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Mère

Entretiens

 

Le 13 juillet 1955

L'enregistrement   

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Cet Entretien est basé sur le chapitre II de Lumières sur le Yoga, «Plans et parties de l’être».

Alors!

Douce Mère, qu’est-ce que c’est, l’esprit cosmique et la nature cosmique?

Universel — cosmique, c’est le synonyme d’universel.

Mais qu’est-ce que ça veut dire, l’esprit cosmique?

L’esprit cosmique? C’est l’esprit cosmique; c’est l’esprit universel, c’est l’esprit qui est dans tout l’univers. Il y a un univers. Tu sais ce que c’est que l’univers! Eh bien, cet univers a un esprit, et cet esprit est l’esprit cosmique; cet univers a une conscience, et sa conscience, c’est la conscience cosmique, universelle.

On peut très bien concevoir que l’univers n’est qu’une entité dans quelque chose qui est encore plus vaste, comme l’individu n’est qu’une entité dans une totalité beaucoup plus vaste. Alors chaque unité a sa conscience et son esprit propre qui contient tous les autres, comme une conscience de groupe est faite de toutes les consciences individuelles qui la constituent, comme une conscience nationale est faite de toutes les consciences des individus qui la constituent, et quelque chose de plus. L’individu est seulement un élément dans le tout. C’est comme la terre qui fait partie du système solaire, et le système solaire qui fait partie de tous les systèmes de l’univers. Alors de même qu’il y a une conscience individuelle, il y a une conscience de groupe, il y a une conscience de système, une conscience d’univers qui est faite de l’ensemble de toutes les consciences qui le composent, plus «something», quelque chose — quelque chose de plus subtil. Comme toi, tu as des quantités de cellules dans ton corps, chaque cellule a sa conscience propre, et toi tu as une conscience qui est la conscience de ton individu total, pourtant fait de toutes ces petites consciences cellulaires.

Mère, ici, il est écrit: «... un mur d’ignorance s’interpose qui sépare la conscience de l’individu et la conscience cosmique.» Alors comment abattre ce mur?

Perdre l’ignorance, entrer dans la connaissance.

D’abord il faut savoir ce que je viens de te dire, qu’on fait partie du tout, que ce tout fait partie d’un plus grand tout, et que ce plus grand tout fait partie encore d’un plus grand tout, jusqu’à ce que ça ne forme qu’une seule totalité. Une fois que tu sais ça, tu commences à te rendre compte qu’au fond il ne doit pas y avoir de séparation entre toi et quelque chose qui est plus grand que toi, dont tu es la partie. Ça, c’est le commencement. Alors il faut arriver non seulement à penser cela, mais à le sentir et même à le vivre, et alors le mur d’ignorance tombe: on sent cette unité partout et on réalise qu’on est seulement une partie plus ou moins fragmentaire d’un ensemble beaucoup plus vaste que soi, qui est l’univers. Alors on commence à avoir une conscience plus universelle.

(silence)

C’est tout?

Douce Mère, qu’est-ce que cela veut dire, être possédé par le Divin?

Tu ne sais pas? Qu’est-ce que tu crois, que c’est toi qui possèdes le Divin ou que c’est le Divin qui te possède?

Qu’est-ce que ça veut dire?

Cela veut dire que le Divin entre en toi et te gouverne, devient le maître de ta conscience et de tes mouvements. Ça, ça s’appelle être possédé par le Divin.

Douce Mère, c’est la séparation de Sat, Chit et Ânanda qui a apporté l’ignorance, la douleur. Alors...

Pourquoi ils se sont séparés? (rires)

Probablement ils n’avaient pas de notions morales! (rires)

(long silence)

Il est probable que s’ils ne s’étaient pas séparés, il n’y aurait pas eu d’univers comme nous l’avons. Ce devait être une nécessité. Mais ce que tu demandes, c’est comment on n’avait pas prévu que ça arriverait comme ça? Peut-être qu’on avait prévu. Ç’aurait pu bien tourner, ça a mal tourné. Voilà! Il y a des accidents.

Tu sais, tant que tu voudras appliquer tes notions mentales, morales, à la création de l’univers, tu n’y comprendras jamais rien, jamais. Parce que cela dépasse de toutes parts et de toutes manières ces conceptions-là — conceptions du bien et du mal, et toutes ces choses. Toutes les conceptions mentales, morales ne peuvent pas expliquer l’univers. Et pour cette partie de nousmêmes qui vit justement dans une totale ignorance, tout ce que l’on peut dire, c’est: «Les choses sont comme ça parce qu’elles sont comme ça»; on ne peut pas les expliquer, parce que les explications qu’on donne sont des explications d’ignorance et n’expliquent rien du tout.

Le mental explique une chose par une autre, cette autre qui a besoin d’être expliquée est expliquée par une autre, et cette autre qui a besoin d’être expliquée est expliquée par une autre, et si tu continues comme ça, tu peux faire tout le tour de l’univers et revenir au point de départ sans avoir rien expliqué du tout! (rires) Alors il faut percer un trou, monter en l’air et voir les choses d’une autre manière. Alors là on peut commencer à comprendre.

Comment faire?

Comment faire? (rires)

L’aspiration est comme une flèche, comme ça (geste). Alors tu aspires, tu veux très fortement comprendre, savoir, entrer dans la vérité, hein? Et alors avec cette aspiration tu fais comme cela: ton aspiration monte, monte, monte, monte, monte, monte tout droit, très fort, et puis ça bat contre une espèce de... comment dire... de casque qui est là, qui est dur comme du fer et extrêmement épais, et ça ne passe pas. Et alors tu dis: «Voilà, à quoi ça sert d’aspirer? Ça ne donne rien du tout. Je rencontre quelque chose de dur, et ça ne peut pas passer!» Mais tu sais, la goutte d’eau qui tombe sur le rocher, elle finit par faire un précipice: ça coupe le rocher du haut en bas. Ton aspiration, c’est une goutte d’eau qui, au lieu de tomber, monte. Alors à force de monter, elle bat, elle bat, elle bat, et un jour ça fait un trou, à force de monter; et quand ça fait le trou, tout d’un coup ça jaillit en dehors de ce casque et ça entre dans une immensité de lumière, et tu dis: «Ah! maintenant je comprends.»

C’est comme ça. Alors il faut être très persistant, très obstiné et avoir une aspiration qui monte tout droit, c’est-à-dire qui ne va pas vagabonder ici et là, cherchant toutes sortes de choses. Seulement ça: comprendre, comprendre, comprendre, savoir, connaître, être.

Quand on arrive tout en haut, alors il n’y a plus à comprendre, il n’y a plus à savoir, on est, et c’est quand on est qu’on comprend et qu’on sait.

Mère, quand on comprend, qu’est-ce qu’il y a en nous qui comprend?

C’est le semblable qui comprend le semblable. Alors c’est seulement parce que tu portes en toi la chose, que tu la découvres. Parce que tu comprends bien que mon histoire, c’est une image, n’est-ce pas, que tout ça c’est une image; cela correspond bien à quelque chose, mais c’est tout de même une image, parce qu’on peut trouver aussi bien au-dedans qu’en haut, n’est-ce pas. Ça, c’est seulement parce que nous avons des notions physiques des différents plans matériels, des dimensions matérielles; parce que quand on comprend, c’est dans un autre ordre de dimensions, tout à fait; alors cet autre ordre de dimensions ne correspond pas à l’espace.

Mais tu ne peux comprendre et être quelque chose que parce que c’est en toi d’une façon quelconque, ou tu es en cela — c’est la même chose, n’est-ce pas; mais enfin, pour que tu comprennes plus facilement, je peux dire: «parce que c’est en toi, parce que cela fait partie de ta conscience, quelque part»; autrement tu ne pourrais jamais en prendre conscience. Si l’on ne portait pas le Divin en soi, dans l’essence de son être, jamais on ne pourrait prendre conscience du Divin; ce serait une entreprise impossible. Et alors si tu renverses le problème, de la minute où tu conçois et tu sens d’une façon quelconque, ou même, pour commencer, tu admets que le Divin est en toi, aussi bien que toi tu es dans le Divin, déjà cela ouvre la porte à la réalisation, un tout petit peu, pas beaucoup — entrebâillée. Alors si, après, vient cette aspiration, cet intense besoin de savoir et d’être, alors l’intense besoin augmente l’entrebâillement jusqu’à ce qu’on puisse se faufiler. Et quand on s’est faufilé, on prend conscience de ce que l’on est. C’est justement ce que dit Sri Aurobindo: c’est qu’on a oublié, c’est que, par ce fait de séparation de Sat, Chit, Ânanda, vient l’oubli, l’oubli de ce que l’on est; on se croit, n’est-ce pas, n’importe qui, un garçon, une fille, un homme, une femme, un chien, un cheval, n’importe quoi, une pierre, la mer, le soleil, on se pense tout ça, au lieu de se penser l’Un Divin — parce qu’en fait, si on avait continué à se penser l’Un Divin, il n’y aurait pas d’univers du tout.

C’était ce que je voulais lui dire [à l’enfant], que ce phénomène de séparation semble être indispensable pour qu’il y ait eu un univers, autrement ce serait toujours resté comme c’était. Mais si nous rétablissons, après avoir passé par cette courbe, n’est-ce pas, si nous rétablissons l’unité en ayant bénéficié de la multiplicité, de la division, alors on a une unité de qualité supérieure, une unité qui se connaît elle-même au lieu d’être l’unité qui n’a pas à se connaître elle-même parce qu’il n’y a rien qui puisse connaître l’autre. Quand l’Unité est absolue, qui est-ce qui peut connaître l’Unité? Il faut tout de même pouvoir avoir un semblant, une apparence de quelque chose qui ne l’est pas pour comprendre ce que cela est.

Je crois que c’est le secret de l’univers. Peut-être que le Divin voulait vraiment se connaître Lui-même, alors Il s’est jeté au-dehors et puis Il s’est regardé, et maintenant Il veut jouir de cette possibilité d’être Lui-même avec la pleine connaissance de Lui-même. Cela devient beaucoup plus intéressant.

Voilà. Autre question?

Douce Mère, la dernière fois, tu parlais de l’imagination, n’est-ce pas?

Oui.

Alors, est-ce que par l’imagination on peut réaliser des désirs ou des aspirations?

Ça veut dire? Qu’est-ce que tu veux dire au juste? S’imaginer que le désir est réalisé et, comme ça, aider à sa réalisation?

Oui.

Très certainement, très certainement.

Et les idéaux aussi?

Oui, mais généralement, d’une façon presque, oui, totale, ce qui n’est pas à la disposition des gens, c’est le temps que cela prend. Mais si, par exemple, tu as une très forte imagination et que tu bâtisses la réalisation de ton désir, que tu la bâtisses bien avec tous les détails, et tout, et comme une formation admirablement faite qui existe en soi, n’est-ce pas, totalement, eh bien, tu peux être sûre que si tu vis assez longtemps la chose se réalisera. Ça peut se réaliser demain, ça peut se réaliser la minute suivante, ça peut prendre des années, ça peut prendre des siècles. Mais c’est sûr que ça se réalisera. Et alors, si à ce pouvoir imaginatif on ajoute une espèce de puissance vitale créatrice, alors on en fait une force tout à fait vivante; et comme toutes les forces vivantes tendent vers la manifestation, cela mettra une pression sur les événements terrestres pour pouvoir se réaliser plus tôt, et ça se réalise.

Seulement, comme j’ai dit, il y a deux choses. D’abord, pour ce qui est des désirs, des circonstances personnelles, on n’est pas très persistant, ni très stable, et au bout d’un certain temps quelque chose qui vous intéressait très fortement ne vous intéresse plus. On pense à autre chose, on a un autre désir, et on fait une autre formation. Et alors la première chose que l’on a imaginée, est très bien formée; après avoir suivi sa courbe dans l’espace, elle se réalise. Mais alors la personne a commencé une autre construction, parce que pour une raison quelconque la chose ne l’intéresse plus, elle se trouve en présence de la réalisation de son premier désir, tandis qu’elle est déjà embarquée dans le deuxième, le troisième, ou le quatrième; elle est absolument vexée: «Mais moi, je ne veux plus de ça, pourquoi est-ce que ça vient?», sans se rendre compte que c’est tout simplement le résultat d’une action précédente. Mais si au lieu d’être des désirs ce sont des aspirations pour des choses spirituelles et qu’on continue sa ligne avec une progression régulière, alors on est absolument sûr d’obtenir un jour ce que l’on a imaginé. Ça peut être un jour un peu distant, s’il y a beaucoup d’obstacles sur le chemin; par exemple si la formation que vous avez faite est encore très étrangère à l’état de l’atmosphère terrestre, eh bien, cela prend un peu de temps pour préparer les conditions de son avènement. Mais si c’est quelque chose qui a déjà été réalisé plusieurs fois sur la terre et qui ne représente pas une transformation trop catégorique, on peut l’avoir assez vite, pourvu qu’on suive la même ligne avec persistance. Et si on ajoute à cela l’ardeur d’une foi et d’une confiance dans la Grâce divine et cette espèce de don de soi à la Grâce qui fait qu’on attend tout d’Elle, alors ça peut devenir formidable; on peut voir se réaliser les choses de plus en plus, et les plus étonnantes peuvent se réaliser l’une après l’autre. Mais là, il y a des conditions à remplir.

Il faut avoir une grande pureté et une grande intensité dans ce don de soi, et cette confiance absolue en la sagesse suprême de la Grâce divine qu’elle sait mieux que nous ce qui est bon pour nous, et tout ça. Alors si on lui fait l’offrande de son aspiration, vraiment qu’on la lui donne avec suffisamment d’intensité, les résultats sont merveilleux. Mais il faut savoir les voir, parce que la plupart des gens, quand les choses se réalisent, ils trouvent cela tout à fait naturel, ils ne voient même pas pourquoi et comment c’est arrivé, et ils se disent: «Oui, naturellement ça devait être comme ça.» Alors ils perdent la joie de... la joie de la gratitude, parce que, en dernière analyse, si on peut être rempli de gratitude et de reconnaissance pour la Grâce divine, ça, ça met la dernière touche, et à chaque pas on arrive à voir que les choses sont exactement ce qu’elle devaient être et les meilleures qui puissent être.

Voilà.

Et alors Sat-Chit-Ânanda commence à se rassembler, à reformer son unité.

Voilà, mes enfants. C’est tout?

Fini.