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Mère

Entretiens

 

Le 6 juillet 1955

L'enregistrement   

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Cet Entretien est basé sur le chapitre II de Lumières sur le Yoga, «Plans et parties de l’être».

Douce Mère, ici, il est écrit: «Enfin l’âme ou être psychique se retire dans le monde psychique pour s’y reposer jusqu’à l’approche d’une nouvelle naissance.» Alors, Mère, qu’est-ce qui arrive à l’être central après?

Cela dépend absolument des cas. Nous avons dit que l’être central et l’être psychique c’est la même chose, mais la partie qui est et qui reste dans le Divin, est et reste dans le Divin. Le psychique est la délégation de ce Divin dans la vie terrestre, pour la croissance terrestre. Mais la partie de l’être central qui est identifiée au Divin reste identifiée au Divin, ne bouge pas. Même pendant la vie il est identifié au Divin, et après la mort il reste ce qu’il était pendant la vie, pour lui cela ne fait aucune différence. C’est l’être psychique qui a des alternances d’expérience et d’assimilation, d’expérience et d’assimilation. Mais le Jivâtman est dans le Divin et reste dans le Divin, et il n’en bouge pas; et il n’est pas progressif. Il est dans le Divin, il est identifié au Divin, il reste identifié au Divin, mais pas séparé. Cela ne fait pas de différence pour lui, qu’il y ait un corps terrestre ou qu’il n’y en ait pas.

Alors, Douce Mère, est-ce que l’être central de tout le monde est le même?

Non, puisqu’on nous a dit que c’est identifié dans la multiplicité. C’est la vérité éternelle de chaque être. D’une façon ils sont identiques, d’une façon ils sont multiples; parce que la vérité de chaque être est une vérité individuelle, mais elle est identifiée au Divin. C’est hors de la manifestation, mais c’est l’origine de la manifestation. C’est une unité qui n’est pas une uniformité.

C’est encore la même chose que ce que j’expliquais la dernière fois; chacun est différent et pourtant chacun est identique. Si vous abordez le Divin par des angles différents, Il vous apparaît différent, parce que c’est l’angle par lequel vous L’abordez. C’est la même chose pour le Manifesté. Mais sous cet angle c’est tout le même, si je puis dire: l’unité complète du Divin que l’on atteint. C’est le point de rencontre qui est différent, mais audelà du point de rencontre c’est une totalité unique.

C’est très difficile à mettre en mots. Mais c’est une expérience qu’on peut avoir. C’est comme s’il y avait une quantité innombrable de portes ou de chemins par lesquels on puisse arriver au Divin. Alors quand on s’approche, on s’approche sous un certain angle, on entre par une certaine porte; mais dès qu’on a pénétré, on s’aperçoit que c’est une identité unique, c’est seulement le chemin qui y conduit, ou l’approche spéciale, qui est différent.

Douce Mère: «Le Jîvâtman [...] dès qu’il préside à la dynamique de la manifestation se reconnaît comme un centre d’un Divin multiple et non pas comme le Parameshwara.»

C’est justement tout ce que je viens de dire. Je ne vais pas encore recommencer.

Quoi?

Douce Mère, quand Sri Aurobindo était à Alipore1, Vivékânanda est venu pendant quinze jours et lui a expliqué quelque chose de particulier.

Quelle partie de Vivékânanda était-ce, l’être psychique ou l’âtman?

Ça peut très bien être son mental. Ça peut très bien être le mental, parce qu’il avait unifié son mental autour de son être psychique. Par conséquent, son mental pouvait persister indéfiniment. Il partage l’immortalité de l’être psychique. Ça pouvait très bien être son mental.

Mère, est-ce qu’on peut entrer en communion avec son Jîvâtman sans que l’ego soit dissous?

C’est ce que dit Sri Aurobindo. Il dit que l’ego survit à la vie physique, à la vie corporelle, c’est parfaitement exact. Il y a un ego vital et un ego mental qui peuvent persister pendant assez longtemps. Mais on peut avoir des expériences sans que l’ego soit dissous. Autrement qui est-ce qui aurait des expériences? Combien y a-t-il de gens qui ont dissous leur ego? Il ne doit pas y en avoir beaucoup, je crois.

Quand on a une expérience, c’est comme si on passait à travers son ego pour avoir son expérience, et on peut, si on persiste, finir par diminuer la dureté — l’obscurité et la dureté — de l’ego, le rendre de plus en plus plastique et perméable par la multiplication des expériences. C’est une chose que l’on sent très bien, qu’on passe au travers de quelque chose qui est comme une carapace et qui vous empêche d’avoir l’expérience; on passe au travers, on a l’expérience, et quand on revient on a encore l’impression de traverser une carapace qui vous enferme, qui vous emprisonne. Pendant longtemps c’est comme ça. Mais ceux qui sont arrivés à entrer consciemment en contact avec leur être psychique et qui gardent ce contact...

Pour passer complètement de l’autre côté de l’ego de façon qu’il n’intervienne plus, il faut assez longtemps, ça ne se fait pas du tout immédiatement. Et alors, on sent cette chose qui vue du dedans vous étouffe; et vue du dehors elle a une consistance insignifiante, mais elle empêche l’être de sentir intégralement l’intensité de l’expérience; cela fait comme une couche qui diminue l’intensité des vibrations et l’intensité de la conscience, et on sent cela. On sent cela comme quelque chose qui est très fixe et très opaque. Beaucoup de gens ont certainement des expériences, mais dont ils ne se souviennent pas; c’est parce que, quand ils passent à travers cette couche de l’ego, ils oublient tout, ils perdent tout, ils perdent le souvenir de leur expérience. Tandis que quand on a pris l’habitude, peut-être que le souvenir est atténué, qu’il n’a pas cette intensité et cette exactitude, mais il reste.

C’est tout? Plus rien?

Mère, l’autre jour tu disais que quand on pense à quelqu’un ou à quelque chose, une partie de cette pensée y va tout de suite.

Oui.

Par exemple, je pense à quelqu’un qui est à Calcutta, alors si ma pensée y va, je dois avoir la connaissance de...

La pensée n’est consciente que de la pensée dans le monde mental. Alors tu peux devenir très conscient de l’atmosphère mentale de Calcutta, de la pensée de la personne chez qui tu vas, mais rien d’autre — absolument rien à faire avec le vital et le physique.

Pour que tu sois conscient du vital il faut y aller vitalement, et c’est déjà une extériorisation qui laisse le corps au moins plus des trois quarts en transe. Et si tu veux voir les choses physiquement, il faut sortir dans ton physique subtil le plus matériel, et là, alors, tu laisses ton corps en état cataleptique. Et ce ne sont pas des choses à faire sans être avec quelqu’un qui s’y entend et peut vous garder.

Mais cette extériorisation mentale se fait constamment. Elle ne vous met en rapport qu’avec le monde mental. Peut-être que si tu es très conscient et que la personne que tu vas voir soit très consciente, et qu’à ce moment-là elle se soit formé des opinions ou des idées sur quelque chose qui se passe à Calcutta, alors tu peux devenir conscient des idées de cette personne sur ce qui se passe — d’une façon indirecte —, mais tu n’es pas conscient directement de la chose.

Mère, quand on imagine quelque chose, cela n’existe pas?

Quand tu imagines quelque chose, cela veut dire que tu fais une formation mentale qui peut être proche de la vérité ou loin de la vérité — cela dépend aussi de la qualité de ta formation. Tu fais une formation mentale et il y a des gens qui ont un pouvoir de formation tel qu’ils arrivent à faire réaliser ce qu’ils imaginent. Il n’y en a pas beaucoup, mais il y en a. Ils imaginent quelque chose et ils font une formation tellement bien faite et tellement puissante qu’elle arrive à se réaliser. Ceux-là, ce sont des créateurs; il n’y en a pas beaucoup, mais il y en a.

Si on pense à quelqu’un qui n’existe pas, ou qui est mort?

Ah! qu’est-ce que tu veux dire? Qu’est-ce que tu viens de dire? Quelqu’un qui n’existe pas ou quelqu’un qui est mort? Ce sont deux choses tout à fait différentes.

Je veux dire quelqu’un qui est mort.

Quelqu’un qui est mort.

Si cette personne est restée dans le domaine mental, tu vas la trouver immédiatement. Naturellement, si elle n’est plus dans le domaine mental, si elle est dans le domaine psychique, de penser à elle ne suffit pas. Il faut savoir aller dans le domaine psychique pour la trouver. Mais si elle est restée dans le domaine mental et que tu y penses, tu vas la trouver immédiatement; et non seulement ça, mais tu peux avoir un contact mental avec elle et une sorte de vision mentale de son existence.

Le mental a une capacité de vision qui lui est propre, et ce n’est pas la même vision qu’avec ces yeux-ci, mais c’est une vision, c’est une perception en formes. Mais ça, ce n’est pas de l’imagination. Cela n’a rien à faire avec l’imagination.

L’imagination, par exemple, c’est si l’on commençait à se représenter à soi-même un être idéal auquel on applique toutes ses conceptions, et qu’on se dise: «Tiens, il faudrait qu’il soit comme ceci, comme cela, que sa forme soit comme ça, que sa pensée soit comme ça, que son caractère soit comme ça», qu’on voie tous les détails et qu’on construise l’être. Alors les littérateurs font cela tout le temps, parce que, quand ils écrivent un roman, ils imaginent. Il y a ceux qui prennent les choses dans la vie, mais il y a ceux qui sont des imaginatifs, des créateurs; ils créent un caractère, un personnage et puis après ils le mettent dans leur livre. Ça c’est imaginer. Imaginer, par exemple, tout un concours de circonstances, un ensemble d’événements, c’est ce que moi j’appelle se raconter une histoire à soi-même. Mais on peut mettre ça sur le papier, alors on devient un romancier. Il y a des genres très différents d’écrivains. Il y a ceux qui imaginent tout, il y a ceux qui rassemblent toutes sortes d’observations dans la vie et qui construisent leur livre avec. Il y a cent façons d’écrire un livre. Mais enfin, il y en a qui imaginent depuis le commencement jusqu’à la fin. Ça sort tout de leur tête, et ils construisent toute leur histoire même sans s’appuyer sur aucune chose observée physiquement. Ça c’est vraiment de l’imagination. Mais comme je dis, s’ils sont très puissants et ont une capacité de création considérable, il se peut qu’un jour ou l’autre il y ait un être humain physique qui réalise leur création. Ça c’est vrai aussi.

Qu’est-ce que tu crois que c’est, l’imagination, hein? Tu n’as jamais imaginé quelque chose, toi?

Et qu’est-ce qui se passe?

Tout ce qu’on imagine.

Tu veux dire que tu imagines quelque chose et que cela arrive comme ça, hein? Ou est-ce dans un rêve?

Quelle est la fonction, quelle est l’utilité de l’imagination?

Si on sait s’en servir, comme j’ai dit, on peut se créer sa vie intérieure et extérieure; on peut se bâtir son existence avec son imagination, si on sait s’en servir et si on a un pouvoir. Au fond, c’est une façon élémentaire de créer, de former des choses dans le monde. J’ai toujours eu l’impression que si on n’avait pas la capacité d’imagination, on ne ferait pas de progrès. Votre imagination va toujours en avant de votre vie. Quand vous pensez à vous-même, généralement vous imaginez ce que vous voulez être, n’est-ce pas, et ça va en avant, puis on suit, puis ça continue à aller en avant, et on suit. L’imagination vous ouvre le chemin de la réalisation. Les gens qui ne sont pas imaginatifs, c’est très difficile de les faire démarrer; ils voient juste ce qui est là, en face de leur nez, ils sentent juste ce qu’ils sont à un moment donné et ils ne peuvent pas avancer, parce qu’ils sont bloqués par la chose immédiate. Cela dépend beaucoup de ce que l’on appelle imagination. Mais enfin!

Les hommes de science doivent avoir de l’imagination!

Beaucoup. Autrement ils ne découvriraient jamais rien. Au fond, ce que l’on appelle imagination, c’est une capacité de se projeter hors des choses réalisées vers des choses réalisables, et puis de les tirer par la projection. On peut évidemment avoir des imaginations progressives et des imaginations régressives. Il y a des gens qui imaginent toujours toutes les catastrophes possibles, mais malheureusement ils ont aussi le pouvoir de les faire venir. C’est comme des antennes qui vont dans un monde qui n’est pas encore réalisé, qui attrapent quelque chose là et qui le tirent ici. Alors, naturellement, c’est une addition à l’atmosphère terrestre, et ce sont des choses qui tendent vers la manifestation. C’est un instrument qu’on peut discipliner, dont on peut se servir à volonté, qu’on peut diriger, orienter. C’est une des facultés que l’on peut développer en soi et rendre «serviable», c’est-à-dire l’utiliser pour des fins définies.

Douce Mère, est-ce qu’on peut imaginer le Divin et avoir le contact?

Certainement que si vous arrivez à imaginer le Divin vous avez le contact, et que vous pouvez avoir le contact avec ce que vous imaginez en tout cas. Au fond, il est absolument impossible d’imaginer quelque chose qui n’existe pas quelque part. Vous ne pouvez pas imaginer quoi que ce soit qui n’existe quelque part. Il se peut que cela n’existe pas dans le monde terrestre, il se peut que ça soit ailleurs, mais il vous est impossible d’imaginer quelque chose qui ne soit pas déjà contenu dans l’univers, en principe; autrement ça ne pourrait pas se faire.

Alors, Mère, cela veut dire que dans l’univers créé rien de nouveau n’est ajouté?

Dans l’univers créé? Si. L’univers est progressif; nous avons dit que constamment il y a des choses qui se manifestent de plus en plus. Mais pour que votre imagination puisse aller chercher pardelà la manifestation quelque chose qui sera manifesté, eh bien, cela peut se faire, en fait cela se fait... j’allais vous dire que c’est comme ça qu’il y a des êtres qui peuvent faire faire des progrès considérables dans le monde: parce qu’ils ont la capacité d’imaginer quelque chose qui n’est pas encore manifesté. Mais il n’y en a pas beaucoup. Il faut d’abord être capable de dépasser l’univers manifesté pour pouvoir imaginer quelque chose qui n’y est pas. Il y a déjà beaucoup de choses qui peuvent être imaginées.

Qu’est-ce que c’est que notre monde terrestre dans l’univers? C’est une toute petite chose. Simplement avoir la capacité d’imaginer quelque chose qui n’existe pas dans la manifestation terrestre, c’est déjà très difficile, très difficile. Depuis combien de milliards d’années existe-t-elle, cette petite terre? Et il n’y a pas eu deux choses semblables. Ça fait beaucoup. Il est très difficile de sortir avec son mental de l’atmosphère terrestre; on peut, mais c’est très difficile. Et alors si, après, on veut sortir non pas seulement de l’atmosphère terrestre, mais de la vie universelle!...

Être capable simplement d’entrer en contact avec la vie de la terre dans la totalité, depuis la formation terrestre jusqu’à maintenant, qu’est-ce que ça peut représenter? Et puis alors, d’aller au-delà de ça et d’entrer en contact avec la vie universelle depuis ses débuts jusqu’à maintenant... et puis alors, pour pouvoir amener quelque chose de nouveau dans l’univers, il faut aller encore au-delà.

Pas facile!

C’est tout? (À l’enfant) Convaincu?

 

1 Arrêté le 1er mai 1908, Sri Aurobindo fut détenu à la prison d’Alipore pendant un an, durée de son procès pour sédition: le gouvernement anglais en Inde, se fondant sur ses articles et le compte rendu de ses discours, le tenait en effet pour le responsable du mouvement révolutionnaire et des attentats qui se multipliaient à l’époque.

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