne peux pas exprimer.

Ce n’est pas nécessaire.2

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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1 Mère voulait bien dire «ordre», comme un ordre monastique.

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2 Longue méditation qui était comme un bain de puissance concentrée, dense, comme si l’on était dans une «coulée solide». On dirait que cela devient chaque fois plus formidablement dense – mais peut-être est-ce une impression subjective? Nous ne pouvons pas nous empêcher de noter aussi un phénomène que nous avons remarqué bien souvent: chaque fois que Mère sort de sa contemplation, elle a comme un moment d’asphyxie et n’arrive plus à retrouver sa respiration, comme si vraiment elle sortait d’un autre air. (Il existe un enregistrement de cette conversation.)

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