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Mère

Entretiens

 

Le 27 mars 1957

L'enregistrement   

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«Partout où tu vois une grande fin, sois sûr d’un grand commencement. Quand une douloureuse et monstrueuse destruction épouvante ta pensée, console-la avec la certitude d’une vaste et grande création. Dieu est là, non seulement dans la petite voix tranquille, mais aussi dans le feu et dans le tourbillon.

«Plus la destruction est grande, plus libres sont les chances de création; mais la destruction est souvent longue, lente, oppressive, la création souvent tarde à venir et son triomphe est interrompu. La nuit revient encore et encore, et le jour s’attarde ou semble même avoir été une fausse aurore. Ne désespère donc point, mais veille et travaille. Ceux qui espèrent avec violence sont prompts à désespérer. N’espère ni ne crains, mais sois sûr du dessein de Dieu et de ta volonté d’accomplir.

«La main du divin Artiste oeuvre souvent comme si elle n’était pas sûre de son génie ni de ses matériaux. Elle semble toucher, essayer et laisser, reprendre et rejeter, reprendre encore, peiner et échouer, raccommoder et rapiécer. Les surprises et les déceptions sont dans l’ordre de son travail avant que tout ne soit prêt. Ce qui était choisi est rejeté dans l’abîme de la réprobation. Ce qui était rejeté devient la pierre d’angle d’un puissant édifice. Mais derrière tout cela, il y a l’oeil assuré d’une connaissance qui surpasse notre raison et le sourire sans hâte d’un infini pouvoir.

«Dieu a tout le temps devant lui et n’a point besoin de toujours se presser. Il est certain de son but et du succès, et n’hésite pas à briser cent fois son oeuvre pour l’amener plus près de la perfection. La patience est la première grande leçon nécessaire, mais non la lourde lenteur à se mouvoir du timide, du sceptique, du fatigué, de l’indolent, du faible ou de l’homme sans ambition; la patience pleine d’une force calme et concentrée qui veille et se prépare pour l’heure des grands coups rapides, peu nombreux mais qui suffisent à changer la destinée.

«Pourquoi Dieu martèle-t-il son monde avec tant d’acharnement, pourquoi le piétiner et le pétrir comme de la pâte, pourquoi le jeter si souvent dans un bain de sang et dans l’embrasement infernal de la fournaise? Parce que l’humanité dans son ensemble est encore un vil minerai grossier et dur qui autrement ne se laisserait jamais fondre ni modeler. Tels les matériaux, telles les méthodes. Que le minerai se laisse transmuer en un métal plus noble et plus pur, et les procédés de Dieu envers lui seront plus doux et plus bénins, les usages qu’il en fera, plus raffinés et plus beaux.

«Pourquoi Dieu a-t-il choisi ou fabriqué de tels matériaux quand il pouvait choisir dans l’infini des possibilités? Parce que son Idée divine avait en vue non seulement la beauté, la douceur et la pureté, mais aussi la force, la volonté et la grandeur. Ne méprise pas la force et ne la hait point à cause de la laideur de certaines de ses faces, et ne pense pas non plus que Dieu soit seulement amour. Toute perfection parfaite doit receler en elle quelque chose du héros et même du titan. Mais la plus grande force naît de la plus grande difficulté.» (Aperçus et Pensées, «Et Pensées»)

En fin de compte, tout le problème est de savoir si l’humanité est arrivée à l’état d’or pur ou si elle a encore besoin de passer par le creuset.

Un fait est évident, c’est que l’humanité n’est pas arrivée à l’état d’or pur, c’est visible et certain.

Mais quelque chose s’est produit dans l’histoire du monde, qui permet d’espérer qu’une sélection dans l’humanité, un petit nombre d’êtres, peut-être, sont prêts à être transformés en or pur et qu’alors ceux-là seront capables de manifester la force sans violence, l’héroïsme sans destruction et le courage sans catastrophe.

Mais justement, dans le paragraphe suivant, Sri Aurobindo donne la réponse: si seulement l’humanité consentait à être spiritualisée. Au lieu de mettre «humanité», nous allons mettre l’»individu»: si seulement l’individu consentait à être spiritualisé... consentait1.

Quelque chose en lui demande, aspire, et tout le reste refuse, veut continuer à être ce qu’il est: le minerai mélangé qui a besoin d’être jeté dans la fournaise.

Nous sommes en ce moment à un tournant décisif de l’histoire terrestre, encore une fois. De beaucoup de côtés, on me demande: «Qu’est-ce qui va se passer?» Partout, il y a une angoisse, une attente, une peur. «Qu’est-ce qui va se passer?»... Il n’y a qu’une réponse: «Si seulement l’humanité consentait à être spiritualisée.»

Et peut-être suffirait-il que quelques individus deviennent de l’or pur pour que cet exemple suffise à changer le cours des événements... Nous sommes en face de cette nécessité, d’une façon urgente.

Ce courage, cet héroïsme que le Divin veut de nous, pourquoi ne pas s’en servir pour lutter contre ses propres difficultés, ses propres imperfections, ses propres obscurités? Pourquoi ne pas faire face héroïquement à la fournaise de purification intérieure afin qu’il ne soit pas nécessaire de passer une fois de plus par une de ces destructions formidables, titanesques, qui plongent toute une civilisation dans l’obscurité?

Voilà le problème qui est devant nous. À chacun de le résoudre à sa manière.

Ce soir, je réponds aux questions qui m’ont été posées, et ma réponse est celle de Sri Aurobindo:

Si seulement l’humanité consentait à être spiritualisée.

Et j’ajoute: le temps presse... au point de vue humain.

 

1 «Tout changerait si seulement l’homme consentait à être spiritualisé. Mais sa nature mentale, vitale et physique se révolte contre la loi supérieure. Il aime son imperfection.»

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