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Mère

Entretiens

 

Le 5 décembre 1956

L'enregistrement   

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Maintenant, nous allons lire ce qu’il faut faire pour réaliser ce qui a été exprimé dans les cinq paragraphes précédents:

«Transforme ta raison en une intuition ordonnée; que tout en toi soit lumière. Tel est ton but.

«Transforme l’effort en un flot égal et souverain de force d’âme; que tout en toi soit force consciente. Tel est ton but.

«Transforme la jouissance en une extase égale et sans objet; que tout en toi soit félicité. Tel est ton but.

«Transforme l’individu divisé en la personnalité cosmique; que tout en toi soit divin. Tel est ton but.

«Transforme l’animal en le Conducteur des troupeaux; que tout en toi soit Krishna. Tel est ton but.» (Aperçus et Pensées, «Le But»)

Ceci, c’est ce qui doit être fait.

Je pense qu’il n’est pas besoin d’explications, c’est assez clair... À moins que vous n’ayez des questions? Oui? (À un enfant) Eh bien, pose ta question.

Ici, il est écrit: «Transforme la jouissance en une extase continue et sans objet...»

Oui, c’est-à-dire qu’elle n’a pas de cause.

D’habitude on a un plaisir ou une joie, ou une jouissance, à cause de ceci ou à cause de cela — depuis les choses les plus matérielles jusqu’aux choses psychologiques, ou même mentales.

Par exemple, pour prendre une chose mentale, vous lisez une phrase qui vous donne une grande joie, parce que cela vous apporte une lumière, une compréhension nouvelle; alors cette joie-là, c’est une joie qui a un objet, c’est parce que vous avez lu cette phrase que vous avez cette joie, si vous n’aviez pas lu la phrase vous n’auriez pas eu la joie. De même, quand vous entendez une belle musique, ou que vous voyez un beau tableau ou un beau paysage, cela vous donne de la joie; sans ces choseslà vous n’auriez pas eu cette joie-là; ce sont elles qui vous ont donné la joie. C’est une joie qui a un objet, qui a une cause.

Ce que Sri Aurobindo dit, c’est que cette jouissance-là, cette joie-là, ce plaisir, de quelque degré qu’il soit, élevé ou inférieur, doit être remplacé par une félicité intérieure qui se communique à tout l’être, et qui est continue, c’est-à-dire qui n’a besoin d’aucune raison, d’aucune cause pour être. La cause, c’est le contact avec la Félicité divine qui est partout et en toutes choses. Alors, une fois que l’on est en rapport avec cette Félicité universelle et éternelle, on n’a plus besoin d’avoir un objet extérieur, une cause extérieure pour avoir la joie; elle est sans objet, et étant sans objet, elle peut être continue. Quelles que soient les circonstances extérieures, quoi que l’on fasse, on est dans le même état de joie, parce que cette joie ne dépend pas de choses extérieures, elle dépend de votre condition intérieure. On a trouvé la source de la joie en soimême, c’est-à-dire la Présence divine, la communion avec le Divin; et ayant trouvé cette source de joie en soi-même, on n’a besoin d’aucune chose, quelle qu’elle soit, pour avoir cette joie. Et comme cela n’a pas de cause, cela ne cesse pas; c’est une condition constante.

(À l’enfant) Tu comprends? Pas très bien? Si? Ah!

Quelqu’un d’autre a-t-il une question sur ce que je viens de lire?

Le dernier paragraphe, Douce Mère: «Transforme l’animal en le Conducteur des troupeaux; que tout en toi soit Krishna.»

Oh! c’est une image.

L’animal, ce sont tous les instincts de l’être physique, les besoins de l’être physique et toutes les habitudes, toutes les impulsions, tous les mouvements de l’être physique, les besoins de nourriture, les besoins de sommeil, les besoins d’activité, enfin tout ce qui constitue la partie animale de l’être. Et alors Sri Aurobindo donne l’image de Krishna, qu’il décrit comme le Conducteur des troupeaux, ce qui est seulement une image; cela veut dire que c’est la Conscience divine qui prend possession de toutes les activités de l’être physique et qui dirige et conduit toutes ces activités, tous ces besoins, qui contrôle et qui gouverne tous les mouvements de l’animal physique dans l’homme. Sri Aurobindo emploie ce qu’on pourrait appeler la mythologie indienne, prenant Krishna comme le symbole du Divin et les troupeaux comme le symbole des instincts animaux et des besoins animaux de l’homme. Alors, au lieu d’être parmi les animaux du troupeau, on devient celui qui conduit les troupeaux et qui gouverne tous leurs mouvements au lieu de se laisser dominer par eux; on est lié, dans la vie ordinaire on est lié à toutes ces activités de la vie physique et à tous les besoins qu’elle représente — besoins de nourriture, de sommeil, d’activité, de repos, etc. —, eh bien, au lieu d’être l’animal, c’est-à-dire celui qui subit ces choses et qui est obligé de s’y soumettre, on devient le Conducteur du troupeau, que Sri Aurobindo appelle Krishna, c’est-à-dire le Divin qui prend possession de tous les mouvements de l’être et qui les guide et les conduit selon la Vérité divine.

Douce Mère, lorsqu’on a une personnalité universelle, est-ce qu’on n’a plus besoin de la personnalité individuelle?

Besoin...? Je ne comprends pas.

Quelle utilité a-t-elle?

Mais c’est la personnalité individuelle qui se transforme en personnalité universelle. Au lieu du sens de l’individu tel qu’il est ordinairement — cet individu tout à fait limité qui est une petite personne au milieu de tant de millions et de millions d’autres, une petite personne séparée — au lieu de se sentir comme cela, c’est cet individu séparé, isolé, n’est-ce pas, cette petite personne au milieu de toutes les autres, qui prend conscience de l’individualité universelle, de la personnalité universelle, et qui naturellement devient divine. C’est une transformation. C’est une chose qui se transforme en l’autre.

Et Sri Aurobindo ne veut pas dire qu’on perd son corps, il ne parle pas du corps; il parle de la conscience vitale, de la conscience psychologique, du sens de l’individu séparé. N’est-ce pas, toi, tu es une personne au milieu de tant d’autres; eh bien, au lieu d’être comme cela, on se sent la personne universelle; ce sens de la division et de la séparation s’en va, cette limite disparaît. Mais on reste dans son corps, on ne doit pas nécessairement perdre son corps; le corps est une autre chose.

Et c’est justement du corps qu’il parle dans le dernier paragraphe: «Transforme l’animal en le Conducteur des troupeaux.» Quand on devient une conscience divine, une personnalité divine, alors on peut devenir le maître de toutes les activités corporelles, parce qu’on leur est supérieur; on n’est pas lié à ces activités, on n’est pas soumis à ces activités, on les domine, on a une conscience plus grande que la conscience de l’individu, du petit individu séparé; on peut faire juste un progrès de plus et au lieu d’être soumis à tous ces besoins animaux de l’être, on les domine. Mais ce ne sont pas deux consciences qui se superposent, c’est une conscience qui se transforme en une autre.

(Regardant l’enfant) Je crois qu’elle ne comprend pas du tout! Elle me regarde d’un air absolument ahuri!

Tu te demandes comment, dans un corps comme ça, on peut être autrement que tu n’es? Eh bien, on peut! (riant) C’est une chose qui peut arriver!

(silence)

(Mère regarde des questions écrites)

C’est le complément de ta question justement. On me demande:

Quels sont les traits caractéristiques d’une personnalité universelle?

Le trait le plus caractéristique, c’est justement ce changement de conscience. Au lieu de se sentir comme une petite personne isolée, séparée des autres, on se sent une personne universelle, contenant toutes les autres et intimement unie et identifiée à toutes les autres.

Et on me demande:

Comment cette personnalité parle-t-elle et agit-elle?

Parler!... La question n’est pas très bien posée, parce que si l’on demande comment elle parle, eh bien, elle parle comme tout le monde parle, avec sa voix, sa langue, sa bouche et des mots! Si l’on disait quelle est la nature de ce qu’elle dit... Évidemment, si elle exprime l’état de conscience dans lequel elle est, elle exprime un état de conscience universel, et voyant les choses d’une manière différente de l’humanité ordinaire, elle l’exprimera différemment, selon ce qu’elle voit et ce qu’elle sent. Quant à agir... si toutes les parties de son être sont d’accord, évidemment son action exprimera son état de conscience.

Maintenant, il y a des gens qui ont des expériences très décisives dans une partie de leur être, mais qui ne se traduisent pas nécessairement, ou en tout cas pas immédiatement, dans les autres parties de leur être. Il se peut très bien que quelqu’un, par sâdhanâ ou concentration, ou par la Grâce, soit arrivé à la conscience d’une personnalité universelle, mais qu’il continue à agir physiquement d’une façon tout à fait quelconque, ordinaire, parce qu’il n’a pas pris le soin d’unifier tout son être et qu’une partie de lui est consciente universellement, mais que, dès qu’il se met à manger, dormir, marcher, agir, il le fait comme tous les animaux humains. Cela peut arriver. Par conséquent, c’est encore une question purement personnelle, cela dépend de chacun, de son degré de développement.

Mais si c’est un être qui a pris soin de s’unifier, d’identifier toutes les parties de son être à la vérité centrale, alors naturellement il agira avec une absence totale d’égoïsme, avec une compréhension des autres, une compréhension qui lui viendra de son identification avec les autres — et il agira par conséquent comme un sage. Mais cela dépend du soin que l’on a pris d’unifier tout son être autour de la conscience centrale.

Par exemple, pour prendre les choses les plus positivement matérielles comme la nourriture et le sommeil: il se peut très bien, s’il n’a pas pris soin d’infuser, pour ainsi dire, sa nouvelle conscience dans son corps, que son besoin de nourriture et son besoin de sommeil restent à peu près les mêmes et qu’il n’ait pas beaucoup de contrôle sur eux. Au contraire, s’il a pris soin d’unifier son être et s’il a infusé sa conscience dans les éléments constituant son corps, eh bien, son sommeil sera un sommeil conscient et d’ordre universel; il pourra à volonté savoir ce qui se passe ici ou là, en celui-ci ou en celui-là, dans ce coin du monde ou dans un autre; et sa conscience naturellement, étant universelle, le mettra en contact avec toutes les choses qu’il voudra savoir. Au lieu d’avoir un sommeil inconscient et

inutile, excepté au point de vue purement matériel, il aura un sommeil productif et tout à fait conscient.

Pour la nourriture ce sera la même chose. Au lieu d’être l’esclave de ses besoins, dans une ignorance généralement assez totale de ce dont on a besoin, eh bien, il sera parfaitement conscient, à la fois des besoins de son corps et du moyen de les dominer. Il pourra contrôler ses besoins et les gouverner, les transformer suivant la nécessité de ce qu’il voudra faire.

Mais cela demande une grande maîtrise de soi, et la réalisation de ce que Sri Aurobindo dit dans ce dernier paragraphe, c’est-à-dire qu’au lieu d’être en dessous, soumis aux lois de la Nature, dominé par ces lois et contraint de s’y soumettre faute de quoi on est complètement déséquilibré, on devient le maître, on regarde ces choses d’en haut, on sait la vérité de ces choses, et on l’impose au corps, qui normalement doit l’adopter sans difficulté.

Quelque chose d’autre sur le même sujet?

Mère, que veut dire «intuition ordonnée»: «Transforme ta raison en une intuition ordonnée...»?

Intuition ordonnée... Parce que, au début, quand on entre en contact avec le domaine de l’intuition, c’est une sorte de contact spasmodique; c’est-à-dire que de temps en temps, pour des raisons plus ou moins explicables ou conscientes, tout d’un coup on a une intuition, ou on est pénétré par l’esprit d’intuition; mais ce n’est pas méthodique, ce n’est pas un phénomène qui se produit à volonté, qui est organisé et qui obéit à une volonté centrale. Tandis que Sri Aurobindo dit que si la raison tout entière se transforme — il parle de transformation, n’est-ce pas —, si la raison se transforme en l’essence même, la substance de l’intuition, alors tout le mouvement intérieur, du mental intérieur, devient un mouvement d’intuition, qui s’organise comme on organise sa raison, c’est-à-dire qu’il entre en activité à volonté, répond aux besoins et se produit d’après un système méthodique. Ce n’est pas une chose qui apparaît et disparaît on ne sait ni comment ni pourquoi; c’est le produit de la transformation de la raison, qui est la partie supérieure du mental humain, en une lumière plus haute que la lumière mentale, une lumière d’intuition. Alors cela devient ordonné, organisé, au lieu d’être spasmodique et sans coordination.