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Mère

Entretiens

 

Le 21 septembre 1955

L'enregistrement   

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Cet Entretien est basé sur Le Grand Secret, «L’Écrivain».

Douce Mère, ici il est écrit: «Le mot est suffisamment immatériel pour rester en contact avec les mondes subtils: forces et vibrations, principes et idées.»

Mes enfants, je tiens à vous dire pour commencer que c’est de la littérature. Alors il ne faut pas me demander des explications. C’est une façon de dire littéraire, il faut le comprendre d’une façon littéraire; c’est une description littéraire du mot; c’est très exact, mais c’est une description littéraire. Alors je ne peux pas faire de la littérature sur de la littérature. Il faut avoir le goût des formes, de la jolie manière de dire les choses, un peu exceptionnelle, pas trop banale; mais c’est justement une façon, c’est la façon de dire qui a du charme. La littérature, c’est tout dans la façon de dire. Vous attrapez ce que vous pouvez de derrière. Si vous êtes ouverts justement au sens littéraire, alors ça vous évoque des choses; mais ça ne peut pas s’expliquer. C’est un moyen d’évocation qui correspond aussi à la musique. Naturellement, on peut analyser la littérature, et voir comment la phrase est construite, mais c’est comme si vous changiez un être humain en squelette. Ce n’est pas joli, un squelette. C’est la même chose. Si dans la musique vous faites du contrepoint, et que, n’est-ce pas, cette note doit nécessairement amener celleci, et ce groupe de notes doit nécessairement amener celui-là, vous gâtez la musique aussi, vous faites un squelette avec de la musique; ce n’est pas intéressant. Ces choses-là doivent se sentir avec le sens correspondant, le charme de la phrase avec le sens littéraire: attraper l’harmonie des mots et ce que ça évoque.

Dans chacun des personnages, c’est la même chose: on vous donne la description de gens qui sont arrivés au maximum de la possibilité humaine. Il est évident que cet écrivain-là est un très grand écrivain, ce que l’on peut faire de mieux. Eh bien, il est arrivé à ça. Et puis au bout, il s’est aperçu que c’était creux, qu’il lui manquait l’essentiel. Et pour tous, ce sera la même expérience.

Nous avons dit la dernière fois que c’était un homme d’État exceptionnel. Eh bien, nous disons cette fois-ci que c’est un écrivain exceptionnel, qui est arrivé au moment psychologique où il peut s’éveiller à une autre conscience, une conscience plus haute. Et pourtant, la description qu’il fait est vraiment une description d’un maximum des possibilités humaines. Il ne voyait pas platement les choses telles qu’elles sont, il voyait l’esprit qui était derrière, il communiait avec lui, il essayait de l’exprimer et il a fait... il a été aussi loin qu’une conscience humaine peut aller. Et puis alors il s’est trouvé devant un précipice. Comment passer de l’autre côté? Toute la chose est comme ça, n’est-ce pas. Nous aurons à répéter la même chose chaque fois.

Voilà.

Pas de questions?

Douce Mère, comment la littérature peut-elle nous aider à progresser?

Cela peut vous aider à devenir plus intelligent, à comprendre mieux les choses, à avoir le sens des formes littéraires, à cultiver votre goût, à savoir choisir entre la bonne et la mauvaise manière de dire les choses, à enrichir votre esprit. Cela peut vous aider de cent manières différentes.

Il y a beaucoup de progrès différents. Et si on veut progresser d’une façon intégrale, il faut progresser dans toutes ces directions différentes. Eh bien celle-là, c’est une progression intellectuelle et artistique en même temps, où les deux se combinent. On joue avec les idées, on est capable de les comprendre, de les classer, de les organiser, et en même temps, on joue avec la forme de ces idées, la façon de les dire, la façon de les exprimer, la façon de les présenter et de les rendre intelligibles.

Douce Mère, tout ce qu’on lit dans la littérature — histoires, romans, etc. — contient très souvent de la substance qui abaisse notre conscience. Ce n’est pas tout à fait possible de laisser la matière et de lire seulement du point de vue de la valeur littéraire.

N’est-ce pas, il n’y a d’excuse à lire des romans quelconques que s’ils sont remarquablement écrits et que vous vouliez apprendre une langue; s’ils sont écrits dans votre langue ou dans une autre langue et que vous vouliez étudier cette langue, alors vous pourrez lire n’importe quoi pourvu que ce soit bien écrit. Ce n’est pas ce qui est dit qui est intéressant, c’est la façon de le dire. Et alors la façon de le lire, c’est justement de ne s’occuper que de la façon dont c’est dit, et pas de ce qui est dit comme ça, qui est sans intérêt. Seulement, par exemple, dans un livre, il y a toujours des descriptions; eh bien, on voit de quelle façon ces descriptions sont faites et comment l’auteur a su choisir les mots pour exprimer les choses. Et pour les idées, c’est la même chose: comment il a su faire parler ses personnages; non pas l’intérêt de ce qu’ils ont dit, mais comment ils le disent. Si l’on prend certains livres comme livres d’études, pour apprendre justement à bien faire les phrases et à exprimer les choses comme il faut, parce que ce sont des livres très bien écrits, quelle est l’histoire n’a pas beaucoup d’importance. Mais si l’on se met à lire des livres pour ce qu’ils racontent, alors là, il faut être beaucoup plus sévère et ne pas prendre des choses qui vous obscurcissent la conscience, parce que c’est du temps perdu; c’est pire que du temps perdu. Alors, les histoires vulgaires, et qui sont dites d’une façon vulgaire, alors là, n’est-ce pas, ça, il n’en est plus question. Ces choses-là on ne devrait jamais y toucher. Et c’est pourtant la monnaie courante qui circule partout, surtout à notre époque, semble-t-il, parce qu’on a inventé des procédés pour imprimer à bon marché, pour faire des illustrations à bon marché. Alors on noie le pays et tous les différents pays avec de la littérature qui ne vaut rien, qui est mal écrite, mal pensée, et qui exprime des choses vulgaires, et qui vous abrutit par des idées vulgaires, et qui vous abîme complètement le goût par des images vulgaires. Tout ça c’est parce que, au point de vue production, on réussit à faire des choses à très bon marché, ce qu’on appelle des éditions accessibles à tous. Mais comme le but de ces gens-là, ce n’est pas du tout d’éduquer ni de faire faire des progrès, loin de là — ils espèrent au contraire qu’on ne progressera pas, parce que si on progressait on n’achèterait plus leur marchandise —, alors leur intention, c’est de faire de l’argent aux dépens des gens qui lisent leur littérature; alors plus ça se vend, mieux c’est. Ça peut être affreux, mais c’est très bon si ça se vend bien. C’est la même chose avec l’art, c’est la même chose avec la musique, c’est la même chose avec le théâtre. Les dernières découvertes scientifiques, appliquées à la vie, ont mis à la portée de tous toutes sortes de choses qui, avant, étaient réservées seulement à l’élite intellectuelle et artistique; et pour légitimer leur effort et qu’ils aient du profit avec leur travail, ils ont fait les choses qui peuvent le plus être vendues, c’est-à-dire les choses les plus basses, les plus ordinaires, les plus vulgaires, les plus faciles à comprendre, et qui ne demandent aucun effort et aucune éducation. Et toute la terre est noyée sous ces choses-là, au point que quand il y a quelqu’un qui a écrit un bon livre ou a fait une bonne pièce de théâtre, il n’y a plus de place pour lui nulle part, parce que toute la place est prise par ces choses-là.

Naturellement, il y a des gens sensés qui essayent de réagir; mais c’est très difficile. Il faudrait d’abord que l’esprit mercantile soit chassé de ce monde. Ça prendra du temps. Il y a des signes comme ça, que peut-être c’est moins respecté qu’avant. Il y a eu un temps où, n’est-ce pas, on était un criminel quand on ne savait pas faire des affaires, et celui qui avait l’audace de dépenser son capital, même pour des choses très bien, il était bon pour être envoyé dans une maison de fous. C’est un peu mieux maintenant, mais enfin, nous sommes encore loin de la situation véritable. Il y a encore le veau d’or, là, qui trône sur le monde; avant qu’il soit jeté par terre il se passera encore un peu de temps, je le crains. Ça a tellement faussé l’esprit des gens, que c’est pour eux le critère. N’est-ce pas, en Amérique quand on parle de quelqu’un, on dit: «Lui, oh! il vaut un million de dollars!» Ça, c’est le plus grand compliment qu’on peut faire. Et c’est ça. On demande: «Connaissez-vous ce monsieur? Qu’est-ce qu’il vaut?» — «Il vaut cent mille dollars», «Il vaut cinq cents dollars.» Alors cela veut dire qu’il a une position qui lui rapporte ça. Est-ce qu’il est intelligent? est-ce qu’il est stupide? est-ce qu’il est... Cela n’a aucune espèce d’importance. Est-ce que c’est un homme qui est bon ou un homme qui est mauvais? Ça ne fait rien du tout! Est-ce que c’est un homme riche ou un homme pauvre? S’il est riche: «Ah! ah! je voudrais bien le connaître!» S’il est pauvre: «Je n’ai rien à faire avec lui.» Voilà. Naturellement, l’Amérique est un pays jeune, alors ses manières sont des manières d’enfant, mais des manières d’enfant assez mal élevé. Mais les pays vieux sont devenus trop vieux et ils ne peuvent plus réagir; ils branlent la tête, et ils se demandent si après tout cette jeunesse n’a pas raison. C’est tout comme ça. Le monde est très malade.

C’est tout?

Douce Mère, comment est-ce qu’on doit choisir ses livres?

Il serait préférable de demander à quelqu’un qui sait. Si vous demandez à quelqu’un qui, au moins, a du goût et une connaissance littéraire, il ne vous fera pas lire des choses mal écrites. Maintenant, si vous voulez avoir une lecture qui vous aide au point de vue spirituel, c’est une autre matière, il faut demander à quelqu’un qui a une réalisation spirituelle de vous aider.

N’est-ce pas, il y a deux lignes qui sont très différentes; elles peuvent converger parce qu’on peut tout faire converger; mais, comme j’ai dit, il y a deux lignes qui sont vraiment très différentes. L’une, c’est un choix perpétuel, non pas seulement de ce que l’on lit, mais de ce que l’on fait, de ce que l’on pense, de toutes ses activités, de ne faire strictement que ce qui peut vous aider sur le chemin spirituel; cela n’a pas besoin nécessairement d’être très étroit et limité, mais cela doit être sur un plan un peu plus élevé que la vie ordinaire, et avec une concentration de volonté et d’aspiration qui ne permet pas d’errer sur le chemin, d’aller de droite et de gauche inutilement. Ça c’est austère; c’est difficile à adopter quand on est très jeune, parce qu’on a l’impression que l’instrument que l’on est n’est pas assez formé ni assez riche pour se permettre de rester tel qu’il est, sans s’accroître et progresser. Alors, d’une façon générale, excepté pour un très petit nombre, ça vient plus tard, après un certain développement et une certaine expérience de la vie.

L’autre chemin, c’est celui du développement aussi complet, aussi intégral que possible, de toutes les facultés humaines, de tout ce que l’on porte en soi, de toutes ses possibilités, en éventail, aussi largement que possible dans toutes les directions, pour remplir sa conscience de toutes les possibilités humaines, pour connaître le monde et la vie et les hommes et leur oeuvre telle qu’elle est maintenant, pour faire une base vaste et riche à l’ascension future.

Généralement, c’est ce que l’on attend des enfants; excepté, comme j’ai dit, des cas tout à fait rares, exceptionnels, d’enfants qui portent en eux un être psychique qui a déjà fait toutes les expériences avant de s’incarner cette fois-ci, et qui n’a plus besoin d’expériences, qui veut seulement réaliser le Divin et Le vivre. Mais ça, n’est-ce pas, ce sont des cas... d’un sur des millions. Autrement, jusqu’à un certain âge, tant qu’on est très jeune, il est bon de se développer, de se déployer autant qu’on peut dans tous les sens, de tirer de soi tout ce que l’on contient de potentialités, pour en faire des choses exprimées, conscientes, actives, de façon à avoir une assise assez solide pour l’ascension. Autrement, c’est un peu pauvre.

C’est pour cela qu’il faut apprendre, aimer apprendre, toujours apprendre, mais pas perdre son temps à... n’est-ce pas, à se remplir de choses inutiles, ou à faire des choses inutiles. Il faut que tout soit fait avec ce but-là, d’enrichir ses possibilités, de développer celles que l’on a, d’en acquérir de nouvelles, et de devenir un être humain aussi complet, aussi parfait que l’on peut. C’est-à-dire que même sur cette ligne-là, il faut prendre la chose sérieusement, pas simplement passer son temps parce qu’on est ici, et le gaspiller autant qu’on peut parce qu’il faut le passer d’une façon quelconque.

Ça, c’est l’attitude des hommes en général: ils arrivent dans la vie, ils ne savent pas pourquoi; ils savent qu’ils ont un certain nombre d’années à vivre, ils ne savent pas pourquoi; ils pensent qu’ils auront à s’en aller parce que tout le monde s’en va, et ils ne savent pas non plus pourquoi; et alors, la plupart du temps, ils s’ennuient parce qu’ils n’ont rien en eux, que ce sont des êtres vides et qu’il n’y a rien de plus ennuyeux que le vide; et alors ils cherchent à remplir ça en se distrayant; ils se rendent tout à fait inutiles, et quand ils sont arrivés à la fin, ils ont gaspillé toute leur existence, toutes leurs possibilités — et tout est perdu. Ça, vous prenez mille personnes, il y en a au moins neuf cent quatre-vingt-dix qui sont dans ce cas-là. Il se trouve qu’ils sont nés dans ces circonstances ou dans celles-là, et ils essayent, n’est-ce pas, de passer leur temps aussi bien qu’ils peuvent, de s’ennuyer aussi peu qu’ils peuvent, de souffrir aussi peu qu’ils peuvent, de s’amuser autant qu’ils peuvent; et tout est morne, terne, inutile, stupide, et absolument sans résultat. Voilà.

Ça c’est la majorité des êtres humains, et qui ne pensent même pas... ils ne se demandent même pas: «Mais enfin, pourquoi est-ce que je suis ici? Pourquoi est-ce qu’il y a une terre? Pourquoi est-ce qu’il y a des hommes? Pourquoi est-ce que je vis?» Non, tout ça ce sont des choses absolument sans intérêt. La seule chose qui est intéressante, c’est d’essayer de bien manger, de bien s’amuser, de bien se distraire, de bien se marier, de bien avoir des enfants, de gagner de l’argent et d’avoir tous les avantages que l’on peut avoir au point de vue des désirs, et surtout, surtout de ne pas penser, de ne pas réfléchir, de ne pas poser de problèmes, et d’éviter tous les ennuis. Voilà. Et puis de s’en tirer comme cela, sans trop de catastrophes. Ça, c’est l’état général; ça, c’est ce que les hommes appellent être raisonnable. Et comme ça le monde peut tourner en rond indéfiniment pour une éternité, il ne progressera jamais. Et c’est pour ça que tout ça c’est comme des fourmis; ça vient, ça grouille, ça meurt, ça s’en va, ça revient, ça regrouille, ça remeurt, etc. Et ça peut durer pendant des éternités comme ça. Heureusement qu’il y en a quelques-uns qui font le travail de tous les autres, mais ce sont seulement ceux-là qui font que tout ça changera un jour.

Alors le premier problème, c’est de savoir de quel côté on veut être: du côté de ceux qui font quelque chose, ou du côté de ceux qui ne font rien; du côté de ceux qui, justement, pourront peut-être comprendre ce que c’est que la vie, et faire ce qu’il faut pour que cette vie aboutisse à quelque chose, ou bien de ceux qui se soucient fort peu de comprendre quoi que ce soit et qui essayent de passer leur temps en ayant aussi peu d’ennuis que possible. Surtout pas d’ennuis!

Voilà. Ça c’est le premier choix. Après ça il y en a beaucoup d’autres.

Voilà, mes enfants.

Maintenant, si vous avez envie d’une méditation, dites-le. Oui ou non? Oui? Bon! Essayez d’éliminer de votre conscience tout ce qui est obscurément attaché à la manière de vivre inutilement.