SITE DE SRI AUROBINDO ET LA MÈRE
      
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Mère

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Vol. 1

5 août 1961

(Mère donne des fleurs au disciple)

Voilà la «perfection dans le travail» [phlox].

Enfin «Mahâlakshmi» [nymphéa blanc], ça veut dire succès.

Demain je descends.

Ah!

Tu ne savais pas! C’est dimanche, demain, je distribue les saris et puis les «gâmchas» [serviettes]. Voilà, mon petit, tu as des questions?

Plus beaucoup. Des petits détails.1

Tiens, donne-moi l’éventail parce que les moustiques sont insupportables. Alors?

D’abord, dans les «Entretiens», tu parles du «renversement de conscience». Est-ce synonyme de la réalisation psychique? Parce que, dans un Entretien, tu lies les deux choses: le renversement de conscience et la découverte de l’être psychique.2

C’est le résultat de la découverte. En fait, c’est le résultat de l’union avec l’être psychique.

Un autre point de détail. Sri Aurobindo parle à plusieurs endroits d’un «circumconscient» («environmental consciousness») et il dit que c’est par là que se font les contacts avec le monde extérieur. Est-ce synonyme du «physique subtil», de l’enveloppe subtile? Qu’est-ce que c’est que ce circumconscient?

C’est la conscience environnante, n’est-ce pas.

Est-ce qu’en français ce n’est pas ce qu’on appelle le «milieu»?

Non, le milieu n’est pas une chose personnelle.

Il en parle comme d’une chose personnelle?

Oui, il y a un subconscient, un conscient, un subliminal et il y a un circumconscient.

Oh!

Il faudrait peut-être que je t’amène le passage où il en parle.

Oui, parce que je ne comprends pas très bien.

N’est-ce pas, le physique subtil déborde de beaucoup le corps. Puis vient ce que Théon appelait «le sous-degré nerveux», c’est-à-dire l’intermédiaire entre ce physique subtil et le vital. Et cet intermédiaire agit comme une protection: s’il est en équilibre et harmonieux, fort, il vous protège – il vous protège même physiquement –, par exemple, de la contagion des maladies, même des accidents. J’en ai eu l’expérience quand j’habitais au Val-de-Grâce. C’était l’année où j’avais résolu que j’aurais l’union avec l’être psychique et j’étais du matin au soir, et du soir au matin concentrée là-dessus. J’allais passer tous les jours quelque temps au jardin du Luxembourg (c’était tout à côté), mais pour cela il fallait descendre toute la rue du Val-de-Grâce, puis traverser le boulevard Saint Michel, et là: tramways, voitures, omnibus, tout le tremblement. Moi, je restais dans ma concentration, et une fois, en traversant, j’ai senti un choc, à peu près à cette distance de mon corps [un peu plus que le bras étendu] et spontanément, j’ai sauté en arrière, juste assez pour que le tramway passe – je n’avais rien entendu. J’étais tout absorbée, n’est-ce pas, et sans cela j’étais sûrement dessous – avec cela, j’ai juste sauté, et le tramway a passé. Alors j’ai compris que c’était quelque chose de tout à fait concret. C’était tout à fait concret parce que j’ai senti un choc: pas l’idée du danger, mais un CHOC matériel.

Alors c’est vrai. Tant que cette enveloppe est forte et pas abîmée, on est protégé; mais par exemple, si on se fatigue trop, si on s’inquiète, si on s’agite – tout ce qui amène un désordre dans l’atmosphère –, ça fait comme s’il y avait des trous, et n’importe quoi peut entrer.

Peut-être est-ce cela dont Sri Aurobindo parle?

Mais ce n’est pas le physique subtil?

C’est juste autour du physique subtil.

Il y a d’abord le physique subtil, et après le circumconscient?

Oui, le physique subtil, il est visible – il est visible. Tu sais, quand il fait très chaud, il y a des espèces de vibrations de chaleur: c’est cela, le physique subtil. C’est l’une des formes du physique subtil.

Mais le physique subtil, c’est juste là (Mère fait un geste à fleur de peau). Il y a des gens qui sont sensibles dans le physique subtil: on approche sa main et ils le sentent tout de suite. Il y en a d’autres qui ne s’en aperçoivent pas! Cela dépend de la sensibilité du physique subtil. Et ça [le circumconscient], c’est juste autour, c’est comme une enveloppe. C’est comme une enveloppe et si elle n’a pas de déchirures, c’est une magnifique protection.3 Et cela ne dépend d’aucune raison spirituelle ou intellectuelle: cela dépend d’une harmonie avec la Nature et la Vie; c’est une sorte d’équilibre dans l’être matériel. Quand cette enveloppe est forte, les gens se portent presque toujours bien et ils réussissent dans ce qu’ils font – pas des réussites intellectuelles, mais ils font un travail et cela vient bien, ils veulent rencontrer quelqu’un et ils le rencontrent. Des choses de ce genre.

Ce doit être cela, le circumconscient.

C’est à travers cette enveloppe que l’on entre en contact avec les autres?

Ah! oui, je pense bien! Quand on est sensible, mon petit, si on est dans une foule, serrés les uns contre les autres, ça devient intolérable à cause de cela – c’est mélangé, alors c’est horrible. On a un sentiment d’intrusion suffocante comme si on était au-dedans de choses que l’on n’a pas choisi d’avoir près de soi!

C’est tout?

Un autre détail. Est-ce qu’il y a une différence entre le sommeil et la mort? Ou est-ce la même chose?

Le mort et le sommeil? Oh! non.

Ce n’est pas la même chose.

Non... C’est à cause du Bouddha que tu demandes cela? (Tiens, j’y ai pensé il y a un ou deux jours; tout d’un coup cela m’est venu, je me suis dit: «Tiens, pourquoi?») Je me suis souvenue qu’avant de s’en aller de chez lui, le Bouddha avait passé par les chambres du palais et il avait vu sa femme et ses parents endormis,4 l’impression que c’était comme s’ils étaient morts – c’est là qu’il est parlé du sommeil qui est comme la mort.

Mais ce n’est pas comme la mort?... On n’est plus dans son corps quand on dort: le reste s’en va comme au moment de la mort, non?

Oh! non. Pas du tout. Non. L’état cataleptique de transe, oui, c’est comme la mort, excepté le lien qui reste – il ne reste qu’un lien, alors on est tout sorti. Mais le corps devient cataleptique quand on est tout sorti. Autrement, tout ce qu’il y a de plus matériel dans le vital reste là.

Je veux dire que les endroits où l’on va dans le sommeil sont les mêmes que les endroits où l’on va après la mort?

Non-non-non. La plupart du temps, à très peu d’exceptions près, dans le sommeil on est en contact avec tout ce qui remonte du subconscient: un subconscient cérébral, un subconscient émotif, un subconscient matériel; c’est cela qui fait les quatre-vingt-dix-neuf pour cent des rêves qu’ont les gens. Quelquefois le mental va se promener (généralement il va se promener), mais quatre-vingt-dix-neuf fois et demie sur cent, on ne se souvient pas: quand il revient, on ne se souvient pas parce que le lien n’est pas proprement établi.

Maintenant, le but du sommeil, c’est de reprendre contact avec la conscience de Satchidânanda. Mais je ne crois pas qu’il y ait une personne sur cent qui le fasse! Ils entrent beaucoup plus dans une inconscience que dans la Satchidânanda.

Mais il n’y a pas deux sommeils pareils, mon petit! Et c’est la même chose, il n’y a pas deux morts pareilles. Mais c’est différent, parce que... ce sont des états différents. Les états sont différents. Tant qu’on a un corps, l’état n’est pas le même que quand on est «mort». Il y a une période de sept jours après que les docteurs vous ont déclaré «mort» où vous êtes encore dans un état intermédiaire; mais l’état de mort, en tant que mort, c’est tout à fait différent, parce qu’ il n’y a plus cette base physique.

Une fois (cela m’est arrivé deux fois, mais la deuxième fois je n’en suis pas sûre parce que j’étais toute seule), la première fois c’était à Tlemcen et j’étais avec Théon. Mon corps était en état cataleptique et j’étais en transe consciente... mais c’était un état cataleptique particulier, en ce sens que mon corps parlait: je pouvais parler (très lentement mais je parlais, Théon m’avait appris à le faire).

Mais enfin cela, c’est parce qu’il reste toujours la vie de la forme, et c’est cette «vie de la forme» qui prend sept jours à s’en aller. Et cette vie de la forme, quand on l’éduque, elle est capable même de faire bouger le corps, c’est-à-dire que l’être n’est plus là mais la vie de la forme est capable de faire bouger le corps (en tout cas capable de faire prononcer des paroles). Eh bien, pour une raison quelconque (je ne me souviens plus, mais c’était évidemment une négligence de Théon...) parce que Théon était là pour veiller: cet état-là n’est pas tout à fait sans danger et la preuve c’est que pendant que j’étais en train de travailler, le cordon – je ne sais pas comment appeler ça –, le lien, poff! a été coupé par une mauvaise volonté.5 Et quand j’ai voulu revenir, quand il était temps de revenir, je ne pouvais plus passer. Mais j’ai pu le prévenir – je l’ai prévenu, j’ai dit: «Le cordon est coupé.» Alors il s’est servi de son pouvoir et de sa connaissance pour me faire revenir – mais ce n’était pas une plaisanterie! C’était très difficile.6 Et c’est là que j’ai eu l’expérience des deux états différents, parce que là, la partie qui était sortie était partie sans le soutien du corps: le lien était coupé. Alors j’ai su. Naturellement, j’étais dans un état spécial puisque j’étais en train de faire du travail en pleine conscience avec tout le pouvoir vital et que j’étais maîtresse non seulement de mon entourage mais... Mais alors, n’est-ce pas, c’est une sorte de renversement de conscience: on commence à appartenir à un autre monde. Et ça, on le sent très bien. Maintenant, lui, m’a tout de suite demandé de me concentrer (moi, ça m’intéressait – Mère rit –, n’est-ce pas, j’étais en train de faire des expériences, je me préparais à me promener! mais lui, avait une frousse terrible que je lui claque entre les mains!) Il m’a suppliée de me concentrer, alors je me suis concentrée sur mon corps.

Mais quand je suis rentrée, ça fait hor-ri-ble-ment mal. Horriblement mal. Une douleur aiguë, affreuse, affreuse, comme si on rentrait dans un enfer.

Dans un...?

Dans un enfer. (Mère rit)

C’était affreux. Ça ne dure pas.

Il m’a fait boire un demi-verre de cognac (il m’en faisait prendre tous les jours après, parce que je restais plus d’une heure en transe à travailler, ce qui est une chose généralement interdite). Mais enfin, je suis bien sûre que si ce n’était pas moi et que si ça n’avait pas été lui, c’était fini, je ne serais pas rentrée.

Alors je sais un petit peu, même dans ma conscience la plus extérieure. Un petit peu, mais c’est tout ce que je sais.

Non, c’est autre chose. C’est autre chose. Le sommeil, ce serait plutôt une redescente dans l’Inconscient – c’est plutôt cela, une sorte d’invasion du tamas.

Naturellement, au fond de l’Inconscient, est la Conscience divine, nous savons tous cela, mais apparemment c’est une redescente (il y a des gens qui redescendent presque complètement dans l’Inconscient et qui sortent de leur sommeil beaucoup plus abrutis qu’ils n’y sont entrés). Mais pour certaines raisons, à cause des nécessités du Travail probablement, je n’ai jamais eu, à ma connaissance, un sommeil tout à fait inconscient.

Il y avait autre chose (riant), c’est que même enfant, très jeune, tout d’un coup, au beau milieu d’une action ou d’une phrase ou de n’importe quoi, j’entrais en transe – et personne ne savait ce que c’était! A ce moment-là, tout le monde croyait que je m’endormais! Mais je restais consciente, avec un bras levé, ou au milieu d’un mot, et puis pfft! plus rien (Mère rit); extérieurement plus rien; intérieurement une expérience assez aiguë, intéressante. Mais ça, cela m’arrivait même assez petite.

Je me souviens, je devais avoir dix ou douze ans, il y avait un déjeuner chez mes parents, une douzaine de gens, tout le monde était sur son trente et un (c’étaient des gens de la famille, mais enfin c’était un «déjeuner» et il y avait un certain protocole; bref, il faut se tenir convenablement!) et j’étais à un bout de la table avec un cousin germain à moi, qui plus tard est devenu directeur du Louvre pendant un certain temps (c’était une intelligence artistique, un garçon assez capable). Alors on était là et je me souviens que j’étais en train de percevoir quelque chose dans son atmosphère, qui était assez intéressant (note que je ne savais rien; si on m’avait parlé d’«aura» et de tout cela... Rien, je ne savais rien des choses occultes, mais les facultés étaient déjà là), j’étais en train de percevoir une sorte de sensation que j’avais de son atmosphère, et puis, au milieu du geste de mettre la fourchette dans ma bouche, je suis partie! – Je me suis fait attraper. On m’a dit que si je ne savais pas me conduire convenablement, je ne devais pas venir à table! (Mère rit beaucoup)

C’est à cette époque que je sortais toutes les nuits et que toutes les nuits je faisais ce travail dont j’ai parlé dans Prières et Méditations (j’en ai dit seulement un mot en passant7), mais toutes les nuits, à la même heure, quand toute la maison était bien tranquille, je sortais de mon corps et j’avais toutes sortes d’expériences. Et alors, petit à petit, mon corps est devenu somnambule (c’est-à-dire que le lien restait très solidement établi et que la conscience de la forme était devenue de plus en plus consciente), et j’avais commencé à prendre l’habitude de me lever – mais pas à la façon des somnambules ordinaires: je me levais, j’ouvrais mon bureau, je prenais un papier et j’écrivais des poésies... moi qui n’avais rien du poète! Oui, des poésies! Je notais des choses. Et très consciemment, je remettais tout dans le tiroir, je refermais tout très soigneusement avant de me remettre au lit. Un jour, pour une raison quelconque, j’ai oublié: j’ai laissé ouvert. Ma mère arrive (c’était ma mère qui me réveillait, parce que en France, on vous ferme les fenêtres avec des rideaux épais, alors elle venait le matin, puis elle ouvrait le rideau brutalement et elle me réveillait, brrm! sans précaution; seulement, moi, j’avais l’habitude, alors j’étais déjà assez prête à me réveiller autrement ce n’aurait pas été très fameux!) enfin elle vient en m’appelant avec une autorité indiscutable, et puis voilà qu’elle trouve le bureau ouvert et un papier: «Qu’est-ce que c’est que ça!...» Elle s’en est emparée: «Qu’est-ce que tu fais là?» Je ne sais pas ce que j’ai répondu, mais elle est allée chez le docteur: «Ma fille est devenue somnambule! il faut lui donner une drogue.»

Ce n’était pas commode.

Je me souviens, une fois... Elle me grondait très souvent (mais c’était très bien, c’est une très bonne leçon!), elle me grondait très-très souvent – pour des choses que je n’avais pas faites! Elle m’a attrapée une fois pour quelque chose que j’avais fait mais qu’elle n’avait pas compris (que j’avais fait avec le meilleur de ma conscience); elle me l’a reproché comme un acte, enfin que l’on ne devait pas faire (c’était quelque chose que j’avais donné à quelqu’un sans lui demander sa permission!) D’abord, je me suis raidie et je lui ai dit: «Je ne l’ai pas fait.» Elle a commencé à dire que je mentais. Alors, sans rien dire, tout d’un coup, je l’ai regardée, et puis j’ai senti... j’ai senti toute la misère humaine et tout ce mensonge humain, et puis, sans un bruit, des larmes coulaient. Elle m’a dit: «Quoi! maintenant tu te mets à pleurer!» Du coup, j’étais un peu fed up [exaspérée], je lui ai dit: «Oh! ce n’est pas sur moi que je pleure, c’est à cause de la misère du monde.» – «Tu deviens folle!»

Elle a vraiment cru que je devenais folle!

C’était tout à fait amusant.

C’est curieux... Je dis «c’est curieux» parce que c’est à cause d’elle que je suis née dans ce corps-ci, que ça a été choisi. Elle avait, quand elle était toute jeune, une grande aspiration (elle avait exactement vingt ans de plus que moi: elle avait 20 ans quand je suis née; j’étais le troisième enfant; le premier était un fils qui est mort en Turquie, à deux mois je crois – on lui a fait une vaccination contre la petite vérole et on l’a empoisonné (riant), dieu sait ce que c’est! il est mort de convulsions; puis il y a eu mon frère qui est né en Egypte, à Alexandrie, et puis il y a eu moi qui suis née à Paris) et elle avait exactement vingt ans. A ce moment-là, elle avait eu (c’était surtout après la mort du premier) une sorte de GRANDE aspiration en elle: il fallait que ses enfants soient «les meilleurs du monde». Ce n’était pas une ambition (je ne sais pas ce que c’était). Et elle avait une volonté! ma mère avait une volonté formidable! comme une barre de fer, absolument insensible à toute influence du dehors; quand elle avait décidé, c’était décidé; même si quelqu’un était là en train de mourir, elle n’aurait pas bougé! Alors elle avait décidé: «Mes enfants seront les meilleurs du monde.»

Il y avait une chose, c’est qu’elle avait le sens du progrès; elle sentait que le monde progressait et qu’il fallait que nous soyons mieux que tout ce qui avait été auparavant – ça a suffi.

Ça a suffi, c’est curieux.

Je t’ai raconté ce qui était arrivé à mon frère? Non?... Mon frère était un garçon ter-ri-ble-ment sérieux et ter-ri-ble-ment studieux – oh! c’était terrible. Mais enfin, un caractère très fort aussi, une forte volonté. Et intéressant, il y avait quelque chose d’intéressant en lui (quand il préparait Polytechnique, je l’ai préparée avec lui, cela m’intéressait). Nous étions très intimes (il n’y avait que dixhuit mois entre nous) et il était très violent, mais avec une force de caractère si extraordinaire qu’après avoir failli me tuer trois fois, la troisième fois ma mère a dit: «La prochaine fois, tu la tueras.» Alors il a pris la résolution que ça n’arriverait plus – et ce n’est plus jamais arrivé. Mais enfin, ce que je voulais raconter, c’est qu’à dix-huit ans quand il était en train de préparer Polytechnique, juste avant, un jour qu’il traversait la Seine (je crois que c’était sur le Pont des Arts), au milieu, tout d’un coup, quelque chose... il a senti quelque chose qui descendait en lui, qui l’a immobilisé tellement fort qu’il est resté comme ça, pétrifié, et alors il a, pas positivement entendu une voix mais c’est venu très clairement en lui: «Si tu veux, tu peux devenir un dieu» (ça s’est traduit comme cela dans sa conscience). Il m’a dit que ça l’avait pris tout entier comme cela, immobilisé, une puissance tellement formidable, et extrêmement lumineuse: «Si tu veux, tu peux devenir un dieu.» Et alors là, oh! dans l’expérience elle-même, sur le moment, il a répondu: «Non, je veux servir l’humanité.» Et c’est parti. Naturellement il s’est bien gardé de rien dire à ma mère mais nous étions suffisamment intime et il m’a raconté ça. Alors je lui ai dit: «Eh bien (riant), tu en es un imbécile!» Voilà.

Par conséquent, à ce moment-là, il aurait pu avoir une réalisation spirituelle: il y avait l’étoffe.

C’est un petit peu après (quelques années après, trois ans après) que moi, j’ai eu cette expérience que je t’ai dite, de cette Lumière qui m’a traversée: je l’ai vue matériellement qui entrait en moi. C’était évidemment la descente d’un Être – pas d’une incarnation passée: d’un Être d’un plan. C’était une lumière dorée. C’était une incarnation d’une conscience divine. Par conséquent, cela prouve que pour ses deux enfants elle avait réussi.

Mais ce qu’elle a pu...

Mais elle était à genoux devant mon frère.

Ma mère, n’est-ce pas, méprisait tout sentiment religieux comme une faiblesse et une superstition et elle niait absolument l’invisible; elle disait: «Tout ça, ce sont des maladies cérébrales» (!) Mais elle disait très bien: «Oh! mon Matteo (elle l’avait appelé Matteo, d’un nom italien, je ne sais diable pas pourquoi, à Alexandrie), oh! mon Matteo, c’est mon Dieu, c’est lui mon Dieu.» Et elle a vraiment agi vis-à-vis de lui comme vis-à-vis d’un dieu. Elle ne l’a quitté que quand il s’est marié parce que, vraiment, elle ne pouvait plus continuer à être derrière lui!

Mais alors, ce qu’il y a d’intéressant, par exemple, quand son père est mort (le père de ma mère), elle l’a su: elle l’a vu. Elle a pensé que c’était un rêve – «un rêve imbécile», n’est-ce pas. Mais il est venu la prévenir en lui disant qu’il était mort, et elle l’a vu. Elle a dit: «C’est rien, c’est un rêve»! (Mère rit)

Quand ma grand-mère est morte... Ma grand-mère, elle, avait le sens de l’occulte. Elle avait fait sa fortune elle-même (une fortune assez considérable) et elle avait cinq enfants qui étaient tous plus prodigues les uns que les autres. Et alors elle me disait (moi, elle me considérait comme la seule personne raisonnable dans la famille et elle me faisait ses confidences), elle me disait: «Tu vois, tous ces gens-là, ils vont me gaspiller tout mon argent!» Elle avait un fils qui avait soixante ans (parce qu’elle s’était mariée très jeune et elle l’avait eu très jeune: elle s’était mariée en Egypte à quinze ans et son fils avait soixante ans), alors elle me disait: «Tu vois ce garçon (!) il sort, il va chez des gens impossibles! Et puis il se met à jouer aux cartes et il perd tout mon argent.» Je l’ai vu, «ce garçon»: j’étais là dans la maison quand c’est arrivé; il était venu très poliment lui dire: «Au revoir, mère, je m’en vais, je vais chez un tel.» – «Ah! s’il te plaît, ne gaspille pas tout mon argent, et puis prends un pardessus, n’est-ce pas, parce qu’il fait froid la nuit.» Soixante ans! C’était très comique... Mais enfin, pour en revenir à mon histoire, ma grand-mère est venue quand elle est morte (je me suis beaucoup occupée d’elle), elle est venue trouver ma mère (ma mère était avec elle au moment de sa mort; on l’a embaumée parce qu’elle voulait être brûlée, elle s’était mis ça dans la tête, et comme elle était morte à Nice, il a fallu l’embaumer pour la faire brûler ici à Paris). Moi, j’étais à Paris. Ma mère arrive avec, elle me dit: «Figure-toi, je suis tout le temps en train de la voir! et puis elle me fait des recommandations, elle me dit: ne gaspille pas ton argent.» J’ai répondu à ma mère: «Bon, elle a raison, il faut faire attention.» – «Mais elle est morte enfin! Comment est-ce qu’elle peut me parler! – je te dis qu’elle est morte et bien morte!» Je lui ai dit: «Qu’est-ce que c’est de mourir?»

C’était très comique, tout cela.

Il y avait une autre raison... Mon père avait une santé admirable, et il était fort! un équilibre! Il n’était pas très grand mais trapu. Il avait fait toutes ses études en Autriche (à ce moment-là, on parlait beaucoup le français en Autriche, mais lui savait l’allemand, il savait l’anglais, il savait l’italien, il savait le turc.) et il avait appris à monter à cheval là-bas, d’une façon extraordinaire: il était tellement fort qu’en pliant les genoux, il obligeait le cheval à s’agenouiller. D’un coup de poing, il cassait n’importe quoi, une pièce de cent sous (les grandes pièces de cent sous qu’on avait avant, en argent), un coup de poing: cassée en deux. Et c’était curieux, il avait l’air d’un Russe. Je ne sais pas pourquoi. On l’appelait Barine. Un équilibre! Un équilibre physique extraordinaire! Et cet homme, non seulement il savait toutes ces langues, mais au point de vue arithmétique je n’ai jamais vu un cerveau pareil! jamais: il faisait des comptes, comme ça, en se jouant, sans le moindre effort – des comptes avec des centaines de chiffres. Eh bien, il aimait les oiseaux! Il avait une chambre à lui dans notre appartement (parce que ma mère ne pouvait pas beaucoup le tolérer), il avait sa chambre séparée, et là il avait une grande cage – pleine de serins!

Mais toute la journée, il fermait la fenêtre et il laissait tous les serins en liberté!

Et il racontait des histoires! Il avait lu, je crois, tous les romans-feuilletons possibles, toutes les histoires: des histoires d’aventures extraordinaires (il aimait les aventures), et alors, nous, quand nous étions enfants, il nous recevait dans sa chambre le matin de bonne heure (il était encore assis au lit) et il nous racontait des histoires – mais il racontait les histoires des livres qu’il avait lus et au lieu de nous dire que c’étaient des livres qu’il avait lus, il racontait cela comme si c’étaient des histoires à lui! Alors il avait eu des aventures extraordinaires! avec des brigands, avec des animaux sauvages-Toutes les histoires qu’il avait pu ramasser, il les racontait comme les siennes. Nous, ça nous amusait formidablement! Mais un jour, mon frère lui avait désobéi (mon frère devait avoir quelque chose comme dix ou onze ans, je crois; moi, je devais avoir peut-être neuf ou dix ans), j’entre dans la salle à manger, et je vois mon père assis sur un sofa, avec mon frère sur ses genoux: il lui avait enlevé son pantalon et il lui claquait les fesses. Ce n’était pas très sérieux, mais enfin (je ne sais pas ce que mon frère avait fait), je suis arrivée, alors je me suis dressée de toute ma hauteur, et j’ai dit: «Papa, si jamais tu recommences ça, je quitte la maison», et avec une telle autorité, mon petit! – Il s’est arrêté et il n’a pas recommencé.

Des histoires tout à fait amusantes.8

Voilà, enfin je crois que maintenant je t’en ai raconté assez. Comme j’ai bavardé! Tu me fais toujours bavarder!

L'enregistrement du son fait par Satprem    

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1 Pour la préparation de ce livre sur Sri Aurobindo.

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2 L’être psychique = l’âme, selon la terminologie de Sri Aurobindo.

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3 Nous ne savons pas finalement si cette enveloppe et le circumconscient

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4 et il a eu sont une seule et même chose, mais Sri Aurobindo en parle ainsi: «La première chose que l’on voit quand on franchit la barrière, c’est le corps physico-vital. Il est autour du corps physique, et avec le corps physique il forme ce que l’on pourrait appeler «l’enveloppe nerveuse». Les forces de maladie doivent le traverser pour toucher le corps, sauf quand il s’agit d’attaques tout à fait matérielles. On peut sentir l’arrivée de la maladie, sentir aussi, dans l’enveloppe nerveuse, la partie du corps que la maladie va ou veut attaquer, parce que l’enveloppe nerveuse possède une contre-partie dans le corps. C’est donc l’enveloppe physico-vitale qui est d’abord attaquée, puis la force prend la forme d’une maladie dans l’organisme. J’ai eu moi-même l’expérience d’avoir la fièvre tout autour du corps.» (A.B. Purani, Evening Talks with Sri Aurobindo, tome I, p. 232)

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5 En fait, la mauvaise volonté de Théon.

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6 Le disciple se souvient que quelques années plus tôt, Mère lui avait raconté à quelle occasion cet incident s’était produit: dans son travail de transe, Mère avait découvert l’endroit où se trouve le «mantra de la vie», c’est-à-dire le mantra qui a le pouvoir de créer la vie (et de l’enlever aussi). Théon, naturellement très intéressé puisqu’il était une incarnation de l’Asoura de la Mort, a demandé à Mère de lui répéter ce mantra. Mère a refusé. Théon est alors entré dans une violente colère et le lien a été coupé (le lien qui reliait Mère à son corps). Quand il s’est aperçu de la catastrophe, causée par sa colère, Théon a pris peur (parce qu’il savait qui était Mère) et c’est là, comme le raconte Mère, qu’il a utilisé tout son pouvoir pour l’aider à rentrer. Plus tard, Mère a donné ce mantra à Sri Aurobindo... qui l’a laissé sagement tomber dans une oubliette. Parce que ce n’est pas par un mantra que doit se maîtriser le secret de la vie (ou de la mort) mais par la connaissance du vrai Pouvoir, c’est-à-dire finalement la connaissance de la réalité de la Matière et du mécanisme qui fait la mort: c’est tout le yoga cellulaire de Sri Aurobindo et de Mère.

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7 Le 22 février 1914.

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8 Il existe un enregistrement de cette conversation.

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