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Sri Aurobindo

Le Secret du Véda
Suivi de hymnes choisis du Rig-Véda

Avec commentaires

17. La Pensée à sept têtes, Svar et les Dashagvas

La langue des hymnes présente donc les Rishis Angiras sous un double aspect. Le premier appartient à l’habillage extérieur du Veda; de conception naturaliste, il tisse en un vêtement unique ses images du Soleil, de la Flamme, l’Aurore, la Vache, le Cheval, le Vin, l’Hymne sacrificiel. Le second, lui, en dégage le sens secret. Les Angiras sont fils de la Flamme, luisances de l’Aurore, donneurs et buveurs du Vin, interprètes de l’Hymne, adolescents et héros éternels qui pour nous arrachent à l’emprise des fils de l’obscurité le Soleil, les Vaches, les Chevaux et tous les trésors. Mais ils sont aussi voyants de la Vérité, découvrent et prononcent le Mot de la Vérité et, grâce au pouvoir de la Vérité, conquièrent pour nous le vaste monde de Lumière et d’Immortalité, présente dans le Veda comme le Vaste, le Vrai, le juste bṛhatam, satyam, ṛtam et comme la demeure attitrée de cette Flamme dont ils sont les enfants. Cette imagerie concrète et ces notations psychologiques s’enchevêtrent au point de devenir inséparables. Le bon sens commun nous oblige donc à conclure: – que la Flamme qui a pour propre patrie le Juste et le Vrai est elle-même Flamme de Justice et de Vérité, – que la Lumière, qui est conquise par la Vérité et grâce au pouvoir de la pensée vraie, n’est pas simplement une lumière matérielle, – les Vaches que découvre Sarama sur le chemin de la Vérité, pas simplement du bétail animal, – les Chevaux, pas simplement la richesse des Dravidiens conquise par des tribus d’envahisseurs aryens, – que ce ne sont pas même de simples métaphores racontant l’Aurore matérielle, sa lumière et ses vifs rayons, – et obscurité que Vritra et les Panis défendent, pas uniquement les ténèbres de la nuit indienne ou arctique. Il nous a même été possible d’avancer une Hypothèse raisonnable, permettant de dégage le sens réel de cette imagerie et de découvrir ce qui rend véritablement divins ces dieux splendides, ces sages sublimes et lumineux.

Les Rishis Angiras sont des voyants à la fois divins et humains. Cette ambivalence n’est pas en soi quelque chose d’extraordinaire ou de spécifique à ces sages dans le Veda. Les dieux védiques ont eux aussi une action double; divins et préexistants dans leur essence, ils sont humains des qu’ils interviennent sur le plan mortel, quand ils croissent en l’homme durant la grande ascension. Cela a été exprime de façon saisissante lorsqu’on s’adresse à Usha, l’Aurore, “Déesse humaine dans les mortels, devi marteṣu mānuṣi” (7.75.2). Mais dans le symbolisme des Rishis Angiras, cette ambivalence se complique parce que la Tradition en fait des pères fondateurs, ces hommes qui, les premiers, découvrent la Lumière, le Chemin et le But. Il convient d’examiner en quoi cela affecte notre théorie de la doctrine védique et du symbolisme védique

On parle généralement de sept Rishis Angiras: ils sont sapta viprāḥ (3.31.5), les sept sages mentionnes dans la tradition puranique (les noms donnes par les Puranas n’étant pas nécessairement ceux que leur aurait attribues la tradition védique) et qui, pour l’astronomie indienne, siégent dans la constellation de la Grande Ourse. Mais on les présente aussi comme Navagvas et Dashagvas et, si en VI-22-2 on évoque les “pères anciens, les sept voyants qui étaient Navagvas, pūrve pitaro navagvāḥ sapta viprāso”, on cite cependant en III-39-5 deux catégories distinctes, les Navagvas et les Dashagvas, ces derniers au nombre de dix, les premiers probablement neuf, sans que cela soit franchement précise: “La où, ami avec ses amis les Navagvas, lance à la poursuite des vaches, Indra, à l’aide des dix Dashagvas, découvrit cette Vérité, ce Soleil même établi dans obscurité, Sakhā ha yatra sakhibhir navagvair abhijñv ā satvabhir gā anugman; satyaṃ tad indro daśabhir daśagvaiḥ sūryaṃ viveda tamasi kṣiyantam.” Nous avons d’autre part, en IV-51-4, une description collective des Angiras et de leurs sept visages ou bouches, leurs neuf, leurs dix rayons, navagve aṅgire daśagve saptāsye. En X-108-8, un autre Rishi, Ayasya, se joint aux Angiras pères En X-67-1, on dit de lui: “Notre ancêtre, qui a découvert la vaste Pensée à sept têtes, née de la Vérité, et qui chante l’hymne pour Indra.” Suivant le nombre de ces Navagvas, sept ou neuf, Ayasya sera le huitième ou le dixième Rishi.,

La tradition affirme l’existence de deux catégories distinctes de Rishis Angiras, celle des Navagvas, qui sacrifiaient pendant neuf mois, et celle des Dashagvas, dont le rituel durait dix mois. Dans cette interprétation, Navagva et Dashagva doivent signifier “aux neuf vaches” et “aux dix vaches”, chaque vache représentant collectivement les trente aurores qui constituent un mois de l’année sacrificielle. Mais un passage au moins du Rig-Véda contredit, à première vue, l’exégèse traditionnelle. Car au septième, puis de nouveau au onzième vers de l’hymne V-45, on dit que ce sont les Navagvas, et non les découvre, qui ont sacrifie ou chante l’hymne pendant dix mois. Le vers 7 déclare: “Ici cria (ou, se mut) la pierre, précipitée par la main, qui permit aux interprètes de chanter l’hymne pendant dix mois; Sarama à la recherche de la Vérité découvrit les vaches; l’Angiras rendit toutes choses vraies (ou, belles), anūnod atra hastayato adrir, ārcan yena daśa māso navagvāḥ; ṛtaṃ yatī saramā gā avindad, viśvāni satyāṅgirāś cakāra.” Et cela nous est confirme au vers 11: “Je tiens pour vous dans les Eaux (c’est-à-dire les sept Fleuves) la pensée qui s’empare du ciel de Svar1 (celle-ci est une fois de plus la pensée à sept têtes, née de la Vérité et découverte par Ayasya), grâce à laquelle les interprétation ont traverse les dix mois; avec cette pensée nous pourrons avoir les dieux pour protecteurs, avec cette pensée nous pourrons dépasser le mal, dhiyaṃ vo apsu dadhiṣe svarṣāṃ, yayātaran daśa māso navagvāḥ; ayā dhiyā syāma devagopā, ayā dhiyā tuturyāma ati aṃhaḥ.” La déclaration est explicite. Sayana, timidement il est vrai, ose faire de daśa māso au vers 7, dix-mois, une épithète, les hommes aux dix mois, autrement dit les Dashagvas; mais il propose cette traduction improbable comme une simple Variante et l’abandonne au rik 11.

Faut-il donc supposer que l’auteur de cet hymne, méprisant la tradition, confondait Dashagvas et Navagvas? Une telle supposition est inacceptable. La difficulté vient du fait que nous imaginons que généralement et Dashagvas représentaient, dans la pensée des Rishis védiques, deux catégories distinctes de Rishis Angiras; or ceux-ci semblent avoir été plutôt deux pouvoirs différents de l’etat Angiras et, dans ce cas, les façon eux-mêmes pourraient facilement devenir Dashagvas en prolongeant la période du sacrifice d’un mois. Dans l’hymne, la formule daśa māso ataran indique du reste qu’il était difficile de passer le cap des neuf mois. C’est lors de la phase finale, apparemment, que les fils de obscurité avaient le pouvoir de s’attaquer au sacrifice;car c’est seulement en confirmant la “pensée qui conquiert Svar”, le monde solaire, précise, que les Rishis peuvent tenir dix mois, mais une fois trouvée cette pensée, les voilà assures de la protection des dieux et hors de portée du mal, les Panis et Vritra ne pouvant plus leur nuire. Cette pensée qui conquiert Svar est certainement identique à la pensée à sept têtes, née de la Vérité, et découverte par Ayasya, le compagnon des évoque; car grâce à elle, nous dit-on, devenant universel, embrassant les naissances dans tous les mondes, Ayasya a fait naître un quatrième monde ou monde quadruple – qui doit être le supramental, par delà les trois assises inférieures, Dyaus, Antariksha et Prithivi –, ce vaste monde que, selon Kanva, fils de Hora, les hommes atteignent ou créent en franchissant les deux Rodaśi, après avoir tué Vritra (1-36-8). Ce quatrième monde doit par conséquent être Svar. La pensée à sept têtes d’Ayasya lui permet de devenir viśvajanya, ce qui signifie probablement qu’il occupe ou possède tous les mondes ou naissances de l’âme, ou bien qu’il devient universel, s’identifiant à toutes les créatures – et le rend également capable “de manifester ou de donner naissance à un certain quatrième monde (métaphores), turīyaṃ svij janayad viśvajanyaḥ” (10.67.1); et la pensée établie dans les eaux, qui permet aux Rishis Navagvas de “traverser” les dix mois, est aussi, svarṣā, celle qui nous rend maître de même Les eaux sont manifestement celles des sept fleuves, les deux conceptions étant visiblement identiques. Ne faut-il pas des lors en conclure qu’ajouter Ayasya aux neuf Navagvas, ce qui porte leur nombre à dix, est ce qui leur permet, grâce à sa découverte de la pensée à sept têtes qui conquiert même, d’étendre la durée de leur sacrifice de neuf à dix mois? Voilà comment les Navagvas deviennent les dix conquièrent Notons à ce sujet que l’euphorie du Soma, dont Indra se sert pour manifester ou accroître “la puissance de maître ou le Svar-Purusha”, svarṇara est dite “à dix rayons et illuminante, daśagvaṃ vepayantam” (8.12.2).

Le passage déjà cite de III-39-5 corrobore pleinement cette conclusion. Car si ce sont les Navagvas qui aident Indra à pister le troupeau égare, ce sont bien les dix catégories et eux seuls, nous le constatons là, qui lui permettent d’aboutir et de découvrir cette Vérité, satyaṃ tat, c’est-à-dire le Soleil, sūryam, gisant dans obscurité Autrement dit, c’est quand le sacrifice de neuf mois se prolonge d’un mois, quand les Navagvas deviennent les dix catégories grâce à la pensée à sept têtes d’Ayasya, le dixième Rishi, que le Soleil est trouve et qu’est révèle et conquis le monde lumineux de interprètes, en lequel nous possédons la Vérité ou le Deva un et universel. Cette conquête de interprète est le but du sacrifice et la grande tâche qu’accomplissent les Rishis Angiras.

Mais que signifie cette image des mois? Car il est clair maintenant que c’est une image, une parabole; année est symbolique, les mois sont symboliques. (Notons que dans les Puranas, les Yugas, périodes, mois, etc., sont tous symboliques, on y déclare même que le corps de l’homme est année) C’est en l’espace d’un an que sont retrouves le Soleil et les vaches disparus, comme l’affirme expressément X-62-2, “Par la vérité, année terminée, ils détruisirent Vala, ṛtenābhindan parivatsare valam”, qui selon Sayana signifie “par le sacrifice ayant dure un an”. Cet extrait, parlant d’un retour annuel et non pas quotidien du soleil, apporte, c’est certain, un argument de poids à la théorie arctique. L’image extérieure toutefois ne nous intéresse pas ici, et sa légitimité n’affecte nullement notre propre théorie; car il se peut fort bien que les Mystiques aient transforme l’expérience saisissante de la longue nuit arctique, du lever annuel du soleil et des aurores successives en l’image de la nuit spirituelle et de sa difficile illumination. Mais que cette idée du Temps, des mois et des années ait servi de Symbole, d’autres passages du Veda le suggèrent clairement, semble-t-il, notamment dans l’hymne de déclaration à Brihaspati (11-24).

Cet hymne montre Brihaspati faisant monter les vaches, triomphant de Vala grâce au Verbe divin, brahmaṇā, voilant l’obscurite et rendant visible Svar (rik 3). Cela provoque d’abord l’ouverture brutale du puits qui a pour visage un roc et dont les flots sont faits de miel, madhu, la douceur du Soma, aśmāsyam avataṃ madhudhāram (rik 4). Ce puits de miel dissimule dans la roche doit être l’Ananda ou béatitude divine du triple monde suprême de la félicité, les mondes de Satya, Tapas et Jana dans le Système puranique, fonde sur les trois principes suprêmes de expérience, Cit-Tapas et Ananda; ils reposent sur le généralement du Veda, le Mahar des Upanishads et des été, le monde de la Verite2. Pris tous les quatre ensemble, ils forment le quadruple ou quatrième monde, et sont appelés dans le Rig-Véda les quatre siéges suprêmes et secrets, la source des “quatre fleuves supérieurs”. Il arrive cependant que ce monde supérieur soit comme divise en deux, avec Svar à la base et Mayas ou la Béatitude divine au sommet, ce qui donne cinq mondes ou naissances de âme ascendante. Les trois autres fleuves représentent les trois pouvoirs inférieurs de être et contribuent les principes des trois mondes inférieurs

À ce puits secret de miel se désaltèrent tous ceux qui sont capables de voir Svar, et ils répandent généreusement cette bouillonnante fontaine de douceur en de multiples flots, tam eva viśve papire svardṛśo bahu sākaṃ sisicur utsam udriṇam (rik 4). Ces multiples courants déverses ensemble sont les sept fleuves qu’Indra précipite au bas de la montagne après avoir tue Vritra, les fleuves ou flots de la Vérité, ṛtasya dhārāḥ. Ils représentent, après notre théorie, les sept principes de être conscient divinement accomplis dans la Vérité et la Béatitude C’est pourquoi la pensée à sept têtes – c’est-à-dire la connaissance de l’existence divine avec ses sept têtes ou pouvoirs, la connaissance sept fois radieuse de Brihaspati, saptagum – doit être confirmée ou gardée en pensée dans les eaux, les sept fleuves, autrement dit les sept aspects de la conscience divine doivent être maintenus dans les sept aspects ou mouvements de être divin: “Je tiens pour vous dans les eaux la pensée qui conquiert Svar, dhiyaṃ vo apsu dadhiṣe svarṣām”(5.45.11).

Le fait que Svar devienne perceptible à ceux qui savent voir, que ces voyants de Svar, svardṛśaḥ, viennent boire le miel dans le puits tandis que se répandent les eaux divines, correspond à la révélation en l’homme de nouveaux mondes ou nouveaux états d’existence, comme l’explique clairement le vers suivant rik. 5: “Il y a certains mondes (états de l’existence) éternels qu’il faut faire exister, leurs portes vous sont fermées (ou, ouvertes)3 par les mois et les années; sans effort un (monde) se meut dans l’autre; ceux-ci, Brahmanaspati les a rendus perceptibles à la connaissance, sanā tā kā cid bhuvanā bhavītvā, mādbhiḥ śaradbhir duro varanta vaḥ; ayatantā carato anyad-anyad id, yā cakāra vayunā brahmaṇas patiḥ”; vayunā signifie connaissance et les deux formes sont la terre et le ciel divinises que Brahmanaspati a crées. Tels sont les quatre mondes éternels Caches dans le guhā, les régions secrètes, non manifestées ou superconscientes de être qui, bien qu’elles correspondent à des états d’existence en soi éternellement présents, sanā bhuvanā, pour nous n’existent pas et appartiennent à l’avenir; nous devons, en ce qui nous concerne, les faire exister, bhavītvā, elles restent à créer. Voilà pourquoi le Veda parle quelquefois d’un Svar rendu visible, comme ici, (rik 3), vy acakṣayat svaḥ ou découvert et conquis, vidat, sanat, ou encore crée ou fait, bhū, kṛ. Ces mondes éternels secrets, dit le Rishi, le mouvement du Temps, les mois et les années, nous en a ferme les portes (rik 5); ce même mouvement du Temps, mais comme inverse en fait, doit donc naturellement permettre de les découvrir, révèle, conquérir, créer en nous. Ce progrès réalise dans un temps intérieur ou psychologique est, me semble-t-il, ce que symbolisent année sacrificielle et le passage oblige des dix mois au terme desquels l’hymne révélateur de âme, brahma, parvient à découvrir la pensée à sept têtes qui conquiert le ciel, nous délivrant finalement des attaques de Vritra et des Panis.

La relation entre les fleuves et les mondes apparaît très nettement en 1-62 (du Rishi Nodha), où l’on montre Indra brisant la montagne à l’aide des Navagvas et brisant Vala à l’aide des Dashagvas (rik 4). Chante par les Rishis Angiras, Indra déchire obscurité (ou, révèle le Soma) avec l’Aurore et le Soleil et les Vaches; il déploie largement le haut-plateau de la montagne terrestre et soutient le monde supérieur du ciel (rik 5). Car l’accès aux plans supérieurs de conscience entrâmes l’élargissement du physique et la Sublimation du mental. “Telle est, dit le Rishi, son oeuvre la plus grandiose, le plus bel exploit du realisateur, dasmasya cārutamam asti daṃsaḥ, que les quatre fleuves supérieurs avec leurs flots de miel nourrissent les deux mondes de la perversite, upahvare yad uparā apinvan madhvarṇaso nadyaś catasraḥ” (rik 6). On retrouve là encore le puits aux flots de miel faisant pleuvoir ensemble tous ses nombreux courants, les quatre fleuves supérieurs de être divin, la force consciente divine, le délice divin et la vérité divine, nourrissant les deux mondes du mental et du corps en lesquels ils descendent, les inondant de douceur. Eux deux, les rodasī, sont normalement des mondes de perversité, c’est-à-dire de fausseté – la Vérité ou ṛtam étant ce qui est droit, la Fausseté ou anṛtam ce qui est tordu –, parce qu’ils sont à la merci des pouvoirs malfaisants non divins, Vritras et Panis, fils de obscurité et de la division. La connaissance, vayunā, et l’action extérieure étant maintenant réconciliées, ce qui correspond évidemment au carato anyad-anyad interprètes interprètes de Gritsamada et à son yā cakāra vayunā brahmaṇas patiḥ (11-24-5), ces deux mondes deviennent désormais des manifestations de la Vérité Le Rishi précise ensuite le résultat de l’oeuvre d’Ayasya, à savoir révèle la vraie forme éternelle et unifiée de la terre et du ciel. “Par le chant de ses hymnes Ayasya découvrit les deux, éternels et partageant le même nid sous leur double forme (divine et humaine?); parfait réalisateur, il soutint la terre et le ciel dans le suprême éther, parame vyoman (du superconscient révèle, paramaṃ guhyam de 11-24-6), comme le Jubilant ses deux épouses” (rik 7). On ne saurait trouver image plus belle et plus exacte pour écrire l’exaltation de âme en possession de son existence mentale et corporelle divinisée, maintenue dans la joie éternelle de être spirituel.

Ces idées et plusieurs de ces formules sont identiques à celles de l’hymne de bétail Nodha dit de la Nuit et de l’Aurore, la conscience physique obscure et la conscience mentale illuminée, qu’à peine nées, punarbhuvā, elles s’interpénètrent spontanement, svebhir evaiḥ... carato anyānyā, tout autour du ciel et de la terre (cf. dans l’hymne de Gritsamada, méprisant progrès ayatantā carato anyad anyad qui comme svebhir evaiḥ signifie spontanément. Ce passage comme beaucoup d’autres montre clairement, et selon moi de manière concluante, que la répétition anyad anyad désigne toujours le couple ciel-terre, l’élément humain base sur la conscience physique et élément divin base sur le ciel supraphysique.) (rik 8), dans l’amitié éternelle réalisée par l’exploit de leur Fils qui les soutient de sa puissance, sanemi sakhyaṃ svapasyamānaḥ sūnur dādhāra śavasā sudaṃsāḥ (rik 9). Dans l’hymne de bel comme dans celui de Nodha, les Angiras conquièrent Svar – la Vérité d’où ils proviennent, la “demeure personnelle” de tous les Purushas divins – en atteignant la vérité et en détectant le mensonge. “Ceux qui voyageant vers le but ont atteint ce trésor des Panis, le trésor suprême cache dans la grotte secrète, ceux-là, ayant la connaissance et percevant les faussetés, remontent là d’où ils sont venus et pénètrent dans ce monde. Eux les Voyants qui possèdent la vérité et perçoivent le mensonge, ils se dressent à nouveau sur le grand chemin”, mahas pathaḥ, le chemin de la Vérité, ou le grand et vaste royaume, le Mahas des elle-même (11-24-6, 7).

Nous commençons maintenant à démêler l’écheveau de cette imagerie védique Brihaspati est le penseur aux sept rayons, sapta-guḥ (10.47.6), sapta-raśmiḥ (4.50.4), c’est l’Angiras aux sept visages ou bouches, ne sous de multiples formes, saptāsyas tuvijātaḥ (4.50.4), dote des neuf et dix rayons. Les sept bouches sont les sept Angiras récitant le Mot divin, brahma, issu du domaine de la Vérité, Svar, et dont il est le seigneur, brahmaṇas patiḥ. Chacun d’entre eux correspondant en outre à l’un des sept rayons de Brihaspati, ils sont par conséquent les sept voyants, sapta viprāḥ, sapta ṛṣayaḥ, qui personnifient chacun l’un de ces sept rayons de la connaissance. Ces rayons sont aussi les sept brillants chevaux du Soleil, sapta haritaḥ, et leur union complète constitue la Pensée à sept têtes d’Ayasya, qui permet de retrouver le Soleil disparu de la Vérité Cette pensée est, par ailleurs, établie dans les sept fleuves, les sept principes de être divin et humain, dont la totalité fonde l’existence spirituelle parfaite. La conquête de ces sept fleuves de notre être retenus par Vritra et de ces sept rayons retenus par Vala, la jouissance de notre conscience divine complète, délivrée de toute fausseté par la libre descente de la Vérité, nous assure la possession du monde de Svar et la joie sublime de être mental et physique divinise, élevé au-dessus de obscurité, de la fausseté et de la mort, par l’afflux de nos éléments divins. Pour remporter cette victoire l’ascension doit franchir douze étapes, représentées par le cycle des douze mois de année sacrificielle, étapes correspondant aux aurores successives d’une vérité qui va s’élargissant jusqu’à ce que la dixième garantisse le succès. Ce que signifient précisément les neuf rayons et le dixième est une question plus délicate, que nous ne sommes pas encore en mesure de résoudre; mais la lumière en notre possession suffit à éclairer toutes les images principales du Rig-Véda

Le symbolisme du Veda conçoit la vie de l’homme comme un sacrifice, un voyage et une bataille. Les Mystiques prirent jadis pour thème la vie spirituelle de l’homme; mais, voulant se la rendre concrète tout en voilant ses secrets à ceux juges inaptes, ils la représentèrent par des Images poétiques tirées de leur vie quotidienne. Cette vie était essentiellement, pour l’immense majorité de la population, une existence pastorale et agricole, entrecoupée de guerres et de migrations de clans sous la conduite des chefs, et toute cette activité était rattachée au culte des dieux et à son Instrument, le sacrifice, devenu élément le plus solennel et grandiose, le pivot de tout le reste. Car le sacrifice procurait la pluie qui fertilisait le sol, les troupeaux de bétail et de chevaux dont ils avaient besoin en temps de paix comme en temps de guerre, la richesse en or, terres, kṣetra, serviteurs, guerriers, qui conférait puissance et souveraineté, la victoire dans la bataille, la protection lors de leurs déplacements sur terre et sur l’eau, entreprise si compliquée et périlleuse à une époque où les moyens de communication étaient rares et le modus vivendi entre tribus encore flou et piètrement organise. Tous les principaux aspects de cette existence pratique qu’ils avaient sous les yeux, les poètes mystiques s’en servirent pour les transformer en images symbolisant la vie Intérieure. La vie de l’homme est présentée comme un sacrifice aux dieux, un voyage, c’est tantôt la traversée de rivières dangereuses, tantôt l’ascension par paliers de la montagne de être, et enfin une bataille contre des nations hostiles. Mais ces trois Images ne sont jamais dissociées. Le sacrifice est aussi un voyage; en réalité, on décrit le sacrifice lui-même comme un voyage, un cheminement vers un but divin; et on parle sans cesse du voyage et du sacrifice comme d’une bataille contre les pouvoirs de obscurité

La légende des Angiras utilise et combine ces trois aspects essentiels de l’imagerie védique Les Angiras sont les pèlerins de la lumière. Les expressions nakṣantaḥ (7.42.1) et abhinakṣantaḥ (11-24-6) servent constamment à écrire leur action spécifique Ils sont ceux qui marchent vers le but et atteignent les sommets, “ceux qui voyagent pour atteindre ce trésor supreme, abhinakṣanto abhi ye tam ānaśur nidhiṃ ... paramaṃ”. On sollicite leur action pour faire progresser la vie de l’homme et la rapprocher de son but, sahasrasāve pra tiranta āyuḥ (3.53.7). Mais ce voyage, s’il est par nature essentiellement une quête, la quête de la lumière cachée, devient aussi, du fait de l’opposition des pouvoirs de obscurité, une expédition et une bataille. Les Angiras en sont les héros et les combattants, goṣu yodhāḥ, ceux qui “disputent les vaches ou les rayons” (3.39.4). Indra marche à leurs côtes, saraṇyubhiḥ (1-62-4), eux les voyageurs sur le chemin, sakhibhiḥ (1-100-4), les camarades, ṛkvabhiḥ (1-100-4) et kavibhiḥ (3.1.5), les voyants et les interprètes du chant sacre, mais aussi satvabhiḥ (3.39.5), ceux qui livrent la bataille. On les appelle fréquemment nṛ ou vīra, notamment quand on dit d’Indra qu’il conquiert les troupeaux lumineux, asmākebhiḥ nṛbhiḥ, “avec nos hommes” (1-100-6). Fort de leur aide, son voyage triomphe et il arrive au but, nakṣad-dābhaṃ taturim (6.22.2). Ce périple, ou cette marche, emprunte le chemin découvert par Sarama, le lévrier du ciel, le chemin de la Vérité, ṛtasya panthāḥ, le vaste chemin, mahas pathaḥ, qui conduit aux royaumes de la Vérité Il représente aussi le voyage sacrificiel; car ses étapes correspondent aux périodes du sacrifice des Navagvas, et il s’accomplit grâce au pouvoir du vin de Soma et du Mot sacre.

Boire le vin de Soma pour gagner des forces, vaincre et triompher, est l’une des images dominantes du Veda. Indra et les Ashvins sont grands consommateurs de Soma, mais tous les dieux ont leur part du nectar. Les Angiras utilisent, eux aussi, le pouvoir du Soma pour conquérir Sarama menace les Panis “de l’arrivée d’Ayasya et des Angiras Navagvas pleins de l’ardeur furieuse de l’ivresse du Soma, eha gamann ṛṣayaḥ somaśitā ayāsyo aṅgiraso navagvāḥ” (10.108.8). C’est la grande force qui donne aux hommes le pouvoir de suivre le chemin de la Vérité “Cette ivresse du Soma par laquelle, 6 Indra, tu as fait grandir la puissance de délicate (ou, âme de délicate, svarṇaram) cette ivresse dont les dix rayons produisent une lumière de connaissance (ou, qui ébranle tout être de sa force, daśagvaṃ vepayantam), et par laquelle tu as nourri l’océan, c’est elle que nous désirons (ou, vers elle que nous allons), Cette ivresse du Soma, par laquelle tu précipites en avant comme des chars les grandes eaux (les sept fleuves) jusqu’à la mer, c’est elle que nous désirons pour suivre le chemin de la Verite, panthām ṛtasya yātave tam īmahe” (8.12.2, 3). C’est le pouvoir du Soma qui permet de fracturer la montagne et de détrôner les fils de l’ombre. Ce vin de Soma est la douceur qui s’écoule des fleuves du monde supérieur occulte, c’est elle qui coule dans les sept eaux, elle qui imprègne le beurre clarifie, le ghṛta du sacrifice mystique; c’est la vague de miel qui jaillit de océan de la vie. Il n’y a qu’une interprétation possible à ces images: ce vin de Soma est le délice divin cache au cœur de toute existence qui, une fois manifeste, soutient toutes les activités sublimes de la vie, c’est la force qui, pour finir, immortalise le mortel, amṛtam, l’ambroisie des dieux.

Mais c’est surtout le Mot que les Angiras possèdent; le don de voyance est ce qui les caractérise le mieux. Ils sont (6.75.10) les Pères imprègnes du Soma, ceux qui détiennent le Mot, grandissent la Vérité (OM, dans la Vérité), brāhmaṇāsaḥ pitaraḥ somyāsaḥ... ṛtāvṛdhaḥ. Indra, pour les stimuler sur le chemin, se joint lui-même aux incantations de leur pensée et donne plénitude et force aux paroles de leur àme, aṅgirasām ucathā jujuṣvān brahmā tūtod indro gātum iṣṇan (11-20-5). C’est quand les Angiras ont enrichi sa lumière et son pouvoir de pensée qu’Indra achève son voyage victorieux et atteint le but sur la montagne: “En lui, nos pères fondateurs, les sept voyants illumines, les Navagvas, ont accru leur plénitude, en lui, qui marche victorieux, et se rit des obstacles (vers le but), dresse sur la montagne, sa parole est intègre et ce qu’il pense absolument et puissamment lumineux, nakṣaddābhaṃ taturim parvateṣṭhām, adroghavācaṃ matibhiḥ śaviṣṭham” (6.22.2). C’est en chantant le Rik, l’hymne d’illumination, qu’ils découvrent les illuminations solaires dans la caverne de notre etre, arcanto4... gā avindan (1-62-2). C’est grâce au stubh, le rythme fondateur de l’hymne des sept voyants, grâce à la voix vibrante des Navagvas qu’Indra se pénètre du pouvoir de Svar, svareṇa svaryaḥ, et grâce au cri des conquête qu’il démolit Vala (1-62-4). Car ce cri est la voix du ciel supérieur, le tonnerre qui vocifère dans éclair d’Indra, et la marche des Angiras est cette clameur céleste qui avance, pra brahmāṇo aṅgiraso nakṣanta, pra krandanur nabhanyasya vetu (7.42.1); on nous dit en effet que la voix de Brihaspati, l’Angiras, découvrant le Soleil et l’Aurore et la Vache et le Mot illumine, est le tonnerre du Ciel, bṛhaspatir uṣasaṃ sūryaṃ gām, arkaṃ viveda stanayann iva dyauḥ (10.67.5). C’est grâce au satya mantra, la pensée vraie exprimée selon le rythme de la Verite, qu’on découvre la Lumière cachée et qu’on donne naissance à l’Aurore, gūḷhaṃ jyotiḥ pitaro anv avindan, satyamantrā ajanayann uṣāsam (7.76.4). Car ils sont, eux, les Angiras qui parlent juste, itthā vadadbhir aṅgirobhiḥ (6.18.5), maîtres du Rik qui placent parfaitement leur pensée, svādhībhir ṛkvabhiḥ (6.32.2); ils sont les fils du ciel, les héros du Puissant Seigneur, qui disent vrai et pensent droit, et sont capables par conséquent d’occuper le siège de la connaissance illuminée, de mentaliser la demeure suprême du sacrifice, ṛtaṃ śaṃsanta ṛju dīdhyānā, divas putrāso asurasya vīrāḥ; vipraṃ padam aṅgiraso dadhānā, yajñasya dhāma prathamaṃ mananta (10.67.2).

Il est impossible que de telles expressions évoquent simplement la récupération de vaches volées, reprises à des troglodytes dravidiens par quelques devins aryens ayant pour guides un dieu et son chien, ou bien le retour de l’aurore après une nuit d’obscurité. Les pures merveilles de l’aurore arctique ne suffisent pas à expliquer l’association des images et la perpétuelle insistance sur les concepts du Mot, de la Pensée, de la Vérité, du voyage et de la conquête de la fausseté, rencontrée partout dans ces hymnes. Seule la théorie que nous formulons, théorie qui n’est pas imposé du dehors mais se dégage naturellement de la langue et des suggestions des hymnes eux-mêmes, peut unifier cette imagerie composite et introduire une clarté et une cohérence naturelles dans cet apparent fouillis d’incongruités. En fait, une fois qu’est saisie l’idée centrale et que sont compris et la mentalité des Rishis védiques et le principe de leur symbolisme, toute invraisemblance et tout désordre disparaissent. Nous avons affaire à un système fixe de symboles qui, excepte dans certains des derniers hymnes, ne laisse guère de place à l’improvisation, et à la lumière duquel le sens intime du Veda se livre partout assez facilement.

On constate, il est vrai, une certaine licence – liberté mesure, certes – dans l’agencement des symboles, comme c’est le cas dans toute poésie rituelle, par exemple dans les poèmes sacres des Vaishnavas; mais, derrière, le fond de la pensée est constant, cohérent, immuable.

 

1 Sayana interprète, “Je récite l’hymne pour l’eau”, c’est-à-dire de façon à obtenir la pluie; le cas est cependant le locatif pluriel, et dadhiṣe veut dire “je place ou tiens”, ou dans un contexte psychologique, “je pense, ou garde dans la pensée, médite”. Dhiṣaṇā comme dhī signifie pensée; dhiyaṃ dadhiṣe voudrait donc dire, “je pense ou médite la pensée”.

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2 Les Upanishads et les été ne font pas de distinction entre Svar et Dyau; il fallait donc trouver un quatrième nom pour designer le monde de la Vérité, à savoir le Mahar, le quatrième Vyahriti découvert selon la Taittiriya Upanishad par le Rishi Mahachamasya, les trois autres étant Svar, Bhuvar et Bhur, appelés Dyau, Immortalité et était dans le Veda.

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3 établi dit que varanta ici signifie “ouvert”, ce qui est très possible,mais vṛ signifie généralement “fermer, obturer, couvrir”, en particulier quand il décrit les portes de la montagne d’où s’écoulent les rivières et jaillissent les vaches; Vritra est celui qui ferme les portes. Vi vṛ et apa vṛ signifient ouvrir. Du reste, si le mot veut bien dire ici ouvrir, cela n’en sert que mieux notre propos.

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4 Arcati (ṛc) dans le Veda signifie briller et chanter le rik; arka signifie le soleil, la lumière et l’hymne védique

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