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Mère

Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo

Traduction et commentaires. Tape recordings (1958)

 

7 — Ce que les hommes appellent connaissance, c’est l’acceptation raisonnée d’apparences fausses. La Sagesse regarde derrière le voile et voit. La raison fixe les détails et les met en contraste. La raison divise, la Sagesse marie les contrastes en une seule harmonie.

Toutes les choses que Sri Aurobindo écrit sur la connaissance, la raison, la sagesse sont dites pour nous faire sortir de l’ornière de la façon de penser ordinaire et, si possible, nous faire apercevoir la réalité derrière les apparences.

D’une façon générale, à part quelques très rares exceptions, les hommes sont satisfaits d’observer plus ou moins correctement tout ce qui se passe autour d’eux et parfois en eux-mêmes, et de classer toutes ces observations selon un système ou un autre d’une logique superficielle, et c’est cette organisation, ces systèmes, qu’ils appellent «connaissance». Ils n’ont même pas eu l’idée, même pas un commencement de perception que toutes les choses qu’ils voient, qu’ils touchent, qu’ils sentent, qu’ils éprouvent, sont des apparences fausses et non la réalité elle-même.

C’est un argument général, constant: «Mais je le vois, mais je le touche, mais je le sens, par conséquent c’est vrai.»

Ils devraient au contraire se dire: «Je le vois, je le touche, je le sens, par conséquent c’est faux.» Nous sommes aux deux bouts opposés et il n’y a pas moyen de s’entendre.

Pour Sri Aurobindo, la vraie connaissance c’est justement la connaissance par identité, et la sagesse c’est l’état que l’on acquiert quand on est dans cette vraie connaissance; il le dit ici: la Sagesse regarde derrière le voile des apparences fausses et elle voit la réalité qui est derrière. Et Sri Aurobindo souligne qu’avec cette connaissance superficielle extérieure, quand on définit une chose, c’est toujours par opposition à une autre; c’est toujours en établissant un contraste qu’on explique les choses que l’on voit, que l’on sent, que l’on touche — et que l’on ne comprend pas.

La raison oppose toujours les choses entre elles et vous fait faire un choix. Les gens qui ont une pensée et une raison claires voient toutes les différences qu’il y a entre les choses. Il est assez remarquable que la raison ne fonctionne que par les différences; c’est parce qu’on aperçoit la différence entre ceci et cela, entre cet acte et cet autre, entre cet objet et cet autre, qu’on prend des décisions et que la raison fonctionne.

Mais justement, la connaissance vraie, la connaissance par identité et la sagesse qui en résulte, voient toujours le point où toutes ces choses qui semblent contradictoires s’harmonisent, se complètent, forment un tout parfaitement cohérent, coordonné. Et naturellement cela change totalement le point de vue, la perception, et les conséquences dans l’action.

Le premier pas tout à fait indispensable, ce n’est pas de se répéter plus ou moins mécaniquement et sans bien savoir ce que l’on dit, que les «apparences sont fausses»; on le dit parce que Sri Aurobindo nous le dit, mais au fond on ne le comprend pas, et malgré tout, quand on veut savoir quelque chose, on continue à regarder, à observer et à toucher et à goûter et à sentir, parce qu’on croit ne pas avoir d’autres moyens d’observation. Ce n’est que lorsqu’on a eu l’expérience du renversement de la conscience, quand on est passé parderrière ces choses et qu’on sent, qu’on éprouve d’une façon tout à fait concrète l’illusion de ces apparences, qu’alors on arrive à comprendre. Mais à moins d’avoir eu l’expérience, on peut lire tous les aphorismes, les répéter et les apprendre, avoir confiance, on n’a pas la perception, ce n’est pas une réalité pour vous. Elles demeurent, toutes ces apparences, l’unique moyen d’entrer en contact avec le monde extérieur et de se rendre compte de ce qu’il est. Et parfois on passe toute une vie à apprendre comment les choses sont dans leur apparence, et on passe pour très cultivé, très intelligent, plein de savoir quand on a observé tout cela en détail et qu’on se souvient de tout ce que l’on a observé ou de tout ce que l’on a appris.

On peut, à la rigueur, quand on a beaucoup travaillé, avoir une petite action sur ces apparences, les changer un petit peu — c’est ainsi que la science vous apprend à manier la Matière —, mais ce n’est pas un vrai changement et ce n’est pas un vrai pouvoir. Et quand on est dans cet état-là, on est tout à fait convaincu que l’on ne peut rien faire non plus pour changer son caractère; on se sent pris dans une sorte de fatalité qui pèse, on ne sait d’où ni comment: on est né comme ça, né dans cet endroit-là ou dans ce milieu-là, avec ce caractère-là, et on va aussi bien que l’on peut à travers la vie en s’accommodant des choses sans avoir beaucoup d’influence sur elles, et en tâchant d’atténuer les inconvénients de son propre caractère sans avoir le pouvoir de le transformer. On se sent pris dans un filet, on est l’esclave de quelque chose que l’on ignore, le jouet des circonstances, de forces que l’on ne connaît pas et d’une volonté à laquelle on ne se soumet pas mais qui vous contraint. Même les plus révoltés sont des esclaves, parce que la seule chose qui libère, c’est justement de passer derrière le voile et de voir ce qui est au-delà. Après avoir vu, on peut s’identifier, et après s’être identifié on a la clef de la véritable transformation.

Nous lisons, nous essayons de comprendre, nous expliquons, nous essayons de savoir, mais une seule minute d’expérience vraie nous en apprend plus que des millions de mots et des centaines d’explications.

Alors, la première question, c’est: «Comment avoir l’expérience?»

Rentrer au-dedans de soi, c’est le premier pas.

Et une fois que l’on a réussi à entrer assez profondément pour sentir la réalité de ce qui est au-dedans, s’élargir progressivement, systématiquement, pour devenir aussi vaste que l’univers et perdre le sens des limites.

Ce sont les deux premiers mouvements préparatoires.

Et ces deux choses doivent se faire dans un calme, une paix, une tranquillité aussi totales que possible. Cette paix, cette tranquillité dans le mental produit le silence, et dans le vital, l’immobilité.

Il faut renouveler cet effort, cette tentative très régulièrement, d’une façon persistante, et au bout d’un certain temps, plus ou moins long, on commence à percevoir une réalité différente de celle que l’on perçoit dans la conscience extérieure ordinaire.

Naturellement, par l’effet de la Grâce, soudainement, il peut se produire une déchirure intérieure du voile, et on peut entrer tout d’un coup dans la vérité vraie; mais même quand cela arrive, pour en avoir toute la valeur et tout l’effet, il faut se garder dans un état de réceptivité intérieure et, pour cela, l’intériorisation quotidienne est indispensable.

24 octobre 1958