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Sri Aurobindo

Le Secret du Véda
Suivi de hymnes choisis du Rig-Véda

Avec commentaires

18. Les Pères humains

Les Rishis Angiras formeraient donc dans le Système védique une famille de demi-dieux, comme semble à première vue le suggérer ce qui les caractérise: extérieurement, ce sont des personnifications ou plutôt des personnalités de la Lumière, de la Voix et de la Flamme, et, secrètement, des pouvoirs de la Vérité qui assistent les dieux dans leurs batailles. Mais, tout en étant “voyants divins”, tout en étant “fils du Ciel et héros du Seigneur”, ces sages n’en représentent pas moins l’aspiration de l’humanité. Ils sont à l’origine, c’est vrai, les fils des dieux, devaputrāḥ, enfants d’Agni, formes de Brihaspati aux multiples naissances et, lors de leur ascension vers le monde de la Vérité, on dit d’eux qu’ils remontent à l’endroit d’où ils viennent; mais une telle ascendance n’empêche pas qu’ils soient des représentants de l’âme humaine, elle-même descendue de ce monde-là et qui doit y remonter puisqu’elle est au départ un être mental, fils de l’Immortalité, amṛtasya putraḥ, un enfant du Ciel, ne dans le Ciel et mortel seulement quand il s’incarne dans un corps. Or le rôle joue dans le sacrifice par les Rishis Angiras est le rôle de l’homme: trouver le Mot, chanter l’hymne de âme aux dieux, soutenir et développer les Pouvoirs divins par la louange, la nourriture sacrée et le vin de Soma, faire naître avec leur concours l’Aurore divine, conquérir les formes lumineuses de la Vérité toute-rayonnante, et s’élever vers sa patrie secrète, lointaine, sublime.

Dans cette tâche du sacrifice, ils revêtent un double aspect1, les Angiras divins, ṛṣayo divyāḥ, qui comme les dieux symbolisent, et président à, certains pouvoirs et certaines fonctions psychologiques, et les Pères humains, pitaro manuṣyāḥ, qui – de même que les Ribhus, présentes eux aussi comme des êtres humains ou du moins des pouvoirs humains ayant conquis l’immortalité par l’action – ont atteint le but et dont on sollicite l’appui pour permettre à la race des mortels qui leur ont succède de réaliser le même exploit divin. Si on laisse de côte les hymnes tardifs à Yama du dixième Mandala, qui en font des Pitris Barhishad aux côtes des catégories et des Atharvans et allouent a chacun une portion particulière du sacrifice, dans tout le reste du Veda aussi on invoque les Angiras en se servant d’images moins précises mais plus riches et plus significatives. C’est pour le grand périple humain qu’on fait appel à eux; car c’est cette transition en l’homme de la mortalité à immortalité, de la fausseté à la Vérité, que les Ancêtres ont accomplie, ouvrant ainsi la voie à leurs successeurs.

Cet aspect de leur action se remarque en VII-42 et VII-52. Le premier de ces deux hymnes de Vasishtha est un Sukta qui précisément sollicite l’aide des dieux pour ce grand voyage, adhvara yajña2, le sacrifice itinérant, ou qui est à la fois un voyage vers la demeure des divinités et une bataille. Ainsi le célèbre-t-on: “Facile à parcourir est pour toi le chemin, ô Agni, et depuis toujours connu de toi; attelle pendant la libation du Soma tes juments rousses (ou, au mouvement actif), qui servent de montures au héros Assis, j’appelle les naissances divines” (7.42.2). De quel chemin s’agit-il? Du chemin reliant la demeure des dieux à notre mortalité terrestre, que descendent les dieux en traversant l’antarikṣa, les régions vitales, pour se rendre au sacrifice terrestre, et qu’empruntent le sacrifice et celui qui s’en sert pour monter jusqu’au domaine des dieux. Agni attelle ses juments, ses énergies bigarrées ou flammes de la Force divine qu’il incarne, que chevauche le Héros, le pouvoir en nous de lutter permettant d’accomplir le voyage. Et les naissances divines sont aussi bien les dieux eux-mêmes que ces manifestations de la vie divine en l’homme, signification védique des divinités Cette explication est la bonne, comme en témoigne le quatrième Rik: “Quand l’Hôte, établi dans la béatitude, a pris conscience de la connaissance, dans la maison accessible du héros riche (en félicité), et qu’Agni est pleinement satisfait et fermement installe dans la demeure, alors il donne à la créature toutes les choses désirables pour accomplir le voyage (ou, qui font le voyage)” (7.42.4).

L’hymne est donc une invocation à Agni, le suppliant d’intervenir dans le voyage vers le bien suprême, la naissance divine, la béatitude Et la prière du premier vers réclame les conditions nécessaires au voyage, les choses qui, dit-on ici, constituent la forme du sacrifice itinérant, adhvarasya peśaḥ, et en premier vient le dynamisme, l’entrain des Angiras: “Que les Angiras, les prêtres du Mot, aillent de l’avant, que s’élance le cri du ciel (ou, de l’objet céleste, nuage ou éclair), qu’avancent les Vaches nourricières qui répandent leurs eaux, et que les deux pierres du pressoir soient attelées (à leur ouvrage) – car ceci est la forme du sacrifice itinerant, pra brahmāṇo aṅgiraso nakṣanta, pra krandanur nabhanyasya vetu; pra dhenava udapruto navanta, yujyātām adrī adhvarasya peśaḥ” (7.42.1). Les Angiras, – avec le Mot divin, le cri du Ciel qui est la voix de présentes, le ciel lumineux, et de ses éclairs que le Mot tonitrue, – avec les eaux divines ou les sept fleuves, dont cet éclair céleste d’Indra, le maître de Svar, précipite l’écoulement – et, accompagnant l’effusion des eaux divines, l’expression du Soma qui confère immortalité, voilà ce qui constitue la forme, peśaḥ, de adhvara yajña, le sacrifice itinérant Et ce qui généralement le caractérise, c’est le déplacement vers l’avant, le progrès de tous vers le but divin, comme le montre l’insistance sur les trois verbes de mouvement, nakṣanta, vetu, navanta et l’emphatique pra, “en avant”, qui débute chaque proposition et en annonce la teneur.

Mais l’hymne 52 est encore plus important et révélateur. Le premier l’Immortalite déclare: “Ö Fils de la Mère infinie, ādityāso, puissions-nous devenir des êtres infinis, aditayaḥ syāma, puissent les Vasus nous protéger dans les états divin et mortel, devatrā martyatrā; nous qui possédons, puissions-nous vous posséder, 6 Mitra et Varuna; nous qui devenons, puissions-nous devenir vous, ö Ciel et Terre, sanema mitrāvaruṇā sananto, bhavema dyāvāpṛthivī bhavantaḥ.” Cela signifie évidemment que nous devons posséder et devenir les infinités ou enfants d’Aditi, les divinités, aditayaḥ, ādityāso. Mitra et Varuna sont, ne l’oublions pas, des pouvoirs de Surya Savitri, seigneur de la Lumière et de la Vérité Le troisième vers dit: “Que les Angiras qui se pressent vers le but aillent dans leur voyage vers la félicite du divin Savitri; et que notre Grand Ancêtre, maître du sacrifice, et tous les dieux, unanimes, acceptent en eux (cette félicite), Turaṇyavo ‘ṅgiraso nakṣanta ratnaṃ devasya savitur iyānāḥ.” Les Angiras sont donc visiblement ceux qui voyagent vers la lumière et la vérité de la divinité solaire d’où naissent les vaches lumineuses qu’ils soutirent aux Panis, et vers la félicite qui, comme nous le voyons partout, a pour fondement cette lumière et cette vérité Ce voyage est visiblement aussi un essor vers un Statut divin, vers être infini, aditayaḥ syāma, essor que cet hymne au deuxième vers attribue au progrès de la paix et de la félicite, grâce à l’action en nous de Mitra, de Varuna et des Vasus, qui nous protégent dans nos états divin et mortel.

Ces deux hymnes parlent des Rishis Angiras en général; mais d’autres font positivement allusion aux Pères humains, qui les Premiers ont découvert la Lumière, pris possession de la Pensée et du Mot, et voyage vers les mondes secrets de la Béatitude lumineuse. Guides par les conclusions auxquelles nous sommes parvenus, nous pouvons maintenant étudier les passages plus importants, profonds, beaux et lumineux, célébrant cette grande découverte des premiers pères humains. Nous y verrons résume ce grand espoir que les Mystiques védiques ne quittaient jamais des yeux; ce voyage, cette victoire typique des lumineux Ancêtres est le succès initial offert jadis comme modèle à humanité mortelle qui devait leur succède C’était la conquête des pouvoirs de cette Nuit qui nous encercle, rātrī paritakmyā, (5.30.14), Vritras, Sambaras et Valas, les Titans, Géants, Pythons, Pouvoirs subconscients qui détiennent la lumière et la force, en eux et dans leurs citadelles d’obscurité et d’illusion, mais ne peuvent les utiliser à bon escient ni ne veulent les céder à l’homme, être mental. Extirper leur ignorance, leur perfidie et leur petitesse ne surfit pas, il faut les briser, y entrer, les forcer à livrer le secret de la lumière, du bien et de l’infinité. C’est du fond de cette mort qu’il faut conquérir cette Immortalité Barricadée derrière cette ignorance se trouve une connaissance secrète et une grande lumière de Vérité; prisonnier de ce mal est une infinitude de Bien; dans cette mort qui limite est le germe d’une Immortalité sans limite. Vala, par exemple, est “Vala des radiances, valaṃ gomantam” (1-11-5), “son corps est fait de lumiere, govapuṣaṃ valam” (10.68.9), son repaire ou sa caverne est une cite pleine de trésors; ce corps doit être dépèce, cette cite éventrée, ces trésors confisques. Telle est la tâche assignée à humanité, voilà ce que les Ancêtres ont accompli pour la race, pour qu’on Sache le chemin et qu’on atteigne le but par les mêmes moyens, accompagnes de ces mêmes dieux de la Lumière “Qu’existe entre vous, les dieux, et nous cette amitié ancienne, comme lorsqu’avec les Angiras qui disaient le Mot juste, tu as fait s’écrouler ce qui ne bougeait pas et abattu Vala qui se ruait sur toi, 6 Réalisateur de l’oeuvre, et tu as ouvert grand toutes les portes de sa cite”(6.18.5). Toute tradition humaine conserve à ses débuts ce Souvenir du passe. C’est Indra et le serpent Vritra, Apollon et le Python, Thor et les Géants, Sigurd et Fafner, et ce sont les dieux rivaux de la mythologie celtique; mais ce n’est que dans le Veda que nous trouvons la clef de cette imagerie, qui masque l’espoir ou la sagesse d’une humanité préhistorique.

Le premier texte que nous choisirons est un hymne du grand Rishi Vishvamitra, III-39, qui nous transporte en plein coeur de notre sujet. Il commence par une description de la Pensée ancestrale, pitryā dhīḥ, la Pensée des pères, qui doit nécessairement être la pensée qui possède Svar célébrée par les Géants, la pensée à sept têtes découverte par Ayasya pour les Navagvas; car cet hymne aussi s’y réfère à propos des Angiras, les Pères “La pensée qui laisse parier le coeur, façonnée dans le Stoma (l’hymne), va vers Indra son seigneur” (rik 1). Indra est, dans notre Hypothèse, le pouvoir du Mental lumineux, le maître du monde de Lumière et de ses éclairs; les mots ou les pensées sont constamment représentes par des vaches ou des femmes, Indra par le Taureau ou le mari, et les mots le désirent, on les montre même se lançant spontanément à sa recherche, giraḥ prati tvām ud ahāsata; ajoṣā vṛṣabham patim (1-9-4). Le Mental lumineux de Svar est ce vers quoi tendent la pensée védique et la parole védique, toutes deux exprimant cette troupe d’illuminations pressées de remonter de âme, de la caverne du subconscient où elles étaient parquées; Indra, maître de Svar, est le Taureau, le seigneur de ces troupeaux, gopatiḥ.

Le Rishi poursuit sa description de la Pensée Elle est “la pensée qui, une fois exprimée, demeure éveillée dans la connaissance”, ne s’abandonne pas au sommeil des Panis; “elle qui est née de toi (ou, pour toi), ö Indra, d’elle prends connaissance, yā jāgṛvir vidathe śasyamānā” (rik 1). Cette formule se retrouve constamment dans le Veda. Le dieu, le divin doit prendre connaissance de ce qui en l’homme s’élève vers lui, s’y éveiller dans la connaissance (viddhi, cetathaḥ etc.) au-dedans de nous, autrement cela reste quelque chose d’humain et “ne va pas aux dieux, deveṣu gacchati”. Et d’ajouter: “Elle est ancienne (ou, éternelle), elle est née du ciel; quand elle est exprimée elle demeure éveillée dans la connaissance; vêtue de robes blanches et heureuses, la voilà en nous l’antique pensée des Pères, seyam asme sanajā pitryā dhīḥ” (rik 2). Puis le Rishi dit de cette pensée qu’elle est “la mère des jumeaux, qui donne ici naissance aux jumeaux; elle descend et s’installe sur la pointe de la langue; les corps jumeaux à leur naissance sont attaches ensemble, détruisent obscurité et se meuvent sur le fondement de la force brûlante” (rik 3). Je ne discuterai pas ici ce que représentent ces deux jumeaux lumineux, car cela nous entraînerait hors des limites de notre propos immédiat; contentons-nous de dire qu’ailleurs, dans un passage traitant des Angiras et de leur établissement de la naissance suprême (le plan de la Vérité), on en parle comme de jumeaux en qui Indra place le mot de l’expression (1-83-3); que la force brûlante dont ils parcourent la base est évidemment celle du Soleil, le destructeur de obscurité, et que ce support lui-même est par conséquent identique au plan suprême, fondement de la Vérité, ṛtasya budhnaḥ; et enfin qu’on peut difficilement écarter toute similitude avec les deux enfants jumeaux de Surya, Yama et Yami – Yama qui dans le dixième Mandala est associe aux Rishis Angiras3.

Après cette description de la pensée ancestrale avec ses deux enfants jumeaux destructeurs de obscurité, Vishvamitra passe aux Pères anciens, qui les premiers l’ont formée, et à la grande victoire qui leur a permis de découvrir “cette Vérité, le Soleil gisant dans obscurité”. “Nul parmi les mortels ne peut blâmer (ce qui signifie plutôt d’après moi: nul pouvoir de mortalité ne saurait confiner ou contraindre) nos anciens pères, eux qui disputèrent les vaches; Indra en sa puissance, Indra le prodigieux a dégage pour eux un passage en haut des enclos fortifies; là où, camarade avec ses camarades, les combattants, les Navagvas, suivant à genoux les vaches, Indra à l’aide des dix Dashagvas découvrit cette Vérité, satyaṃ tad, le Soleil lui-même établi dans obscurité” (riks 4 et 5). On retrouve l’image habituelle de la conquête du troupeau lumineux et de la découverte du Soleil cache; mais au vers suivant, s’y ajoutent deux images apparentées, qui elles aussi apparaissent fréquemment dans les hymnes védiques, le pâturage ou champ de la vache et le miel logé dans la vache. “Indra découvrit le miel serre dans la Brillante, (le trésor) avec pattes et sabots dans le pâturage4 de la Vache” (rik 6). La Brillante, usriyā (aussi, usrā), est de nouveau un terme qui, comme go dont il est synonyme dans le Veda, signifie a la fois rayon et vache. On parle constamment du ghṛta ou beurre clarifie serre dans la vache, divise en trois portions et cache là par les Panis, selon Vamadéva; mais il s’agit tantôt du ghṛta melliflue et tantôt simplement du miel, madhumad ghṛtam (9.86.37) et madhu. Le produit de la vache, le ghṛta, et le produit du plant de Soma sont étroitement lies, nous l’avons déjà remarque dans d’autres hymnes, et maintenant que nous savons exactement ce que désigne la Vache, cette relation étrange et incongrue s’éclaire et s’explique somme toute assez facilement. Ghṛta veut dire aussi brillant, c’est donc le brillant produit de la vache brillante; c’est la lumière de connaissance consciente formée dans la mentalité, qui, enfermée dans la conscience illuminée, se libère quant la Vache est délivrée; Soma figure le délice, la béatitude, l’Ananda, inséparable de suprême illumine de être; et de même qu’existent en nous, après le Veda, trois plans de mentalité, de même existent trois portions du ghṛta dépendant des trois dieux, Surya, Indra et Soma, l’offrande du Soma étant elle aussi repartie en trois, “sur les trois niveaux de la montagne (de être), triṣu sānuṣu” (11-3-7). Étant donnée la nature des trois dieux, nous pouvons risquer l’hypothèse suivante: Soma libère la lumière divine contenue dans la mentalité sensorielle, Indra celle contenue dans la mentalité dynamique et Surya celle contenue dans la mentalité réflexive pure. Quant au pâturage de la vache, il nous est déjà familier; c’est le champ ou kṣetra qu’Indra conquiert sur les Réalisateur pour ses brillants camarades, et dans lequel l’Atri a aperçu le guerrier Agni et les vaches lumineuses, celles chez qui même les vieilles redeviennent jeunes (5.2.3,4). Cette image du champ, kṣetra, est simplement une autre manière de représenter la demeure lumineuse, ou kṣaya, les dieux par l’entremise du sacrifice conduisent âme humaine.

Continuant sa narration, Vishvamitra précise alors la signification mystique véritable de toute cette imagerie: “Lui, accompagne de Quantité, garde dans sa main droite, dakṣiṇe dakṣiṇāvān, la chose secrète, qui est placée dans la caverne secrète et dissimulée dans les eaux. Puisse-t-il, avec sa connaissance parfaite, séparer la lumière de obscurité, jyotir vṛṇīta tamaso vijānan, puissions-nous nous écarter de la présence du mal” (riks 6 et 7). Nous avons ici un élément expliquant la signification de cette Quantité, déesse qui par endroits semble être une forme ou épithète de l’Aurore, et ailleurs celle qui distribue les offrandes lors du sacrifice. Usha est l’illumination divine et Quantité est la connaissance discriminatrice, qu’amène l’Aurore et qui permet au Pouvoir dans le mental, Indra, de connaître justement et de séparer la lumière de obscurité, la vérité de la fausseté, ce qui est droit de ce qui est tordu, vṛṇīta vijānan. La main droite et la main gauche d’Indra sont ses deux pouvoirs d’action dans la connaissance; car ses deux bras sont appelés gábhasti, terme désignant d’ordinaire un rayon du soleil mais aussi l’avant-bras, et ils correspondent à ses deux pouvoirs de perception, ses deux chevaux lumineux, harī, qui ont, dit-on, des yeux de soleil et sont les pouvoirs de vision du Soleil, sūracakṣasā, sūryasya ketū. Quantité préside au pouvoir de la main droite, dakṣiṇa, qui explique la juxtaposition dakṣiṇe dakṣiṇāvān. Ce discernement, c’est celui qui gouverne l’action juste du sacrifice et le partage juste des offrandes, et c’est lui encore qui permet à Indra de serrer dans sa main droite la richesse des troupeaux des Panis. Et pour finir on nous révèle quelle est cette chose secrète, logée pour nous dans la caverne et dissimulée dans les eaux de être, les eaux où il faut établir la Pensée des ancetres, apsu dhiyaṃ dadhiṣe (5.45.11). C’est le Soleil cache, la lumière secrète de notre existence divine, que l’on doit, grâce à la connaissance, trouver et extraire de obscurité où elle se dissimule. Il ne s’agit pas d’une lumière matérielle, comme l’indique le mot vijānan, car ce qui doit la découvrir, c’est une connaissance juste, et le bénéfice moral qu’elle procure, le fait que nous évitons la présence du mal, duritād, littéralement le mauvais ou faux pas, les erreurs et les défaillances dont nous sommes victimes dans la nuit de notre être, avant que soit trouve le Soleil, avant que pointe l’Aurore divine.

Une fois que nous détenons la clef de la signification des Vaches, du Soleil, du vin de Miel, tous les détails de la légende des Angiras et de l’action des Pères, qui forment un amalgame si incongru dans l’interprétation ritualiste ou naturaliste et semblent si désespérément inconcevables dans interprétation historique ou aryo-dravidienne des hymnes, deviennent au contraire parfaitement évidents et cohérents, et s’éclairent mutuellement. Nous comprenons chaque hymne intégralement, son sens propre et son rapport avec les autres hymnes; chaque vers isole, chaque passage, chaque allusion ici ou là dans les Védas trouve inévitablement et harmonieusement sa place dans le tout. Nous comprenons en l’occurrence: – comment il se fait qu’on dise que le Miel, la Félicité, sont serres dans la Vache, la brillante Lumière de la Vérité; – quelle est la relation entre la Vache porteuse de miel et le Soleil, seigneur et origine de cette Lumière; – pourquoi la découverte du Soleil établi dans obscurité est liée à la conquête ou au recouvrement des vaches des Panis par les Angiras; – pourquoi on l’appelle la découverte de “cette Vérité”; – ce que désignent le trésor dote de pattes et de sabots, et le champ ou pâturage de la Vache. Nous commençons à réaliser: – ce que représente la caverne des Panis et pourquoi ce qui est cache dans l’antre de Vala se cache aussi, dit-on, dans les eaux libérées par Indra de la tutelle de Vritra, les sept fleuves que possède la pensée d’Ayasya, cette pensée à sept têtes qui conquiert le ciel; – pourquoi on déclare qu’une connaissance qui discerne tout délivre le Soleil hors de la caverne, sépare ou choisit la Lumière hors de obscurité; – qui sont Dakshina et découverte, et ce qu’on entend par “Indra tient le trésor ongulé dans sa main droite”. Et ces conclusions, nous y sommes parvenus sans avoir à déformer le sens des mors, à Interpréter autrement un même terme quand cela nous arrange, ou à traduire différemment la même expression ou le même vers selon les hymnes, ou à faire de l’incohérence la norme d’une juste exégèse; au contraire, plus nous restons fidèles au mot et à la forme des Riks, et plus se détachent avec une clarté et une plénitude constantes le sens général du Veda ainsi que la signification particulière de chacun de ses détails

Nous avons, par conséquent, acquis le droit d’attribuer le sens que nous avons découvert à d’autres passages, comme l’hymne de Vasishtha que je vais maintenant examiner, VII-76, même si, pour une lecture rapide, il s’agit seulement en apparence d’une peinture extasiée de l’aurore naturelle. Cette première impression disparaît néanmoins des qu’on étudie le texte de plus près; nous constatons que celui-ci suggère sans cesse une interprétation plus profonde et, aussitôt que nous lui appliquons la clef trouvée, l’harmonie du sens véritable apparaît L’hymne commence par une description de cette montée du Soleil dans la lumière de l’Aurore suprême, qui est l’oeuvre des dieux et des Angiras: “découvert, le dieu, le Male universel, est monte dans la Lumière qui est immortelle et universelle [ou, de toutes les naissances], personnalités jyotir amṛtaṃ viśvajanyam; par l’action (du sacrifice) l’oeil des dieux est ne (ou, par le pouvoir de volonté des dieux la vision est née); l’Aurore a manifeste le monde entier (OM, tout ce qui parvient à être, toutes les existences, viśvaṃ bhuvanam)” (rik 1). Cette Lumière immortelle dans laquelle monte le Soleil est appelée ailleurs la Vraie Lumière, ṛtaṃ jyotiḥ, Vérité et Immortalité allant toujours de pair dans le Veda. C’est la lumière de la connaissance donnée par la pensée à sept têtes qu’Ayasya découvrit quand il devint viśvajanya, universel en son être (10.67.1); cette lumière est donc elle aussi appelée viśvajanya, car elle appartient au quatrième plan, le turīyaṃ svid d’Ayasya, d’où tout le reste est ne et dont la vérité permet à tout le reste de se manifester dans sa vaste universalité, et non plus selon les modalités limitées de la fausseté et de la perversité. Voilà pourquoi on l’appelle également l’oeil des dieux et l’Aurore divine qui révèle la totalité de l’existence.

Conséquence de cette naissance de la vision divine, le chemin de l’homme se manifeste à lui, ainsi que ces voyages des dieux, ou vers les dieux, devayānāḥ, qui conduisent à l’étendue infinie de l’existence divine. “Devant moi les chemins des dieux en marche sont devenus visibles, ces voyages qui ne transgressent rien, dont les mouvements ont été règles par les Vasus. L’œil (le rayon de perception) de l’Aurore s’est révèle en face et elle s’est avancée vers nous (ou, est arrivée) au-dessus de nos maisons” (rik 2). La maison, dans le Veda, figure toujours le corps, demeure de âme, tout comme le champ ou séjour représente le plan auquel elle élève et où elle se repose. Le chemin de l’homme, c’est celui de son voyage vers le plan suprême, et ce que les voyages des dieux n’enfreignent pas c’est, comme l’indique le cinquième vers où la formule se répète, l’entreprise des dieux, la loi divine de la vie dans laquelle âme doit s’épanouir. Vient alors une image étrange qui semble corroborer la théorie arctique: “Nombreux furent ces jours qui ont passe avant que le Soleil se lève (ou, qui passèrent autrefois au lever du Soleil), et où on te voyait, 6 Aurore, comme t’activant autour de ton amant et ne revenant pas” (rik 3). Il s’agit certainement d’une description des aurores continues, ininterrompues par la Nuit, comme on en voit dans les régions arctiques. Le sens psychologique de ce vers se dégage nettement.

De quelles aurores s’agissait-il? étaient celles crées par le travail des Pères, les anciens Angiras: “En vérité ils partageaient avec les dieux la joie (du Soma)5, les anciens voyants détenteurs de la vérité; les pères ont trouve la Lumière cachée; ayant la Pensée vraie (satyamantrāḥ la pensée vraie exprimée par le Mot inspire), ils donnèrent naissance à l’Aurore” (rik 4). Et à quoi l’Aurore, le chemin, le périple divin ont-ils conduit les Pères? À l’Étendue plane, samāna ūrve, appelée ailleurs le Vaste sans obstacles, urau anibādhe (III-l-l1), visiblement identique à cet être ou monde vaste que, selon apparaît, les hommes créent quand ils tuent Vritra et dépassent ciel et terre (1-36-8); c’est la vaste Vérité et être infini d’Aditi. “Dans l’Étendue plane ils se rejoignent et unissent leur connaissance (ou, connaissent parfaitement) et ne rivalisent plus; ils ne diminuent (ou, ne limitent ou, ne lèsent) pas les actions des dieux et, ne les transgressant pas, vont (vers leur but) avec les (ou, avec la force des) Vasus” (rik. 5). Les sept Angiras, qu’ils soient divins ou humains, représentent, c’est évident, différents principes de la connaissance, Pensée ou Mot, la pensée à sept têtes, le mot aux sept bouches de Brihaspati, et dans l’Étendue plane ceux-ci s’harmonisent en une connaissance universelle; l’erreur, la perversité, la fausseté, dont les hommes se servent pour corrompre l’entreprise des dieux et qui permettent à différents principes de leur être, conscience, connaissance de rivaliser confusément, l’oeil ou la vision de l’Aurore divine les ont supprimées.

L’hymne se termine sur l’aspiration des Vasishthas à cette Aurore divine de la félicite, elle qui conduit les troupeaux, la maîtresse des plénitudes, l’annonciatrice aussi de la béatitude et des vérités, sūnṛtānām. Puisque ceux-ci désirent réaliser le même exploit que les voyants d’autrefois, les Pères, il s’agirait par conséquent des Angiras humains et non des Angiras divins. Quoi qu’il en soit, le sens de la légende des Angiras est désormais établi dans ses moindres détails, sauf l’identité exacte des Panis et du lévrier Sarama; nous pouvons donc entamer l’étude, dans les hymnes qui ouvrent le quatrième Mandala, des passages citant expressément les Pères humains et décrivant leur exploit. Ces hymnes de Vamadéva sont ceux qui éclairent le mieux cet aspect de la légende des Angiras, et ils figurent eux-mêmes parmi les textes les plus intéressants du Rig-Véda.

 

1 Il faut noter que les Puranas font une distinction marquée entre deux catégories de Pitris, les Pères divins, une famille de divinités, et les Ancêtres humains, toutes deux recevant l’offrande du piṇḍa. Les Puranas en l’occurrence ne font que perpétuer, c’est évident, la tradition védique originelle.

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2 Sayana comprend a-dhvara yajña, le sacrifice in-tact; mais “intact” n’a jamais pu devenir synonyme de sacrifice. Adhvara veut dire “voyageant”, “se déplaçant”, proche de adhvan, la route ou le voyage, issu d’une racine disparue adh, se mouvoir, s’étendre, être large, compact, etc. La relation entre les deux mots adhvan et adhvara apparaît dans adhva, l’air, le ciel et adhvara, de même sens. Quantité de passages dans le Veda montrent que adhvara et adhvara yajña sont lies à l’idée de voyager, se déplacer, avancer sur le chemin.

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3 C’est examine sous cet angle que nous devons comprendre le colloque de Yama et Yami dans le dixième Mandala, où la soeur recherche l’union avec son frère et la voit remise à plus tard, dans les générations futures, celles-ci désignant en réalité des périodes symboliques du temps, le terme pour “plus tard, postérieur” signifiant plutôt “supérieur”, uttara.

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4 Name goḥ. Nama venant de nam, se mouvoir, étendre (en grec, nemō); nama est le champ libre, le pâturage (en grec, nomos).

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5 J’adopte provisoirement la traduction traditionnelle de sadhamādaḥ, bien que je ne sois pas sûr qu’elle restitue le sens exact.

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