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Mère

Entretiens

 

Le 28 décembre 1955

L'enregistrement   

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Cet Entretien est basé sur le chapitre II de La Synthèse des Yogas, «La Consécration de soi».

Douce Mère, qu’est-ce que c’est, «une concentration ouverte à tout ce que caractérise essentiellement le yoga intégral»?

Une concentration ouverte?

Non — une concentration qui est ouverte à tout ce qui est; c’est une concentration qui ne s’oppose à aucune chose. Ce n’est pas «une concentration ouverte», c’est une concentration qui est ouverte... Cela veut dire qu’il ne faut pas rejeter de soi certaines choses, et faire une concentration exclusive sur un point donné en négligeant tous les autres. Toutes les possibilités doivent être admises et poursuivies.

Ici il est écrit: «Notre seul objectif doit être le Divin Lui-même vers qui, le sachant ou non, quelque chose dans notre nature cachée aspire toujours.»

Quelle est cette chose, Douce Mère, qui aspire?

C’est la partie de notre être, qui n’est pas toujours la même dans tous, et qui est instinctivement ouverte à l’influence du psychique.

Il y a toujours une partie — quelquefois justement très voilée, dont nous ne sommes pas conscients — il y a toujours dans l’être quelque chose qui est tourné vers le psychique et qui reçoit son influence. C’est ce qui est l’intermédiaire entre la conscience psychique et la conscience extérieure. Ce n’est pas dans tout le monde la même chose; dans chacun c’est différent. C’est le point de sa nature ou de son caractère par lequel il peut toucher le psychique, où il peut recevoir l’influence psychique. Cela dépend des gens; pour chacun c’est différent; chacun a un point comme ça.

On peut sentir aussi qu’il y a certaines choses qui tout d’un coup vous poussent, vous élèvent au-dessus de vous-même, ouvrent comme une porte sur quelque chose de plus grand. Cela peut être beaucoup de choses; et cela dépend de la nature de chacun. C’est la partie de l’être qui s’enthousiasme pour quelque chose; c’est cette capacité d’enthousiasme.

Il y a deux choses principales. Celle-là, la capacité de s’enthousiasmer, qui fait qu’on sort de son inertie plus ou moins grande, pour se jeter d’une façon plus ou moins totale dans la chose qui vous enthousiasme. Par exemple, l’artiste pour son art, le savant pour sa science. Et en général, toute personne qui crée ou qui construit a une ouverture, l’ouverture d’une faculté spéciale, d’une possibilité spéciale, qui crée en vous un enthousiasme. Quand cela peut être actif, alors quelque chose de l’être s’éveille, et il y a une participation de presque tout l’être à la chose faite.

Il y a ça. Et puis il y a ceux qui ont une faculté innée de gratitude, ceux qui ont un besoin ardent de répondre, de répondre avec chaleur, dévouement, joie, à quelque chose qu’ils sentent comme une merveille qui est cachée derrière toute la vie, derrière le moindre petit élément, le moindre petit événement de la vie, qui sentent cette beauté souveraine ou cette Grâce infinie qui est derrière toutes choses.

J’ai connu des gens qui ne savaient pour ainsi dire rien, qui étaient très peu éduqués, dont le mental était d’une qualité tout à fait ordinaire, et qui avaient en eux cette capacité de gratitude, de chaleur qui se donne, qui comprend et qui remercie. Eh bien, pour eux, le contact avec le psychique était très fréquent, presque constant, et dans la mesure où ils en étaient capables, était conscient — pas très conscient, mais un peu conscient —, dans le sens qu’ils se sentaient portés, aidés, soulevés au-dessus d’eux-mêmes.

Ce sont les deux choses qui préparent le plus les gens. Ils sont nés avec l’une ou l’autre; et s’ils en prennent la peine, ça se développe petit à petit, ça grandit.

Nous disons: la capacité d’enthousiasme, quelque chose qui vous projette en dehors de votre petit ego misérable et mesquin; et la gratitude généreuse, la générosité de la gratitude qui se jette aussi, en reconnaissance, en dehors du petit ego. Ce sont les deux plus puissants leviers pour entrer en contact avec le Divin dans son être psychique. C’est ça qui sert de lien avec l’être psychique — le lien le plus sûr.

(silence)

C’est tout?

Douce Mère, est-ce que dans les êtres les plus vilains quelque chose aspire?

Dans les êtres les plus vilains? Oui, mon petit. Même dans les asuras, même dans les Adversaires, même dans les monstres, il y a quelque chose. Il y a toujours un coin, une sorte de faille, un point sensible, que généralement on appelle une faiblesse. Mais celle-là c’est la force de l’être, le point par lequel ils peuvent être touchés.

Parce que même dans l’être le plus obscur et le plus dévoyé, même dans celui dont la volonté consciente est de lutter contre le Divin, malgré eux, malgré tout, leur origine est divine. Et ils ont beau faire, beau essayer de se couper de leur origine, ils ne le peuvent pas. Volontairement, consciemment, ils essayent tout ce qu’ils peuvent; mais ils savent très bien qu’ils ne le peuvent pas. Même l’être le plus monstrueux, il y a toujours un moyen de le toucher.

Le Divin, l’action du Divin dans le monde agit toujours comme une limite à l’excès du mal, et en même temps donne une puissance illimitée au bien. Et c’est cette puissance illimitée du bien qui, extérieurement, dans la manifestation, sert de limite à l’expansion du mal. Naturellement, pour la vision très limitée des êtres humains, il paraît quelquefois que le mal n’a pas de limites, et qu’il va jusqu’à son maximum. Mais ce maximum lui-même est une limite. Il y a toujours un arrêt, parce qu’il y a un point où le Divin se dresse et dit: «Tu n’iras pas plus loin.» Que ce soient les grandes destructions de la Nature, ou les monstruosités des hommes, il y a toujours un moment où le Divin intervient et empêche que ça aille plus loin.

(long silence)

Douce Mère, ceux qui ont cette aspiration sans le savoir, est-ce qu’ils progressent aussi sans le savoir?

Oui, oui.

Alors tout le monde progresse toujours, n’est-ce pas?

D’une certaine manière, oui. Seulement, ça peut ne pas être apparent dans une existence; parce que, quand il n’y a pas la participation consciente de l’être, le mouvement est relativement lent, même relativement vis-à-vis de la courte durée de la vie humaine. Et alors, il se peut très bien que, par exemple, au moment de la mort, un être semble ne pas avoir progressé, et même quelquefois il semble avoir été à reculons, avoir perdu ce qu’il avait au commencement de sa vie. Mais si on prend la grande courbe de la vie de son être psychique à travers beaucoup d’existences, il y a toujours un progrès. Chaque expérience qu’il a eue dans une de ses existences physiques, lui sert à faire un progrès. Mais c’est l’être psychique qui progresse toujours.

L’être physique, dans l’état où il est maintenant, eh bien, arrivé à un certain point d’ascension, il redescend. Il y a des choses qui peuvent ne pas redescendre, d’une façon grossière; mais enfin il redescend, on ne peut pas le nier.

L’être vital, pas nécessairement. Et l’être mental non plus. L’être vital, s’il sait se brancher sur la force universelle, peut très bien n’avoir aucune rétrogression; il peut continuer une ascension. Et l’être mental, c’est tout à fait certain, il est complètement libre de toute dégénérescence s’il continue à se développer normalement. Alors ceux-là font toujours des progrès, tant qu’ils restent coordonnés et sous l’influence du psychique.

Ce n’est que l’être physique qui croît et qui se décompose. Mais cela provient de son manque de plasticité et de réceptivité, et par sa nature même ce n’est pas inévitable. Par conséquent, il y a tout lieu de croire qu’à un moment donné, à mesure que la conscience physique elle-même progressera consciemment et volontairement, eh bien, dans une certaine mesure et de plus en plus, le corps lui-même pourra d’abord résister à la déchéance — qui doit évidemment être le premier mouvement — et puis, peu à peu, commencer à croître en perfection intérieure, jusqu’à ce qu’il surmonte les forces de décomposition. Mais à vrai dire, c’est la seule chose qui, pour le moment, ne progresse pas. Tout le reste est en progrès.

Mais cette substance elle-même — c’est-à-dire cette substance physique matérielle qui se forme, constitue un organisme qui vit pendant un certain temps sous une forme donnée, et puis cette forme décroît et se dissout — la substance elle-même qui constitue ces formes successives, à travers toutes ces formes, elle progresse. C’est-à-dire que la substance moléculaire, cellulaire — peut-être même cellulaire, moléculaire et atomique — est en progrès dans sa capacité d’expression de la Force et de la Conscience divines. À travers tous ces organismes, cette substance devient de plus en plus consciente, de plus en plus lumineuse, de plus en plus réceptive, jusqu’au moment où elle aura atteint une perfection suffisante pour devenir un véhicule possible pour la Force divine elle-même, qui pourra se servir d’elle comme elle se sert des éléments des autres parties de la Création, comme le mental ou le vital.

Et à ce moment-là, la substance physique sera prête pour manifester dans le monde la Conscience nouvelle, la Lumière nouvelle, la Volonté nouvelle. À travers tous les siècles, par des vies innombrables, en passant par des organismes innombrables, servant à des expériences innombrables elle se... pour ainsi dire, elle s’affine, elle se prépare, et elle devient de plus en plus réceptive et ouverte aux Forces divines.

Alors un homme, en tant qu’être individuel momentané, peut ne pas avoir l’air de progresser. Mais le progrès est continu à travers lui, comme à travers tous les organismes.

(silence)

(À l’enfant) Tu as l’air de penser que ce n’est pas très consolant!

C’est tout de même une consolation, parce que, au fond, il n’appartient qu’à chaque être individuel de précipiter le mouvement du progrès en y travaillant consciemment. Cette liberté-là est laissée à chacun, alors il n’y a qu’à en profiter. Il n’y a pas de loi inéluctable qui empêche qui que ce soit de participer consciemment au progrès universel. Cette liberté-là lui est donnée.

Rien? Alors pas de questions?... Plus de questions? Rien? Plus rien? (À un enfant) Ou tu as quelque chose à demander?

Douce Mère, qu’est-ce que ça signifie quand on voit dans un rêve un serpent blanc avec deux têtes?

Cela dépend du contexte... C’est difficile à dire. Logiquement ça doit être le sens de l’énergie purifiée. Deux têtes? Ça dépend du contexte (cela veut dire les circonstances dans lesquelles on voit, ce qui est arrivé avant, ce qui arrive en même temps, et ce qui est arrivé après). Si c’est seulement un serpent comme ça, à deux têtes...

C’était dans cette chambre, Douce Mère. Je ne sais pas qui était là, mais dans le tiroir de Gauri, ici, il y avait le serpent, et dès que j’ai ouvert, il est sorti. Alors tu l’as pris par la queue, et il t’a mordue — mais ça n’a rien fait. Alors tu l’as fait sortir par l’autre fenêtre.

Il était blanc?

Oui.

Et il avait deux têtes?

Oui.

(silence)

Tu es sûre qu’il a mordu?

Je ne sais pas.

Enfin, tu te souviens comme ça.

Oui.

Dans quel tiroir?

Ici, Douce Mère, où tu mets les fleurs.

La boîte?

Oui.

(silence)

Je l’ai jeté dehors?

Pas jeté, mais tu l’as laissé sortir de là. Tu l’as mis sur la fenêtre et il est sorti.

Tout à fait blanc?

Je crois.

Les yeux? Tu n’as pas vu?

Je ne sais pas.

Quand c’est arrivé?

Il y a deux ou trois jours, je crois.

Bien.

Alors, méditation?

(méditation)