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Mère

Entretiens

 

Le 4 janvier 1956

L'enregistrement   

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«Si nous voulons tenter un yoga intégral, autant partir d’une idée du Divin qui soit elle-même intégrale. Il faut une aspiration assez vaste dans le coeur pour que la réalisation soit sans étroites limites. Non seulement nous devons éviter le point de vue religieux sectaire, mais toutes les conceptions philosophiques exclusives qui veulent enfermer l’Ineffable dans une formule mentale rétrécissante.» (Sri Aurobindo, La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 90)

Douce Mère, qu’est-ce que Sri Aurobindo entend par une «idée intégrale du Divin»?

Chacun se fait une idée du Divin selon son goût personnel, ses possibilités de compréhension, ses préférences mentales et même ses désirs. On se fait l’idée du Divin que l’on veut, du Divin que l’on désire rencontrer, et alors naturellement on limite considérablement sa réalisation.

Mais si l’on peut arriver à comprendre que le Divin est tout ce que nous pouvons concevoir, et infiniment plus, nous commençons à nous acheminer vers l’intégralité. L’intégralité est une chose extrêmement difficile pour une conscience humaine, qui ne commence à être consciente qu’en limitant. Mais enfin avec un petit effort, pour ceux qui savent jouer avec les activités mentales, il est possible de s’élargir suffisamment pour approcher de quelque chose d’intégral.

Tu te fais une idée du Divin, n’est-ce pas, qui s’accorde à ta propre nature et à ta propre conception. Alors, si tu veux sortir un peu de toi-même et tâcher de faire justement un yoga intégral, il faut que tu essayes de comprendre que le Divin n’est pas seulement tel que tu Le penses ou tel que tu Le sens, mais qu’Il est aussi comme Le pensent et Le sentent tous les autres — et en plus, quelque chose que personne ne peut penser et ne peut sentir.

Alors si tu comprends cela, tu as mis le premier pas sur le chemin de l’intégralité.

Instinctivement, et sans même s’en rendre compte, les gens s’obstinent à vouloir que le Divin s’accorde à leurs conceptions. Parce que tout spontanément, s’ils ne réfléchissent pas, ils vous disent: «Oh! ça, c’est divin; ça, ce ne l’est pas!» Qu’est-ce qu’ils en savent? Et puis, il y a ceux qui n’ont pas encore mis le pas sur le chemin, qui arrivent ici et qui voient les choses, ou qui voient les gens, et qui vous disent: «Cet Ashram n’a rien à voir avec le Divin, ce n’est pas du tout divin.» Mais si on leur demande: «Qu’est-ce qui est divin?», ils seraient bien embarrassés de le dire; ils n’en savent rien. Et moins on sait, plus on juge; c’est un fait absolu. Plus on sait, moins on peut prononcer de jugements sur les choses.

Et il y a un moment où tout ce que l’on peut faire, c’est une constatation; mais juger, c’est impossible. On peut voir les choses, les voir comme elles sont, dans leurs relations et à la place qu’elles occupent, avec la conscience de la différence entre la place qu’elles occupent et celle qu’elles devraient occuper (parce que, cela, c’est le grand désordre dans le monde), mais on ne juge pas. Simplement on voit.

Et il y a un moment où l’on serait incapable de dire: «Ça, c’est divin et ça, ce ne l’est pas», parce qu’il y a un moment où l’on perçoit tout l’univers d’une façon si totale et compréhensive qu’à vrai dire il est impossible d’en retirer quelque chose sans tout déranger.

Et encore un ou deux pas de plus, et on sait d’une façon certaine que ce qui nous choque comme étant une contradiction du Divin, ce sont tout simplement des choses qui ne sont pas à leur place. Il faut que chaque chose soit exactement à sa place, et en plus, qu’elle soit assez souple, assez plastique pour admettre, dans une organisation harmonieuse, progressive, tous les éléments nouveaux qui s’ajoutent constamment à l’univers manifesté. L’univers est en perpétuel mouvement de réorganisation intérieure et en même temps il s’agrandit, pour ainsi dire, ou se complique de plus en plus, devient de plus en plus complet, de plus en plus intégral — et cela, indéfiniment. Et à mesure que les éléments nouveaux se manifestent, toute la réorganisation doit être refaite sur une base nouvelle, ce qui fait qu’il n’est pas une seconde où tout ne soit dans un mouvement perpétuel. Mais si le mouvement est selon l’ordre divin, il est harmonieux, si parfaitement harmonieux qu’il n’est presque pas perceptible, qu’il est difficile de le percevoir.

Maintenant, si l’on redescend de cette conscience vers une conscience plus extérieure, naturellement on commence à sentir d’une façon très précise les choses qui vous aident à atteindre à la vraie conscience et celles qui barrent le chemin, ou qui tirent en arrière, ou qui même luttent contre l’avance. Et alors le point de vue change et on est obligé de dire: ceci est divin, ou ceci aide vers le Divin; et cela est contre le Divin, c’est l’ennemi du Divin.

Mais c’est un point de vue pragmatique, pour l’action, pour le mouvement dans la vie matérielle — parce que l’on n’a pas encore atteint à la conscience qui dépasse tout cela; parce qu’on n’est pas arrivé à cette perfection intérieure qui fait que l’on n’a plus à lutter parce qu’on a dépassé la zone de la lutte, ou le temps de la lutte, ou l’utilité de la lutte. Mais avant cela, avant d’arriver à cet état-là dans sa conscience et dans son action, il y a nécessairement lutte; et s’il y a lutte, il y a choix; et pour le choix, il faut le discernement.

Et le plus sûr moyen d’avoir le discernement, c’est une soumission consciente, volontaire et aussi totale que possible à la Volonté et à la Direction divines. Alors, on ne risque pas de se tromper... et de prendre des fausses lumières pour des vraies.

Douce Mère, Sri Aurobindo dit ici: «En lui, sont l’Amour et la Béatitude de l’Amant divin infini qui attire toutes choses par leur propre chemin vers son heureuse unité.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 91)

Toutes les choses sont attirées par le Divin. Les forces hostiles aussi sont attirées par le Divin?

Cela dépend du point de vue, on ne peut pas dire cela. Parce qu’il y a une attraction potentielle, mais tellement voilée et tellement secrète qu’on ne peut même pas la reconnaître comme une chose existante.

Dans la matière, qui a une apparence d’inertie (c’est seulement une apparence, mais enfin), l’attraction vers le Divin est une possibilité plus qu’un fait; c’est-à-dire que c’est quelque chose qui se développera, mais qui n’existe pas encore d’une façon perceptible.

On peut dire que toute conscience, qu’elle le sache ou non — même si elle ne le sait pas —, gravite vers le Divin. Mais il faut qu’il y ait déjà conscience pour pouvoir affirmer cela.

Et même parmi les êtres humains, qui pour le moment sur la terre sont les êtres les plus conscients, il y en a une immense majorité qui sont potentiellement attirés vers le Divin, mais qui n’en savent rien; et il y en a même qui délibérément refusent cette attraction. Peut-être que dans leur refus, derrière lui, il y a quelque chose qui se prépare; mais ce n’est ni volontairement ni sciemment.

Et alors, (s’adressant à l’enfant) quelle était la fin de ta question?... D’abord, tu postules une chose qui n’est pas correcte, et là-dessus tu poses une question qui naturellement ne tient pas debout, parce que le postulat n’était pas correct.

Je voulais dire...

Oui, oui, je sais très bien ce que tu veux dire.

En fait, finalement, tout sera attiré par le Divin. Seulement, il y a des chemins directs, et il y a des chemins en labyrinthe où l’on semble s’éloigner pendant très longtemps avant de se rapprocher. Et il y a des êtres qui ont choisi le chemin en labyrinthe, et qui ont l’intention d’y rester aussi longtemps qu’ils peuvent. Alors, apparemment, ce sont des êtres qui luttent contre le Divin. Quoique ceux qui sont d’une nature supérieure savent très bien que c’est une lutte absolument vaine et inutile, sans issue; mais ils prennent plaisir à le faire. Même si cela doit les mener à la destruction, ils ont décidé qu’ils le feraient.

Il y a des êtres humains aussi qui se livrent au vice — un vice ou un autre, comme les boissons alcooliques ou les piqûres anesthésiques — et qui savent très bien que cela les conduit à la destruction et à la mort. Mais ils choisissent de le faire, sciemment.

Ils n’ont pas le contrôle d’eux-mêmes.

Il y a toujours un moment où tout le monde a le contrôle. Et si l’on n’avait pas dit oui une fois, si l’on n’avait pas pris la décision, on ne le ferait pas.

Il n’y a pas un corps humain qui n’ait l’énergie et la capacité de résister à une chose qui lui est imposée — si on le laisse faire. Les gens qui vous disent: «Je ne peux pas faire autrement», c’est parce qu’au fond d’eux-mêmes, ils ne veulent pas faire autrement; ils ont accepté d’être les esclaves de leur vice. Il y a un moment où l’on accepte.

Et je vais plus loin, je dis: il y a un moment où l’on accepte d’être malade. Si l’on n’acceptait pas d’être malade, on ne le serait pas. Seulement, les gens sont tellement inconscients d’eux-mêmes et de leurs mouvements intérieurs qu’ils ne s’aperçoivent même pas de ce qu’ils font.

Mais tout dépend de la façon dont on regarde les choses. D’un certain point de vue, il n’est rien qui soit totalement inutile dans le monde. Seulement, les choses qui étaient tolérables et admissibles à un certain moment ne le sont plus à un autre. Et quand elles deviennent inadmissibles, on commence à dire qu’elles sont mauvaises, parce que, alors, une volonté s’éveille de les chasser. Mais dans l’histoire universelle (on peut même dire dans l’histoire terrestre, pour réduire le problème à notre petite planète), je pense que toutes les choses qui existent ont eu leur nécessité et leur importance à un moment donné. Et c’est à mesure que l’on avance que ces choses sont repoussées ou remplacées par d’autres qui appartiennent à l’avenir au lieu d’appartenir au passé. Alors, des choses qui n’ont plus de raison d’être, on dit: «Elles sont mauvaises», parce qu’on essaye de trouver en soi un levier pour les repousser, pour rompre avec l’habitude. Mais peut-être qu’à un moment donné elles n’étaient pas mauvaises et que c’étaient d’autres choses qui l’étaient.

Il y a des manières d’être, des manières de sentir, des manières de faire que l’on tolère dans son être pendant fort longtemps et qui ne vous gênent pas, qui ne vous paraissent pas du tout inutiles ou mauvaises, ou à éliminer. Et puis tout d’un coup, un jour, on ne sait pas pourquoi ni ce qui est arrivé, mais la façon de voir change, on les regarde et on dit: «Mais comment! ça, c’est en moi? je porte ça en moi? Mais c’est intolérable, mais je n’en veux plus!» Et cela vous paraît tout à coup mauvais, parce que c’est le moment de les rejeter, parce qu’elles ne s’accordent pas à l’attitude que vous avez prise ou au pas que vous avez fait, à votre marche en avant dans le monde. Ces choses-là devraient être ailleurs, elles ne sont plus à leur place, donc vous les trouvez mauvaises. Mais peut-être que ces mêmes choses qui vous paraissent mauvaises seraient excellentes pour d’autres gens qui sont à un degré inférieur.

Il y a toujours plus sombre, plus inconscient, plus mauvais, plus ignorant que soi. Alors l’état qui pour vous est intolérable, que vous ne pouvez plus garder, qui doit s’en aller, serait peutêtre très lumineux pour ceux qui sont à des échelons en bas. De quel droit allez-vous dire: «C’est mauvais.» On peut seulement dire: «Je n’en veux plus. Je n’en veux plus, ça ne va pas avec ma manière d’être actuelle, moi je veux aller à un endroit où ces choses n’ont plus de place; elles ne sont plus à leur place, qu’elles aillent prendre une place ailleurs!» Mais on ne peut pas juger. Il est impossible de dire: «C’est mauvais.» On peut tout au plus dire: «C’est mauvais pour moi, ce n’est plus à sa place avec moi, ça doit s’en aller.» C’est tout. Et on le laisse tomber sur le chemin.

Et cela facilite beaucoup, beaucoup le progrès, de penser et de sentir comme cela, au lieu de s’asseoir en désespoir et de se dire toutes sortes de choses lamentables, et comment on est et la misère que l’on porte et les défauts que l’on a et les impossibilités qui vous assaillent et tout cela. On dit: «Non, non, ces choses-là ne sont plus à leur place ici, qu’elles s’en aillent ailleurs, là où elles seront à leur place et les bienvenues. Moi, j’avance, je vais gravir un échelon, j’irai vers une lumière plus pure, et meilleure, et plus totale; et alors toutes ces choses qui aiment l’obscurité, elles doivent s’en aller.» Mais c’est tout.

Chaque fois que l’on voit en soi quelque chose qui nous paraît vraiment vilain, eh bien, cela prouve que l’on a fait un progrès. Alors au lieu de se lamenter et de se désespérer, on doit être content, on dit: «Ah! c’est bon, je marche.»

Mère, que veut dire un «yoga puissant»?

Un yoga puissant? Vous ne savez pas ce que veut dire puissant?

Mais ici Sri Aurobindo dit: «... cette préparation intellectuelle peut être la première étape d’un puissant yoga, mais elle n’est pas indispensable.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 89)

Oui. Un yoga puissant, c’est un yoga très complet, qui contient beaucoup de choses, qui embrasse beaucoup d’éléments. Alors cet élément de connaissance intellectuelle rend le yoga plus puissant.

Est-ce la même chose que le yoga intégral?

Pas tout à fait. Un yoga intégral, c’est celui qui comporte toutes les parties de l’être et toutes les activités de l’être. Mais les activités de l’un ne sont pas aussi puissantes que les activités de l’autre; et l’intégralité de l’un n’est pas aussi totale que l’intégralité de l’autre. Vous ne comprenez pas?

Si tout votre être, tel qu’il est, participe au yoga, c’est pour vous un yoga intégral. Mais votre participation peut être très faible et très médiocre à côté de celle d’un autre, et le nombre d’éléments de conscience que vous contenez peut être minime à côté des éléments de conscience contenus dans un autre. Et pourtant votre yoga est intégral pour vous, c’est-à-dire qu’il est fait dans toutes les parties et toutes les activités de votre être.

Moi, j’avais un chat qui faisait le yoga. Eh bien, le yoga du chat ne pouvait pas être aussi puissant que le yoga de l’homme, et pourtant il était aussi intégral, il était tout entier; même son corps participait à son yoga. Mais sa manière, naturellement, n’était pas humaine.

Mère, que veut dire «idée-force dynamique»?

C’est une idée qui vous donne de la volonté, de l’enthousiasme et un pouvoir de réalisation. Une chose dynamique est ce qui tend vers la réalisation et qui vous donne l’élan vers la réalisation.

Ici, Sri Aurobindo écrit: «Cependant, plus l’idée-force qui anime la consécration est grande et large, mieux cela vaut pour le chercheur.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 90)

Vous n’avez jamais senti la différence entre une petite idée et une grande idée, une idée étroite et une idée large?

Mais avant, Sri Aurobindo a dit que, si c’est accompagné par le don de soi, cela suffit. Après, il dit: mais si c’est large, c’est mieux.

Écoutez, je vais vous donner un exemple tout à fait concret et matériel. Vous faites le don de votre porte-monnaie; il contient trois roupies. Votre voisin fait le don de son porte-monnaie qui en contient cinquante. Eh bien, le don de cinquante roupies est plus large que le don de trois. C’est tout.

Mais au point de vue moral, si vous avez donné tout ce que vous avez, vous avez fait le maximum de ce que vous pouvez faire, rien de plus ne peut vous être demandé; vous comprenez, au point de vue moral, au point de vue spirituel pur, pas au point de vue de la réalisation. Au point de vue spirituel pur, le don de vos trois roupies a exactement la même valeur que le don des cinquante roupies. Et même, celui qui avait cinquante roupies, s’il en a réservé une, son don est moins intégral et moins pur que le vôtre où vous ne donnez que trois. Par conséquent, ce n’est pas sur ce plan-là qu’il faut voir la chose. Mais au point de vue de la réalisation matérielle, il est indéniable que cinquante est plus que trois, pour tous ceux qui savent les mathématiques!

(silence)

Mère, le message que tu as donné cette année, tu expliques un peu1?

Le message que j’ai donné cette année, qu’est-ce que tu lui reproches!

Est-ce que cela implique qu’il y aura de grandes victoires cette année?

Cela veut peut-être dire une chose très simple: qu’il vaut mieux laisser les choses se faire sans en parler. Moi, je crois que c’est cela que ça veut dire. Qu’il est très préférable de ne rien dire de ce qui sera avant que ce ne soit. Autrement, c’est ce que j’appelle des coups de tambour, ce qu’on pourrait appeler du «battage».

C’est comme ceux qui demandent: «Comment est-ce que ce sera?» On verra bien! Attendez, il faut au moins avoir la surprise!... Et je leur réponds: «Je n’en sais rien.» Parce que je me mets immédiatement dans la conscience du monde tel qu’il est, à qui on annonce qu’il va se passer des choses extraordinaires, et qui est tout à fait incapable de les imaginer — parce que je vous ai dit une fois que, si l’on commence à les imaginer, cela veut dire que c’est déjà là. Pour que vous soyez capables d’imaginer quelque chose, il faut que cela existe, autrement vous ne pouvez pas l’imaginer.

Oui, dans notre être supérieur, nous pouvons avoir une perception très claire, très exacte, très lumineuse de ce que c’est. Mais si l’on descend dans la conscience matérielle, on est obligé de dire: «Eh bien, je n’en sais rien.» Quand ce sera là, je vous dirai comment ce sera — et je n’aurai même pas besoin de vous le dire probablement, vous pourrez le voir. J’espère que vous ferez partie de ceux qui pourront le voir. Parce que cela encore, il y en a qui ne le pourront pas.

Et alors, à quoi cela sert? À quoi cela sert d’aller dire aux gens: «C’est là, vous savez, c’est comme ça.» Ils vous répondent comme dans cette pièce que l’on a jouée: «Mais moi, je ne vois rien!» Vous vous rappelez, c’était dans Le Sage? Vous ne vous rappelez pas de cela, dans Le Sage, le messager qui dit que le Divin est là qui vous écoute, qu’Il est présent? Et alors, quelqu’un répond: «Mais je ne le vois pas!» Et c’est comme cela.

C’est comme les gens qui viennent visiter l’Ashram et qui disent: «Mais il n’y a pas de spiritualité ici!»... Comment est-ce qu’ils pourraient la voir? Avec quels organes?

Mais enfin, j’ai bon espoir que, quand quelque chose se manifestera, vous serez capables de le percevoir.

Naturellement, si tout d’un coup il y avait des apparitions lumineuses, ou que les formes physiques extérieures changeaient complètement, alors là, je crois même qu’un chien ou un chat, ou n’importe quoi s’en apercevrait. Mais cela, ça prendra du temps, ce n’est pas pour tout de suite. Ce n’est pas pour tout de suite, c’est pour plus loin, beaucoup plus tard. Beaucoup de grandes choses auront lieu avant cela, et qui seront beaucoup plus importantes que cela, notez.

Parce que cela, c’est seulement la fleur qui s’épanouit. Mais avant qu’elle s’épanouisse, il faut que le principe de son existence soit dans la racine de la plante.

S’il y a quelque manifestation, est-ce que ce sera purement spirituel, c’est-à-dire que seulement les gens qui font le yoga pourront le percevoir, ou est-ce qu’il y aura des conséquences dans le monde actuel?

Mon petit, pourquoi mets-tu cela au futur?

Il y a déjà, depuis des années, des conséquences extraordinaires, fantastiques, dans le monde. Mais pour le voir, il faut savoir un peu; autrement, on prend cela pour des choses tout à fait normales et ordinaires — parce que l’on ne sait même pas comment cela se produit.

Alors, ce sera peut-être exactement la même chose; il pourra y avoir des changements formidables, des actions fantastiques et, mon Dieu, on dira: «Mais ça, naturellement, c’est comme ça.» Parce que l’on ne sait pas comment cela se passe.

Une action dans le monde? C’est constant. C’est quelque chose qui se répand et qui agit partout, qui donne partout des impulsions nouvelles, des orientations nouvelles, des idées nouvelles, des volontés nouvelles — partout. Mais enfin, comme on ne voit pas comment cela se fait, on pense que c’est ce que l’on appelle «tout naturel».

C’est tout naturel. Mais d’un autre naturel que celui de la Nature physique ordinaire.

Au fond, il est assez logique de dire qu’il faut être conscient de l’Esprit pour s’apercevoir du travail de l’Esprit. Si vous n’êtes pas conscient de l’Esprit, comment pouvez-vous Le voir travailler? Parce que le résultat de ce que l’Esprit fait est nécessairement matériel, dans le monde matériel; et étant matériel, vous le trouvez tout naturel. Qu’est-ce que vous savez de ce que la Nature fait, et qu’est-ce que vous savez de ce que l’Esprit fait? Tout ce que la Nature fait — je parle de la Nature matérielle —, on en sait très peu, presque rien, puisqu’on doit tout le temps apprendre des choses qui bouleversent tout ce que l’on croyait savoir auparavant. Et alors, comment distinguer ce qui est l’oeuvre de la Nature pure et l’oeuvre de l’Esprit à travers la Nature? Il faudrait savoir les distinguer l’un de l’autre. Et comment les distinguer quand on n’a pas une conscience tout à fait limpide et certaine de ce que c’est que l’Esprit? Comment Le reconnaître, et comment voir Son Travail? Cela me paraît d’une logique très simple.

Le monde continuera. Les choses se passeront. Et il y aura peut-être une poignée d’hommes qui sauront comment elles ont été faites. C’est tout.

Et si l’on était, à l’heure actuelle, précipité soudainement, sans transition, dans ce que le monde était — mettons deux ou trois mille ans auparavant; oh! même moins que cela peutêtre, mille ou deux mille ans auparavant —, ce serait une comparaison tellement suffocante qu’il est probable que très peu de gens pourraient y résister. Mais comme cela s’est fait «comme ça», avec l’aimable lenteur de la Nature, avec toutes ses fantaisies, on trouve cela tout à fait naturel et on ne s’en aperçoit même pas.

Ce n’est pas une image, ce n’est pas de la littérature quand on dit que, si l’on entre dans la conscience vraie, si l’on change la conscience, eh bien, le monde lui-même change pour vous. Et ce n’est pas seulement une apparence ou une impression: on voit autre chose que ce que l’on voit dans la conscience ordinaire; les relations sont différentes, les causes sont différentes, les effets sont différents. Et au lieu de percevoir seulement quelque chose qui n’est pas transparent (on ne voit pas derrière, c’est une surface, une croûte; c’est seulement cela qu’on voit, et on ne voit même pas ce qui meut ça, ce qui le fait exister), tout se renverse, et c’est cela qui paraît artificiel et irréel, et presque inexistant. Et alors, quand on voit les choses de cette façon-là, d’une façon normale, n’est-ce pas, sans se forcer, sans être obligé de faire des méditations et des concentrations et des efforts formidables pour voir les choses comme cela, quand c’est votre vision normale, naturelle, alors on comprend les choses d’une façon totalement différente — naturellement, le monde est différent!

Il y a un petit trajet préliminaire qui est indispensable, et ceux qui l’ont fait, ce petit trajet préliminaire, eh bien, il y a toutes sortes de choses, toutes sortes de spéculations et de questions qu’ils ne peuvent plus se poser.

Mais vraiment, pour en revenir à notre sujet, ce que j’ai voulu dire très simplement, c’est qu’un jour, au moment où l’on me demandait un message... je le donne parce qu’on me le demande, on me demande et on me dit: «Oh! nous voulons l’imprimer, est-ce que vous ne pouvez pas nous l’envoyer?» Alors, qu’est-ce que je fais? Je regarde l’année qui vient (pour pouvoir en parler, il faut que je la regarde), je regarde l’année qui vient, et puis, en la regardant, je vois en même temps toutes les imaginations des gens, toutes leurs spéculations et toutes leurs inventions sur ce qui va se passer dans cette année soi-disant merveilleuse. Je regarde cela, et en même temps je regarde ce qu’elle est — ce qu’elle est en avance déjà, elle est déjà comme cela quelque part — et je me rends compte immédiatement que la meilleure chose à faire, c’est de ne pas dire ce qu’elle sera. Et comme les gens s’attendent à beaucoup de fanfares et de proclamations, je dis ce que j’ai dit, c’est tout. Rien de plus. C’est tout ce que je voulais dire: «N’en parlons pas, voulez-vous, cela vaut mieux, c’est préférable.» Je n’ai pas dit autre chose que cela: «Il vaut mieux ne pas en parler, ne faites pas beaucoup de bruit à propos de cela, parce que cela n’aide pas. Laissez les choses se passer selon une loi plus profonde, sans avoir l’ahurissement de celui qui ne sait pas et qui regarde faire.»

Et surtout, surtout ne venez pas dire: «Vous savez, ce sera comme ça.» Parce que ça, c’est ce qui rend la chose la plus difficile. Je ne dis pas que ce qui doit être ne sera pas, mais ce sera peut-être avec beaucoup plus de difficultés si l’on en parle. Alors, il vaut mieux laisser les choses se faire.

Et après tout, si l’on veut être très sobre — très sobre — il n’y a qu’à se demander: «Eh bien, dans dix mille ans, cette réalisation que nous sommes en train de faire, qu’est-ce que ce sera?... Un point imperceptible dans la marche du temps, une préparation, une tentative pour les réalisations futures.» Oh! il vaut mieux ne pas s’emballer. Faisons tout ce que nous pouvons et tenons-nous tranquilles. C’est tout.

Maintenant, il y a des gens qui ont besoin qu’on les fouette, comme on fouette la crème. Mais il faut s’adresser aux poètes, pas à moi. Je ne suis pas un poète, je me contente de faire. J’aime mieux faire que parler.

 

1 I l s’agit du message du nouvel an 1956: «Les plus grandes victoires sont celles qui font le moins de bruit. La manifestation d’un monde nouveau ne s’annonce pas à coups de tambour.»

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