Mère
l'Agenda
Volume 1
(Le disciple est donc revenu à l’Ashram, mais comme il a été très vite repris de la manie des voyages, cet Agenda de l’année 1959, hélas, est parsemé de grands trous et presque inexistant. La conversation suivante a eu lieu à propos d’un commentaire de Mère sur le Dhammapada: «Le Mal».)
J’ai connu une nuit – une nuit de bataille – où est entrée dans la chambre, pour une raison quelconque, une multitude de formations du vital, de tous genres: des êtres, des choses, des embryons d’êtres, des résidus d’êtres – toutes sortes de choses... Et c’était un assaut épouvantable, absolument dégoûtant.
Je me suis aperçue, dans ce grouillement, de volontés un peu plus conscientes – des volontés du vital – et j’ai vu comment elles essaient d’éveiller une réaction dans la conscience des êtres humains pour les faire penser ou vouloir, ou si possible faire des choses.
Ainsi j’en ai vu une qui essayait d’exciter une colère chez quelqu’un pour qu’il envoie un coup: un coup spirituel. Et cette formation avait dans la main un poignard (un poignard vital, n’est-ce pas, c’était un être vital: gris et limaceux, horrible), il avait un poignard très aigu et alors il faisait la démonstration, il disait: «Quand on a fait une chose comme cela (prétendant que quelqu’un avait fait quelque chose d’inadmissible), il mérite qu’on fasse ça...» et l’image était complète: l’être se précipitait, vitalement, avec son poignard.
Moi qui sais les conséquences de ces choses-là, je l’ai arrêté juste à temps, je lui ai donné un coup. Puis j’en ai eu assez de cette histoire et cela a été fini, j’ai fait le nettoyage. J’ai fait un nettoyage presque physique parce que j’avais mes mains serrées ensemble (j’étais en demi-transe) et je les ai écartées d’un mouvement brusque, à gauche et à droite, avec puissance, comme pour balayer quelque chose, et frrt!... immédiatement tout est parti.
Mais s’il n’y avait pas eu cela, je regardais... pas positivement avec curiosité, mais pour apprendre – pour apprendre dans quelle atmosphère les gens vivent! Et c’est toujours comme cela! ils sont toujours harcelés par des quantités de petites formations tout à fait grouillantes et dégoûtantes, qui chacune fait sa suggestion... malfaisante.
Ces mouvements de colère, par exemple, quand quelqu’un est emporté par sa passion et qu’il fait des choses que, dans son état normal, il ne ferait jamais: ce n’est pas lui qui le fait, ce sont ces petites formations qui sont là, grouillantes, dans l’atmosphère, qui n’attendent qu’une occasion... pour se précipiter.
Quand on les voit, oh! c’est... c’est suffocant. Quand on est en rapport avec ça... Vraiment, on se demande comment on peut respirer dans une atmosphère pareille. Et c’est pourtant l’atmosphère dans laquelle les gens vivent toujours! Ils vivent là. Ils ne vivent pas là que s’ils montent au-dessus. Ou alors il y a ceux qui sont tout à fait au-dessous; mais là ils sont les jouets de ces choses, et leurs réactions sont quelquefois non seulement inattendues mais absolument épouvantables, parce qu’ils sont les jouets de ces choses.
Ceux qui montent au-dessus, qui entrent dans une région un peu intellectuelle, ils voient cela d’en haut: ils peuvent dominer, ils peuvent avoir la tête en dehors et respirer; mais ceux qui vivent dans ce domaine-là...
C’est le domaine que Sri Aurobindo appelle la «région intermédiaire», une région où, dit-il, on peut avoir toutes les expériences que l’on veut, si l’on entre là-dedans. Mais ce n’est pas (riant), ce n’est pas très recommandable! – Je comprends! J’ai eu cette expérience parce que je venais de lire ce que Sri Aurobindo dit à ce sujet dans ce dernier livre Sur le Yoga, dans une lettre; j’ai voulu voir ce que c’était. Ah! j’ai compris!
Et c’est cela que je traduis à ma façon quand je dis1 que les pensées «vont, viennent, entrent, sortent». Mais les pensées concernant les choses matérielles sont des formations de ce monde-là, ce sont des espèces de volontés, des volontés qui viennent du vital et qui essaient de s’exprimer, et qui sont véritablement meurtrières, très souvent. Si on est mécontent, si, par exemple, quelqu’un vous a dit quelque chose qui vous déplaît, on a une réaction... et c’est toujours la même chose: des petites entités sont là qui attendent, et puis quand elles croient que le moment est venu, elles commencent leur influence et leurs suggestions; et c’est ce qui se traduit vitalement par l’être avec son poignard qui va se précipiter pour poignarder, et dans le dos encore! même pas en face. Cela se traduit dans la conscience humaine par un mouvement de colère, de fureur, d’indignation: «C’est une chose qui ne devrait pas être! On ne devrait pas!...» et l’autre dit: «Oui! nous allons y mettre fin!»
C’est très intéressant à voir, une fois, mais ce n’est pas agréable.
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1 Dans ce Commentaire sur le Dhammapada.