SITE DE SRI AUROBINDO ET LA MÈRE
      
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Mère

l'Agenda

Vol. 1

31 janvier 1961

(A propos de l’expérience relatée le 24 janvier, de la Force supra-mentale qui réorganisait l’action de chaque centre de conscience. L’expérience s’était terminée par une transe profonde: «j’ai coulé dans la transe...»)

J’avais oublié de dire quelque chose de très important.

Au moment où je suis revenue de la transe, j’ai eu une perception très concrète, positive (pas une compréhension mentale: ça ne venait pas de cette partie intellectuelle de l’être qui comprend tout et explique tout, et qui, je crois, est symbolisée par Indra – pas cette intelligence supérieure; ça ne passait pas par cela du tout, ce n’était pas mental). Il y avait une sorte de perception (ce n’était pas vraiment une sensation: c’était plus qu’une sensation), une sorte de perception du manque presque total d’importance de l’expression matérielle, extérieure, qui traduit l’état du corps: que les signes extérieurs, physiques, soient comme ceci ou comme cela, de cette façon-ci ou de cette façon-là, c’était absolument indifférent à cette conscience du corps (c’était la conscience du corps qui avait eu l’expérience de l’identité). Cette conscience du corps avait la perception de l’extrême relativité de l’expression la plus matérielle.

Je traduis pour me faire comprendre (mais ce n’était pas comme cela au moment de l’expérience): admets, par exemple, qu’il y ait un désordre dans le corps ici ou là (pas positivement une maladie parce que la maladie implique quelque chose d’intérieur qui est important: une attaque, la nécessité d’une transformation, beaucoup de choses différentes), mais l’expression extérieure d’un désordre; par exemple, des jambes enflées ou un foie qui fait mal (pas une maladie: un désordre, un désordre dans le fonctionnement). Eh bien, tout cela était absolument sans importance: ça ne change en rien la conscience vraie du corps. Tandis que nous avons l’habitude de penser que le corps est très troublé quand il est malade, quand quelque chose ne va pas – ce n’est pas cela. Il n’est pas troublé comme nous le comprenons.

Mais alors, qu’est-ce qui est troublé, si ce n’est pas le corps?

Oh! c’est le mental physique, c’est cet imbécile de mental! C’est lui qui fait tout, tous les embarras, toujours.

Ce n’est pas le corps du tout?

Mais non! le corps est très endurant.

Mais qu’est-ce qui souffre, alors?

C’est aussi à travers ce mental physique, parce que si on calme cet individu, on ne souffre plus! C’est justement ce qui m’est arrivé.

N’est-ce pas, ce mental physique se sert de la substance nerveuse; si on retire ça de la substance nerveuse, on ne sent plus. C’est ça qui donne la perception de la sensation... On sait qu’il y a quelque chose qui ne va pas, mais on ne souffre plus.1

Ça, c’était très important, c’était une expérience très importante. Et je me suis aperçue après, petit à petit (surtout à partir d’hier après-midi et ce matin) que cette espèce de détachement indifférent est la condition essentielle pour que l’Harmonie vraie puisse s’établir dans la Matière la plus matérielle – la Matière la plus extérieure, la plus matérielle (Mère pince la peau de ses mains).

Cette expérience a été comme une étape – une étape indispensable pour cette espèce de complet détachement; une étape indispensable pour que l’harmonie de la conscience corporelle (n’est-ce pas, avec cette expérience divine qu’elle a eue) puisse avoir son effet sur la partie la plus extérieure, la plus superficielle du corps.

(silence)

C’est-à-dire que c’est la suite logique de cette recherche que je faisais depuis longtemps sur la cause des maladies et la façon de les surmonter.

Il faut noter cela, parce que c’est important. Ça me paraît d’autant plus important depuis deux jours: il y a eu toute une série d’expériences, et ce matin (ça avait commencé hier soir) je suis arrivée à une certaine conclusion et je me suis aperçue que le point de départ de cela, c’était cette expérience que j’ai eue à la sortie de la transe...

Le reste viendra plus tard.

C’est quand je suis sortie de la transe, à 3 heures du matin. Au moment même où je sortais, je suis sortie avec ça:2 ça a été le premier contact. J’avais oublié de te le dire parce que cela n’a pris d’importance que tout dernièrement.

*
*   *

(Peu après, à propos des photos que Mère avait d’abord refusé d’envoyer à X le 21, puis impérativement décidé d’envoyer le 25, avec une sorte de «certitude cubique»:)

X a répondu. Il a dit à peu près ceci, qu’Amrita a traduit: «J’ai reçu votre envoi (les photos de Saraswati Poudjâ), c’est une... (je ne sais pas s’il a dit illumination ou flamme) qui monte vers la Vérité, qui conduit vers la Vérité.» C’est l’impression que cela lui a fait. C’est-à-dire que ça conduisait vers quelque chose.

C’est bien. Il l’a reçu comme je l’ai envoyé.

Mais est-ce que cela faisait vraiment une différence d’envoyer ces photos le 21, comme Amrita voulait le faire, ou de les envoyer après?

Ah! oui! (comment dire?...) Le 21, il était encore possible que cet envoi crée une sorte de difficulté dans la conscience de X (difficulté semi-consciente) à cause de tous les obstacles, toutes les contradictions: n’est-ce pas, tout ce qui venait lutter-lutter – il est très sensible à ces choses. Je ne voulais pas le mettre en contact avec cela. Tandis que, après, c’était... ils avaient reçu leur tape sur la tête (Mère abat ses deux mains d’un seul coup) et ils se tenaient tranquilles. Alors j’ai dit: «Bon, vous pouvez envoyer.»

J’évite toujours de le mettre en contact avec le domaine des luttes et des contradictions parce qu’il est extrêmement sensible et ça lui donne des difficultés. C’est pour cela que j’avais dit: «Non, ce n’est pas la peine.» Et après c’était très bien!

(silence)

Maintenant j’ai commencé à lire ces hymnes...3 Oh! maintenant je comprends! Tout cela, c’était une préparation de Sri Aurobindo. Maintenant je comprends! («Comprendre», c’est-à-dire que cela aide à faire un progrès, c’est cela que j’appelle comprendre.) Je comprends la nature de certaines obstructions, de certaines difficultés. Je comprends ce qui permet à certaines forces de s’opposer – très bien.

Je n’en ai lu que deux. Quand je serai au bout... j’aurai probablement trouvé quelque chose.

*
*   *

(Après le travail, Mère se met à parler de sa traduction de la «Synthèse des Yoga»:)

J’ai eu une expérience à ce sujet, il y a quelques jours. J’étais restée longtemps sans pouvoir travailler parce que je n’étais pas bien, et puis mes yeux étaient très fatigués. Et il y a deux ou trois jours, je me suis remise à la traduction. Et puis tout d’un coup, je me suis aperçue que je voyais cela d’une façon tout à fait différente! Pendant ces quelques jours, quelque chose s’était passé (comment dire?)... la position de la traduction vis-à-vis du texte était différente. Alors j’ai repris la dernière phrase (je n’en avais pas plus avec moi parce que je classe tous mes papiers au fur et à mesure), j’avais repris cette dernière phrase avec la dernière phrase du texte anglais – oh! je me suis dit, mais voyons, c’est comme cela! Et j’ai tout corrigé. Tout naturellement. C’était vraiment comme si la position était différente.

Et après, quand j’ai lu, vraiment j’ai vu (ce n’est pas encore parfait, c’est seulement en train), j’ai vu que j’ai dépassé le stade où on essaye de trouver une correspondance avec ce qu’on lit, c’est-à-dire une expression qui soit appropriée et suffisamment proche du texte (c’était la condition dans laquelle j’étais avant). Maintenant, ce n’est plus cela! C’est comme si la traduction venait spontanément: ça anglais, c’est ça français. Très différent. Quelquefois très proche. Et alors c’était assez intéressant: tu sais que Sri Aurobindo aimait énormément la structure de la langue française (il disait que cette structure faisait un anglais bien meilleur, bien plus clair, bien plus puissant que la structure saxonne) et très spontanément, souvent, en écrivant en anglais, il utilisait cette structure française. Quand c’est comme cela, la traduction s’adapte tout naturellement: on a l’impression que c’est presque écrit en français. Mais quand c’est la structure saxonne, c’était une équivalence qui me venait; tandis que maintenant, c’est presque comme si quelque chose «pensait au-dessus» et disait: «Ça anglais, c’est ça français.»

C’était là, c’était clair. Mais ce n’est pas encore permanent. C’est seulement quelque chose qui commence. Alors j’espère que d’ici quelque temps ça va s’établir et il n’y aura plus de difficultés.

En attendant, cela m’intéresse de voir le fonctionnement dans ton mental... Je crois que d’ici quelque temps – peut-être pas très-très longtemps –, nous pourrons faire ensemble le travail d’une façon intéressante...

La difficulté, c’est le temps court. Le temps est trop court!4

Oh! c’est très-très ennuyeux, mon petit. A qui le dis-tu! Moi, toute ma vie je n’ai pas le temps. N’est-ce pas, quoi que je fasse, que je parle à quelqu’un, que j’organise quelque chose, que je fasse un travail, c’est toujours trop court. J’ai toujours l’impression: «Oh! être tranquille pour faire cela!» Quoi que ce soit, n’importe quoi devient intéressant si on peut le faire tranquillement avec l’attitude qu’il faut, la concentration qu’il faut. Mais on est tout le temps bousculé par la chose suivante qui vient.

Mais ça, c’est une insuffisance. Et je le sais – je le sais, je trouverai. Quand j’aurai trouvé, ce sera...

Mais le temps n’est pas élastique! Si les journées avaient trois heures de plus, ce serait parfait.

Ou..i. Mais c’est parce que nous sommes encore trop liés à la forme la plus extérieure. Tu ne peux pas t’imaginer la différence que cela fait! On fait la même chose, exactement de la même manière, le geste est le même, et, dans un cas, ça prend du temps, dans l’autre, ça n’en prend pas.

Et j’en ai eu l’expérience très concrète: le matin, par exemple, j’ai un temps très court pour venir au balcon (c’est très limité, c’est très fixe et c’est très court). Et il y a un certain nombre de choses qu’il faut que je fasse, et ce sont des choses tout à fait matérielles. On a l’impression que, naturellement, le temps doit être toujours le même – ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai, moi-même j’en suis étonnée!

Pour le japa, le contraste est le même, c’est absolument ahurissant: j’ai l’impression de dire les mots de la même manière, avec le même son, le même rythme exactement, mais dans certains cas, avec une certaine attitude intérieure, le temps d’horloge est différent! Et pourtant, nous, liés à notre Matière physique, nous avons l’impression que c’est exactement le même temps! Alors c’est cela qui est étrange, c’est cette extraordinaire relativité par rapport à l’horloge.

Ce doit être cela qu’ils ont essayé d’exprimer avec Josué arrêtant le soleil.

Il y a là quelque chose... qui est à trouver. Et qui est extraordinaire – quand on aura trouvé ça, ce sera tout à fait épatant.

Il y a quelques secrets comme cela – je le sens comme des secrets. Et de temps en temps, c’est comme si on me donnait un exemple, comme si on me disait: «Tu vois, c’est comme ça.» Alors j’en suis ahurie... N’est-ce pas, en langage ordinaire on dirait: c’est miraculeux. Ce n’est pas miraculeux – c’est quelque chose qui est à trouver.

On trouvera!5

Voilà, mon petit.6

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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1 Le fragment que nous encadrons ici fait partie d’un développement ultérieur (du 4 février).

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2 Ça = la perception du manque presque total d’importance de l’expression matérielle, extérieure, qui traduit l’état du corps.

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3 Les hymnes védiques traduits par Sri Aurobindo (cf. On the Veda, cent, ed. X. 241, sqq).

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4 Le disciple a de nouveau sept heures de japa à faire tous les jours.

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5 Dans les équations de la Théorie de la Relativité d’Einstein, des quantités aussi «immuables» que la masse d’un corps, la fréquence d’une vibration ou le temps séparant deux événements, sont liés à la vitesse du système de référence dans lequel se déroule l’expérience. Les récentes expériences spatiales ont permis de vérifier la validité des équations d’Einstein. C’est ainsi qu’une horloge embarquée sur un satellite en rotation constante autour de la terre comptera 60 secondes entre deux «top» sonores, alors qu’une horloge identique restée sur terre marquera 61 secondes entre les deux mêmes signaux: le temps se «contracte» avec la vitesse. Les écarts deviennent de plus en plus importants au fur et à mesure que la vitesse s’approche de celle de la lumière. C’est l’histoire du voyageur spatial qui revient sur terre moins vieilli que ses congénères: on passe dans un autre «système de référence». Il est frappant de constater que les expériences corporelles de Mère viennent très souvent recouper des théories de la physique moderne, comme si les équations mathématiques étaient le moyen de formuler dans un langage humain certains phénomènes complexes ou éloignés de notre réalité que Mère vivait spontanément dans son corps – peut-être «à la vitesse de la lumière».

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6 Il existe un enregistrement de ce dernier passage de la conversation sur le temps.

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