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Mère

Entretiens

 

Le 1er février 1956

L'enregistrement   

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Ici, Sri Aurobindo écrit: «Certes, il est possible de commencer seulement par tourner la connaissance ou les émotions vers Dieu, ou les deux ensemble, et de laisser les oeuvres pour le mouvement final du yoga.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 101)

Quelle est cette connaissance?

Il y a trois chemins de yoga principaux: le chemin de la connaissance, le chemin de l’amour et le chemin des oeuvres. Alors, Sri Aurobindo dit que cela dépend des cas et des gens. Il y en a qui suivent plus facilement le chemin de la connaissance, d’autres qui suivent plus facilement le chemin de l’amour, de la dévotion, et d’autres qui suivent le chemin des oeuvres. Il dit que pour le yoga intégral il faut combiner les trois, et quelque chose de plus, mais que tout le monde ne peut pas faire tout à la fois et qu’il y a des gens qui ont besoin d’être exclusifs et de choisir l’un des trois chemins d’abord, pour arriver à les combiner tous plus tard.

Le chemin de la connaissance est le chemin très connu du Râja-yoga, où l’on se détache de son être physique en disant: «Je ne suis pas le corps», puis on se détache de ses sensations: «Je ne suis pas mes sensations», puis on se détache de ses sentiments en se disant: «Je ne suis pas mes sentiments», et ainsi de suite. On se détache de la pensée et on va de plus en plus intérieurement, jusqu’à ce que l’on ait trouvé quelque chose qui soit l’Éternel et l’Infini. C’est un chemin de méditation, qui est vraiment le chemin de la connaissance de soi regardée au point de vue de la Réalité divine. C’est le chemin de la méditation, de la concentration, du retrait hors de la vie et de l’action. C’était celui que l’on pratiquait le plus dans les anciens yogas.

Ou alors, le chemin de la dévotion et de l’amour, comme Chaïtanya ou Râmakrishna.

Ce livre-là [le premier volume de La Synthèse des Yogas] est consacré au yoga des oeuvres, de l’action, c’est-à-dire à trouver l’union avec le Divin dans l’action et dans le travail, et dans la consécration de son travail au Divin. Voilà.

Douce Mère, «... la consécration des oeuvres est un élément nécessaire au changement. Sinon ils [les chercheurs] trouveront peut-être Dieu dans l’autre vie, mais ils seront incapables de réaliser le Divin dans la vie.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 101)

Pourquoi ces deux mots: Dieu et Divin?

Je ne pense pas que Sri Aurobindo les oppose. Ce sont seulement des façons de parler. Il ne les oppose pas.

Qu’est-ce que cela veut dire?

Cela veut dire qu’ils sortent de l’existence pour trouver le Divin, pour trouver Dieu, un Dieu qui est hors de la vie; ils sortent eux-mêmes de la vie pour Le trouver. Tandis que, dans le yoga intégral, c’est dans la vie qu’il faut trouver le Divin, pas hors de la vie.

Il y a ceux, par exemple, qui considèrent que la vie et le monde sont une illusion, et qu’il faut en sortir pour pouvoir trouver le Divin dont la nature, disent-ils, est opposée à celle de l’existence; alors Sri Aurobindo dit qu’ils trouveront peutêtre Dieu hors de la vie, mais ils ne trouveront pas le Divin dans la vie. Il oppose les deux choses. Dans un cas, c’est un Divin extra-terrestre et non manifesté, et dans l’autre cas, c’est le Divin qui est manifesté dans la vie et que l’on peut retrouver à travers la vie.

Tu saisis?

Mère, lorsqu’on s’identifie au Divin dans la partie supérieure de son être en négligeant les parties inférieures — en négligeant la vie — est-ce que, dans la partie où l’on s’est identifié au Divin, le Divin ne conseille pas de s’occuper des parties inférieures?

Et si, avant même de commencer, on a décidé que cela ne devait pas être, peut-être que l’on se met dans l’impossibilité de recevoir l’avis du Divin!

Parce que, à vrai dire, chacun ne rencontre du Divin que ce qu’il veut en rencontrer. Sri Aurobindo l’a dit en tournant la chose de l’autre côté; il a dit (je ne cite pas les mots exacts, seulement l’idée): ce que vous attendez du Divin, c’est cela que vous trouvez dans le Divin; ce que vous voulez du Divin, c’est cela que vous rencontrez dans le Divin. Il aura pour vous l’aspect auquel vous vous attendez ou que vous désirez.

Et Sa manifestation est toujours adaptée à la réceptivité et à la capacité de chacun. Ils peuvent avoir un contact véritable, essentiel, mais ce contact est limité par leur propre capacité de réception et d’approche... C’est seulement si vous êtes capable de sortir de toutes limites que vous pouvez rencontrer le Divin total, tel qu’Il est totalement.

Et cette capacité de rencontre, c’est peut-être ce qui constitue la vraie hiérarchie des êtres. Parce que chacun porte en luimême le Divin et, par conséquent, chacun a la possibilité de s’unir au Divin — cette possibilité-là est identique en tous. Mais suivant la capacité de chacun (au fond, suivant sa position dans la hiérarchie divine), son approche sera plus ou moins partielle ou totale.

On pourrait dire — quoique ces mots déforment beaucoup — que la qualité de l’approche est identique en tout être, mais la quantité, la totalité est très différente... C’est très difficile d’expliquer avec des mots, mais si l’on peut dire, le point sur lequel vous vous identifiez au Divin est parfait en lui-même, c’est-à-dire que votre identification est une identification parfaite en elle-même, sur ce point, mais la quantité de points sur lesquels vous vous identifiez diffère immensément.

Et c’est très marqué dans la différence des chemins suivis pour approcher le Divin. Généralement, les gens se limitent; ils se limitent en excluant tout ce qui n’est pas exactement le sentier qu’ils ont choisi, parce que c’est beaucoup plus commode et on va beaucoup plus vite — relativement. Mais si, au lieu de suivre un chemin, vous marchez par une sorte d’avance que l’on pourrait appeler sphérique, où tout est compris, où toutes les possibilités d’approche du Divin sont comprises, naturellement le résultat est beaucoup plus total — et c’est cela que Sri Aurobindo appelle le yoga intégral —, mais l’avance est beaucoup plus difficile et beaucoup plus lente.

Celui qui choisit le chemin de la connaissance (et encore, dans ce chemin de la connaissance, un procédé spécial, parce que chacun a son procédé) et qui suit cela en éliminant de sa conscience et de sa vie tout ce qui n’est pas cela, celui-là avance d’une façon beaucoup plus rapide, parce que sa recherche ne poursuit qu’un aspect et que c’est beaucoup plus direct, immédiat. Et alors, il rejette, rejette, rejette tout ce qui n’est pas cela, et il réduit son être juste au chemin qu’il parcourt. Et plus vous voulez que votre approche soit intégrale, plus naturellement cela devient difficile, compliqué, long, laborieux.

Mais celui qui suit seulement un chemin, au moment où il arrive à son but, c’est-à-dire où il s’identifie au Divin, son identification en elle-même est parfaite; c’est-à-dire que c’est vraiment une identification avec le Divin — mais elle est partielle. Elle est parfaite; elle est parfaite et partielle en même temps.

C’est très difficile à expliquer, mais c’est un fait. Il est vraiment identifié au Divin et il a trouvé le Divin; il s’est identifié au Divin — mais c’est sur un point. Et alors celui qui est capable de s’identifier au Divin dans Sa totalité est forcément, au point de vue de la réalisation universelle, sur un plan hiérarchique beaucoup plus élevé que celui qui n’a pu Le réaliser que sur un seul point.

Et c’est cela, le vrai sens de la hiérarchie spirituelle, c’est pour cela qu’il y a toute une organisation hiérarchique spirituelle, autrement cela n’aurait pas de fondement, puisque de la minute où vous touchez, vous touchez le Divin parfaitement: le point sur lequel vous Le touchez est un point parfait en luimême. Et à ce point de vue, tous ceux qui se sont unis au Divin sont aussi parfaits dans leur union — mais pas aussi complets, si je puis dire.

Tu saisis un peu ce que je veux dire?

Ce que je voulais demander, Mère, c’est que dans la partie où ils se sont identifiés, après s’être identifiés au Divin, est-ce qu’ils ne s’aperçoivent pas que cette identification n’est pas complète, c’est-à-dire qu’ils ont laissé d’autres parties de leur être, et que l’on doit recommencer encore?

Cela peut arriver.

Cela peut arriver; mais généralement, ils ont si parfaitement éliminé d’eux tout ce qui n’était pas cela qu’il ne reste rien pour s’apercevoir que l’identification n’est pas parfaite. Ils ont l’expérience de l’identification, ils sont perdus dans le Divin. Au point de vue personnel, individuel, c’est le maximum de ce qu’ils peuvent espérer.

Ce n’est pas que ce que tu dis soit impossible, je pense qu’en effet c’est possible — mais c’est rare. Ce n’est pas fréquent. Cela voudrait dire que, malgré leur travail d’élimination, ils auraient conservé dans leur conscience quelque chose qui serait capable de sentir qu’ils ne sont pas entièrement satisfaits.

Après l’identification, ce n’est plus la position, par exemple, du Maître et du disciple, du Seigneur et de l’aspirant. Au moment de l’identification, ce rapport-là disparaît; il n’y a plus ni Maître, ni disciple, ni Seigneur, ni aspirant: tout est le Divin. Par conséquent, qu’est-ce qui reçoit la leçon? Ce serait seulement s’il y avait un élément de conscience qui ne participait pas à cette identification, parce qu’il aurait besoin d’une autre approche que celle qu’il a eue. Et tout dépendra de la perfection avec laquelle l’aspirant aura éliminé de son être tout ce qui n’est pas le chemin unique qu’il suit. Si l’on garde, dormant dans sa conscience, des éléments par exemple de dévotion ou d’amour alors que l’on a suivi le chemin de la connaissance, eh bien, au moment de l’identification, il leur manquera quelque chose. Et alors, ils seront en état de comprendre que leur expérience n’est pas complète. Mais si on les a si bien éliminés qu’ils n’existent plus, alors qui est-ce qui s’apercevra que l’union n’est pas parfaite? L’union est parfaite en soi, sur ce point donné. C’est purement un phénomène de conscience.

(S’adressant à l’enfant) Dans ta conscience, il y a encore l’idée que tu t’unis à «Quelque chose» qui en sait plus que toi et qui te fera connaître l’erreur dans laquelle tu es. Mais cela n’existe plus après l’identification! Cela, c’est juste le premier contact, mais pas l’identification.

Dans l’identification, il n’y a plus de différence entre ce qui s’identifie et ce à quoi l’on s’identifie: c’est la même chose. Tant qu’il y a une différence, ce n’est pas l’identification.

Je dis que par n’importe quel chemin, et en éliminant tout ce qui n’est pas ce chemin, il est possible à chacun de s’identifier d’une façon parfaite avec le Divin, c’est-à-dire de devenir le Divin — mais sur un point, le point qu’il aura choisi. Mais ce point est parfait en lui-même. Je ne dis pas qu’il contient tout, je dis qu’il est parfait en lui-même, c’est-à-dire que l’identification est parfaite — mais elle n’est pas totale.

Ils ont la pleine félicité?

Parfaite félicité — parfaite félicité, l’éternité, l’infini, et tout.

Alors quelle différence?

La différence n’existe que dans la manifestation. Par cette identification, quelle qu’elle soit, on sort automatiquement de la manifestation, excepté sur le point sur lequel on s’est identifié. Et si, dans le chemin que l’on a suivi, le but est la sortie, comme par exemple ceux qui cherchent le Nirvâna, si c’est la sortie de la manifestation, eh bien, on sort de la manifestation, c’est fini. Et une fois que l’on sort de la manifestation, il n’y a plus aucune différence ni aucune hiérarchie, c’est fini, on est sorti de la manifestation. C’est cela, n’est-ce pas, tout dépend du but que l’on poursuit. Si l’on sort de la manifestation, on sort de la manifestation, alors il n’y a plus aucune possibilité de hiérarchie quelconque. Mais dès que l’on entre dans la manifestation, il y a une hiérarchie. C’est-à-dire — si nous prenons la réalisation du monde supramental — tout le monde ne sera pas sur le même niveau et fait sur le même modèle, et avec la même capacité et la même possibilité. C’est toujours cette illusionlà, n’est-ce pas, d’une sorte de répétition indéfinie de quelque chose qui est toujours semblable à soi-même — ce n’est pas cela. Dans la réalisation, dans la manifestation, il y a une hiérarchie de capacité et d’action, et de manifestation. Mais si le but est de sortir de la manifestation, alors tout naturellement, par n’importe quel point où vous sortez, vous sortez.

Tout dépend de l’idéal que l’on se propose. Et tandis que vous sortez parce que vous avez choisi de sortir, de rentrer dans le «pralaya», il y a tout le reste de l’univers qui continue... Mais cela vous est totalement indifférent. Puisque votre but était d’en sortir, vous en sortez. Mais cela ne fait pas que le reste en sorte! Vous êtes le seul à en sortir, ou ceux qui ont suivi le même but et le même chemin que vous.

(long silence)

C’est un problème qui s’était posé justement à Sri Aurobindo ici et à moi en France: est-ce qu’il faut limiter son chemin et arriver au but d’abord et, après, prendre en main tout le reste et commencer le travail de transformation intégrale; ou faut-il aller progressivement en ne laissant rien de côté, en n’éliminant rien du chemin, en prenant toutes les possibilités en même temps et en progressant sur tous les points en même temps? C’est-à-dire, est-ce le retrait hors de la vie et de l’action jusqu’à ce qu’on soit arrivé à son but, à prendre conscience du Supramental et à le réaliser en soi-même; ou est-ce qu’on embrasse toute la création et que c’est avec toute cette création qu’on avance progressivement vers le Supramental?

(silence)

On peut concevoir que les choses se font par étapes: on avance, on fait une étape, et alors on fait avancer comme conséquence tout le reste; et puis, en même temps, d’un mouvement simultané, on parcourt une autre étape, et encore on fait avancer — et ainsi de suite.

Cela donne l’impression que l’on n’avance pas. Mais tout est en marche comme cela.

Voilà.

Douce Mère...

Je voudrais bien que l’on ne retombe pas dans les contingences. Si tu as compris ce que j’ai dit et que c’est là-dessus que tu veux poser une question, pose.

Non? Eh bien, il vaut mieux que l’on médite.

(méditation)