SITE OF SRI AUROBINDO & THE MOTHER
      
Home Page | Workings | Works of the Mother | Entretiens: Tape records

Mère

Entretiens

 

Le 26 septembre 1956

L'enregistrement   

This text will be replaced

«Toutes, ou presque toutes les opérations de la vie, sont ou semblent être à présent animées ou viciées par cette âme de désir; même celles qui sont morales ou religieuses, même celles qui portent le masque de l’altruisme, de la philanthropie, du sacrifice et de l’abnégation, sont tissées d’un bout à l’autre par les fils de sa fabrication. Cette âme de désir est une âme séparative — c’est l’âme de l’ego — et tous ses instincts cherchent une affirmation de soi séparée; toujours, ouvertement ou sous des masques plus ou moins brillants, elle pousse à sa propre croissance: elle veut posséder, jouir, conquérir et dominer.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 195)

Douce Mère, qu’est-ce qu’une «âme de désir»?

C’est ce qui vous fait vivre, agir, mouvoir.

Âme, cela vient d’un mot qui signifie animer. C’est ce qui donne la vie au corps. Si vous n’aviez pas cela, vous seriez une matière inerte, quelque chose comme les pierres ou les plantes; pas tout à fait inertes, mais végétatifs.

Certaines gens disent que sans les désirs, c’est-à-dire sans cette âme de désir, il n’y aurait jamais eu de progrès... Dans la vie ordinaire, c’est une chose très utile, mais quand on décide de faire le yoga, de trouver le Divin, cela devient un peu encombrant.

(silence)

C’est tout?

Quand nous venons à toi pour la distribution1, parfois on se sent libre et joyeux, mais d’autres fois, on ne sent rien, on est vide. Qu’est-ce que cela veut dire?

Quand on est joyeux, cela veut dire qu’on est ouvert et qu’on reçoit la Force; quand on ne sent rien, cela veut dire qu’on est fermé.

Mais qu’est-ce qui vous rend ouverts ou qu’est-ce qui vous rend fermés? Pour chacun c’est différent. Cela dépend d’une quantité de choses. Tu n’as pas remarqué la différence en toi, si cela dépend des circonstances extérieures ou de quelque chose au-dedans de toi, non?

Oui.

Oui. Ah! bon.

Il y a beaucoup de raisons différentes qui font que l’on se sent parfois plus vivant, plus plein de force et de joie... Généralement, dans la vie ordinaire, il y a des gens qui, à cause même de leur constitution, de la façon dont ils sont construits, sont dans une certaine harmonie avec la Nature, comme s’ils respiraient d’un même rythme, et ceux-là sont d’habitude toujours joyeux, contents; ils réussissent ce qu’ils font, ils évitent beaucoup d’ennuis et de catastrophes, enfin ce sont ceux qui sont en accord avec le rythme de la vie et de la Nature. Et en plus, il y a les jours où l’on est en rapport avec la Conscience divine qui est à l’oeuvre, avec la Grâce; et alors, tout se teinte, se colore de cette Présence, et les choses qui généralement vous paraissent mornes ou sans intérêt deviennent charmantes, plaisantes, attractives, instructives — tout vit et vibre, et c’est plein de promesses et de force. Alors, quand on s’ouvre à cela, on se sent plus fort, plus libre, plus heureux, plein d’énergie, et tout a un sens. On comprend pourquoi les choses sont comme elles sont, et on participe au mouvement général.

Il y a d’autres moments où, pour une raison quelconque, on est obscurci ou fermé, ou descendu dans un trou, et alors, on ne sent plus rien et toutes les choses perdent leur goût, leur intérêt, leur valeur; on est comme un morceau de bois ambulant.

Maintenant, si l’on réussit à s’unir consciemment à son être psychique, alors on peut toujours être dans cet état de réceptivité, de joie intérieure, d’énergie, de progrès, de communion avec la Présence divine. Et quand on est en communion avec Elle, on La voit partout, en toute chose, et toutes les choses prennent leur signification vraie.

De quoi cela dépend?... D’un rythme intérieur. Peut-être d’une grâce. En tout cas, d’une réceptivité à quelque chose qui vous dépasse.

Mère, une âme qui est bien développée, quand elle s’incarne, est-ce qu’elle a moins de difficultés à transformer cette âme de désir?

Cela veut dire?

Les grands maîtres ont moins de difficultés?

On ne peut pas dire.

En principe c’est comme cela, mais en fait, cette fausse âme de désir est d’autant plus forte que l’individualité est formée. Ceux qui ont une individualité bien formée, bien coordonnée, qui existe en soi, dans un minimum de dépendance de l’entourage, ont beaucoup plus de difficultés à entrer en contact avec la Présence divine que les autres, parce qu’ils ont une existence séparée très coordonnée, très organisée, et généralement qui se suffit à elle-même. On rencontre toujours beaucoup plus de difficultés à convertir, si l’on peut dire, une personnalité très existante, très réalisée, que quelqu’un, par exemple, qui est plein de bonne volonté mais qui est encore ouvert à toutes sortes d’influences. Quand un individu est très bien construit et qu’il a le sens de sa personnalité, de son existence propre, il lui est beaucoup plus difficile de concevoir qu’il n’est rien qu’un instrument de la Force divine, que quelqu’un qui se sent un peu flou, comme cela, pas très précis, qui n’a pas de limites très exactes, qui n’a pas d’individualité très construite; il comprend plus facilement qu’en lui-même il n’est rien et que c’est une force autre que la sienne qui le fait agir. Alors, vous ne pouvez pas dire qu’une âme bien développée a moins de difficultés. Cela dépend des cas.

Ce que vous voulez dire, je pense, c’est que, si vous êtes en rapport avec votre âme (la vraie), il est relativement facile de se débarrasser de l’âme de désir. Mais cela, c’est une position différente. Il faut d’abord avoir trouvé son être psychique et s’identifier à lui; et après, alors, vous pouvez vous tourner vers l’âme de désir et la convaincre de son imbécillité.

(long silence)

(À un enfant) Tu as quelque chose à demander?

Pas moi, Mère. Quelqu’un avait posé une question: «Dans l’état actuel de la sâdhanâ, quelle est l’utilité du contact personnel avec toi? Dans quelle mesure un contact personnel avec toi nous aide-t-il?»

Qu’est-ce qu’on entend par contact personnel? Me voir, me parler, quoi? Individuellement, collectivement, comment?

Individuellement.

Oh! (riant) avoir des entrevues!

Tu pourras répondre que cela dépend de l’usage que l’on en fait.

Il est très difficile de répondre, parce que c’est une question purement personnelle. Cela dépend du moment, cela dépend de l’état dans lequel on se trouve et, par-dessus tout, je dis, cela dépend de si l’on sait employer comme il convient ce contact.

N’est-ce pas, si l’on est ouvert intérieurement, si l’on est réceptif, on reçoit jusque dans le physique subtil tout ce qui est nécessaire pour faire son progrès intégralement. Et dans l’ordre des choses, le contact extérieur ne devrait venir que comme un couronnement et une aide pour que le corps — la conscience physique matérielle et le corps — puisse suivre le mouvement de l’être intérieur.

Mais si vous croyez que ce contact va remplacer la réceptivité intérieure, vous vous trompez, cela ne sert pas à grandchose. Par exemple, les gens qui sont tout à fait fermés, qui ne reçoivent rien au-dedans, qui n’ont pas d’ouverture aux forces et qui s’imaginent que, parce qu’ils vont passer une demi-heure ou une heure assis en face de moi à bavarder, cela va les aider à se transformer, ils font une erreur grossière. Mais s’ils sont ouverts intérieurement, s’ils sont en contact avec la Force et qu’ils font des efforts pour se transformer, alors, à un moment donné, peut-être une conversation, ou un contact matériel, une présence peut les aider à faire un progrès plus intégral.

On peut très bien vivre tout à fait à proximité, avoir une vie quotidienne très apparemment proche, et ne rien en tirer du tout, du moins dans la conscience active. Peut-être y a-t-il une très lente et profonde action qui se poursuit... mais il me semble qu’elle se poursuivrait dans tous les cas. Et si, étant à côté de moi pour une raison quelconque, la pensée est ailleurs, les désirs sont ailleurs, les préoccupations sont ailleurs, c’est absolument inutile, cela ne mène à rien.

Le point important, c’est d’établir le contact intérieur; cela, c’est vraiment le point important. Alors, dans certains cas (peut-être pas très souvent, cela dépend de chacun), mais dans certains cas, la présence ajoute quelque chose, donne une réalisation plus concrète, plus précise. Mais s’il n’y a rien intérieurement, c’est tout à fait inutile. Donc on ne peut pas faire une loi générale, cela dépend de chacun, de l’état dans lequel il se trouve.

(silence)

N’est-ce pas, l’erreur générale, c’est de croire qu’on doit commencer par le dehors et arriver au-dedans. Ce n’est pas comme cela. On doit commencer par le dedans et arriver audehors après, quand on est prêt dedans.

Mère, quand on vient à toi, on essaye d’être le mieux possible, c’est-à-dire d’avoir de très bonnes pensées; mais souvent, au contraire, toutes les mauvaises impulsions, les mauvaises pensées qu’on avait eues pendant la journée, cela vient en face.

C’est peut-être pour s’en débarrasser.

Si elles viennent, on peut en faire l’offrande et demander à s’en débarrasser.

C’est peut-être cela la raison, c’est parce que la Conscience agit pour purifier. Cela ne sert à rien de cacher les choses et de les pousser en arrière, comme ça, et de s’imaginer qu’elles ne sont pas là parce qu’on a mis un voile devant. Il vaut beaucoup mieux se voir tel qu’on est — à condition d’être prêt à abandonner cette manière d’être. Si l’on vient en laissant tous les mauvais mouvements sortir à la surface, se montrer, si on les offre, si on dit: «Eh bien, voilà comment je suis», et qu’on ait en même temps l’aspiration d’être autrement, alors cette seconde de présence est tout à fait utile; on peut, oui, en quelques secondes, recevoir l’aide nécessaire pour se débarrasser. Tandis que si l’on arrive comme un petit saint, et qu’on s’en aille satisfait sans avoir rien reçu, ce n’est pas très utile.

Automatiquement la Conscience agit comme cela, c’est comme le rayon qui fait la lumière là où il n’y en avait pas. Mais seulement, ce qui est nécessaire, c’est d’être dans l’état où l’on veut donner la chose, s’en débarrasser — pas s’y accrocher et la garder. Si, sincèrement, on veut la sortir de soi, la faire disparaître, alors c’est très utile.

(silence)

Au fond, je pourrais, moi, poser une question: pourquoi (je ne sais pas si c’est général, mais enfin), pourquoi, quand on vient à moi, veut-on avoir de bonnes pensées et être le meilleur de soi-même? Pour quelle raison?

Avoir de mauvais mouvements devant toi, c’est très laid! (rires)

Si on veut les garder, oui, c’est très laid, mais si on veut s’en débarrasser!... C’est peut-être une occasion de s’en débarrasser. C’est même sûrement une occasion de s’en débarrasser; parce que, devant moi, ils paraissent exactement comme ils sont, tandis que loin de moi, ils se colorent de toutes sortes de lumières brillantes et fausses qui font qu’on les prend pour ce qu’ils ne sont pas. Quand le mouvement est vilain et qu’on le voit dans mon atmosphère, il apparaît exactement comme il est. Alors c’est le moment de s’en débarrasser.

(silence)

Donner ce que l’on a de meilleur, c’est très gentil et c’est très apprécié; mais donner ce que l’on a de pire, c’est beaucoup plus utile; et peut-être est-ce une offrande qui est même plus appréciée — à condition qu’on le donne pour s’en débarrasser, pas pour le reprendre après!

 

1 Jusqu’en 1958, Mère faisait tous les soirs au Terrain de Jeux (sauf les jours de «classe») une distribution symbolique de cacahuètes ou de bonbons, qui permettait à tous les disciples, s’ils le voulaient, de passer un à un devant elle afin de recevoir directement son aide spirituelle.

En arrière