Mère
l'Agenda
Vol. 1
(A propos du gourou tantrique)
Tu as vu A, il t’en a parlé, non?... X lui a dit que tu avais été le pont entre lui et moi. Il a dit: «Oh! Satprem (il l’a même dit en anglais), Satprem was the bridge» (Mère sourit). Et alors, après un petit moment, il a dit: «But now we don’t need it any more!» Mère rit beaucoup [mais maintenant nous n’en avons plus besoin.] Ça m’a bien amusée!
*
* *
(Peu après, à propos du livre sur Sri Aurobindo)
... Tout ce qu’on peut écrire est tellement plat, tellement plat en comparaison de ce que l’on perçoit!
Oui, en comparaison du contact de Sri Aurobindo (si tu veux, la vibration qui vient de lui), ça paraît toujours maigre, toujours plat. Même les expériences les plus... enfin, les expériences spirituelles qu’on nous a décrites et que d’autres ont eues, même les expériences qui sont plus fortes, plus puissantes, plus claires, plus complètes que celles-là, quand on prend le contact de Sri Aurobindo, oh! ça paraît si mince, si mince!
Non, et puis le moyen d’expression écrit... C’est une galère, écrire, tu sais. Ce n’est pas plaisant. Ce n’est pas comme faire de la musique ou de la peinture.
Oui-oui-oui!
Oh! je t’assure...
C’est dur.
C’est dur. Si j’avais pu, j’aurais voulu être musicien. Si j’avais pu être musicien, ma vie aurait été complètement changée. J’ai l’impression qu’il m’a manqué toujours quelque chose pour ouvrir...
Non. Peut-être...
Je ne sais pas, lui, disait (il en a parlé à la fin des Védas, le chapitre sur l’origine des langues), il a l’air de dire que si on remonte à l’origine des vibrations, c’était mieux. Au fond, c’est à mesure que la langue s’intellectualise que cela devient de plus en plus dur et sec.
Peut-être que quand on avait seulement des sons (des A et des O: les O surtout sont très flexibles, toute la gamme des O), peut-être qu’avec cela, c’était... c’était plus souple.
Maintenant je sens cela très souvent. Comment dire?... j’essaye toujours de ne pas parler – ça m’ennuie de parler. Oui, c’est ennuyeux. Quand je vois quelqu’un, la première chose que je fais c’est d’essayer de ne pas parler. Et alors, à ce moment-là, quand la Vibration vient, c’est bien; il y a une sorte de communication, et si la personne est tant soit peu réceptive, alors ça vient comme une... c’est plus subtil qu’une musique: c’est une vibration qui contient sa loi d’harmonie. Et puis, au bout d’un moment, généralement les gens s’impatientent et ils veulent quelque chose de plus «concret» (!) et ils m’obligent à parler. Ils insistent toujours. Et alors je sens (je suis dans une certaine atmosphère, une certaine vibration), je sens tout de suite quelque chose qui fait comme ça (geste de chute de niveau) et puis ça durcit. Même quand je bafouille (n’est-ce pas, à force d’essayer d’être plus subtile, je bafouille), même mes bafouillements (riant) deviennent secs en comparaison. Il y a toutes sortes de choses qui sont beaucoup plus pleines – pleines, étoffées, avec une richesse intérieure –, et dès que ça s’exprime, oh!...
Tiens, c’était hier (la nuit d’avant-hier à hier), vers trois heures du matin, j’étais dans un endroit où il y avait beaucoup de gens d’ici (tu étais là) et j’essayais de jouer de la musique, justement pour dire quelque chose. Et il y avait trois pianos qui étaient comme encastrés l’un dans l’autre; alors je me mettais en biais pour attraper l’un des trois, et je jouais. Et justement... Oh! c’était une grande salle, il y avait des gens qui étaient assis très loin, mais toi, tu étais à ma gauche, avec une jeune femme symbolique (c’est-à-dire que je pourrais mettre la vibration que je recevais ou l’impression que je recevais de cette jeune femme et le rapport que j’avais avec elle, je pourrais le mettre sur quatre ou cinq personnes ici: c’était comme un amalgame – ça, c’est très intéressant, cela m’arrive très souvent), bon, alors je me mettais de biais et j’essayais; j’essayais d’expliquer quelque chose: comment ceci traduisait cela. Finalement, j’ai senti que j’étais en train de faire une acrobatie inutile et... (il y avait un grand piano à queue ici, devant) je me suis assise en face de lui au lieu de me tenir à moitié debout, à moitié courbée. Je me suis assise. Mais alors, le plus amusant, c’est que toutes les notes (il y avait deux claviers), mais toutes les notes étaient comme ce papier marbré que nous faisons maintenant: tout bleu. Et toutes les marbrures possibles! N’est-ce pas, les notes noires, les notes blanches, les notes du haut, les notes du bas (elles étaient toutes de la même largeur, assez larges, comme ça), et comme si elles étaient revêtues de ce... (mais ce n’était pas du papier), comme si elles étaient revêtues de ce bleu. Alors, en face de ce piano, je me suis dit: «Ah! voilà!... Ce n’est pas avec des yeux physiques qu’on peut jouer ça: il faut jouer ça de là-haut.»
Et pendant que je jouais, je me disais: «Mais voilà ce que j’ai essayé de faire toute ma vie avec la musique! – c’est de jouer sur le clavier bleu.»
C’était très amusant, tu sais.
Et il est venu tout d’un coup un son! pas physique, mais si complet! si plein! que c’était comme... comme si quelque chose éclatait, comme un... je ne sais pas, beaucoup plus plein qu’un orchestre, quelque chose qui éclatait, et c’était tellement formidable!
J’ai tellement regretté. Parce que j’ai pensé (riant): «Au moins, j’aurai entendu quelque chose de bien pour une fois!» Mais c’était... c’était un éclatement de son! si extraordinaire et si puissant que... D’ailleurs il était l’heure de me réveiller. Il était quatre heures.
Mais c’était peut-être à cela que tu pensais. C’était peut-être que tu pensais à ça: c’est cela que tu veux exprimer dans ton livre. Parce que c’était un endroit (je t’ai dit que tous ces temps-ci j’allais dans le monde de l’expression), c’était un endroit de ce genre-là.
C’est très-très-très vaste, très ouvert; cette fois-ci, il n’y avait pas de murs. Il n’y avait pas de plafond, pas de murs. Il n’y avait qu’une espèce de sol qui était très clair – très clair, lumineux, très vaste et... très vide – vide. Les gens étaient assis mais je ne voyais pas de chaises. Il n’y avait que les pianos qui étaient visibles, et ils étaient très curieux: l’un était comme ceci, l’un était comme cela, et l’un était comme cela; et celui qui était en face était un grand piano à queue (on ne voyait pas très bien le corps des pianos mais on voyait les claviers qui étaient comme imbriqués). Et alors il y en avait un qui était un peu plus grand, qui était ici, et je jouais comme ça, en biais; et puis il y en avait un autre qui était tourné de l’autre côté, et puis ce grand piano (un grand piano à queue), mais il n’y avait pas de queue! il n’y avait que le clavier. Je me suis dit: «Mais tiens, pourquoi est-ce que je ne serais pas confortable!» Et je me suis assise. Alors tout est devenu bleu – des grandes notes bleues. J’ai dit: «Comment est-ce que je vais jouer?» J’ai essayé de jouer comme d’habitude, et puis j’ai dit: «Ça ne va pas. Ça ne va pas... Ah! il faut jouer de là-haut! Il faut jouer de là-haut!» Alors je pose mes mains, je me concentre, et puis brrff! oh! c’était comme des... ce n’était pas violent, ça ne faisait pas beaucoup de bruit, mais oh! c’était formidable! trois, quatre – pas des notes: des sons, des harmonies, je ne sais pas.
Mais ce devait être cela. Ce devait être à ça que tu pensais, tu aimerais ça pour exprimer ton livre.1
Oui, j’aimerais bien...
Ça va venir. Ah! ça va venir.
Voilà, je m’en vais maintenant, c’est l’heure.
Voilà, petit, ça va venir.2
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1 Étrangement, quelques années plus tôt, à l’époque où nous écrivions L’Orpailleur, une disciple proche de nous avait eu une vision où elle nous voyait assis en train de dactylographier, et de la machine à écrire sortait non pas des lignes mais de la musique.
2 II existe un enregistrement de cette conversation.