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Mère

Entretiens

 

Le 12 octobre 1955

L'enregistrement   

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Cet Entretien est basé sur Le Grand Secret, «L’Inconnu».

Quand est-ce que ça va se produire, hein? Voilà, c’est ça, la question que j’attendais.

(À un enfant) Qu’est-ce que tu voulais demander?

Ce que tu as dit maintenant.

Tu vois, je sais lire dans les pensées.

Et alors, si je disais que cela dépend de vous? Ce n’est pas tout à fait vrai, mais enfin il y a quelque chose de vrai dedans.

Je pense que cela se produira au moment où il y aura un nombre suffisant de consciences qui sentiront d’une façon absolue que ça ne peut pas être autrement. Maintenant, la plupart, l’immense majorité d’entre vous doit faire un effort pour s’imaginer ce que ça sera, et, au mieux, spécule là-dessus et peut-être espère que cette transformation rendra les choses plus agréables, plus plaisantes — quelque chose comme cela. Mais votre conscience est tellement attachée à ce qui est, qu’elle a même des difficultés à imaginer que les choses puissent être autrement. Et jusqu’à ce que ce qui doit être devienne, pour un ensemble de consciences suffisant, une inévitable nécessité, et que tout ce qui a été et qui est encore maintenant apparaisse comme une absurdité qui ne peut pas durer... c’est à ce moment-là que ça pourra se produire, mais pas avant.

Reste un problème, à savoir si c’est une chose qui peut se produire et qui se produira individuellement, avant qu’elle ne se produise collectivement. C’est probable. Mais aucune réalisation individuelle ne peut être complète, ni même approcher de cette perfection, si elle n’est pas en accord avec au moins un ensemble de consciences représentatif d’un monde nouveau. Il y a, malgré tout, une interdépendance de l’individu avec la collectivité, si grande que la réalisation individuelle est, malgré tout, limitée, amoindrie par l’atmosphère «irresponsive» — si je puis dire — de ce qui l’entoure. Et il est certain que la vie terrestre tout entière doit suivre une certaine courbe de progrès, pour qu’un monde nouveau et une conscience nouvelle puissent se manifester. Et c’est pour cela que j’avais dit, au début, que cela dépend au moins partiellement de vous.

Est-ce que vous avez jamais essayé de vous représenter ce que pourrait être cette conscience nouvelle, et ce que pourrait être une race nouvelle, et en dernier lieu ce que pourrait être un monde nouveau?

Par analogie, il est de toute évidence que l’arrivée de l’homme sur la terre a changé la condition terrestre. Je ne peux pas dire qu’à un certain point de vue cela ait été pour le plus grand bien de tous, parce qu’il y en a beaucoup qui en ont terriblement souffert; et là, il est évident que les complications que l’être humain a apportées dans la vie, n’ont pas toujours été très favorables, ni pour lui ni pour les autres. Mais à un certain point de vue, cela a fait faire un progrès considérable, même aux espèces inférieures: l’homme s’est mêlé de la vie des animaux, il s’est mêlé de la vie des plantes, il s’est mêlé de la vie des métaux, des minéraux; comme je dis, ça n’a pas toujours été pour la plus grande joie de ceux dont il s’occupait, mais enfin ça a certainement changé considérablement leurs conditions de vie. Eh bien, de même, il est probable que l’être supramental, quel qu’il soit, changera considérablement la vie de la terre. Dans notre coeur et dans notre pensée, nous espérons que tous les maux dont la terre souffre seront sinon guéris du moins améliorés, et que les conditions générales seront plus harmonieuses, et en tout cas plus tolérables. Cela se peut, parce que c’était la nature même de la conscience mentale qui s’est incarnée dans l’homme qui agissait pour sa propre satisfaction, dans le but de son développement propre et sans grande considération pour les conséquences de ses actions. Peut-être le Supramental agirat- il d’une façon plus harmonieuse. En tout cas, nous l’espérons. C’est comme ça que nous le concevons.

Mais je vous pose, moi, une question: y avez-vous pensé? Avez-vous pensé à ce que cela pourrait être?

(À un enfant) Toi, tu y as pensé? Hein? (À un autre enfant) Toi? Non? Toi, tu y as pensé? Alors, dis-moi ce que tu as pensé. Naturellement, je ne vous demande pas de me répéter ce que vous avez lu dans les livres de Sri Aurobindo, parce que ce n’est pas ce dont il s’agit: il faut tâcher d’imaginer et de vivre par soi-même quelque chose.

Tu ne peux pas dire? Toi non plus, tu ne peux pas dire?

Mère, à cause de notre imperfection nous avons quelque chose à faire. Mais quand la race supramentale descendra, elle sera parfaite; alors, qu’est-ce qu’il y aura à faire?

Parfaite! Parfaite par rapport à nous, mais pas par rapport à ce qui viendra ensuite. Le monde est en perpétuel mouvement et perpétuelle progression, et il est de toute évidence que, chaque fois qu’une conscience nouvelle s’est manifestée sur la terre, on a eu l’impression que ce serait... peut-être pas une réalisation définitive, mais en tout cas un progrès considérable. Et il est de toute évidence aussi que pour... mettons la conscience d’un éléphant ou d’un chien, les capacités humaines sont des choses absolument merveilleuses. Dans la mesure où ils pourraient le comprendre, où ils peuvent l’imaginer, où ils le sentent — les chiens le sentent —, les facultés humaines sont pour eux des choses qui sont divines. Et c’est parce que nous, nous sommes arrivés à une étape où nous percevons quelque chose au-delà (c’est ce que j’ai dit là-dedans, n’est-ce pas), c’est pour ça que nous ne sommes pas satisfaits de tout ce que nous faisons; c’est pour ça qu’il y a ce sentiment qu’on a beau faire, il y a quelque chose qui nous échappe — que la vraie chose nous échappe, qu’on tourne autour, mais qu’on ne la touche pas. C’est parce qu’on est prêt pour ce quelque chose. Autrement, si on ne comprenait pas ça, on serait tout à fait satisfait de ce que l’on peut faire et on aurait simplement l’effort pour le faire de mieux en mieux. C’est le commencement d’une expression nouvelle. Ce besoin, par exemple, de quelque chose qui soit plus essentiellement vrai; de quelque chose qui soit... sur quoi on puisse compter, qui ne s’écroule pas quand on s’appuie dessus, quelque chose qui vous donne un soutien durable, permanent; ce besoin d’éternité que l’on a en soi, ce besoin d’un absolu, d’une vérité absolue, d’un bien absolu, d’un beau absolu — ça, ça s’éveille au moment où on est prêt pour recevoir une conscience nouvelle.

Il est certain que depuis fort longtemps, peut-être dès le début (pas le début au point de vue évolutif, parce qu’il y a eu des périodes d’êtres intermédiaires qui étaient beaucoup plus proches de l’animal que proches de l’homme vrai), quand cette forme humaine a été suffisamment développée et prête pour pouvoir recevoir quelque chose d’en haut, quand il y a eu les premiers êtres des mondes supérieurs qui se sont incarnés dans des formes humaines, à partir de ce moment-là, il y a toujours eu des individus qui portaient en eux ce besoin d’éternité et d’absolu. Mais c’était une chose individuelle. Et ce n’est que petit à petit, et très progressivement, à travers des périodes de lumière et d’obscurité consécutives, que quelque chose, dans l’ensemble de l’humanité, s’est éveillé au besoin d’un bien supérieur.

Il est de toute évidence que maintenant, à travers tous les remous et toutes les stupidités, il y a un besoin qui s’éveille, presque une sorte de sensation de ce que cela pourrait être et devrait être — ce qui voudrait dire que le moment est proche. Pendant fort longtemps on a dit: «Ça sera, ça sera», et on a promis... il y a des milliers et des milliers d’années, on a déjà commencé à promettre qu’il y aurait une conscience nouvelle, un monde nouveau, quelque chose de divin qui se manifesterait sur la terre, mais on a dit: «Ça sera, ça sera», comme ça; on a parlé d’âges, d’éons, de milliers et de milliards d’années. On n’a pas eu cette sensation que l’on a maintenant, que ça doit venir, que c’est tout proche. Naturellement, la vie humaine est très courte et il y a une tendance à vouloir raccourcir les distances pour que ça soit en proportion avec les dimensions; mais malgré tout, il y a un moment où ça se passera... Malgré tout, il y aura un moment où ça se passera, il y aura un moment où le mouvement basculera dans une réalité nouvelle... Il y a eu un moment où l’être mental a pu se manifester sur la terre. Le point de départ pouvait être pauvre, très incomplet, très partiel, mais tout de même il y a eu un point de départ. Pourquoi ça ne serait pas maintenant?... C’est tout.

Peut-être que ceux qui depuis le commencement ont annoncé que ça serait, si ceux-là mêmes disent: «Ça va être», après tout, c’est peut-être les mieux informés. Moi je considère que depuis les débuts de l’histoire terrestre (nous ne remonterons pas aux antécédents, n’est-ce pas, puisque nous avons déjà assez à faire avec la terre), depuis les débuts de l’histoire terrestre, sous une forme ou sous une autre, sous un nom ou sous un autre, Sri Aurobindo a toujours présidé aux grandes transformations terrestres; et alors quand il vient vous dire: «Eh bien, cette fois-ci c’est la bonne», peut-être qu’il sait. C’est tout ce que je puis dire.

Alors si c’est la bonne, voilà comment se pose le problème: il y aura des gens qui sont prêts, ou qui se rendront prêts, et qui seront justement ceux qui partiront les premiers sur le nouveau chemin. Il y en a d’autres qui, peut-être, s’en apercevront trop tard, qui auront manqué leur occasion; je crois qu’il y en aura beaucoup comme ça. Mais en tout cas, mon point de vue est comme ceci: même s’il ne devait y avoir qu’une demi-chance, ça vaudrait la peine d’essayer. Parce qu’après tout (je ne sais pas, je vous disais tout à l’heure), il y a un moment où la vie telle qu’elle est, où la conscience humaine telle qu’elle est, paraît une chose absolument impossible à supporter, ça crée une sorte de dégoût, de répugnance; on dit: «Non, ce n’est pas ça, ce n’est pas ça; ça ne peut pas être ça, ça ne peut pas continuer.» Eh bien, quand on en est là, il n’y a qu’à jeter son tout — tout son effort, toute sa force, toute sa vie, tout son être — dans cette chance, si on veut, ou cette occasion exceptionnelle qui est donnée de passer de l’autre côté. Quel soulagement de mettre le pied sur le nouveau chemin, celui qui vous mènera ailleurs! Ça vaut la peine de jeter beaucoup de bagages derrière, de se débarrasser de beaucoup de choses pour pouvoir faire ce sautlà. C’est comme ça que je vois le problème.

Au fond, c’est la plus sublime des aventures, et si l’on a en soi le moins du monde le véritable esprit d’aventure, ça vaut de risquer le tout pour le tout. Mais ceux qui ont peur, qui se demandent: «Est-ce que je ne vais pas lâcher la proie pour l’ombre?» selon le proverbe le plus plat qu’on puisse imaginer, ceux qui se disent: «Bah! après tout, il vaut mieux profiter de ce que l’on a que de risquer de perdre tout, nous ne savons pas ce qui va arriver demain, prenons nos précautions» (malheureusement, c’est très répandu, extrêmement répandu), eh bien, ceux qui sont dans cet état d’esprit-là, je peux vous assurer d’une chose, c’est que, même quand la chose se passera devant leur nez, ils ne s’en apercevront pas. Ils diront: «C’est bien, comme ça je n’aurai pas de regrets.» C’est possible. Mais peut-être qu’après ils en auront, des regrets; ça, nous ne le savons pas.

En tout cas moi, ce que j’appelle être sincère, c’est ça: si on conçoit que cette réalisation nouvelle est la seule chose qui vaut vraiment d’être vécue, que ce qui est, est intolérable — non seulement pour soi-même, peut-être pas tant pour soi-même, mais enfin, si on n’est pas tout à fait égoïste et mesquin, on a l’impression que, vraiment, ça a assez duré, qu’on en a assez, qu’il faut que cela change —, eh bien, quand on a cette impression- là, on prend tout, tout ce que l’on est, tout ce que l’on peut, tout ce que l’on a, et on se jette dedans complètement sans jamais regarder en arrière, et arrivera ce qui arrivera. Moi je trouve qu’il vaudrait même mieux plonger dans un abîme comme ça, que d’être sur le bord à trembler, à se demander: «Qu’est-ce qui va m’arriver demain si je fais ce pas un peu téméraire?» Voilà.

Il vaut mieux avoir un peu de coeur au ventre, comme on dit grossièrement, et risquer le coup. Ça c’est mon opinion.

Maintenant, si vous avez quelque chose d’autre à dire, ditesle. (À un enfant) Et toi, tu es parmi les satisfaits ou parmi ceux qui veulent que ça change? Je ne poserai pas de questions indiscrètes.

(silence)

Mère, ce que vous venez de dire, ça veut dire que la transformation de la conscience et de la vie vont ensemble, n’est-ce pas? Parce que dans le texte, il est dit: «Il faut d’abord transformer la conscience, puis la vie...»

À dire vrai, on ne demande pas grand-chose pour la vie pour le moment: une petite chose — moi, ce que j’appelle des petites choses. Il est évident, oui... n’est-ce pas, si on vous demande de ne pas vivre comme un animal tout à fait — tout à fait, parce que partiellement, pour le moment c’est difficile, mais enfin, de ne pas vivre complètement comme un animal —, ça c’est un changement dans la vie. Mais ça ne va pas plus loin que ça. On ne vous demande pas de vivre comme des esprits éthérés; pour le moment on va doucement, progressivement.

Mais cette animalité...

Non, pardon! vous voulez dire qu’on pense qu’on peut amener son animalité dans la conscience nouvelle?

Non, mais jusqu’à ce que ce soit prêt...

Mais les choses ne sont pas taillées comme ça au couteau. Pour que l’animalité disparaisse complètement, la forme doit être transformée totalement. Tant que le fonctionnement corporel, par exemple, sera ce qu’il est, eh bien, nous participerons d’une façon plus que suffisante à l’animalité, n’est-ce pas; et ça, ça ne peut disparaître que lorsque, eh bien, nous n’aurons plus de coeur, de poumons, d’estomac, et tout le reste. Ça, nous disons que ça viendra longtemps après.

Au fond, la seule chose qui soit très importante pour le moment, c’est le changement de conscience. Et ne croyez pas que ce soit si facile. Si vous vous observez attentivement, vous vous apercevrez que vous pensez, sentez, éprouvez et construisez comme un animal humain, c’est-à-dire comme un être infrarationnel et aux trois quarts subconscient, pendant presque toute la totalité de votre journée. Il se peut qu’à certains moments vous échappiez à ça; mais il vous faut encore un effort pour y échapper. Cela peut arriver spontanément, comme une grâce, à certains moments; mais la plupart du temps, il vous faut un effort pour arriver à attraper quelque chose qui ne soit pas purement ça. À n’importe quel moment de votre journée, si vous faites juste un petit pas en arrière et que vous vous regardiez faire, vous vous attraperez, vous verrez ça. Quand est-ce que... Tout d’un coup, n’est-ce pas, si je disais soudainement, là, maintenant: «Regardez-vous!» comme ça, sans prévenir à l’avance, qu’est-ce qui était là dans le champ de votre conscience? Si vous attrapez ça, vous verrez; certainement, au moins quatrevingt- dix-neuf fois sur cent, c’est l’animal qui est là; un animal qui est un petit peu perfectionné, n’est-ce pas, pas tout à fait un chien, pas tout à fait un singe, mais enfin pas très loin de ça.

Il y a beaucoup de choses que les hommes ont transformées en vertus merveilleuses, que moi j’ai trouvées chez les animaux comme des mouvements spontanés — et ils avaient au moins l’avantage de ne pas être fiers et de ne pas avoir de vanité. Ils faisaient spontanément des choses qui, ma foi, étaient très remarquables — très remarquables de dévouement, d’abnégation, de prévision, de sens éducatif. Ils le faisaient spontanément et sans écrire des livres dessus et sans s’en vanter comme d’une chose merveilleuse. Par conséquent, il faut beaucoup pour sortir de l’animal, beaucoup plus qu’on ne croit.

Mère, tu disais juste maintenant que c’est très proche...

Quoi, très proche? L’événement?

Oui. Autrement nous n’en parlerions pas. Si cela devait se produire dans quelques milliers d’années, il est évident que nous n’aurions pas besoin de nous en occuper, excepté comme d’un rêve lointain.

Alors, ça veut dire qu’il y a au moins une bonne minorité qui a changé?

Ah! ça... C’est possible; mais peut-être pas beaucoup — je veux dire peut-être pas beaucoup de gens.

Il y a des êtres qui pourraient se regarder à n’importe quel moment, et qui ne trouveraient pas l’animal. Il n’y en a pas beaucoup. On ne parle des choses que quand on les connaît — on devrait, en tout cas.

(À un enfant) Alors tu as quelque chose à dire?

Mère, quelle est la vraie réalité de l’univers?

(long silence)

Si vous voulez, sous une forme paradoxale, je dirai: ce que l’univers deviendra.

Je pourrais dire aussi: son point de départ et son aboutissement.

Et aussi: ce qu’il est de toute éternité.

Maintenant avec ça, faites quelque chose.

Mère, vous avez dit dans le texte: «Une intervention se produira et prolongera notre vie...» Dans ce cas, notre vie sera prolongée jusqu’à ce que nous puissions voir l’avènement?

Je ne vous ai pas lu ça, et c’est exprès que je ne vous l’ai pas lu. Quand on écrit une pièce de théâtre pour un public, on est obligé de dire certaines choses qui en font une chose accessible.

Mais c’est vrai, n’est-ce pas?

Si c’est la vérité? Oui... C’est tout.

Mère, l’apparition de l’homme mental, c’était graduel, n’est-ce pas, de l’animal à l’homme?

Ça... Il y a eu tout de même un moment où c’est devenu un homme, non? Je vous ai dit ça, au point de vue évolutif ça paraît comme cela. Moi je ne suis pas très calée, n’est-ce pas, je ne peux pas vous raconter comment ça s’est passé, du moins ce que la Science pense savoir sur ce qui s’est passé. Je peux vous raconter seulement ce que je sais.

Eh bien, il y a un moment où ce que nous appelons forme humaine (c’est-à-dire avec des capacités humaines), était suffisamment prêt pour qu’un être de conscience mentale, entièrement conscient, puisse s’incarner en lui — et ça, ça a été vraiment le premier homme. Maintenant historiquement, à quel moment ça s’est produit, ça je ne peux pas vous dire; mais il y a fort longtemps. Il y a quelque temps j’ai eu des chiffres sous les yeux, qui m’ont paru être tout à fait raisonnables et véridiques — mais il y a extrêmement longtemps. Et pendant très longtemps ça a été comme... une espèce d’état étale, comme quand la mer est arrivée au sommet de la marée, que ça se répand et que ça reste tranquille. C’est resté tranquille comme ça pendant très, très, très, très, très longtemps; et ce n’est qu’après très longtemps que ce que nous appelons activité humaine et civilisation humaine a commencé à prendre place, et ça, même depuis le commencement de ça jusqu’à maintenant... On a des chiffres, n’est-ce pas, approximatifs. (Se tournant vers Pavitra) Pavitra, vous les connaissez?

(Pavitra) Je ne m’en souviens plus.

Il y a des chiffres, mais c’est assez considérable. Et ça, c’est seulement la période que l’on peut appeler historique — quoiqu’elle ne le soit pas à la façon ordinaire, mais enfin, on a retrouvé des signes, des documents, des indications, quelque chose qui peut vous donner une idée du temps. Eh bien ça, ça ne s’est produit que très longtemps après que la première conscience mentale se soit incarnée dans une forme humaine, qui était devenue suffisamment humaine, n’est-ce pas, pour devenir un homme; et probablement, avant que cette forme soit produite il a dû y avoir des quantités de tentatives de la Nature qui se sont répandues, peut-être pendant des milliers, des milliers et des milliards d’années. Je ne sais pas. Mais il y a eu un moment, comme je dis, où cette conscience mentale a été capable de venir et de prendre possession d’une forme. Après ça, comme je vous l’ai dit aussi, pendant très, très longtemps... pour que cette forme puisse s’adapter et se perfectionner suffisamment pour exprimer complètement cette conscience, il a fallu très, très, très longtemps. Ça, c’est entendu. Eh bien, il est plus que probable (pas plus que probable, c’est certain) que cela se reproduira de la même façon. Il y aura un moment où une conscience humaine sera dans un état suffisant pour qu’une conscience supramentale puisse entrer dans cette conscience humaine et se manifester.

Mais il se peut qu’avant que ça devienne une espèce nouvelle comme l’espèce humaine, cela prenne très, très longtemps. Et ça, ça se fera progressivement. Mais comme je le dis, il y a une chose: quand ça se produira, ça se produira. Ça ne se produit pas, ça ne s’étale pas comme un caoutchouc, n’est-ce pas; il y a un moment où ça se produit, où la descente se produit, où la fusion se produit, où l’identification se produit. Ça peut se faire dans un éclair. Il y a un moment où ça se produit. Après, ça pourra prendre très, très, très longtemps; il ne faut pas espérer que du jour au lendemain on va voir des surhommes jaillir ici et là. Non, ce ne sera pas comme ça. Seulement, ceux qui auront fait ce que j’ai dit, ceux qui se seront précipités tout entiers, qui auront risqué le tout pour le tout, ceux-là ils le sauront. Mais ils seront les seuls à savoir; ils sauront quand ça se produira.

Les autres, ils ne pourront pas même voir?

Les autres? Ils ne s’en apercevront même pas! Ils continueront leur vie stupide, sans savoir ce qui est arrivé.

Mais tout de même, ils pourront voir ce surhomme devant eux. (rires)

Douce Mère, quelle sera l’attitude du surhomme visà- vis de l’homme?

Quelle est l’attitude de l’homme vis-à-vis de l’animal? Non, espérons qu’il sera un peu plus gentil! (rires)

Mais il ne faut pas vous faire d’illusions. Pour la conscience supramentale, l’homme est vraiment stupide. Même avec toutes ses perfections, toutes ses réalisations, tout ça, même avec tous ses accomplissements, eh bien, il paraît for-mi-da-ble-ment stupide. Seulement, ce n’est pas une raison pour le maltraiter. Mais je ne crois pas que le surhomme maltraitera personne, justement parce qu’il aura une conscience qui sera capable de passer derrière les apparences. Espérons qu’il sera bien gentil.

Voilà. C’est tout?

Je crois que c’est fini, à moins que quelqu’un n’ait une question très importante à me poser. Pavitra?

(Pavitra) Quelle sera l’attitude de l’homme vis-à-vis du surhomme?

Ah! (rires) Espérons que cela ne sera pas la même attitude que l’homme a prise vis-à-vis de tous ses dieux; parce qu’il les a plutôt maltraités. Ses prophètes et ses dieux, il les a mis en croix, il les a lapidés, il les a brûlés vifs — enfin l’homme s’est plutôt mal conduit vis-à-vis de tous ceux qui sont venus lui prêcher une vie nouvelle. Espérons que l’homme sera un peu plus raisonnable... Maintenant il les mettrait en prison.

Mais l’homme les a installés dans les temples aussi!

Non, pas l’être lui-même: l’image qu’il a fabriquée après coup, et dont il a fait une... action politique. Pardon! c’est le dieu à l’image de l’homme qui a été mis dans les temples et adoré, pour des raisons purement politiques. Mais ceux qui étaient en relation avec... ceux qui manifestaient en eux-mêmes la Réalité divine, on les a très mal reçus, toujours. D’ailleurs l’histoire est là pour le prouver. Maintenant, n’est-ce pas, on ne lapide plus, excepté les pauvres Nègres quelquefois, en Amérique; on ne brûle plus vivant, ce n’est plus à la mode — mais on met en prison, ça arrive. Et au fond (j’ai dit ça déjà plusieurs fois), ce qui sauve les hommes qui ne sont pas tout à fait des hommes, c’est que maintenant le monde est dans un tel état d’ignorance qu’on ne croit même plus à la réalité de leur pouvoir. Mais certainement que si les gouvernements croyaient à la réalité de leur pouvoir, ils auraient du mauvais temps...

Mais espérons que... je dirai alors (comme j’ai dit pour les hommes: espérons que le surhomme sera bien gentil), eh bien, espérons pour le surhomme qu’il saura se défendre, qu’il aura des moyens de défense, pas trop visibles, mais suffisants.

Mais, Mère, si l’homme ne peut le voir, il n’a pas besoin de se défendre, non?

Non. C’est peut-être son plus grand moyen — c’est le don d’invisibilité. (Mère rit)

N’est-ce pas, on demande toujours: «Mais pourquoi est-ce qu’on ne devient pas un être qui manifeste les forces supramentales? Pourquoi tout d’un coup il ne devient pas lumineux physiquement? Alors nous saurions que c’est lui.» Eh bien, vous verriez ce qui lui arriverait, le pauvre! Et ce ne serait qu’une petite chose, être un peu lumineux, ce n’est qu’une toute petite chose!

Cela suffit pour aujourd’hui.