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Mère

Entretiens

 

Le 25 juin 1958

L'enregistrement   

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«Par la nature même des choses, toute évolution doit procéder d’abord par un lent déploiement; car tout principe nouveau doit, pour manifester ses pouvoirs, se frayer un chemin à partir de l’involution primordiale dans l’inconscience et l’ignorance. Il a la tâche difficile de s’extraire de l’involution, de s’arracher à l’emprise du milieu originel et à son obscurité, de lutter contre l’attraction et la pression de l’inconscience, son opposition et son obstruction instinctives, et contre les mélanges gênants, les lenteurs aveugles et obstinées de l’ignorance. Au début, la Nature fait preuve d’un vague élan, d’une tendance imprécise; et c’est un signe que la réalité submergée, occulte et subliminale, pousse vers la surface. Puis on trouve de faibles suggestions à demi réprimées de ce qui doit être, des premières tentatives imparfaites, des éléments informes, des petits fragments insignifiants, à peine reconnaissables, des apparitions rudimentaires. Plus tard, on voit apparaître des formations petites ou grandes; une qualité plus caractéristique et reconnaissable commence à se montrer, partiellement d’abord, ici et là, ou avec une faible intensité, puis de façon plus vive, plus formatrice; finalement se produit l’émergence décisive, le renversement de la conscience, et son changement radical commence à devenir possible. Mais il reste encore beaucoup à faire dans toutes les directions; une longue et difficile croissance vers la perfection s’ouvre devant l’effort évolutif. L’émergence accomplie ne doit pas seulement être affermie, protégée des rechutes, de l’attraction vers le bas, mise à l’abri de l’échec et de l’anéantissement, mais il faut encore qu’elle s’ouvre à ses propres possibilités dans tous les domaines, à la plénitude de son propre accomplissement intégral, qu’elle atteigne sa plus haute stature, sa subtilité, sa richesse, son ampleur suprêmes; elle doit s’affirmer et tout embrasser, tout comprendre. Tel est partout le processus de la Nature; l’ignorer, c’est ne pas voir l’intention qui se trouve dans ses oeuvres et se perdre dans le dédale de son fonctionnement.» (L’Évolution spirituelle, p. 47-48)

Ceci paraît être une description très exacte du développement individuel. C’est exactement comme cela. Et alors on perd patience, ou on perd courage, parce qu’on a l’impression que l’on n’avance pas; mais quand on s’attaque au développement du corps — développement matériel, physique —, que l’on veut que le corps physique fasse une sâdhanâ, c’est exactement cela. On commence par essayer toutes sortes de choses sans précision, sans exactitude, sans savoir par quel bout commencer, et on a l’impression qu’on tâtonne, qu’on cherche, qu’on tourne et qu’on ne va nulle part. Et puis, petit à petit, une chose se montre ou une autre, et c’est seulement très longtemps après qu’il commence à y avoir comme un programme qui s’élabore. Et cette description que Sri Aurobindo fait à la fin, quand le but de l’évolution jaillit et devient perceptible, combien de soin il faut prendre pour que ce ne soit pas de nouveau englouti par l’Inconscience première!

Et c’est pourquoi le travail a l’air... interminable. Et pourtant, c’est la seule manière dont on puisse le faire. Le chemin à parcourir entre l’état habituel du corps, cette inconscience presque totale à laquelle nous sommes habitués parce que c’est «comme cela» que nous sommes, et puis l’éveil parfait de la conscience, la réponse de toutes les cellules, de tous les organes, de tous les fonctionnements... entre les deux, il semble qu’il y ait des siècles de travail. Pourtant, si l’on a appris à s’ouvrir, à aspirer, à s’abandonner, et que l’on puisse se servir de ces mêmes mouvements dans le corps, apprendre aux cellules à faire la même chose, alors ça va beaucoup plus vite. Mais beaucoup plus vite, ça ne veut pas dire vite; c’est encore un long et lent travail. Et chaque fois qu’il y a un élément qui n’était pas entré dans le mouvement de la transformation et qui s’éveille pour y entrer, on a l’impression que tout est à recommencer — tout ce que l’on croyait avoir fait, il faut le refaire. Mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas la même chose que l’on refait, c’est une chose semblable dans un nouvel élément qui avait été ou bien oublié ou bien laissé de côté parce qu’il n’était pas prêt, et qui, étant prêt, s’éveille et veut prendre sa place. Il y a beaucoup d’éléments comme cela...

Le corps, cela vous paraît une chose très simple, n’est-ce pas, c’est un corps, c’est «mon» corps, et après tout, ça a une seule forme — mais ce n’est pas comme cela! Ce sont des centaines d’entités qui sont combinées, qui s’ignorent l’une l’autre, qui sont harmonisées par quelque chose de plus profond qu’elles ne connaissent pas, et qui n’ont la perception d’une unité que parce qu’elles ne sont pas conscientes de la multiplicité des éléments et de leur divergence.

Au fond, c’est cette multiplicité et cette divergence qui sont la cause de la plupart des désordres, sinon des maladies. Quelque chose marche bien, on a attrapé le fil conducteur, on est en train de suivre son chemin, on pense qu’on va arriver à un résultat, et puis, tout d’un coup, hop! voilà quelque chose qui arrive, inattendu, on ne savait pas que c’était là: ça s’éveille et ça demande à entrer dans la marche. Mais cela crée un désordre épouvantable et il faut tout recommencer.

La sâdhanâ de tous les êtres intérieurs, les domaines intérieurs, a été faite par beaucoup de gens, a été longuement expliquée, systématisée par certains, ce sont des étapes et des chemins qui ont été tracés, et on va d’une étape à l’autre sachant que c’est comme cela que ça doit être; mais dès que l’on descend dans le corps, c’est la forêt vierge... Et tout est à faire, tout est à élaborer, tout est à construire. Alors, il faut s’armer de beaucoup de patience, beaucoup de patience, et ne pas croire que l’on n’est bon à rien parce que cela prend beaucoup de temps. Il ne faut jamais se décourager, jamais se dire: «Oh! ça, ce n’est pas pour moi!» Chacun peut le faire, s’il y met le temps, le courage, l’endurance et la persévérance voulus. Mais il faut tout ça. Et surtout, surtout, ne jamais se décourager, être prêt à recommencer dix fois, vingt fois, cent fois la même chose — jusqu’à ce que ce soit vraiment fait.

Et on a souvent l’impression qu’à moins que tout ne soit fait, que le travail ne soit fini, eh bien, c’est comme si l’on n’avait rien fait.