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SRI AUROBINDO

Lettres sur le Yoga

Volume 1. Section 1

8. Renaissance

681

L'âme prend naissance chaque fois, et chaque fois un mental, un vital et un corps sont formés avec les matériaux de la Nature universelle d'après l'évolution passée de l'âme et ses besoins pour l'avenir.

Lorsque le corps se dissout, le vital va dans le plan vital et y reste un certain temps, mais au bout de ce temps, l'enveloppe vitale disparaît. La dernière à se dissoudre est l'enveloppe mentale. Enfin l'âme ou être psychique se retire dans le monde psychique pour s'y reposer jusqu'à l'approche d'une nouvelle naissance.

Tel est le processus habituel pour les êtres humains d'un développement ordinaire. Il y a des variantes selon la nature de l'individu et son développement. Par exemple, si le mental est fortement développé, l'être mental peut subsister- et de même pour le vital — à condition qu'ils aient été organisés par l'être psychique véritable et soient centrés autour de lui; ils partagent alors l'immortalité du psychique.

L'âme rassemble les éléments essentiels de ses expériences dans la vie et en fait la base de sa croissance dans l'évolution; quand elle retourne à la naissance, elle prend ses enveloppes mentale, vitale et physique, et autant de Karma qui lui sera utile dans la nouvelle vie pour acquérir davantage d'expérience.

En fait, c'est pour la partie vitale de l'être que se font le śrāddha et les rites — pour aider l'être à se débarrasser des vibrations vitales qui l'attachent encore à la terre ou aux inondes vitaux, afin qu'il puisse passer rapidement dans le repos de la paix psychique.

Lumières sur le Yoga, chapitre 2. Traduction de la Mère.

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682

Je n'ai parlé que de ce que signifiaient à l'origine les cérémonies — les rites. Je ne parlais pas de la distribution de nourriture à la caste ou aux Brahmines, qui n'est ni un rite, ni une cérémonie. Que le śrāddha, tel qu'il est célébré, soit réellement efficace ou non, est une autre affaire — car ceux qui le célèbrent n'ont ni la connaissance, ni le pouvoir occulte.

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683

Une fois qu'elle a quitté le corps, l'âme, après certaines expériences dans d'autres mondes, se dévêt de ses personnalités mentale et vitale et entre en repos pour assimiler l'essence de son passé et se préparer à une nouvelle vie. C'est cette préparation qui détermine les circonstances de la nouvelle naissance et la guide dans sa reconstitution d'une personnalité nouvelle et dans le choix de ses matériaux.

L'âme qui est partie ne garde le souvenir de ses expériences passées que dans leur essence, non dans le détail de leurs formes. Lorsque l'âme reprend une personnalité ou des personnalités du passé pour les faire participer à sa manifestation présente, alors seulement il est vraisemblable qu'elle se souvienne des détails de la vie passée. Autrement, le souvenir ne peut venir que par Yogadrishti.

Le Kârana-pourousha est ce que nous appelons l'être central, le Jîva. Il se tient au-dessus du jeu, le soutenant en permanence.

Certains mouvements peuvent sembler régressifs, mais ce ne sont que des zigzags; non des reculs réels, mais un retour sur quelque chose qui n'avait pas été achevé, afin de mieux avancer ensuite. L'âme ne retourne pas à l'état animal, mais une partie de la personnalité vitale peut se détacher et rejoindre une vie animale pour y épuiser ses penchants animaux.

La croyance populaire selon laquelle l'avare devient un serpent ne contient aucune vérité. Ce sont là des superstitions romanesques et populaires.

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684

L'âme, après avoir quitté le corps, voyage à travers plusieurs états ou plans jusqu'à ce que l'être psychique se soit dépouillé de ses enveloppes temporaires; elle atteint alors le monde psychique où elle repose dans une sorte de sommeil jusqu'à ce qu'elle soit prête pour la réincarnation. Elle ne conserve finalement de l'expérience humaine que l'essence de tout ce qu'elle a vécu, ce qu'elle peut utiliser pour son développement. Telle est la règle générale, mais elle ne s'applique pas aux cas exceptionnels, ni aux êtres très développés qui sont parvenus à un niveau de conscience plus grand que celui de l'homme ordinaire.

Ce n'est pas l'âme (l'être psychique) qui prend une forme moins élevée, c'est une partie de l'être manifesté, habituellement une partie du vital, en raison d'un désir, d'une affinité, du besoin d'une expérience particulière. Cela arrive assez souvent à l'homme ordinaire.

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685

Au moment de la mort, l'être sort du corps par la tête; il sort dans son corps subtil et va dans différents plans d'existence pendant une brève période, jusqu'à ce qu'il soit passé par certaines expériences qui sont le résultat de son existence terrestre. Ensuite, il atteint le monde psychique où il se repose dans une sorte de sommeil, jusqu'à ce que le temps soit venu pour lui d'entamer une nouvelle vie sur terre. C'est ce qui arrive habituellement, mais certains êtres sont plus développés et ne suivent pas ce processus.

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686

L'âme sort, après la mort, dans son corps subtil.

Les souvenirs ne durent qu'un temps, et non jusqu'à la naissance suivante, autrement l'empreinte en serait si forte que la remémoration des vies passées, même après que l'âme ait pris un nouveau corps, serait la règle plutôt que l'exception.

Vous dites: "Les relations d'une vie persistent dans les vies successives, cela dépend de la force de l'attachement. " C'est possible, mais ce n'est pas une loi; en règle générale, la même relation ne se répéterait pas constamment: les mêmes personnes se rencontrent souvent sur terre à plusieurs reprises dans des vies différentes, mais les relations sont différentes. La renaissance ne remplirait pas son office si la même personnalité répétait sans cesse les mêmes relations et les mêmes expériences.

Il n'est pas exact de dire qu'il y a après la mort une annihilation complète de l'ego en ce qui concerne les formes de vie inférieures à l'homme.

Ce n'est pas l'ego qui se trouve en condition statique de repos complet, mais l'être psychique qui, après s'être dépouillé de son enveloppe vitale et des autres enveloppes, se repose dans le monde psychique. Avant, il traverse le monde vital et d'autres mondes sur son chemin vers le plan psychique.

Il est possible d'entrer directement en contact avec les défunts tant qu'ils sont assez près de la terre (ceux qui ont l'expérience occulte présument en général que cela ne dure que trois ans), ou s'ils sont attachés à la terre, ou encore s'ils sont de ceux qui ne se dirigent pas vers le plan psychique, mais s'attardent près de la terre et renaissent rapidement.

Il n'est guère aisé de se prononcer d'une manière universelle sur ces sujets — il y a une ligne générale, mais les cas individuels varient pour ainsi dire à l'infini.

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687

Il y a, après la mort, une période au cours de laquelle on traverse le monde vital où l'on vit pendant un certain temps. Seule la première partie de ce passage peut être dangereuse ou pénible; aux étapes suivantes, on épuise, dans un certain milieu, ce qui reste des désirs et des instincts vitaux que l'on avait dans le corps. Aussitôt qu'on s'en est lassé et qu'on peut aller au-delà, l'enveloppe vitale tombe et l'âme, passé le temps dont elle a besoin pour se débarrasser de quelques survivances mentales, entre dans un état de repos dans le monde psychique et y demeure jusqu'à la vie suivante sur terre.

On peut aider les âmes qui sont parties par la bienveillance ou par des moyens occultes, si on a la connaissance. La seule chose qu'il ne faut pas faire, c'est les retenir par le chagrin, par les regrets ou par tout ce qui les tirerait plus près de la terre ou retarderait leur voyage vers leur lieu de repos.

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688

Il peut arriver à certaines personnes de ne pas réaliser, pendant un temps assez long, qu'elles sont mortes, surtout si la mort est imprévue et soudaine, mais on ne peut pas dire que cela arrive à tout le monde ou à la plupart des gens. Certains peuvent entrer dans un état semi-inconscient ou obsessionnel à cause d'une condition intérieure ténébreuse créée par leur état d'esprit au moment de la mort, dans laquelle ils ne se rendent pas compte de l'endroit où ils se trouvent, etc.; d'autres sont très conscients du passage. Il est vrai que l'être qui s'en va dans le corps vital s'attarde quelque temps près du corps ou des lieux où il a vécu, très souvent pour une durée qui peut aller jusqu'à huit jours et, dans les anciennes religions, on employait des mantra ou d'autres moyens pour faciliter la séparation. Même après la séparation d'avec le corps, une nature très liée à la terre, ou pleine de désirs physiques intenses, peut s'attarder longtemps dans l'atmosphère terrestre, jusqu'à une période maximum de trois ans. Ensuite, elle passe dans les mondes vitaux, poursuivant son voyage qui tôt ou tard l'amènera au repos psychique jusqu'à la vie suivante. Il est vrai aussi que le chagrin et le deuil qui entourent les morts entravent leur marche en les maintenant liés à l'atmosphère terrestre et en les retenant ici.

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689

Dans son mouvement normal l'être psychique se dévêt de ses enveloppes extérieures en s'acheminant vers le plan psychique. Mais il peut y avoir d'innombrables variantes: on peut revenir du plan vital et nombreux sont les cas de renaissance presque immédiate, parfois même accompagnée d'une mémoire complète des événements de la vie passée.

Le ciel et l'enfer sont souvent des états imaginaires de l'âme ou plutôt du vital qui les construit autour de lui après son départ. Ce qu'on entend par enfer est un passage pénible à travers le vital ou un séjour dans ce plan, comme par exemple dans bien des cas de suicide où l'on reste environné des forces de souffrance et de désordre créées par cette fin anormale et violente. Il y a aussi, évidemment, des mondes du mental et des mondes vitaux qui sont imprégnés d'expériences joyeuses ou sombres. On peut en passer par là si les affinités nécessaires ont été créées par des formations dans le caractère, mais l'idée de récompense ou de rétribution est une conception primitive et vulgaire, rien de plus qu'une erreur courante.

L'oubli complet qui accompagne le retour de l'âme à la naissance n'est pas une règle générale. Particulièrement chez les enfants, de nombreuses impressions de la vie passée peuvent être assez vives et fortes, mais l'éducation et l'influence matérialisantes de l'entourage empêchent leur vraie nature d'être reconnue. Un grand nombre de gens ont même des souvenirs précis d'une vie passée. Mais cette capacité, n'étant pas encouragée par l'éducation et l'atmosphère, ne peut demeurer ou se développer; dans la plupart des cas, elle est étouffée et disparaît. En même temps, il faut noter que ce que l'être psychique emporte avec lui et rapporte, c'est ordinairement l'essence des expériences qu'il a eues dans les vies précédentes, et non les détails, de sorte qu'on ne peut pas s'attendre à trouver là une mémoire semblable à celle que l'on a dans l'existence actuelle.

Une âme peut aller directement dans le monde psychique, mais cela dépend de son état de conscience au moment du départ. Si le psychique est en avant à ce moment, le passage immédiat est tout à fait possible. Il ne dépend pas de l'acquisition d'une immortalité mentale et vitale autant que psychique: ceux qui l'ont acquise auraient plutôt le pouvoir de se déplacer dans les divers mondes et même d'agir sur le monde physique sans y être liés. Dans l'ensemble, on peut dire qu'il n'y a pas de règle unique et rigide dans ce domaine, de multiples variantes sont possibles selon la conscience, ses énergies, ses tendances et ses formations, bien qu'il y ait un cadre général et un plan dans lequel tout s'insère et prend sa place.

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690

Il est nécessaire de comprendre clairement la différence entre l'âme qui évolue (être psychique) et le pur Âtman, moi ou esprit. Le moi pur est non-né, il ne passe pas par la mort et la naissance, ne dépend ni de la naissance ni du corps, ni du mental ni de la vie, ni de la Nature manifestée. Il n'est pas lié par ces choses, n'est ni limité, ni affecté par elles, bien qu'il s'en revête et les contienne. L'âme, au contraire, descend dans la naissance et passe, au moyen de la mort — bien qu'elle ne meure pas elle-même, car elle est immortelle — d'un état à un autre, du plan terrestre à d'autres plans, puis revient à l'existence terrestre. Elle poursuit, par cette progression de vie en vie, une évolution ascendante qui la conduit jusqu'à l'état humain et fait évoluer, à travers tout cela, un être d'elle-même que nous appelons l'être psychique, qui soutient l'évolution et élabore une conscience humaine physique, une conscience humaine vitale, une conscience humaine mentale, instruments de son expérience du monde et d'une expression d'elle-même travestie, imparfaite, mais croissante. Tout cela, elle le fait de derrière un voile, laissant entrevoir son moi divin seulement dans la mesure où le lui permet l'imperfection de l'être instrumental. Mais il vient un moment où elle est capable de se préparer à sortir de derrière le voile, à prendre le commandement et à orienter toute la nature instrumentale vers un accomplissement divin. C'est le commencement de la vraie vie spirituelle. L'âme est capable alors de se préparer à l'évolution d'une conscience manifestée qui sera supérieure à la conscience mentale humaine: elle peut passer de l'état mental à l'état spirituel et, par les divers degrés de l'état spirituel, à l'état supramental. Jusque là, il n'y a aucune raison qu'elle cesse de naître: en fait, elle ne le peut pas. Si, ayant atteint l'état spirituel, elle a la volonté de sortir de la manifestation terrestre, elle peut en vérité le faire; mais une plus haute manifestation est également possible, dans la Connaissance et non dans l'Ignorance.

Votre question, par conséquent, ne se pose pas. Ce n'est pas l'esprit nu, mais l'être psychique qui va dans le plan psychique pour s'y reposer jusqu'à ce qu'il soit appelé à une nouvelle vie. Il n'est par conséquent pas nécessaire qu'une Force intervienne pour le contraindre à renaître de nouveau. Il est, par nature, une chose émanée par le Divin pour soutenir l'évolution, et c'est ce qu'il doit faire jusqu'à ce que le dessein du Divin dans son évolution soit accompli. Le Karma n'est qu'un mécanisme, il n'est pas la cause fondamentale de l'existence terrestre; il ne peut pas l'être, car lorsque l'âme est entrée pour la première fois dans l'existence ici-bas, elle n'avait pas de Karma.

Que voulez-vous dire aussi par "la Maya qui voile tout" ou "perdre toute conscience"? L'âme ne peut pas perdre toute conscience, car sa nature même est conscience, quoique cette conscience ne soit pas de l'espèce mentale à laquelle nous donnons ce nom. La conscience n'est ni perdue, ni abolie, elle est simplement recouverte, d'abord par la prétendue Inconscience de la Nature matérielle, ensuite par l'ignorance à-demi consciente du mental, de la vie et du corps. Elle manifeste, à mesure que le mental, la vie et le corps individuels grandissent, la plus grande part possible de cette conscience qu'elle contient potentiellement, elle la manifeste dans la nature instrumentale extérieure autant qu'elle peut et comme elle le peut, au moyen de ces instruments et de la personnalité extérieure qui a été préparée pour elle et par elle — car les deux sont vrais — dans la vie actuelle.

J'ignore tout d'une terrible souffrance qu'endurerait l'âme au moment de la renaissance; les croyances populaires, même quand elles ont quelque fondement, sont rarement éclairées et exactes.

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691

1. L'être psychique se tient derrière le mental, la vie et le corps et les soutient; de même le monde psychique n'est pas un monde parmi d'autres dans l'échelle des mondes, comme le monde mental, le monde vital ou le monde physique, mais il se tient derrière eux et c'est là que les âmes en évolution ici-bas se retirent pendant l'intervalle entre deux vies. Si le psychique n'était, dans l'ordre ascendant du corps, de la vie et du mental, qu'un principe à égalité avec les autres et placé quelque part dans l'échelle au même titre qu'eux, il ne pourrait pas être l'âme de tout le reste, l'élément divin qui rend possible l'évolution des autres et les utilise comme les instruments d'une croissance vers le Divin, au moyen d'une expérience cosmique. De même aussi, le monde psychique ne peut pas être un monde parmi les autres où se rend l'être en évolution pour y trouver une expérience supraphysique; c'est un plan où il se retire en lui-même pour se reposer, pour assimiler spirituellement ses expériences et pour se replonger dans sa conscience fondamentale et dans sa nature psychique.

2. Il n'est pas question que les quelques-uns qui sortent de l'Ignorance et entrent dans le Nirvana montent tout droit dans les mondes supérieurs de la manifestation. Le Nirvana ou Môksha est un état libéré de l'être, ce n'est pas un monde; c'est un retrait hors des mondes et de la manifestation. Il serait hasardeux d'invoquer à ce propos l'analogie entre pitṛyāna et devayāna.

3. Les âmes qui se retirent dans le monde psychique sont dans un état entièrement statique; chacune se retire en elle-même et elles n'agissent pas les unes sur les autres. Quand elles sortent de leur transe, elles sont prêtes à descendre dans une nouvelle vie, mais dans l'intervalle elles n'agissent pas sur la vie terrestre. Il y a d'autres êtres gardiens du monde psychique, mais ils ne s'occupent que du monde psychique lui-même et du retour des âmes à la réincarnation, non de la terre.

4. Un être du monde psychique ne peut pas se fondre avec l'âme d'un être humain sur terre. Il arrive parfois qu'un être psychique très avancé fasse descendre une émanation qui réside dans un être humain et le prépare jusqu'à ce qu'il soit prêt pour que l'être psychique lui-même entre dans la vie. Cela se produit lorsqu'un travail spécial doit être accompli et que le véhicule humain doit être préparé. Une telle descente entraîne un changement remarquable et soudain dans la personnalité et la nature.

5. Habituellement une âme renaît toujours dans le même sexe. S'il y a passage d'un sexe à l'autre, il s'agit, en règle générale, des parties de la personnalité qui ne sont pas centrales.

6. Aucune règle ne peut être posée en ce qui concerne le moment où l'âme qui revient pour renaître entre dans le nouveau corps, car les circonstances varient selon l'individu. Certains êtres psychiques entrent en relation avec le milieu où ils naîtront et avec les parents dès le moment de la conception et préparent dans l'embryon la personnalité et l'avenir; d'autres le rejoignent seulement —au moment de l'accouchement, d'autres plus tard encore dans la vie, et dans ce cas c'est une émanation de l'être psychique qui maintient la vie. Il faut noter que les circonstances de la naissance future sont déterminées fondamentalement, non durant le séjour dans le monde psychique, mais au moment de la mort: l'être psychique choisit alors ce qu'il devra élaborer dans sa prochaine apparition sur terre et les circonstances s'organisent elles-mêmes en conséquence.

Notez que l'idée qui fait de la renaissance et des circonstances de la nouvelle vie une récompense ou une punition de puṇya ou pāpa correspond à une conception humaine rudimentaire de la "justice" qui est à l'opposé de la philosophie et de la spiritualité et déforme le véritable objet de la vie. La vie ici-bas est une évolution et l'âme croît par l'expérience, élaborant par cette expérience ceci ou cela dans la nature et s'il y a souffrance, c'est afin de mener à bien cette élaboration, ce n'est pas une sanction infligée par Dieu ou la Loi cosmique en punition d'erreurs ou de faux pas qui sont inévitables dans l'Ignorance.

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692

Il est difficile de répondre péremptoirement à ces questions, parce qu'aucune règle générale ne peut être posée qui soit applicable à tous les cas. Le mental construit des règles rigides ou une règle rigide unique, mais la Manifestation est, en réalité, très plastique, très variée, très complexe. Il ne faut par conséquent pas considérer mes réponses comme complètes, ni comme épuisant le sujet.

1. Il [Le Jîvanmoukta] peut aller où il avait fixé son but, dans un état de Nirvana ou dans l'un des mondes divins et y séjourner ou, quel que soit le lieu de ce séjour, rester en contact avec le mouvement terrestre et y retourner si sa volonté est d'aider ce mouvement.

On peut en douter [que l'âme aille directement du monde le plus haut qu'elle ait atteint à un monde encore plus élevé]. Si, à l'origine, il ne s'agissait pas d'un être de l'évolution, mais d'un être d'un monde plus élevé, il retournerait à ce monde. S'il veut aller plus haut, il est logique qu'il retourne sur le terrain de l'évolution tant qu'il n'a pas élaboré la conscience propre à ce plan plus élevé. L'idée de l'hindouisme orthodoxe selon laquelle même les dieux doivent venir sur terre s'ils veulent le salut peut s'appliquer aussi à cette ascension. S'il est à l'origine un être en évolution (la distinction que fait Râmakrishna entre Jîvakôti et Îshwarakôti peut aussi s'étendre à ce cas), il doit suivre le chemine de l'évolution, soit jusqu'au retrait négatif à travers le Nirvana, soit jusqu'à un accomplissement divin positif dans la manifestation progressive du Satchidânanda.

Quant à l'impossibilité de revenir, la question est épineuse. Un être divin peut toujours revenir: comme l'a dit Râmakrishna, Îshwarakôti peut, à volonté, monter ou descendre les degrés entre la Naissance et l'Immortalité. Quant aux autres, ils peuvent sans doute se reposer pendant une période relativement infinie, śāśvatīḥ samāḥ, si telle est la volonté en eux, mais un retour ne saurait être exclu à moins qu'ils aient atteint le plus haut état dont ils soient capables.

Non, cela [le retour au monde psychique avant une nouvelle naissance] fait partie de l'évolution seulement, ce n'est pas obligatoire pour les êtres divins.

2. Dans ce contexte, l'expression "être psychique avancé" peut désigner celui qui est parvenu à la liberté de l'âme et est immergé dans le Divin; immergé ne signifie pas aboli. Un tel être n'est pas endormi dans le monde psychique, mais peut rester dans son état d'immersion béatifique ou revenir dans une certaine intention.

Le mot "descente" a des significations différentes selon le contexte; je l'ai employé ici dans le sens où l'être psychique descend dans une conscience et dans un corps humains lorsque ceux-ci sont prêts à le recevoir; cette descente peut se produire au moment de la naissance ou avant, ou elle peut se produire plus tard et emplir la personnalité que l'être psychique a préparée. Je ne comprends pas bien quelles sont ces personnalités d'en haut; c'est l'être psychique lui-même qui prend un corps.

3. Non, l'être psychique ne peut pas prendre plus d'un corps. Il y a un seul être psychique pour chaque être humain, mais les êtres des plans supérieurs, par exemple les dieux du surmental, peuvent se manifester dans plusieurs corps humains à la fois, en envoyant des émanations différentes dans différents corps. Ceux-ci seraient alors appelés les Vibhoûti de ces Devata.

4. Ceux-ci [les Gardiens du monde psychique] ne sont pas des âmes humaines; ils ne sont pas préposés à un poste, ce ne sont pas non plus des fonctionnaires: ce sont des êtres du plan psychique qui se livrent à leur activité normale dans ce plan. Le mot "gardiens" que j'ai employé n'était qu'une métaphore, une image pour indiquer la nature de leur action.

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693

Échapper aux naissances était un idéal universel à cette époque, sauf, je crois, pour une ou deux sectes shivaïtes. C'est en contradiction avec les nombreuses naissances du Divin, car la Guîtâ parle de l'état supérieur non comme d'une laya, mais comme d'un séjour dans le Divin. S'il en est ainsi, il semblerait qu'il n'y ait pas de raison que le mukta et le siddha, qui sont parvenus à demeurer dans la conscience du Divin, craignent la renaissance et ses difficultés plus que ne le fait le Divin.

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694

Le Pitriyâna est censé conduire aux mondes inférieurs atteints par les Pères, qui appartiennent encore à l'évolution dans l'Ignorance. Par le Dévayâna, on dépasse l'Ignorance pour entrer dans la lumière. La difficulté, avec les Pitri, est que les Pourâna les considèrent comme les Ancêtres à qui est donné le Tarpan: c'est un vieux culte des Ancêtres comme celui qui existe encore au Japon, mais dans le Véda il s'agit, semble-t-il, des Pères qui furent les précurseurs et ont découvert les mondes supraphysiques.

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695

L'être psychique, au moment de la mort, choisit ce qu'il va accomplir dans la prochaine vie et détermine le caractère et les circonstances de la nouvelle personnalité. La vie sert à la croissance évolutive par l'expérience dans les conditions de l'Ignorance, jusqu'à ce qu'on soit prêt pour la Lumière plus haute.

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696

Le vœu formulé par un mourant n'est que superficiel; il peut être dicté par le psychique et aider ainsi à donner une forme à l'avenir, mais il ne détermine pas le choix du psychique. Le choix se fait derrière le voile. Ce n'est pas l'action de la conscience extérieure qui détermine le processus intérieur, c'est l'inverse. Il y a pourtant quelquefois des signes ou des fragments de l'action intérieure qui émergent à la surface: par exemple, certains ont une vision ou un souvenir des circonstances de leur passé dans un éclair panoramique au moment de la mort; c'est le psychique qui récapitule la vie avant de partir.

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697

Le choix de l'être psychique, au moment de la mort, n'élabore pas la formation de la prochaine personnalité, il la fixe. Quand il entre dans le monde psychique, il commence à assimiler l'essence de son expérience; par cette assimilation se forme la future personnalité psychique, conformément à ce qui avait déjà été fixé. Quand cette assimilation est terminée, il est prêt pour une nouvelle naissance; mais les êtres moins développés ne conduisent pas eux-mêmes tout le processus, ce travail incombe aux êtres et aux forces du monde supérieur. En outre, quand il vient à naître, rien ne garantit que les forces du monde physique n'empêcheront pas l'élaboration de ce que voulait l'être psychique: l'ensemble de ses nouveaux instruments peut ne pas être assez fort pour cela; car il y a ici-bas une interaction de ses propres énergies et des forces cosmiques. Il peut y avoir des déceptions, des détournements, une élaboration partielle — toutes sortes de choses peuvent se produire. Tout cela n'est pas un mécanisme rigide, c'est une élaboration par des forces complexes. On peut pourtant ajouter qu'un être psychique développé est beaucoup plus conscient pendant ce passage et assure lui-même une grande partie de cette élaboration. Le temps aussi dépend du développement et d'un certain rythme de l'être; pour certains la renaissance est pratiquement immédiate, pour d'autres cela prend plus longtemps, pour certains cela peut demander des siècles; mais ici encore, une fois que l'être psychique est suffisamment développé, il est libre de choisir son propre rythme et la durée des intervalles. Les théories ordinaires sont trop mécaniques — et il en est de même des théories de puṇya et pāpa et de leurs résultats dans la vie suivante. Nul doute, les énergies déployées dans une vie passée, entraînent certaines conséquences, mais pas selon ce principe plutôt infantile. Les souffrances d'un homme juste dans cette vie seraient une preuve, selon la théorie orthodoxe, qu'il a été un très grand malfaiteur dans sa vie passée, la prospérité d'un méchant serait la preuve qu'il a été parfaitement angélique durant sa dernière visite sur terre et qu'il a semé une quantité de vertus et d'actions méritoires assez grande pour récolter cette magnifique moisson de bonne fortune. C'est trop symétrique pour être vrai. L'objet de la naissance étant de croître par l'expérience, les réactions provenant d'actions passées doivent être des leçons qui permettent à l'être d'apprendre et de croître, non des sucettes pour les bons élèves de la classe (du passé) et des coups de canne pour les mauvais. La vraie sanction du bien et du mal n'est pas la bonne fortune pour l'un et la mauvaise fortune pour l'autre, mais ceci: les bonnes actions nous mènent vers une nature plus haute qui à la longue est soulevée au-dessus de la souffrance, et les mauvaises actions nous tirent vers la nature inférieure qui tourne toujours dans un cercle de souffrance et de mal.

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698

Aucune difficulté provenant des vies passées n'est insurmontable. Il y a des formations qui aident et des formations qui entravent; celles-ci doivent être écartées et dissoutes, il ne faut pas leur permettre de se répéter. La Mère vous a dit cela pour expliquer l'origine de votre tendance et la nécessité de vous en débarrasser; elle n'a pas insinué que la difficulté était insurmontable, bien au contraire.

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699

Ces mots [mūḍhayoniṣu ou adho gacchanti] ne se rapportent pas nécessairement à la naissance animale; il est vrai, cependant, qu'une croyance de ce genre était assez répandue non seulement dans l'Inde, mais partout où l'on croyait à la "transmigration" ou "métempsycose". Quand Shakespeare parle de quelqu'un dont la grand-mère passe dans un corps animal, il fait allusion à la croyance de Pythagore en la transmigration. Mais l'âme, l'être psychique, une fois qu'elle atteint la conscience humaine, ne peut pas retourner à la conscience animale inférieure, pas plus qu'elle ne peut retourner dans un arbre ou dans un insecte éphémère. La vérité, c'est qu'une certaine partie de l'énergie vitale, ou de la conscience ou nature instrumentale formée, le peut et très fréquemment le fait, si elle est fortement attachée à quelque chose qui appartient à la vie terrestre. Ainsi peuvent s'expliquer aussi certains cas de renaissances immédiates accompagnées d'une mémoire complète, dans les formes humaines. D'ordinaire, c'est seulement par le développement yoguique ou par la voyance que le souvenir exact des vies passées peut être rappelé.

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700

Quand le vital se disperse, certains de ses mouvements intenses (désirs, appétits) peuvent se précipiter dans des formes animales: par exemple, le désir sexuel, avec la partie de la conscience vitale qui est sous son contrôle, dans un chien; ou un mouvement habituel de gloutonnerie peut emporter une partie de la conscience vitale dans un porc. Les animaux représentent la conscience vitale, le mental étant involué dans le vital, de sorte qu'il est naturel que des choses de ce genre gravitent autour d'eux pour se satisfaire.

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701

Ces fragments [d'un mort] ne sont pas des parties de l'être intérieur (qui s'achemine vers le monde psychique), mais appartiennent à son enveloppe vitale qui tombe après la mort. Ils peuvent rejoindre, pour naître, le vital d'un autre Jîva qui prend naissance, ou ils peuvent être utilisés par un être vital pour entrer dans un corps en train de naître et le posséder partiellement afin de satisfaire ses penchants. La jonction peut aussi s'opérer après la naissance.

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702

Tous les humains qui s'incarnent ou naissent ont naturellement un être psychique. Seuls d'autres types d'êtres, comme les êtres vitaux, n'en ont pas, et c'est précisément la raison pour laquelle ils veulent posséder des hommes et jouir d'une vie physique sans naître eux-mêmes ici-bas, car ils échappent ainsi à la loi psychique d'évolution, de progrès spirituel et de transformation. Mais ces formations [les fragments vitaux d'un mort] sont différentes, elles ne quittent pas la terre et ne possèdent pas un être humain, mais simplement s'attachent à un être humain, ayant bien entendu un psychique, qui a des affinités avec elles et par conséquent les absorbe sans formuler d'objection ni opposer de résistance.

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703

āsurīṣu ne peut en aucun cas signifier animal.1 La Guîtâ emploie des termes précis, et si elle avait voulu dire animal, elle aurait dit animal et non asourique. La punition, c'est qu'ils descendent dans leur nature à des profondeurs plus grandes d'asourisme, jusqu'à ce qu'ils touchent le fond, en quelque sorte. Mais c'est le résultat naturel de leurs tendances incontrôlées, auxquelles ils s'adonnent sans contrainte, sans aucun effort pour en sortir, alors qu'en cultivant le côté supérieur de la personnalité, on s'élève et on évolue naturellement vers la nature divine ou le Divin. Dans la Guîtâ, le Divin est considéré comme celui qui régit toute l'action cosmique à travers la Nature, donc le "je les jette" est en harmonie avec ses idées! Le monde est un mécanisme de la Nature, mais un mécanisme réglé par la présence du Divin.

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704

À ma connaissance, les vies se succèdent habituellement dans l'un ou l'autre sexe et n'alternent pas — c'est, je pense, la tradition indienne aussi, bien qu'il existe des exceptions délibérées comme dans le cas de Shikhandi. S'il y a changement de sexe, seule une partie de l'être s'associe au changement, non l'être central.

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705

Que voulez-vous dire par conception populaire? Tous les exemples que j'ai entendus dans les récits populaires de renaissances parlent d'un homme qui devient un homme et d'une femme qui devient une femme dans la vie suivante — sauf quand ils deviennent des animaux, mais même dans ce cas je crois que l'homme devient un animal mâle et la femme un animal femelle. On ne cite guère que quelques cas isolés de variations de sexe comme celui de Shikhandi dans le Mahâbhârata. La conception théosophique est pleine d'imaginations simplistes, un théosophe allant jusqu'à dire que si vous êtes un homme dans cette vie-ci, vous serez forcément une femme dans la prochaine et ainsi de suite.

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706

Pas exactement le sexe, mais ce qu'on pourrait appeler le principe masculin ou féminin [est présent dans l'être psychique]. La question est difficile [de savoir si l'individu change de sexe quand il renaît]. La réincarnation suit certaines lignes et selon mon expérience — et l'expérience générale — on suit habituellement une seule ligne. Mais on ne peut pas affirmer que l'alternance des sexes est impossible. Peut-être que pour certains êtres il y a une alternance. La présence de traits de caractère féminins chez un homme n'indique pas nécessairement une vie féminine antérieure; cela peut provenir du jeu général des forces et de leurs formations. Par ailleurs, certaines qualités sont communes aux deux sexes. Un fragment de la personnalité psychologique peut aussi avoir été associé à une vie autre que celle de l'individu en question. On peut dire d'un certain personnage du passé: "ce n'était pas moi, mais un fragment de ma personnalité psychologique était présent en lui". La question des renaissances est complexe, et son mécanisme n'est pas aussi simple qu'il apparaît dans la conception populaire.

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707

La question, telle qu'elle est posée dans votre lettre, me paraît formulée d'une manière trop rigide, et sans qu'il soit tenu suffisamment compte de la plasticité des faits et des forces de l'existence. Elle ressemble au problème qu'on pourrait soulever sur la base des théories scientifiques les plus récentes: si tout est fait de protons et d'électrons, tous exactement semblables (sauf par le nombre atomique, et pourquoi une différence de quantité déterminerait-elle une différence aussi extraordinaire, ou même une différence tout court, de qualité?), comment leur action résulte-t-elle en des différences aussi stupéfiantes de degré, de genre, de pouvoir, de tout? Mais pourquoi devrions-nous admettre que les graines ou les étincelles psychiques ont pris le départ d'une course toutes ensemble, égales en condition, égales en pouvoir et en nature? D'abord, le Divin unique est la source de tout et le Moi est le même en tous; mais dans la manifestation, pourquoi l'Infini ne se serait-il pas projeté dans une infinie variété, pourquoi se serait-il obligatoirement projeté dans une similitude innombrable? Combien de ces graines psychiques sont parties longtemps avant les autres et ont un grand développement passé derrière elles, combien sont jeunes, novices, à-demi adultes seulement? Et même parmi celles qui sont parties ensemble, pourquoi certaines n'auraient-elles pas couru très vite et d'autres flâné et grandi avec difficulté, ou tourné en rond? Ensuite, il y a une évolution, et c'est seulement à un certain stade de l'évolution que la zone animale est dépassée et que l'humain commence; qu'est-ce qui constitue le commencement de l'homme, qui représente une révolution ou un bouleversement très considérable? Jusqu'à l'animal, c'est le vital et le physique qui se développent; pour que l'humain commence, n'est-il pas nécessaire que se produise la descente d'un être mental qui prenne en charge l'évolution vitale et physique, et ne se pourrait-il pas que les être mentaux qui descendent n'aient pas tous le même pouvoir, la même stature, et d'autre part, que les matériaux de conscience vitaux et physiques qu'ils assimilent ne soient pas tous également développés? Il existe aussi une tradition occulte selon laquelle une hiérarchie d'êtres se tient au-dessus de la manifestation actuelle, où ces êtres s'introduisent, entraînant évidemment cette surprenante différence de degrés, intervenant même dans le jeu, par leur descente à travers les portes de la naissance dans la nature humaine. Il y a bien des complexités et le problème ne peut pas être posé avec la rigidité d'une formule mathématique.

Pour une grande part, la difficulté de ces problèmes — je pense en particulier à ce qui apparaît comme une contradiction inexplicable — tient au fait que le problème lui-même est mal posé. Prenez la description populaire de la réincarnation et du karma: elle est basée sur la seule hypothèse mentale que les procédés de la Nature doivent être moraux et se dérouler selon une moralité précise, conforme à une justice équitable, loi scrupuleuse et même mathématique de récompense et de punition, ou à tout le moins de résultats conformes à l'idée humaine de correspondances justes. Mais la Nature est non-morale: elle utilise pêle-mêle des forces et des procédés moraux, immoraux et amoraux pour expédier ses affaires. La Nature, dans son aspect extérieur, semble ne se préoccuper de rien si ce n'est de veiller à ce que le travail soit fait, ou encore de réunir des conditions qui rendent possible une ingénieuse variété dans le fonctionnement de la vie. La Nature, dans son aspect plus profond de Pouvoir spirituel conscient, s'intéresse à la croissance, par l'expérience, des âmes dont elle a la charge, et à leur développement spirituel; et ces âmes elles-mêmes ont voix au chapitre. Tous ces braves gens se lamentent et s'étonnent d'être, comme d'autres braves gens, affligés inexplicablement de tant de souffrances et de calamités sans signification. Mais en sont-ils vraiment affligés par un Pouvoir extérieur ou une Loi mécanique de karma? N'est-il pas possible que l'âme elle-même — non le mental extérieur, mais l'esprit au-dedans — ait accepté et choisi que tout cela fasse partie de son développement, afin de passer rapidement par l'expérience nécessaire, de tailler son chemin, durchhauen, même au risque ou au prix d'un grand dommage pour la vie extérieure et le corps? Pour l'âme qui croît, pour l'esprit en nous, les difficultés, les obstacles, les attaques, ne pourraient-ils pas être un moyen de croître, d'augmenter sa force, d'élargir son expérience, de s'entraîner en vue de la victoire spirituelle? Il est bien possible que les choses soient organisées ainsi, et que ce ne soit pas une simple question de francs et de centimes dans une distribution de récompenses et d'infortunes punitives!

Il en est de même du problème que pose le fait de tuer un animal, dans les circonstances décrites par votre ami dans sa lettre. Il repose sur la base d'un bien et d'un mal éthiquement invariables qui s'appliquerait à tous les cas: est-il juste de tuer un animal, quelles que soient les circonstances, est-il juste de laisser un animal souffrir sous vos yeux quand vous pouvez le délivrer par euthanasie? Il ne peut y avoir aucune réponse indiscutable à une question ainsi posée, parce que la réponse dépend de données dont le mental ne dispose pas. En fait, bien d'autres facteurs incitent les gens à sortir de la difficulté Par ce raccourci charitable: l'incapacité nerveuse à supporter de voir et d'entendre tant de souffrances, le souci inutile, le dégoût et le dérangement — tout tend à renforcer l'idée que l'animal lui-même voudrait en sortir. Mais l'animal lui-même, que ressent-il? Ne se pourrait-il pas qu'il se cramponne à la vie en dépit de la douleur? Ou son âme n'aurait-elle pas accepté cela pour atteindre, par une évolution plus rapide, un état de vie plus élevé? Si tel est le cas, on peut concevoir que la pitié ainsi dispensée interfère avec le karma de l'animal. En fait, il se pourrait que la décision varie dans chaque cas et qu'elle dépende d'une connaissance que le mental humain n'a pas — et on pourrait bien dire que jusqu'à ce qu'il l'ait, il n'a pas le droit de tuer. C'est par une vague perception de cette vérité que la religion et l'éthique ont élaboré la loi d'Ahimsâ — et cependant cette loi aussi, devenue une règle mentale, s'est révélée inapplicable dans la pratique. Et la morale de l'histoire, c'est peut-être que nous devons agir dans chaque cas pour le mieux, selon nos lumières, selon les faits, mais que la solution de ces problèmes ne peut venir que par une poussée en avant vers une plus grande lumière, une plus grande conscience dans laquelle les problèmes eux-mêmes, tels qu'ils sont maintenant énoncés par le mental humain, ne se poseront pas parce que notre vision du monde sera différente, et que nous aurons un guide qu'à présent nous n'avons pas. La loi mentale et morale est un expédient que les hommes sont obligés d'utiliser, d'une façon très incertaine et chancelante, jusqu'à ce qu'ils voient toutes choses globalement dans la lumière de l'esprit.

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708

Vous devez vous garder d'une méprise populaire courante au sujet de la réincarnation. L'idée populaire est que Titus Balbus renaît sous la forme de John Smith, avec la même personnalité, le même caractère, les mêmes capacités que dans sa vie passée, la seule différence étant qu'il porte un veston et un pantalon au lieu d'une toge et parle l'anglais faubourien au lieu du latin populaire. Ce n'est pas le cas. Quelle serait donc l'utilité de répéter la même personnalité ou le même caractère un million de fois depuis le commencement des temps jusqu'à la fin? L'âme naît pour avoir des expériences, pour croître, pour évoluer jusqu'à ce qu'elle puisse amener le Divin dans la Matière. C'est l'être central qui s'incarne, non la personnalité extérieure — la personnalité est seulement un moule qu'il crée pour les formes d'expérience de cette seule vie. Lors d'une autre naissance, il se créera une personnalité différente, des capacités différentes, une vie et une carrière différentes. Supposons que Virgile renaisse; peut-être sera-t-il poète dans une ou deux autres vies; mais il n'écrira certainement pas un poème épique, plutôt peut-être une poésie lyrique légère mais élégante et belle, telle qu'il aurait voulu en écrire à Rome sans y être jamais parvenu. Dans une autre vie, il ne sera vraisemblablement pas du tout un poète, mais un philosophe et un yogi cherchant à atteindre et à exprimer la vérité suprême — car cela aussi, c'est une tendance de sa conscience qu'il n'a pas réalisée dans cette vie-là. Peut-être avait-il été auparavant un guerrier ou un souverain comme Énée ou Auguste, accomplissant de hauts faits avant de les chanter. Et ainsi de suite — ici ou là l'être central élabore un nouveau caractère, une nouvelle personnalité, croît, se développe, passe par toutes sortes d'expériences terrestres.

À mesure que l'être en évolution se développe de plus en plus et devient plus riche et plus complexe, il accumule pour ainsi dire ses personnalités. Parfois elles se tiennent derrière les éléments actifs, y projetant une nuance, un trait de caractère, une capacité ici et là; ou bien elles sont en évidence, et il y a une personnalité multiple, un caractère à multiples facettes, parfois, semble-t-il, une capacité universelle. Mais si une personnalité antérieure, une capacité antérieure est amenée pleinement en évidence, ce ne sera pas pour répéter qui a déjà été fait, mais pour mouler la même capacité en de nouvelles formes, en de nouvelles figures, et la fondre dans "ne harmonie nouvelle de l'être qui ne sera pas une reproduction de ce qui existait avant. Ainsi, vous ne devez pas vous attendre à être ce qu'étaient le guerrier et le poète. Quelque Ghose des caractéristiques extérieures peut réapparaître, mais très changé et refondu dans une nouvelle combinaison. Les énergies seront guidées dans une direction nouvelle pour accomplir ce qui n'avait pas été fait auparavant.

Autre chose. Ce n'est pas la personnalité, le caractère qui importent en premier lieu dans la renaissance, c'est l'être psychique qui se tient derrière l'évolution de la nature et évolue avec elle. Le psychique, quand il se sépare du corps, se dépouillant même du mental et du vital en s'acheminant vers son lieu de repos, emporte avec lui le cœur de ses expériences: ni les événements physiques, ni les mouvements vitaux, ni les constructions mentales, ni les capacités ou les caractères, mais quelque chose d'essentiel qu'il a recueilli à travers eux, ce qui peut être appelé l'élément divin en raison duquel le reste a existé. C'est cela l'adjonction permanente, c'est cela qui aide à croître vers le Divin. C'est pourquoi il n'y a pas habituellement de mémoire des événements et des circonstances extérieurs des vies passées — pour que cette mémoire existe, il faut un fort développement tendant à une continuité incessante du mental, du vital et même du physique subtil; car bien que tout subsiste dans une sorte de mémoire en germe, d'ordinaire cela n'émerge pas. Ce qui était l'élément divin dans la magnanimité du guerrier, ce qui s'exprimait dans sa loyauté, sa noblesse, son courage élevé, ce qui était l'élément divin derrière la mentalité harmonieuse et la vitalité généreuse du poète et qui s'exprimait en elles demeure et, dans une nouvelle harmonie du caractère, peut trouver une nouvelle expression ou, si la vie est tournée vers le Divin, être repris pour former des pouvoirs utiles à la réalisation ou à l'œuvre qui doit être accomplie pour le Divin.

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709

La conception européenne non matérialiste fait une distinction entre l'âme et le corps: le corps est périssable, la conscience vitale-mentale est l'âme immortelle et reste toujours la même (horrible idée!)-au ciel comme sur la terre ou, si renaissance il y a, c'est aussi la même maudite personnalité qui revient et refait les mêmes bêtises.

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L'être, en passant par une série de vies, revêt différentes sortes de personnalités et passe par différents types d'expériences, mais en règle générale, il ne les emporte pas dans la vie suivante. Il revêt un nouveau mental, un nouveau vital et un nouveau corps. Les aptitudes mentales, les activités, les intérêts, les particularités de l'ancien mental et de l'ancien vital ne sont pas endossés par le nouveau mental et le nouveau vital, sauf dans la mesure où ils sont utiles pour la nouvelle vie. On peut avoir un pouvoir d'expression poétique dans une vie, mais aucun pouvoir de ce genre dans la suivante, ni aucun intérêt pour la poésie. Au contraire, des tendances réfrénées, ou avortées, ou imparfaitement développées dans une vie peuvent ressortir dans la suivante. Le contraste que vous avez noté n'aurait donc rien de surprenant. L'être psychique conserve l'essence des expériences passées, mais non les formes de l'expérience ou de la personnalité, sauf celles qui sont nécessaires à la prochaine étape du progrès de l'âme.

L'être, dans la longue suite de ses expériences, peut admettre pour un temps la recherche du plaisir sensuel, et ensuite l'écarter et se tourner vers des choses plus élevées. Cela arrive même au cours d'une seule vie, a fortiori dans une deuxième vie où les personnalités anciennes ne seraient pas transférées.

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711

Je ne me souviens pas du contexte dans lequel cette expression ["autres forces"] était employée. Mais ce que vous suggérez est vrai — c'est-à-dire quand il s'agit d'une personnalité passée ou d'une partie de cette personnalité qui se projette fortement dans la vie actuelle. Je crois qu'il est vrai que vous étiez un révolutionnaire dans une vie passée; sinon un révolutionnaire, du moins un militant engagé dans une action politique violente. Je ne peux pas lui donner un nom ni une forme précise. De là venaient, non seulement les colères et les violences soudaines, mais aussi, probablement, le désir d'aider, de réformer, de purifier, et d'autres intensités, d'autres véhémences. Quand une personnalité est transférée ainsi, ce ne sont pas seulement les aspects indésirables qui sont transférés, mais aussi des éléments qui, purifiés et assagis, peuvent être utiles.

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712

Certainement, le subconscient est formé pour cette vie seulement et n'est pas emporté par l'âme d'une vie à l'autre. Le souvenir des vies passées n'est pas quelque chose qui serait actif quelque part dans l'être, si par souvenir on entend le souvenir des détails. Ce souvenir des détails est assoupi et impossible à retrouver, sauf dans la mesure où certaines personnalités constituantes, reprises du passé, retiennent les souvenirs d'une vie particulière dans laquelle elles se manifestaient: par exemple, dans le cas où une certaine personnalité, émanée par quelqu'un à Venise ou à Rome, se rappelle de temps en temps un détail ou des détails de ce qui arriva alors. Mais d'habitude, seule l'essence des vies passées devient active dans l'être, non des souvenirs particuliers. Il est donc impossible de dire que cette mémoire est située dans un endroit particulier de la conscience ou sur un plan particulier.

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713

Non, le subconscient est l'instrument de la vie physique et disparaît [après la mort]. Il est trop incohérent pour avoir une existence organisée et durable.

Nouvelles Lumières sur le Yoga, chapitre 4.

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714

Chez la plupart des gens, le vital se dissout après un certain temps, car il n'est pas suffisamment formé pour être immortel. L'âme, en descendant, fait une nouvelle formation vitale appropriée à la nouvelle vie.

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715

Un fort développement spirituel facilite la conservation, après la mort, du mental ou du vital développé. Mais il n'est pas absolument nécessaire que la personne ait été un Bhakta ou un Jnânî. On peut dire que quelqu'un comme Shelley ou comme Platon, par exemple, avait un être mental développé, centré autour du psychique; on ne peut guère en dire autant du vital. Napoléon avait un vital puissant, mais non organisé autour de l'être psychique.

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716

[Survie des "centres" après la mort:] Pas tels qu'ils sont. Ce qui reste, et dans quelle mesure, dépend du développement dans chaque cas. Évidemment, les centres eux-mêmes demeurent, car ils sont dans le corps subtil et c'est de là qu'ils agissent sur les centres physiques correspondants.

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717

De même qu'un homme a beaucoup de personnalités dans les plans ordinaires conscients de sa conscience, de même aussi plusieurs êtres peuvent s'associer à sa conscience à mesure qu'elle se développe par la suite, en descendant dans son mental supérieur ou dans d'autres plans supérieurs de l'être, et en s'unissant à sa personnalité. Voilà pour le principe. Mais l'information particulière est inexacte. Elle se rapporte probablement à une période où la Mère faisait descendre des êtres pour aider au travail.

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718

Il est toujours possible à des êtres des plans supérieurs de prendre naissance sur terre; dans ce cas ils se créent un mental ou un vital, ou alors ils rejoignent un être mental, vital et physique qui a déjà été préparé sous leur influence; ils ont en fait beaucoup de manières, et non une seule, de se manifester ici-bas.

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719

Mais on ne doit pas donner trop d'importance aux vies passées. Pour notre yoga, on est ce qu'on est, et plus encore ce qu'on sera. Ce qu'on était est d'une importance mineure.

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720

Parlons sérieusement. Ces identifications historiques sont un jeu périlleux et ouvrent cent portes à l'imagination. Certaines peuvent, et dans la nature des choses doivent être vraies; mais une fois que les gens ont commencé, ils ne savent plus où s'arrêter. L'important, ce sont les lignes plutôt que les vies, l'incarnation de Forces qui expliquent ce qu'on est maintenant; quant aux vie particulières ou plutôt aux personnalités, seules importent celles qui sont très définies dans un individu et ont puissamment contribué à ce qui est en train de se développer maintenant. Mais il n'est pas toujours possible de leur donner un nom: le Temps des hommes n'a pas même conservé la cent-millième partie des noms de ceux qui ont vécu.

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721

C'est un peu difficile à expliquer. Quand on reçoit un nouveau corps, la nature qui l'habite — nature du mental, nature du vital, nature du physique — est faite de nombreuses personnalités, non d'une personnalité simple comme on le suppose, bien qu'il y ait un être central unique. Cette personnalité complexe est formée en partie par la réunion de personnalités des vies passées, mais aussi par les expériences, les tendances, les influences de l'atmosphère terrestre qui sont recueillies et adoptées par l'une des personnalités constituantes parce qu'elles sont conformes à sa propre nature. Une influence comme celle que X ou l'un de ses disciples a laissée derrière lui a pu être adoptée par vous sans que votre être soit une incarnation de l'un ou de l'autre.

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722

Ces visions fréquentes [du Bouddha, de Râmakrishna, de Vivékânanda, de Shankara] sont le résultat de pensées et d'influences du passé. Elles sont de diverses sortes: parfois ce sont de simples formes de pensée créées par votre propre force de pensée pour agir comme véhicule pour une certaine réalisation mentale; parfois ce sont des Pouvoirs de différents plans qui prennent ces formes pour soutenir le travail qu'elles effectuent à travers l'individu; mais parfois on est véritablement en communion avec ce qui avait le nom, la forme, la personnalité du Bouddha, de Râmakrishna, de Vivékânanda, de Shankara.

Il n'est pas nécessaire qu'un de vos éléments s'apparente à ces personnalités: une pensée, une aspiration, une formation du mental ou du vital suffisent à créer le lien. Il suffit que n'importe où, une vibration réponde à ce que ces Pouvoirs représentent.

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723

La Mère ne parle aux gens de leurs vies passées que quand, entrée en concentration, elle voit avec précision une scène ou un souvenir de leur passé; mais à présent cela se produit rarement.

Ce que l'on retient principalement des vies passées, c'est la nature de la personnalité et les résultats subtils de l'expérience de vie. Les noms, les événements, les détails physiques ne sont remémorés que dans des circonstances exceptionnelles et sont d'une importance très mineure. Quand les gens essaient de se souvenir de ces éléments extérieurs, ils construisent habituellement toutes sortes d'imaginations romanesques qui ne sont pas conformes à la vérité.

Je pense que vous devriez écarter cette idée sur les vies passées. Si le souvenir des personnalités passées vient de lui-même (sans nom, sans détails purement extérieurs), c'est parfois important dans la mesure où cela donne une indication sur un élément du développement actuel, mais il est tout à fait suffisant de connaître la nature de cette personnalité et sa part dans la constitution actuelle du caractère. Le reste est de peu d'utilité.

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724

Il n'est pas nécessaire d'adhérer totalement à ces idées sur les vies passées. L'idée de X sur la renaissance d'Y n'est évidemment qu'une idée et rien de plus.

Quand il y a une vérité là-dedans, c'est le plus souvent la perception qu'une Force représentée autrefois dans une certaine personne a aussi une certaine part dans votre propre nature et non pas qu'il s'agit de la même personnalité.

Évidemment la renaissance existe, mais pour établir que l'un renaît en l'autre, il faut une expérience plus profonde et pas seulement une intuition mentale qui peut facilement être erronée.

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725

Les idées de cette sorte sur X et Y sont des idées du mental auquel le vital est fortement attaché: la vérité des vies passées ne peut pas être découverte de cette manière. Ces idées mentales ne correspondent pas à la réalité. Vous devez attendre la venue de la connaissance directe dans une nature libérée pour savoir qui vous étiez dans vos vies passées.

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726

L'être psychique n'abandonne pas les enveloppes mentale et autres (à l'exception de l'enveloppe physique) immédiatement après la mort. On dit qu'il lui faut en général trois ans pour sortir complètement de la zone où il peut communiquer avec la terre, bien que dans certains cas le passage puisse être plus lent ou plus rapide. Le monde psychique ne communique pas avec la terre, ou du moins pas de cette manière. Et le fantôme ou esprit qui surgit aux séances de spiritisme n'est pas l'être psychique. Ce qui vient par l'intermédiaire du médium est un méli-mélo où peuvent se trouver: le subconscient du médium lui-même (subconscient au sens ordinaire, non au sens yoguique) et celui des participants; des enveloppes vitales laissées par les défunts ou peut-être occupées ou utilisées par un esprit ou un être vital; le défunt lui-même dans son enveloppe vitale, ou encore quelque chose dont il s'est revêtu pour cette occasion (mais c'est la partie vitale qui communique); des esprits élémentaires, des esprits du monde physico-vital le plus bas qui soit près de la terre, etc., etc. En grande partie une horrible confusion, un salmigondis de toutes sortes de choses venant à travers une atmosphère de lumière grise "astrale" et d'ombre. Il semble que parmi ceux qui communiquent ainsi, beaucoup viennent d'entrer dans un monde subtil où ils ont l'impression d'être environnés d'une version améliorée de la vie terrestre qu'ils prennent pour l'autre monde véritable et définitif où l'on entre après le séjour terrestre, mais ce n'est là qu'une prolongation optimiste des idées, des images et des associations du plan humain. De là les descriptions de l'au-delà faites par les "guides" et autres informateurs spirites.

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727

On ne peut guère ajouter foi à tout cela [communications de "guides" évoqués par les spirites]. En regardant de près on s'aperçoit que ces "guides" spirites ne font que suggérer à leurs sujets ce qui est dans le mental du ou des participants, ou dans l'air, et cela se réduit à peu de chose. Des influences d'autres mondes, il y en a, bien sûr, et en grand nombre, mais la direction centrale ne s'exprime pas de cette manière, sauf dans de très rares cas.

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728

L'écriture automatique et les séances de spiritisme sont choses très mélangées. Une partie des phénomènes provient du mental subconscient du médium et une autre de celui des participants. Mais il n'est pas juste de dire que tout peut être mis sur le compte de l'imagination et de la mémoire qui dramatisent. Il se révèle parfois des choses qu'aucune des personnes présentes ne pouvait savoir ni se rappeler; ce sont même quelquefois des aperçus de l'avenir, mais c'est rare. Habituellement, ces séances et tout le reste mettent les participants en rapport avec un monde très inférieur d'êtres et de forces du vital, eux-mêmes obscurs, incohérents ou fourbes, et il est dangereux de les fréquenter ou de subir leur influence. Ouspensky et d'autres se sont certainement livrés à ces expériences avec un mental trop "mathématique" qui les a sans nul doute sauvegardés, mais les a empêchés de parvenir à autre chose qu'une vision intellectuelle et superficielle de leur signification.

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Qu'entendez-vous par fantôme? Le mot fantôme, dans le langage populaire, recouvre une énorme quantité de phénomènes distincts qui n'ont pas nécessairement de rapports entre eux. Pour n'en citer que quelques-uns:

1. Contact réel avec l'âme d'un être humain dans son corps subtil, transcrit dans notre mental par l'apparition d'une image ou l'audition d'une voix.

2. Formation mentale où les pensées et les sentiments d'un être humain défunt imprègnent l'atmosphère d'un lieu ou d'une région, y vagabondent ou se répètent jusqu'à ce que cette formation s'épuise d'elle-même ou soit dissoute d'une manière ou d'une autre. C'est ce qui explique les phénomènes de maisons hantées dans lesquelles les scènes qui ont accompagné, entouré ou précédé un meurtre se répètent encore et encore, et bien d'autres phénomènes analogues.

3. Être des plans vitaux inférieurs qui a revêtu l'enveloppe vitale abandonnée par un être humain défunt ou un fragment de sa personnalité vitale, et apparaît et agit sous la forme et peut-être avec les pensées et les souvenirs superficiels de cette personne.

4. Être du plan vital inférieur qui, au moyen d'un être humain vivant ou par un autre moyen ou agent, est capable de se matérialiser suffisamment pour apparaître et agir sous une forme visible, ou parler d'une voix audible ou, sans apparaître ainsi, de faire mouvoir des objets matériels, par exemple des meubles, ou de matérialiser des objets, ou de les changer de place. C'est l'explication des poltergeists, des phénomènes de jets de pierres, des Bhoûta qui habitent les arbres, et d'autres phénomènes bien connus.

5. Apparitions qui sont des formations de votre propre mental et prennent pour les sens une apparence objective.

6. Possession temporaire de quelqu'un par des êtres vitaux qui parfois feignent d'être des défunts, parents ou autres.

7. Images mentales d'eux-mêmes projetées par des êtres humains, souvent au moment de leur mort, qui apparaissent à ce moment ou quelques heures après à leurs amis ou à leurs parents.

Vous voyez que dans un seul de ces cas, le premier, on peut présumer qu'il s'agit d'une âme, et là la question ne soulève aucune difficulté.

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730

Chacun suit, en ce monde, la voie de sa propre destinée qui est déterminée par sa propre nature et ses propres actions — la signification et la nécessité des événements d'une vie particulière ne sont compréhensibles qu'à la lumière de toute la succession de nombreuses vies. Mais seuls ceux qui sont capables d'aller au-delà du mental et des sentiments ordinaires et de voir les choses dans leur ensemble, peuvent constater que même les erreurs, les infortunes, les calamités sont des étapes dans le voyage, car l'âme accumule de l'expérience à mesure qu'elle passe par elles et plus loin, Jusqu'à ce qu'elle soit mûre pour la transition qui la portera au-delà de tout cela vers une conscience et une vie plus hautes. Quand on arrive à cette ligne de partage, on doit laisser derrière soi le vieux mental et les vieux sentiments. On regarde alors ceux qui sont encore assujettis aux plaisirs et aux chagrins du monde ordinaire avec compassion, et chaque fois que c'est possible en leur apportant une aide spirituelle, mais dès lors sans aucun attachement. On apprend qu'ils sont guidés à travers tous leurs faux pas, et on fait confiance au Pouvoir universel qui regarde et soutient leur existence, et qui fera pour eux ce qu'il y a de mieux. Mais l'unique chose qui importe réellement pour nous, c'est d'entrer dans la Lumière plus grande et dans l'Union divine — de se tourner vers le Divin seul, de placer notre confiance là et nulle part ailleurs, que ce soit pour nous-mêmes ou pour les autres.

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731

La question est très compliquée et difficile à aborder, et il n'est guère possible d'y répondre en quelques mots. De plus, il est impossible de définir en règle générale pourquoi ces contacts intérieurs étroits sont suivis d'une séparation physique par la mort — chaque cas est différent, et il faudrait connaître les personnes et savoir dans le détail quelle a été l'histoire de leur âme pour dire ce qui était derrière leur rencontre et leur séparation. D'une manière générale, une vie n'est qu'un bref épisode dans la longue histoire d'une évolution spirituelle, dans laquelle l'âme suit la trajectoire fixée pour la terre, passant par de nombreuses vies pour arriver au bout. C'est une évolution hors de l'inconscience matérielle vers la conscience et vers la Conscience divine, de l'ignorance à la Connaissance divine, de l'obscurité, en passant par le demi-jour, vers la Lumière, de la mort à l'Immortalité, de la souffrance à la Félicité divine. La souffrance provient tout d'abord de l'Ignorance, ensuite de la séparation de la conscience individuelle d'avec la Conscience divine et l'Être divin, séparation créée par l'ignorance; quand cela cesse, quand on vit dans le Divin et non plus dans son petit moi séparé, alors seulement la souffrance peut cesser complètement. Chaque âme suit sa propre voie et ces voies se rencontrent, les âmes cheminent ensemble pendant un certain temps, puis se séparent pour se rencontrer peut-être de nouveau plus tard — elles se rencontrent encore pour s'entr'aider dans le voyage d'une manière ou d'une autre. Après la mort, l'âme passe dans d'autres plans d'existence, y demeurant pendant quelque temps, jusqu'au moment où elle parvient à son lieu de repos où elle reste jusqu'à ce qu'elle soit prête pour une autre existence terrestre. C'est la loi générale, mais en ce qui concerne les liens entre les âmes incarnées, c'est affaire d'évolution personnelle des deux âmes, et sur cela on ne peut rien dire de général, puisque c'est intimement lié à l'histoire des deux âmes et qu'une connaissance personnelle est nécessaire. C'est tout ce que je peux dire, mais je ne sais pas si ce sera d'un grand secours pour elle, car habituellement ces choses ne sont une aide que lorsqu'on entre dans la conscience où elles ne sont plus de simples idées, mais deviennent des réalités. Alors on ne s'afflige plus, parce qu'on est entré dans la Vérité et que la Vérité apporte le calme et la paix.

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732

Il y a généralement un lien vital — le lien psychique est comparativement rare. C'est habituellement quelque chose dans les vies passées qui détermine ces liens dans celle-ci, mais le lien dans cette vie-ci est rarement le même que celui du passé qui l'a déterminé.

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Je comprends fort bien quel choc la mort tragique de votre femme a dû être pour vous. Mais vous êtes maintenant un sâdhak et un chercheur de la Vérité, et vous devez envisager de vous élever au-dessus des réactions normales de l'être humain et de voir les choses dans une lumière plus grande et plus vaste. Considérez l'épouse que vous avez perdue comme une âme qui progressait à travers les vicissitudes de la vie de l'Ignorance, comme toutes les âmes ici-bas; dans ce progrès, des événements se produisent, qui semblent désastreux au mental humain et une mort soudaine et accidentelle ou violente, qui coupe court prématurément à cette période toujours, brève de l'expérience terrestre que nous appelons la vie, lui semble particulièrement pénible et désastreuse. Mais celui qui va derrière la vision extérieure sait que tout ce qui arrive au cours de la progression de l'âme a sa signification, sa nécessité, sa place dans la série des expériences qui la conduisent vers le tournant où l'on peut passer de l'Ignorance à la Lumière. Il sait que tout ce qui arrive dans la Divine Providence est pour le mieux, même si le mental en juge autrement. Considérez votre femme comme une âme qui a passé la barrière entre deux états d'existence. Aidez-la à cheminer vers son lieu de repos par des pensées paisibles et en appelant l'Aide divine pour qu'elle l'assiste dans son voyage. Le chagrin trop prolongé n'aide pas, mais retarde le voyage de l'âme qui est partie. Ne ressassez pas sa perte; pensez seulement à son bien-être spirituel.

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Ce qui est arrivé doit maintenant être accepté calmement comme un événement qui avait été décrété et qui est ce qui pouvait arriver de mieux pour le progrès de son âme de vie en vie, même si ce n'est pas le mieux pour le regard humain qui voit seulement le présent et les apparences extérieures. Pour le chercheur spirituel, la mort n'est qu'un passage d'une forme de vie à une autre, et on ne meurt pas, on ne fait que partir. Regardez cela de cette façon et, secouant toutes les réactions de chagrin vital — cela ne peut pas l'aider dans son voyage — poursuivez fermement votre chemin vers le Divin.

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Bien sûr, c'est là le fait réel — la mort n'est que l'abandon du corps, non la cessation de l'existence personnelle. Un homme ne meurt pas parce qu'il va dans un autre pays et change de vêtements pour s'adapter au climat.

 

1 kṣipāmyajasram aśubhān āsurīṣveva yoniṣu

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