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Mère

Entretiens

 

Le 10 octobre 1956

L'enregistrement   

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Il y a quelques jours, pendant la classe de traduction1, dans La Vie Divine, j’ai trouvé un passage qui, j’ai pensé, pourrait vous intéresser ce soir. Sri Aurobindo parle du mouvement de la Nature et il explique comment, de la matière qui paraît inerte, est sortie la vie, puis comment de la vie est sorti le mental et aussi comment du mental sortira le supramental ou la vie spirituelle; et il donne une sorte de résumé du temps que cela prend. Je vais vous lire ce passage et je vous dirai ensuite quel rapport cela a avec notre présente situation:

«Le premier mouvement obscur et purement matériel de la Force évolutive est marqué par un développement graduel qui s’étend sur des âges. Le mouvement de la vie suit une lente progression, cependant son rythme est plus rapide; il est concentré en l’espace de quelques millénaires. Le mental peut comprimer davantage encore la lenteur nonchalante du temps et faire de grands pas en quelques siècles. Mais quand l’Esprit conscient intervient, la cadence évolutive peut alors se dérouler avec une rapidité suprêmement concentrée.» (L’Évolution spirituelle, p. 134)

Je vous lis cela, parce que l’on m’a posé une question à propos de l’action du Supramental, et j’avais comparé cette manifestation du Supramental à la manifestation du mental qui, selon toutes les découvertes scientifiques modernes, a mis environ un million d’années pour évoluer du cerveau animal, du cerveau simiesque au premier cerveau humain. Et je vous avais dit que, par conséquent, il ne fallait pas espérer que cela se fasse en quelques mois ou en quelques années, qu’évidemment cela prendrait plus longtemps. Il se trouve que certaines personnes ont cru que j’annonçais qu’il n’y aurait pas de surhomme avant un million d’années! Je veux corriger cette impression.

Sri Aurobindo a dit qu’à mesure que le développement s’élève dans l’échelle de la conscience, le mouvement devient de plus en plus rapide et que, lorsque l’Esprit ou le Supramental s’en mêle, cela peut aller beaucoup plus vite. Par conséquent, nous pouvons espérer que dans quelques siècles la première race supramentale paraîtra.

Mais cela même est assez déconcertant pour certaines personnes, parce qu’elles croient que c’est en contradiction avec ce que Sri Aurobindo a toujours promis: que le temps était venu où la transformation supramentale était possible... Mais il ne faut pas confondre une transformation supramentale avec l’apparition d’une race nouvelle.

Ce que Sri Aurobindo promettait et ce qui évidemment nous intéresse, nous qui sommes ici maintenant, c’est que le temps est venu où quelques êtres d’élite dans l’humanité, qui remplissent les conditions de spiritualisation nécessaires, seront capables de transformer leur corps à l’aide de la Force, de la Conscience et de la Lumière supramentales, pour ne plus être des hommes-animaux, mais devenir des surhommes.

Cette promesse, Sri Aurobindo l’a faite, et il l’a basée sur la connaissance qu’il avait que la Force supramentale était sur le point de se manifester sur la terre. En fait, elle était descendue en lui depuis fort longtemps, il la connaissait et il savait quels étaient ses effets.

Et maintenant qu’elle s’est manifestée d’une façon cosmique, je puis dire, générale, naturellement la certitude de la possibilité de transformation est encore plus grande. Il n’y a plus aucun doute que ceux qui rempliront, ou qui remplissent les conditions sont en marche vers cette transformation.

Les conditions, Sri Aurobindo les donne en détail dans La Synthèse des Yogas, et encore plus en détail dans ses derniers articles sur la manifestation supramentale. Il ne s’agit donc plus que de réaliser.

Maintenant, si quelqu’un veut me poser une question sur le sujet...

La méthode de ces réalisations, avant, était la soumission intégrale à vous. Maintenant aussi c’est la même chose; alors dans cette nouvelle condition, est-ce que cette soumission ne doit pas être encore plus rigoureuse qu’auparavant?

Ce que j’ai lu aujourd’hui paraît être la condition de début la plus essentielle, parce que c’est celle qui est la plus universelle2.

(Après un silence) Chacun doit suivre son chemin selon sa nature propre, et il y a toujours une inclination pour une manière plutôt qu’une autre. Comme nous l’avons lu dans l’une des dernières classes, pour celui qui suit le chemin de l’action, il est beaucoup plus difficile de sentir que la personnalité humaine n’existe pas et que seule la Force divine agit. Pour celui qui suit le chemin de la connaissance, c’est relativement très facile, c’est une chose que l’on découvre presque immédiatement. Pour celui qui suit le chemin de l’amour, c’est élémentaire, puisque c’est en se donnant qu’il avance. Mais pour celui qui suit le chemin de l’action, c’est beaucoup plus difficile, et par conséquent pour lui, le premier pas, c’est de faire ce qui est dit ici, dans le passage de La Synthèse des Yogas que nous avons lu: de créer en lui ce détachement complet du fruit de l’action, d’agir parce que c’est cela qu’il faut faire, de le faire de la manière qui paraît être la meilleure, et de ne pas se soucier des conséquences, de laisser les conséquences à une Volonté supérieure à la sienne.

On ne peut pas faire une règle générale pour l’ordre d’importance du chemin, c’est une chose exclusivement personnelle. Et il y a un moment où l’on comprend très bien, c’est visible, qu’il n’y a pas deux chemins semblables, que chacun suit son propre chemin, et que c’est cela la vérité de son être. On peut, si l’on regarde d’assez haut, voir une différence dans la rapidité de l’avance, mais elle n’est pas toujours conforme aux signes extérieurs; et l’on pourrait dire d’une façon un peu plaisante que ce n’est pas toujours le plus sage qui va le plus vite!

(silence)

Il ne me paraît plus possible de faire des règles générales. En fait, la Grâce est sur tous. Et qu’est-ce qu’il faut pour La laisser agir? C’est très difficile de le dire.

Si l’on peut La percevoir, La sentir, éprouver pour ainsi dire Son action, être conscient de Sa présence et de Son mouvement, alors on a la joie du mouvement, du progrès, de la réalisation; mais cela ne veut pas dire que, si l’on n’éprouve pas cette joie, l’action de la Grâce n’existe pas, que la réalisation n’est pas là.

Et en fin de compte, toutes les manières d’être du Divin, toutes les formes d’être de la manifestation sont nécessaires pour exprimer le Divin. C’est cette manifestation dans son ensemble, dans sa totalité, qui progresse vers une perfection croissante, infinie, éternelle. Ce n’est pas chaque élément, séparé, individuellement: c’est tout ensemble, comme une expression collective et totale de la Vérité divine. Tout cela est en marche, constamment, éternellement, vers une perfection plus grande. L’univers de demain sera nécessairement plus divin, si l’on peut dire, que l’univers d’hier; et celui d’hier était plus divin que celui qui le précédait. Et ainsi, on pourrait dire que c’est le Divin, dans son expression de Lui-même, qui est en perpétuel progrès vers une manifestation de plus en plus parfaite, de plus en plus divine.

Et dans ce cas-là, chaque élément n’a qu’à manifester aussi parfaitement que possible sa loi propre, ce qu’il doit être dans le tout, pour faire au maximum ce qu’il doit faire. C’est donc la découverte consciente, éclairée, on pourrait presque dire désintéressée, de cette vérité de chaque être, qui est pour lui la première, la plus importante nécessité.

 

1 Jusqu’en 1958, la Mère faisait trois fois par semaine, devant une classe de disciples, la traduction française de certains textes de Sri Aurobindo, comme L’Idéal de l’Unité Humaine, Le Cycle Humain, les six derniers chapitres de La Vie Divine (publiés aux Éditions Sri Aurobindo Ashram, en 1992, sous le titre «L’Évolution spirituelle») et une partie de La Synthèse des Yogas.

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2 «C’est donc par une transformation du principe même de la vie, et non par une manipulation extérieure de ses phénomènes, que le yoga intégral se propose de changer ce mouvement trouble et ignorant en un mouvement naturel, lumineux et harmonieux. Trois conditions sont indispensables pour accomplir cette révolution intérieure centrale et cette formation nouvelle; aucune de ces conditions n’est tout à fait suffisante en soi, mais si elles unissent leur triple pouvoir, le redressement peut être accompli et la conversion faite, et faite complètement. Car, en premier lieu, la vie telle qu’elle est, est un mouvement du désir; elle s’est construit en nous un centre, une âme de désir qui rapporte à soi tous les mouvements de la vie et y ajoute sa trouble coloration et la souffrance d’un effort ignorant, mal éclairé et toujours frustré; si l’on veut une vie divine, le désir doit donc être aboli et faire place à un mobile plus pur et plus stable; l’âme de désir tourmentée doit être dissoute et à sa place doivent émerger le calme, l’énergie et la joie de l’être vital véritable, maintenant caché en nous. Ensuite, telle qu’elle est, la vie est poussée ou conduite en partie par l’impulsion de la force de vie et en partie par le mental, qui est surtout le serviteur et le complice de cette impulsion vitale ignorante, mais un peu aussi son guide et son mentor inquiet, pas trop lumineux ni trop compétent; si l’on veut une vie divine, il faut donc que le mental et l’impulsion vitale deviennent de simples instruments et que l’être psychique profond prenne leur place comme conducteur sur le chemin et indicateur de l’orientation divine. En dernier lieu, telle qu’elle est, la vie recherche la satisfaction de l’ego séparateur; l’ego doit donc disparaître et être remplacé par la vraie personne spirituelle, l’être central, et la vie elle-même doit se tourner vers l’accomplissement du Divin dans l’existence terrestre; elle doit sentir la Force divine qui s’éveille en elle et devenir l’instrument docile de ses desseins.» (La Synthèse des Yogas, vol. I, p. 197)

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