SITE OF SRI AUROBINDO & THE MOTHER
      
Home Page | Workings | Works of the Mother | Entretiens: Tape records

Mère

Entretiens

 

Le 30 novembre 1955

L'enregistrement   

This text will be replaced

Cet Entretien est basé sur le chapitre I de La Synthèse des Yogas, «Les Quatre Aides».

Comment le temps est-il un ami?

Cela dépend comment on le regarde. Tout dépend de la relation que tu as avec lui. Si tu le prends comme un ami, il devient un ami. Si tu le considères comme un ennemi, il devient ton ennemi.

Mais ce n’est pas cela que tu demandes. Ce que tu demandes, c’est comment on sent quand il est un ennemi et comment on sent quand il est un ami. Eh bien, quand tu t’impatientes et que tu te dis: «Oh, il faut que j’arrive à faire ça et pourquoi je n’arrive pas à le faire?» et quand tu n’arrives pas à le faire tout de suite et que tu te désespères, alors c’est ton ennemi. Mais quand tu te dis: «C’est bon, je n’ai pas réussi cette fois-ci, je réussirai la prochaine fois, et je suis sûr qu’un jour ou l’autre je le ferai», alors il devient ton ami.

Est-ce que le temps est seulement subjectif, ou bien est-ce qu’il a quelque chose de concret comme une personnalité?

Peut-être que cela aussi dépend de comment tu le considères. Toutes les forces sont personnelles; toutes les choses de la Nature sont personnelles. Mais si nous les considérons comme des choses impersonnelles, notre relation avec elles est impersonnelle.

Prenez, par exemple, ce qui vient d’arriver. Si vous êtes un météorologiste, et que vous ayez calculé tous les courants de vent et tout ça, et que vous disiez: «Étant donné que ça c’est arrivé, ça, ça arrivera, et il y aura tant de jours de pluie, et tout ça», alors c’est pour vous une force que l’on est forcé d’appeler force de la Nature, et vous n’y pouvez rien que regarder tranquillement et attendre que le nombre de jours soit passé. Mais s’il se trouve que vous avez cette relation personnelle avec les petites entités conscientes qui sont derrière le vent, derrière l’ouragan, derrière la pluie, derrière le tonnerre, derrière toutes ces soi-disant forces de la Nature, qui sont des forces et qui sont des forces personnelles, si vous avez une relation personnelle avec elles, et que vous pouviez créer une sorte d’amitié par cette relation, au lieu de les considérer comme des ennemies et d’inexorables mécaniques que vous avez à supporter sans pouvoir rien faire, peut-être que vous pourriez arriver à établir des relations un peu plus amicales et avoir une influence sur elles et leur demander: «Pourquoi avez-vous envie de souffler et de faire tomber de l’eau, pourquoi ne le faites-vous pas à côté?»

Et de mes propres yeux, moi, j’ai vu... j’ai vu ça ici, j’ai vu ça en France, j’ai vu ça en Algérie... la pluie qui tombait à un certain endroit tout à fait précis, et c’était justement un endroit où il était tout à fait nécessaire qu’il pleuve, parce que c’était sec et qu’il y avait un champ qui avait besoin d’être arrosé, et à un autre endroit il y avait... à une distance d’ici au bout de la salle, il y avait un petit endroit ensoleillé, tout était sec, parce qu’il était nécessaire qu’il y ait du soleil. Naturellement, si vous allez au point de vue scientifique, ils vous expliqueront ça très scientifiquement! Mais moi, je l’ai vu comme le résultat d’une intervention: quelqu’un qui a su le demander et qui l’a obtenu.

En Algérie, j’ai vu pas mal de choses comme ça, très intéressantes. Et justement, là, parce qu’il y avait une certaine atmosphère de connaissance un peu plus réelle, pourrait-on dire, il y avait des petites entités comme, par exemple, des entités qui maniaient la neige, n’est-ce pas, qui produisaient la neige, et qui pouvaient venir, entrer dans une chambre et dire à quelqu’un: «Maintenant, il faut qu’il neige ici!» (Il n’avait jamais neigé dans ce pays, jamais.) — «Neiger! Tu plaisantes! Près du Sahara, il va neiger!» — «Il faut qu’il neige, parce qu’on a mis des sapins sur la montagne et que, quand nous voyons les sapins, nous venons. Les sapins, c’est pour nous appeler; par conséquent nous venons.» Et alors, n’est-ce pas, il y avait une discussion, et le petit être est parti avec la permission de neiger, et quand il est parti, par terre il y avait un petit lac de neige, de neige fondue qui s’était changée en eau — ça c’était physique —, et la montagne s’est couverte de neige. En Algérie! Ça c’est tout près du Sahara, on descend quelques kilomètres et on est au Sahara. Quelqu’un s’était amusé à couvrir toutes les collines avec des sapins. «Le sapin, c’est un arbre des pays froids! Pourquoi vous nous appelez? Nous venons!» Tout ça, c’est une histoire vraie, ce n’est pas une invention.

Tout dépend de votre relation. Ça aussi, il se peut très bien que les savants météorologistes auraient pu l’expliquer, je n’en sais rien, ils expliquent tout ce que l’on veut.

(Une question est posée à Mère sur la régularité des saisons, mais l’enregistrement défectueux ne permet pas d’en transcrire les mots exacts.)

Quelle est en fait la régularité? Moi je sais que, depuis que je suis ici, j’ai vu toutes les choses possibles, et il n’y a que quelques jours — il y a très peu de jours —, je disais: «Tiens, nous sommes en plein été, il fait une chaleur d’été», et c’était au commencement de novembre. Il faisait beaucoup plus chaud qu’il n’a fait au mois de mai cette année. Seulement, nous pensons comme ça: «Maintenant, c’est l’été; après ça, vient l’automne; puis viendra l’hiver.» Et alors, nous nous adaptons, mais ce n’est pas vrai. Mais tenez, il y a des choses comme ça. Les gens du pays m’ont dit... Je suis arrivée au mois d’avril la seconde fois; la première fois... la première fois c’était le 29 mars. À cette époque-là, c’était entendu, il ne pleuvait jamais dans ce pays-ci pour au moins trois mois — pas une goutte d’eau, tout devenait sec, les feuilles que l’on met sur les toits, elles séchaient tellement que tout d’un coup, un jour, elles flambaient, c’était comme ça. J’arrive, et une pluie é-pouvan- table! Alors, les gens m’ont regardée (ici, ils ont un petit peu quelque chose comme un sentiment que les choses ne sont pas tout à fait mécaniques, n’est-ce pas). «Comment ça se fait qu’il pleut?» Alors moi, j’ai répondu: «Je ne sais pas, ce n’est pas moi, mais je suis en amitié avec la pluie.»

Je suis arrivée à Pau, dans le sud de la France, à un moment où il ne pleut jamais — c’est-à-dire que les gens qui pouvaient se souvenir depuis leur petite enfance, ils n’avaient jamais vu une goutte d’eau — il pleut à torrent!

J’arrive dans le sud algérien, naturellement il fait sec et, n’est-ce pas, une chaleur torride — il se met à pleuvoir! (rires)

Et alors ici, il est arrivé la même chose, et on a répondu que cela ne s’était vu qu’une seule fois... je ne sais plus... quelque chose comme il y a deux cents ans. On se souvenait de ça, et que c’était quelqu’un qui était arrivé, il avait plu, et on l’avait pris comme un signe tout à fait faste, n’est-ce pas — que c’était le signe d’une destinée exceptionnelle. Ils ont des idées ici à propos des heures fastes et des heures néfastes, et de l’événement faste et des événements néfastes. Eh bien, quand quelqu’un arrive à un moment où il ne pleut pas et que la pluie tombe, il paraît que c’est un événement très faste.

Par conséquent, les choses sont suivant la manière dont on les regarde. Mais moi j’ai vu d’autres choses qui sont comme ça, mais pas très agréables. C’est depuis que les hommes ont inventé — pas inventé, mais découvert — et qu’ils ont commencé à jouer comme des bébés avec des choses qu’ils ne savaient pas, et qu’ils ont produit des bombes atomiques, et d’autres choses encore pires. Ça a vraiment dérangé énormément toutes ces petites entités qui, justement, vivaient selon un certain rythme qui leur était propre et avaient des habitudes, et qui rendaient au moins les événements prévisibles. Ça les a beaucoup, beaucoup dérangées, elles en ont souffert énormément, et ça leur a fait perdre la tête, elles ne savent plus ce qu’elles font.

Il y avait un temps, à la fin de la guerre, vraiment les choses étaient devenues là-haut terriblement chaotiques, on vivait dans l’absurde; et comme on continue ces malheureuses expériences, elles ne sont pas encore sorties de leur affolement. Elles sont affolées. Vraiment, les hommes jouent avec des choses qu’ils ne connaissent que du dehors, c’est-à-dire qu’ils ne connaissent pas du tout. Ils savent juste assez pour s’en mal servir. N’importe quoi peut arriver, y compris, hélas! des catastrophes qui ont été prédites depuis très longtemps. Ça peut arriver... Ça dépend... de ce qui interviendra.

Il y a quelque chose à faire. Je vous avais dit ça, je vous avais dit: «Si vous ne voulez pas qu’il pleuve, priez.» Vous avez pris cela pour une plaisanterie.

Quelle est la cause de cette pluie?

Ah! ça paraît... il doit y avoir eu une faute quelque part. On a mécontenté quelqu’un... Qui est-ce qui est mécontent?

Ce que nous faisons le 1er peut fâcher quelqu’un1?

Pas ce que nous faisons. Ça sûrement pas. Peut-être quelque chose dans la manière de le faire. Vous voulez que je vous dise quelque chose... mon expérience des choses?... Parce que ça m’intéresse, tout ça, et je regarde. Malheureusement, j’appartiens au côté du spectateur, je n’interviens pas. C’est très difficile de me faire intervenir dans ces choses. Mais enfin, je voulais savoir et j’ai regardé... et ça, aujourd’hui j’ai vu, j’ai vu ça... comment dire... ce n’est ni entendu ni vu, c’est à la fois entendu et vu et su, tout ce que vous voulez.

Tout ce travail que vous avez fait, qui a pris presque un an, tous ces efforts que vous avez faits, toutes ces difficultés que vous avez surmontées, tout ça, vous l’avez fait comme une offrande à l’OEuvre divine, n’est-ce pas, avec toute votre sincérité et votre bonne volonté, le maximum de votre capacité et d’un bon coeur complet, n’est-ce pas, vous y avez mis tout ce que vous pouviez mettre, vous avez réussi dans une certaine mesure, en tout cas vous avez fait les choses aussi bien que vous pouviez les faire. Alors «ça» a ajouté avec un sourire qui, ma foi, était un petit peu malicieux: «Qu’est-ce que ça peut vous faire que quelques imbéciles voient ce que vous avez fait! Maintenant, vous avez fait le travail, vous l’avez accompli, vous avez montré ce que vous pouviez faire. Qu’est-ce que ça peut vous faire que quelques spectateurs idiots le voient!» C’était clair, n’est-ce pas. (Je l’exprime; en l’exprimant, je le diminue.) C’était un état de conscience, et alors, ma foi, cela m’a un petit peu tourmentée, parce que... tourmentée! c’est une façon de parler... je me suis dit: «Diable! si c’est comme ça, après tout, nous ne sommes pas sûrs que la pluie cessera. Parce que si vraiment cela n’a aucune importance qu’un millier de gens voient ce que nous avons fait, qu’on a accepté notre offrande comme une offrande faite aussi bien que possible et avec tout notre coeur, l’attitude c’est de ne pas se soucier du résultat — nous ne nous soucions pas du résultat.» Alors, peut-être que la pluie continuera.

Je continue mon investigation, je ne sais pas ce qui va se produire. Mais en tout cas, je dois vous dire que je n’ai encore pris aucune décision pour faire arrêter la pluie. Je suis encore dans la période où l’on regarde. Nous verrons. En tout cas, c’était charmant. Je disais: «Est-ce qu’il y a eu quelqu’un qui a introduit là-dedans un sentiment égoïste, ou intéressé, et qui n’a pas fait la chose comme il fallait, dans l’esprit qu’il fallait? Où est la faute?» et tout ça... Il n’y avait rien de tout ça. On était parfaitement satisfait de ce que nous avions fait. C’était du travail bien fait, fait dans le bon esprit, aussi bien que nous pouvions. Tout le monde était content. Il y avait une malice quelque part. Est-ce une malice? C’était très supérieur à une malice: c’était une constatation. Alors, nous allons voir. Moi, pour moi, ça m’intéresse, ces choses-là. Malheureusement, c’est comme ça, je ne peux pas prendre parti; je regarde, et ça m’amuse. (rires)

Je dois dire que si je considère tout l’effort que vous avez fait, et très bien fait, je me dis: «Oh! ils sont bien gentils. Vraiment, il faudrait qu’ils puissent montrer ça.» Mais c’est comme ça, n’est-ce pas, c’est comme ça, ce n’est pas une volonté qui s’éveille et qui dit: «Maintenant, c’est ça!» Quand ça, ça s’éveille, tout va bien, tout le monde obéit, même les petites entités, là-haut. Et c’est pour ça que je vous ai dit: «Il faut les prier», parce que si vous vous mettez à prier, vous, je serai naturellement avec vous dans votre prière. C’est ça, le truc. (rires)

Est-ce que l’effort fut vraiment satisfaisant?

Eh bien, n’est-ce pas, si moi, je me place au point de vue extérieur de la capacité humaine et de ce qui peut être fait, je suis obligée de dire: «On peut faire mieux.» Mais cette chose-là ne regarde pas à ça. C’est la chose dont je vous parlais hier et qui, n’est-ce pas, prend l’effort dans son sens plus profond, dans le sens de l’offrande faite.

Nous avons dit cela bien des fois, que tout travail est une prière faite avec le corps, et que la vraie attitude dans le travail c’est une offrande au Divin. Eh bien, «ça» a été satisfait de la façon dont la chose a été faite. Parce que je regardais — pour voir, comme j’ai dit, s’il y avait eu des choses qui n’étaient pas comme il fallait. Mais en tout cas, à l’oeil de cette conscience qui regardait, c’était satisfaisant. Matériellement, n’est-ce pas, j’ai dit: «Dans la conscience humaine extérieure, ça peut être fait beaucoup mieux.» Ça, c’est entendu — nous n’avons pas atteint un maximum de perfection, loin de là! mais il faut dire aussi que c’est seulement une toute petite partie de notre activité... que nous essayons beaucoup plus que ça, que c’est seulement un des mouvements de notre sâdhanâ, n’est-ce pas. Nous sommes employés à beaucoup d’autres choses que ça... Une chose parmi d’autres... Et pour mettre debout une chose comme ça, selon les lois de perfection humaine d’accomplissement, il aurait fallu infiniment plus de temps, infiniment plus de travail et infiniment plus de moyens. Mais nous ne cherchons pas une perfection exclusive dans une chose ou dans une autre, nous essayons de faire marcher tout ensemble vers une perfection intégrale, générale. Et ces choses-là ont leur place et leur importance, mais elles n’ont pas une place et une importance exclusives. Par conséquent, au point de vue extérieur, on peut critiquer et trouver à redire et tout ça; mais ce n’est pas ça, le vrai point de vue. Intérieurement, c’est bien.

N’est-ce pas, il arrive tout le temps aux nouveaux venus, aux étrangers, aux visiteurs, à ceux qui arrivent avec toutes les constructions mentales humaines ordinaires... ils arrivent ici et ils disent: «Boh, boh, boh, il n’y a rien de si remarquable, ce n’est pas si extraordinaire, toutes leurs capacités sont d’un ordre moyen.» Mais ça, c’est parce qu’ils pensent comme ce que moi j’appelle être des lourdauds, avec une conscience tout à fait ordinaire; mais s’ils pouvaient voir, derrière les apparences, la réalité des choses, ils verraient que ce n’est pas si facile que ça, qu’il y a quelque chose d’autre qui marche tout ensemble vers une réalisation qui dépasse infiniment toutes leurs petites conceptions; ça, ils ne peuvent pas le voir. Et c’est pour ça, probablement... cette chose qui me répondait, disait: «Mais qu’est-ce que ça peut vous faire qu’un millier d’imbéciles voient l’effort que vous avez fait!» Parce que c’est vraiment... il y a une chose certaine, c’est que, si vous voyez la loi profonde des choses et que vous êtes en rapport avec une conscience supérieure pour réaliser quelque chose qui dépasse de beaucoup toutes les conceptions humaines, qu’est-ce qu’une opinion humaine peut vous faire? C’est comme si vous demandiez à un chien quelle est la valeur d’un problème de science que vous avez résolu. Ça ne vous viendrait pas à l’idée, n’est-ce pas? Vous savez que le chien n’a pas les éléments nécessaires pour juger de votre problème scientifique. Mais ça, c’est une différence encore beaucoup plus grande... Les gens n’ont aucune notion même de ce que c’est que la vie spirituelle et que la réalisation divine; et naturellement, à cause même de leur ignorance, ils viennent juger tout cela avec une aisance parfaite — de ce que vous faites ou de ce que vous ne faites pas et de la manière de le faire et de comment vous vivez — parce qu’ils n’y entendent rien et qu’ils ne voient rien du tout.

C’est pour ça que les gens qui viennent demander quelles sont les qualifications que l’on obtient à l’Université Internationale de Sri Aurobindo2, je réponds: «Allez donc, allez donc, il y a une quantité innombrable d’universités qui sont infiniment supérieures à la nôtre, beaucoup mieux équipées, beaucoup mieux organisées. La nôtre n’est rien, n’est-ce pas, c’est juste une goutte d’eau dans l’océan. Allez donc, il y en a partout, il y en a même dans l’Inde, il y en a dans tous les grands pays, il y a des universités infiniment plus importantes — supérieures — que la nôtre. Allez donc là-bas. Vous aurez beaucoup plus ce qu’il vous faut.» C’est pour ça que nous n’essayons pas d’entrer en compétition avec d’autres institutions.

Alors, Mère, en face de ces spectateurs, quelle attitude doit-on avoir?

Les aimer de tout votre coeur, mes enfants, et vouloir qu’ils naissent à la lumière, c’est la seule chose, c’est la seule façon de résoudre le problème. S’ils se mettent à bavarder, vous pouvez être polis et ne pas les contredire, ne rien leur dire du tout. Il faut surtout éviter de discuter et d’essayer de les convaincre, parce que ça c’est une tentative impossible. Il faut être absolument indifférent à leurs compliments et à leurs critiques. C’est beaucoup plus facile d’être indifférent à la critique qu’aux compliments.

Quand Madame David-Néel... je vous ai parlé d’elle, n’est-ce pas, Madame David-Néel qui est une militante et une grande lumière bouddhiste... quand elle était venue dans l’Inde, elle a été trouver quelques-uns de ces grands sages, ou gurus — je ne donnerai pas les noms, mais elle est allée à l’un, qui l’a regardée et qui lui a dit... parce qu’on parlait de yoga et d’effort personnel et tout ça... il l’a regardée, il lui a dit: «Est-ce que vous êtes indifférente à la critique?» Alors, elle lui a répondu la phrase classique: «Est-ce qu’on se soucie de l’aboiement d’un chien?» Mais elle a ajouté (à moi, en me racontant l’histoire) avec beaucoup d’esprit: «Heureusement qu’il ne m’a pas demandé si j’étais indifférente aux compliments, parce que ça c’est beaucoup plus difficile!»

Enfin, voilà. Naturellement, il faut éviter de vous croire le moins du monde supérieurs, et je vais vous dire pourquoi. Parce que je viens de vous parler de quelque chose et d’une réalisation intérieure, mais à moins de quelques phrases vagues et imprécises, vous seriez, à peu de choses près, tout à fait incapables de me dire de quoi j’ai parlé. Vous savez vaguement, comme ça, qu’on est en train de faire quelque chose, mais ce que c’est et ce qui est au bout et quels sont les changements intérieurs qui peuvent nous mettre un peu à part de l’humanité ordinaire, vous n’en êtes pas conscients, et vous seriez extrêmement gênés si je vous demandais de m’expliquer ce que c’est. Alors, comme dans un être c’est seulement la conscience qui compte, il ne faut pas du tout vous croire supérieurs.

Parce que, de deux choses l’une: vous ne pouvez vous croire supérieurs que si vous êtes inconscients; de la minute où vous êtes vraiment conscients, vous perdez complètement cette notion de supériorité et d’infériorité. Alors, dans les deux cas, il ne faut pas se sentir supérieur parce que c’est une petitesse et une mesquinerie, mais se sentir plein de bonne volonté et de sympathie et se soucier fort peu de ce que l’on dit ou l’on ne dit pas, mais être poli, parce qu’il est toujours préférable d’être poli qu’impoli, qu’on se mette en rapport avec des forces plus harmonieuses et qu’on puisse beaucoup mieux lutter contre les forces de destruction et de laideur, pas pour d’autres raisons que ça, parce qu’on aime l’harmonie et qu’il vaut mieux la conserver. Mais au fond, il faudrait être très au-dessus de tout ça et se sentir seulement intéressé dans votre relation avec le Divin, ce qu’Il attend de vous et ce que vous voulez faire pour Lui. Parce que ça c’est la seule chose qui compte. Tout le reste n’a aucune importance. Il y a des gens qui veulent montrer leur supériorité. Cela prouve qu’ils sont tout petits. Plus on veut montrer sa supériorité, plus cela prouve qu’on est tout petit. N’est-ce pas, un petit enfant qui vit simplement, sans se regarder vivre, est beaucoup plus grand que vous, parce qu’il est spontané.

Voilà. Maintenant, tu as quelque chose à me demander? Non, rien?

Comment est-il possible qu’une chose presque achevée par des masses de bonnes volontés soit gâchée par une seule petite mauvaise volonté?

Que la petite mauvaise volonté dérange tout le travail de la bonne volonté? Qui a dit ça?

Très souvent ça arrive.

(Mère a du mal à entendre le disciple) Ça arrive toujours?

Dans les Lettres, Sri Aurobindo le dit: le Supramental pouvait descendre, mais à cause de la mauvaise volonté des gens de l’Ashram, il a été obligé de se retirer.

Mais moi, je n’ai jamais vu ça. J’avoue que je ne comprends pas. Moi, je trouve que c’est tout l’opposé, que même quand il y a une masse de mauvaises volontés, s’il y a seulement une bonne volonté quelque part (rires), ça fait agir la Grâce, et que tout s’arrange.

Ce que vous venez de dire...

Cela n’a rien à faire avec ça.

S’il y a une concentration...

Qu’est-ce que j’ai dit? Voilà que j’oublie... M’entendre dire des choses impossibles!... Il y avait quoi?

(Pavitra) Une constatation.

Constatation de quoi?

(Le disciple marmotte une réponse que Mère n’entend pas) Vous comprenez ce qu’il dit? Moi pas.

(Un enfant) Il a pris ça comme une mauvaise volonté.

Il n’a rien compris du tout, absolument rien compris de ce que j’ai dit. Absolument rien. Ce n’est pas du tout ça, ce n’est pas du tout ça. Ça ne venait pas d’en bas, ça venait de beaucoup plus haut que ta conscience ne peut arriver. Ce n’est pas du tout ça. Ce n’est pas une mauvaise volonté, il s’en faut infiniment. C’est comme ça qu’on comprend ce que je dis! Il faut que je me méfie! Il y a quelqu’un d’autre qui avait compris comme ça? (À un enfant) Tu avais compris comme ça aussi, toi? (rires)

Tiens, cela ne m’était même pas venu à l’esprit. Je ne comprenais rien à ce qu’il voulait dire. C’était tellement loin. Si j’avais pensé une minute que ça puisse être compris comme ça, je n’aurais jamais rien dit.

Bon! Alors, c’est tout. Je crois que ça suffit pour aujourd’hui...

Comment devenir indifférent à la critique?

Monter quelque part sur l’échelle — dans sa propre conscience —, regarder les choses d’une façon un peu plus vaste, un peu plus générale. Par exemple, si à un moment donné il y a quelque chose qui vous tient, qui vous grip comme ça, qui vous tient serré, et que vous voulez absolument que «ça soit», et vous êtes en train de lutter contre un obstacle terrible, n’est-ce pas, quelque chose qui fait que «ça n’est pas», si simplement, à ce moment-là, vous commencez à sentir, à réaliser les milliards de milliards d’années qu’il y a eues avant ce moment présent, et les milliards de milliards d’années qu’il y aura après ce moment présent, et comment ce petit événement-là a une importance par rapport à tout ça — il n’y a pas besoin d’entrer dans une conscience spirituelle, ou n’importe quoi, simplement entrer en rapport avec l’espace et le temps, de tout ce qui est avant, de tout ce qui est après et de tout ce qui se passe en même temps —, si on n’est pas un idiot, immédiatement on se dit: «Oh bien, je suis en train d’attacher de l’importance à quelque chose qui n’en a pas.» C’est forcé, n’est-ce pas. Ça perd toute son importance, immédiatement.

Si on peut visualiser l’immensité simplement de la création — je ne suis pas en train de parler de monter dans des hauteurs spirituelles —, simplement l’immensité de la création dans le temps et l’espace, et ce petit événement sur lequel vous vous concentrez avec une importance (comme si c’était quelque chose qui a de l’importance)... immédiatement, ça, ça fait comme ça (geste), et ça se dissout, si vous le faites sincèrement. Si, naturellement, il y a une partie de vous-même qui vous dit: «Ah, mais pour moi, ça a de l’importance», alors, là, vous n’avez qu’à abandonner la partie et garder votre conscience telle quelle. Mais si sincèrement vous voulez voir les choses dans leur vraie valeur, c’est très facile.

Il y a d’autres procédés, n’est-ce pas. Il y a un sage chinois qui vous conseillait de vous coucher sur les événements comme on fait la planche sur l’océan, en imaginant cette immensité de l’océan et que vous vous laissez aller sur cette... n’est-ce pas, sur les vagues, comme quelque chose qui contemple le ciel et qui se laisse emporter. En chinois, ils appellent ça wu weï. Quand vous pouvez faire ça, tous vos tourments s’en vont. Je connaissais un Irlandais qui, lui, se couchait sur le dos, et il regardait dehors, autant que possible un soir où il y avait des étoiles au ciel, il regardait, contemplait le ciel et s’imaginait qu’il flottait dans cette immensité innombrable de points lumineux.

Et immédiatement, tous les tourments se calment.

Il y a beaucoup de manières. Mais sincèrement, vous n’avez qu’à... le sens de la relativité entre votre petite personne et l’importance que vous donnez aux choses qui vous concernent, et l’immensité universelle, ça suffit. Naturellement, il y a un autre moyen, c’est de se dégager de la conscience terrestre, et de monter dans une conscience supérieure où, alors là, ces choses terrestres prennent leur vraie place — c’est-à-dire qu’elle est toute petite.

Mais... justement, une fois, il y a fort longtemps, quand j’étais encore à Paris et que je voyais Mme David-Néel presque tous les jours, elle, n’est-ce pas, elle était en plein dans son idée et elle me disait: «Vous ne devriez pas penser à une action, c’est de l’attachement pour l’action; quand vous voulez faire quelque chose, cela veut dire que vous êtes encore liée aux choses de ce monde.» Alors je lui disais: «Non, il n’y a rien de plus facile. Vous n’avez qu’à vous imaginer tout ce qui a été fait auparavant et tout ce qui se fera après et tout ce qui est en train de se faire, et alors vous vous apercevez que votre action, c’est un souffle, comme ça, une seconde dans l’éternité, et vous ne pouvez plus y être attachée.» À ce moment-là, je ne connaissais pas le texte de la Gîtâ. Je ne l’avais pas encore lu complètement, n’est-ce pas (quelques mots inaudibles)... pas ce texte-là, celui que je traduis à ma manière: «Et détaché de tout fruit de l’action, agis.» Ce n’est pas comme ça, mais enfin c’est ce que ça veut dire. Ça, je ne le savais pas, mais je disais exactement ce qui est dit dans la Gîtâ.

Mais ce n’est pas parce que vous croyez à votre action, que vous devez agir; vous agissez parce que vous devez agir, c’est tout. Seulement, c’est une condition qui peut être quelquefois un peu dangereuse au point de vue extérieur, parce que, au lieu de vouloir avec une autorité souveraine que la pluie cesse, on regarde ce qui se passe. Voilà. Mais je vous dis: «Si vous voulez prier, priez.»

On peut prier maintenant. (rires)

Il a de l’esprit!

Bon, alors, pas de lumière. Nous prions.

 

1 Comme la démonstration d’éducation physique du lendemain, le programme théâtral du 1er décembre est destiné à célébrer l’anniversaire du Centre International d’Éducation Sri Aurobindo. Jusqu’en 1955, ce programme avait lieu non au théâtre de l’Ashram — qui fut ouvert l’année suivante —, mais au Terrain de Jeux. À cette époque comme aujourd’hui, il consistait le plus souvent en la présentation d’oeuvres, ou d’extraits d’oeuvres de la Mère et de Sri Aurobindo.

En arrière

2 Aujourd’hui, Centre International d’Éducation Sri Aurobindo.

En arrière