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Mère

Entretiens

 

Le 18 juin 1958

L'enregistrement   

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«La Nature a suivi quatre directions principales pour tenter d’ouvrir l’être intérieur: la religion, l’occultisme, la pensée spirituelle et enfin la réalisation spirituelle et l’expérience intérieure. Les trois premières sont des voies d’approche; la dernière est l’avenue décisive qui conduit à l’entrée. Ces quatre forces ont travaillé d’une action simultanée, plus ou moins coordonnée, parfois en collaborant ensemble à un degré variable, parfois en se disputant, parfois de façon séparée et indépendante. La religion a admis un élément occulte dans son rituel, ses cérémonies, ses sacrements. Elle s’est appuyée sur la pensée spirituelle, lui empruntant parfois une croyance ou une théologie, parfois le point d’appui d’une philosophie spirituelle — et l’Occident a généralement suivi la première méthode, tandis que l’Orient suivait l’autre —, mais l’expérience spirituelle est le but et l’accomplissement final de la religion, son ciel et son sommet. Pourtant, la religion a parfois aussi interdit l’occultisme ou elle a réduit au minimum son propre élément occulte; elle a repoussé la pensée philosophique comme une étrangère et une intellectuelle desséchée; elle s’est appuyée de tout son poids sur les credo et les dogmes, sur l’émotion et la ferveur pieuses, sur la conduite morale; elle a réduit autant que possible la réalisation et l’expérience spirituelles, ou elle s’en est totalement passée. De son côté, l’occultisme s’est parfois donné la spiritualité pour but, et il a poursuivi la connaissance et l’expérience occultes comme des moyens d’en approcher; il a formulé une sorte de philosophie mystique. Mais le plus souvent, il s’est borné à la connaissance occulte et à ses pratiques, sans la moindre perspective spirituelle; il s’est tourné vers la thaumaturgie et la simple magie, ou même il a dégénéré en sorcellerie. Quant à la philosophie spirituelle, elle a le plus souvent cherché dans la religion un soutien ou un chemin conduisant vers l’expérience; elle est née de la réalisation et de l’expérience, ou elle a construit ses structures comme un moyen d’en approcher. Mais souvent aussi elle a rejeté totalement l’aide — ou les entraves — de la religion, et elle a poursuivi sa route par ses propres forces, soit qu’elle se satisfasse de la connaissance mentale, soit qu’elle ait l’espoir confiant de découvrir son propre chemin d’expérience et une discipline efficace. Enfin, l’expérience spirituelle s’est servie des trois autres moyens comme point de départ; mais elle a su aussi se passer d’eux tous, ne comptant que sur sa propre force. Désapprouvant la connaissance et les pouvoirs occultes comme des pièges dangereux et des obstacles gênants, elle n’a recherché que la pure vérité de l’Esprit. Se passant de philosophie, elle est arrivée à son but grâce à la ferveur du coeur ou à une spiritualisation mystique intérieure. Rejetant loin d’elle toute croyance, toute cérémonie et toute pratique religieuses, qu’elle considère comme un stade inférieur ou comme une première voie d’approche, elle a passé outre, laissé derrière elle ces soutiens, et, libre de tout cet apparat, elle s’est avancée vers le pur contact avec la Réalité spirituelle. Toutes ces variations étaient nécessaires, et dans son effort évolutif la Nature a fait l’expérience de toutes ces voies, afin de trouver le vrai chemin, le chemin total vers la conscience suprême et la connaissance intégrale.

«Car chacun de ces moyens ou chacune de ces voies d’approche correspond à quelque chose dans notre être total, et par conséquent à quelque chose de nécessaire au but total de l’évolution de la Nature. Quatre choses sont en effet nécessaires à l’homme dans l’expansion de son être, s’il ne doit pas rester ce qu’il est à présent dans sa nature phénoménale: un être d’ignorance superficielle qui cherche obscurément la vérité des choses, qui rassemble et systématise des fragments, des tranches de connaissance, une petite créature limitée et à demi compétente de la Force cosmique. Il doit se connaître lui-même et découvrir et utiliser toutes ses potentialités; mais pour se connaître totalement lui-même et connaître totalement le monde, il doit passer derrière ce qui lui est extérieur et ce qui lui est propre; il doit plonger profondément sous sa propre surface mentale et sous la surface physique de la Nature. Cela ne peut se faire que s’il connaît son être intérieur mental, vital, physique et psychique, ses pouvoirs et ses mouvements, et s’il connaît les lois et les processus universels du mental occulte et de la vie occulte qui se tiennent derrière la façade matérielle de l’univers; tel est le champ de l’occultisme, si nous prenons le mot dans son sens le plus large. L’homme doit aussi connaître le Pouvoir ou les Pouvoirs cachés qui dirigent le monde: s’il y a un Moi cosmique ou un Esprit cosmique, ou un Créateur, l’homme doit être capable d’entrer en rapport avec Lui ou avec Cela, et de rester en contact ou en communion autant qu’il est possible, de s’accorder d’une façon quelconque avec les Êtres, maîtres de l’univers, ou avec l’Être universel et Sa volonté universelle, ou avec l’Être suprême et Sa suprême volonté. Il doit être capable, dans sa vie et sa conduite, de suivre la loi que cet Être lui donne et le but qui lui est assigné ou révélé; il doit s’élever jusqu’au plus haut sommet, dans sa vie présente ou son existence future, ainsi que cet Être l’exige. Si un tel Esprit, Être universel ou suprême n’existe pas, il doit savoir ce qui existe et comment s’élever jusque-là hors de son imperfection et de son impuissance présentes. Cette voie d’approche est celle de la religion; son but est de relier l’humain au Divin et, ce faisant, de sublimer la pensée, la vie et la chair afin qu’elles puissent admettre l’autorité de l’âme et de l’Esprit. Mais il faut que cette connaissance soit plus qu’un credo ou une révélation mystique; le mental pensant doit pouvoir l’accepter et la relier au principe des choses et à la vérité de l’univers telle qu’elle est observée. Ceci est l’oeuvre de la philosophie; et dans le domaine de la vérité de l’Esprit, ce travail ne peut être fait que par une philosophie spirituelle, qu’elle soit intellectuelle ou intuitive dans sa méthode. Mais toute connaissance et tout effort ne peuvent porter des fruits que s’ils se transforment en expérience et s’ils deviennent partie intégrante de la conscience et de ses opérations normales. Dans le domaine spirituel toute cette connaissance, religieuse, occulte ou philosophique, et tout cet effort doivent donc, pour être féconds, aboutir à une ouverture de la conscience spirituelle, à des expériences qui fondent cette conscience et continuellement l’élèvent, l’élargissent et l’enrichissent, et à la construction d’une vie et d’une action qui soient en conformité avec la vérité de l’Esprit; telle est l’oeuvre de la réalisation et de l’expérience spirituelles.» (L’Évolution spirituelle, p. 44-47)

Un point est très remarquable... je ne me souviens plus si Sri Aurobindo en parlera dans la suite, mais de ces quatre activités ou réalisations dont il parle (religion, occultisme, philosophie spirituelle et expérience spirituelle), et qui sont nécessaires au développement et à la transformation de l’homme, toutes ne sont pas également accessibles à l’humanité.

Celle qui peut être pratiquée, et on pourrait peut-être dire «comprise» (bien que ce ne soit certainement pas une «compréhension»!) par le plus grand nombre d’êtres humains, ceux qui vivent presque exclusivement dans une conscience physique, c’est la méthode religieuse, justement parce qu’elle est basée sur des credo et des pratiques fixes. Simplement par un acte de foi ou une suggestion collective (surtout une suggestion collective), un grand nombre d’êtres humains qui ne sont pas encore arrivés à des développements intérieurs considérables peuvent se rallier à la voie de la religion.

Pour l’occultisme, il faut déjà être arrivé à un second stade du développement et être plus conscient dans le monde vital afin de pouvoir entrer en rapport avec le jeu des forces, ce qui est indispensable pour leur maniement.

Pour la philosophie spirituelle, il n’y a guère que ceux qui ont un développement mental assez complet et qui sont pleinement conscients sur le plan intellectuel, qui peuvent utilement adopter ce moyen; autrement, c’est lettre morte pour tous ceux qui n’ont pas la capacité de gymnastique mentale pour suivre toutes les acrobaties de l’esprit.

Et finalement, Sri Aurobindo nous a dit quelque part dans La Vie Divine que, pour suivre le chemin de l’expérience spirituelle, il faut avoir en soi un «être spirituel», il faut être ce que l’on appelle «deux-fois-né», parce que, si l’on n’a pas en soi un être spirituel qui soit au moins sur le point de devenir conscient de lui-même, on peut essayer d’imiter ces expériences, mais ce n’est qu’une imitation grossière, ou une hypocrisie, ce n’est pas une réalité.

Par conséquent, pour pouvoir suivre ces quatre voies simultanément et les pratiquer avec un profit intégral pour l’être, il faut être déjà une individualité complète, capable de vie consciente dans les quatre éléments principaux de la nature humaine et spirituelle.

Naturellement, ce développement intérieur n’est pas toujours apparent et on peut se trouver en présence d’un être qui a en lui une entité spirituelle consciente, prête pour les plus belles expériences, bien que, extérieurement, il semble tout à fait fruste et incomplet.

Il n’est pas nécessaire non plus de suivre cette progression dans l’ordre où elle a été mentionnée, mais si nous voulons que notre réalisation soit intégrale et arriver à une transformation totale de notre être, il faut pouvoir utiliser l’essence de ce que chacun de ces moyens apporte.

La conscience psychique ou spirituelle vous donne la réalisation intérieure profonde, le contact avec le Divin, la libération des entraves extérieures; mais pour que cette libération soit efficace, qu’elle ait une action sur le reste de l’être, il faut que le mental soit suffisamment ouvert pour pouvoir contenir la lumière spirituelle de la Connaissance, il faut que le vital soit assez puissant pour pouvoir manier les forces derrière les apparences et les dominer, et il faut que le physique soit suffisamment discipliné, organisé pour pouvoir, dans les gestes de chaque jour et de chaque moment, exprimer l’expérience profonde, la vivre intégralement.

Si l’une de ces choses manque, le résultat n’est pas complet. On peut faire bon jeu de ceci ou de cela sous prétexte que ce n’est pas la Chose centrale la plus importante — et négliger les choses extérieures ne peut certainement pas vous empêcher d’entrer en communion spirituelle avec le Suprême, mais ce n’est bon que pour la fuite hors de la vie.

Si nous devons être un être total, complet, avoir une réalisation intégrale, nous devons pouvoir traduire mentalement, vitalement et physiquement notre expérience spirituelle. Et plus notre traduction sera parfaite, exécutée par un être complet et parfait, plus notre réalisation sera intégrale et parfaite.

Pour celui qui veut suivre le yoga intégral, il n’y a rien d’inutile et rien qui doive être négligé... Le tout est de savoir mettre chaque chose à sa place, et de donner le gouvernement à ce qui a vraiment le droit de gouverner.