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Mère

Entretiens

 

Le 29 janvier 1958

L'enregistrement   

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«Même dans l’Inconscient, il semble y avoir au moins l’impulsion d’une nécessité inhérente, produisant l’évolution des formes, et dans ces formes, une Conscience qui se développe. On peut fort bien soutenir que cette impulsion est la volonté évolutive d’un Être conscient secret et que son élan vers une manifestation progressive est la preuve d’une intention innée dans l’évolution. [...] La vérité de l’Être s’accomplissant inévitablement, serait le fait fondamental de l’évolution, mais la volonté et son dessein doivent être présents comme éléments du principe opérant et faire partie des moyens d’action.» (L’Évolution spirituelle, p. 13)

Douce Mère, je n’ai pas compris la fin de la phrase.

Qu’est-ce que tu ne comprends pas? Il dit que l’évolution est due à l’accomplissement inévitable de la vérité de l’Être, qui est la réalité essentielle de l’univers. L’accomplissement de cette vérité, l’accomplissement de la vérité de l’Être, est le fait fondamental de l’évolution, c’est-à-dire que c’est la cause et le principe de l’évolution; mais naturellement, si cette vérité d’Être s’accomplit inévitablement, ce doit être à l’aide d’une volonté et d’un dessein. Il doit y avoir un but et la volonté d’accomplir ce but.

Il faut que cette vérité contienne une volonté de s’accomplir pour s’accomplir, et un but, un dessein, un projet qu’elle veut accomplir. Pour accomplir quelque chose il faut avoir la volonté de le faire, et pour avoir la volonté de le faire il faut savoir ce que l’on veut faire. Si l’on ne sait pas ce que l’on veut faire, on ne peut pas le faire. Il faut d’abord savoir, avoir un plan, un dessein, un programme, si tu veux, il faut savoir ce que l’on veut faire, et puis il faut vouloir le faire, et alors on peut le faire.

N’est-ce pas, il dit: l’univers est l’accomplissement évolutif de la vérité de l’Être universel. Le déploiement de l’univers est l’accomplissement progressif, évolutif, de la vérité de l’Être universel, mais pour que cette vérité s’accomplisse, il faut qu’elle contienne nécessairement un plan, c’est-à-dire qu’elle sache ce qu’elle veut faire, et qu’elle ait la volonté de le faire.

Quand tu fais quelque chose, tu sais ce que tu veux faire, non? Et puis tu veux le faire, autrement tu ne peux pas. Mais c’est la même chose, c’est ce qu’il dit.

Il faut nécessairement que l’on admette qu’il y ait un plan dans l’univers, que ce n’est pas une chose qui se produit par hasard, et qu’il y a une volonté d’accomplir ce plan, autrement rien ne peut arriver. N’est-ce pas, Sri Aurobindo contredit les gens qui disent que l’univers n’a pas de plan et pas de volonté. Mais de la minute où nous admettons qu’il y a une conscience — une existence consciente — derrière l’univers, nous admettons du même coup, automatiquement, qu’il y a un plan dans cet univers et une volonté d’accomplir ce plan. C’est tout ce qu’il dit. C’est simple, non?

Tu n’as qu’à réduire cela à la proportion individuelle. Quand quelqu’un est conscient et qu’il fait quelque chose consciemment, il le fait nécessairement sachant ce qu’il veut faire, ayant un plan. Par exemple, quand tu prépares un programme pour la fête du Dortoir, tu as une intention, n’est-ce pas, tu veux faire un programme pour la fête du Dortoir, et par conséquent tu as un plan, tu choisis ce que tu vas jouer et comment ça va être joué, et en même temps tu veux le faire, autrement tu ne le ferais pas — alors, Sri Aurobindo ne dit pas autre chose que cela. C’est-à-dire que si l’univers est une entité consciente, si c’est une Conscience qui s’exprime, elle s’exprime nécessairement selon un plan et avec une volonté de s’exprimer — c’est tout à fait simple.

Tu as compris?... Un peu!

Tu ne sais pas cela, que pour faire quelque chose il faut savoir ce que l’on veut faire et puis il faut le faire, avoir la volonté de le faire? Même si tu décides de marcher d’ici jusque-là, tu dois décider que tu veux marcher d’ici jusque-là, et après il faut avoir la volonté de marcher, autrement tu ne bougerais pas. Non?

Oui.

Ah! ce n’est pas autre chose que cela, c’est aussi simple que cela.

(silence)

On fait les choses, généralement, d’une façon si automatique et spontanée, sans se regarder faire, que, si l’on veut se demander comment cela se fait, il faut un moment pour que le procédé vous devienne conscient. Tu as tellement l’habitude de vivre que tu ne sais même pas comment ça se passe. Tous les gestes, les mouvements de la vie se font spontanément, automatiquement, presque inconsciemment, dans une semi-conscience, et ce fait si simple que, pour faire quelque chose, il faut d’abord savoir ce que l’on va faire et puis il faut vouloir le faire, on ne s’en rend même pas compte. C’est seulement quand il y a un mauvais fonctionnement de l’un de ces facteurs — par exemple, la capacité de construire un plan au-dedans de soi, et puis la capacité d’exécuter ce plan —, quand ces deux choses commencent à fonctionner mal, on s’inquiète du bon fonctionnement de son être. Par exemple, si un matin, en te réveillant dans ton lit, tu ne savais pas ou tu ne te souvenais plus qu’il faut te lever, faire ta toilette, prendre ton déjeuner, faire ceci ou cela, tu te dirais: «Tiens! mais qu’est-ce qui se passe, il y a quelque chose qui va mal — je ne sais plus ce que je dois faire, il doit y avoir quelque chose de dérangé.»

Et si, après, sachant ce que tu as à faire — que tu dois te lever, aller à la salle de bain, faire ta toilette —, tu sais que tu dois le faire, mais tu ne peux pas le faire: il y a quelque chose, le ressort de la volonté qui ne fonctionne plus, il n’a plus d’effet sur le corps; alors là aussi, tu commences à t’inquiéter, tu dis: «Tiens! tiens! est-ce que je serais malade par hasard?»

Autrement, tu ne te rends même pas compte que toute la vie est comme cela. Cela te paraît tout à fait naturel, c’est «comme ça». C’est-à-dire que l’on agit d’une façon à peine semi-consciente; c’est automatique, c’est une sorte d’habitude spontanée et on ne se regarde pas faire. Et alors, si l’on veut avoir un contrôle sur son fonctionnement, la première chose est de savoir ce qui se passe.

Et au fond, c’est peut-être la raison pour laquelle les choses ne vont pas toujours bien. Parce que si elles allaient selon un rythme normal, habituel, on ne serait jamais conscient de ce que l’on fait; on le ferait par habitude, par automatisme, spontanément, sans réflexion, et on ne se regarderait pas faire, et alors on ne pourrait jamais se maîtriser. Ce serait un «quelque chose», une vague conscience par-derrière qui s’exprime sans que l’on se regarde même faire, qui vous ferait agir, et alors s’il venait un courant de force quelconque, étranger ou inconnu, il pourrait vous faire faire n’importe quoi sans que vous vous aperceviez même du procédé par lequel il vous fait agir. Et en fait, c’est ce qui se passe.

Ce n’est que quand on est pleinement conscient du procédé, quand on a la science du fonctionnement de la vie, du mouvement de la vie et du procédé de la vie, que l’on peut commencer à contrôler, autrement on ne pense d’abord même pas du tout à contrôler; mais s’il y a des choses désagréables, que, par exemple, on fasse quelque chose qui ait des conséquences fâcheuses et que l’on se dise: «Tiens! mais il faudrait que je m’empêche de faire ça», alors, à ce moment-là, on s’aperçoit qu’il y a toute une connaissance technique sur «comment on fait pour vivre» qui est nécessaire pour pouvoir contrôler sa vie! Autrement, on est une sorte d’ensemble, plus ou moins coordonné, d’actions et de réactions, de mouvements et d’impulsions, et on ne sait pas du tout comment ça se passe. C’est cela qui s’élabore dans l’être par les chocs, les frictions, tous les désordres apparents de la vie, et qui forme la conscience dans les tout petits enfants. Un petit enfant est tout à fait inconscient, et ce n’est que petit à petit, petit à petit, qu’il commence à s’apercevoir des choses. Mais si l’on ne prend pas un soin spécial, il y a des gens qui vivent presque toute leur vie sans même savoir comment ils font pour vivre! Ils ne s’en rendent pas compte.

Alors n’importe quoi peut se passer.

Mais cela, c’est le tout premier petit pas de la prise de conscience de soi-même dans le monde matériel.

On a de vagues pensées et de vagues sentiments, n’est-ce pas, qui se développent plus ou moins logiquement dans l’être (plutôt moins que plus), alors, de cela, on a un petit peu une impression; et puis, aussi, quand on se brûle, on se rend compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas, quand on tombe et que l’on se fait mal, on se rend compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas — cela commence à vous faire réfléchir qu’il faut faire attention à ceci, à cela, pour ne pas tomber, pour ne pas se brûler, pour ne pas se couper... Ça entre petit à petit avec l’expérience extérieure, du contact extérieur. Mais autrement, on est une masse semi-consciente qui bouge sans même savoir comment ni pourquoi.

C’est le tout petit commencement de la sortie de l’état d’inconscience primaire.