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Mère

l'Agenda

Vol. 1

5 novembre 1961

(Mère préfère que nous ne nommions pas P. Richard
dans notre livre sur Sri Aurobindo)

...J’ai fait tout ce que j’ai pu toutes ces années pour essayer de le tenir à distance. Il a un pouvoir – un pouvoir asourique terrible. Pour moi (c’est entre nous), je l’avais vu dès le commencement comme cela et c’est pour cela que je me suis liée à lui; je n’avais pas l’intention de l’épouser (ce sont seulement les affaires de sa famille qui ont rendu nécessaire le mariage), mais quand je l’ai rencontré, je l’ai reconnu comme une incarnation du «Seigneur du Mensonge»; c’est son «origine» (ce que, lui, appelait le «Seigneur des Nations») et en fait c’est celui qui a dirigé tout le cours des événements terrestres depuis les derniers siècles. Théon, lui, était...

Ce n’était pas un choix, c’était une décision du Suprême: je les ai rencontrés tous les quatre – les quatre Asouras. Le premier a été converti (c’est celui que les religions appellent Satan, l’Asoura de la conscience): il s’est converti et il a travaillé – il travaille encore. Le second s’est annulé dans le Suprême. Le troisième, c’était le Seigneur de la Mort (c’était Théon). Et le quatrième, le Maître du monde, c’était le Seigneur du Mensonge, et Richard était une émanation (ce qu’ils appellent en Inde des vibhoutis1).

Théon était le vibhouti du Seigneur de la Mort.

C’est une histoire admirable, un roman, tu sais, qu’un jour peut-être on dira... quand il n’y aura plus d’Asouras. À ce moment-là, on pourra en parler.

Mais enfin, lui, Théon, m’avait fait trouver le «Mantra de la Vie», le mantra qui donne la vie, et il voulait que je le lui donne, il voulait l’avoir – c’était une chose formidable! Et ce mantra était gardé dans un lieu.2 C’était le mantra qui donne la vie (ça peut faire renaître n’importe qui, mais ce n’est qu’une petite partie du pouvoir), et ce mantra était enfermé, scellé, avec mon nom dessus, en sanscrit. Moi, je ne savais pas le sanscrit à ce moment-là; lui, le savait. Il m’a emmenée dans cet endroit et je lui ai dit: «Il y a une sorte de dessin, ce doit être du sanscrit» (parce que je savais que les caractères étaient comme cela). Alors il m’a dit de reproduire ce que je voyais. Je l’ai reproduit. Et c’était mon nom, Mirra, écrit en sanscrit: c’était pour moi, il n’y avait que moi qui pouvais l’ouvrir. Il m’a dit (nous faisions cela en état cataleptique): «Ouvrez et dites-moi ce qui est là.» Alors il y a quelque chose en moi qui a su immédiatement, et j’ai dit: «Non.» Et je n’ai pas lu.

Je l’ai retrouvé quand j’étais avec Sri Aurobindo et je l’ai donné à Sri Aurobindo.

Mais c’est encore une autre histoire...

(silence)

N’est-ce pas, dès qu’on entre dans le monde occulte, c’est fantastique ce que l’on peut vivre et ce qui peut exister – ça viendra, plus tard, quand il sera temps de dire ces choses.

Voilà, mais enfin tu comprends que je ne tiens pas beaucoup à introduire Richard dans le livre, parce que le fait même de parler de lui l’accroche.3

Il avait été pasteur à Lille, en France, pendant peut-être dix ans – il avait beaucoup pratiqué –, mais il a laissé tout cela dès qu’il a commencé à étudier l’occultisme. D’abord, pour passer ses examens de pasteur, il avait dû faire de la philosophie théologique et il avait étudié toutes les philosophies modernes de l’Europe (il avait un cerveau métaphysique plutôt remarquable), puis je l’ai rencontré à propos de Théon et de la Revue Cosmique et c’est moi qui l’ai mené à la connaissance occulte. Après, il y a eu toutes sortes d’histoires très peu intéressantes... Il est devenu avocat pendant que nous nous connaissions (j’ai appris le Droit en même temps que lui, je pouvais passer l’examen!) Et les histoires de divorce ont commencé: il a divorcé d’avec sa femme, il avait trois enfants; il voulait s’occuper de ses enfants, il fallait qu’il ait une situation légale, et alors il m’a demandé si nous pouvions nous marier – j’ai dit oui. Toujours, toutes ces choses m’ont été totalement indifférentes. Mais enfin, quand je l’ai rencontré, j’ai su qui il était et j’avais décidé que je le convertirai – c’est cela. Toute l’histoire tourne autour de cela.

En fait, les livres qu’il a écrits (surtout le premier, L’Éther Vivant), c’est ma connaissance qu’il a mise en français (ma foi, en très beau français), mais c’était moi qui lui disais les expériences et il écrivait. Après, il a écrit Les Dieux (c’était incomplet: seulement un côté). Puis il est devenu avocat, il est entré dans la politique (c’était un orateur de premier ordre, il enthousiasmait son public) et on l’avait envoyé ici, en Inde, pour aider à l’élection d’un certain individu qui était candidat et qui ne pouvait pas se tirer d’affaire tout seul. Et comme il s’intéressait à l’occultisme et à la spiritualité, il a profité de l’occasion pour venir ici et pour chercher – il cherchait un «Maître», un yogi. Il est arrivé ici; la première chose qu’il ait dite au lieu de s’occuper de sa politique: «Je suis à la recherche d’un yogi.» On lui a dit: «Vous avez une chance carabinée (!) le yogi vient d’arriver.» Sri Aurobindo venait d’arriver. On a demandé à Sri Aurobindo: «Il y a un Français qui demande à vous voir...» Sri Aurobindo n’était pas très-très content, mais enfin la coïncidence lui a paru assez intéressante: il l’a reçu. C’était en 1910.

Quand Richard a eu fini son travail, il est revenu avec une mauvaise photographie de Sri Aurobindo et une impression tout à fait superficielle, mais le sentiment que Sri Aurobindo savait (l’homme, il ne l’avait pas compris du tout, il n’avait pas senti que c’était un Avatar, mais il avait senti qu’il avait la connaissance), je crois d’ailleurs qu’il a toujours gardé cette opinion parce qu’il disait toujours que Sri Aurobindo était un géant unique au point de vue intellectuel... mais enfin, qu’au point de vue spirituel, il n’avait pas beaucoup de réalisations! Une stupidité de ce genre (la même stupidité que celle de Romain Rolland). Alors, tu comprends, ma relation avec lui se situait sur un plan occulte qu’il est difficile de toucher. N’est-ce pas, il y a eu ici beaucoup plus excitant que tous les romans que l’on peut imaginer.

Mais c’était un homme...

Et il n’est pas mort, c’est encore un homme terriblement dangereux à cause de ce qui est derrière lui [le Seigneur du Mensonge]. Tu n’as pas enregistré ça?

Si.

Ah! non, il faut détruire tout cela.

Si tu pouvais mettre seulement une note: «Paul Richard, qui avait rencontré Sri Aurobindo pour la première fois en 1910...» Et on peut dire que c’était un théologien, un écrivain théologien (quelque chose comme cela), qui explique le fait qu’il a poussé Sri Aurobindo à écrire.

Quand il est revenu, il m’a dit que, dès qu’il pourrait, il m’emmènerait là-bas.

On a commencé la revue Arya au mois de juin 1914 et on a annoncé que le premier numéro sortirait le 15 août, le jour de la naissance de Sri Aurobindo, et je crois que la guerre a éclaté le 3 août.

La guerre a éclaté avant que le premier numéro ait paru (ce renseignement-là est très intéressant). Le mois de juin, le 21 juin était le jour de l’anniversaire de Paul Richard,4 alors le 21 juin on a annoncé la parution prochaine de l’Arya, et le premier numéro devait paraître le 15 août. Et entre le 21 juin et le 15 août, la guerre a éclaté. Mais comme tout était prêt, nous avons publié tout de même.

J’ai écrit dans mon livre que Paul Richard lancerait simultanément à Paris une «Revue de la Grande Synthèse», est-ce vrai?5

Mais ce n’est pas vrai! Il n’a jamais été décidé cela, jamais! jamais. La revue Arya était bilingue: c’était une seule et même revue, une partie en français et une partie en anglais, mais publiée ici, à Pondichéry. Il n’a jamais été question de rien publier en France, c’est inexact. C’est absolument faux, c’est de la légende. On a publié cette revue moitié en français, moitié en anglais: c’est moi qui ai tout traduit, assez mal d’ailleurs.

J’ai remarqué, d’ailleurs, que dès que l’on parle de Richard, sans le savoir on est amené à dire des mensonges. C’est pour cela que je me garde de ce sujet terriblement.

Le français venait en premier, et le premier numéro commençait par Le pourquoi du monde. Richard avait mis le Désir comme origine du monde – ils étaient toujours en désaccord parce que Richard disait: «C’est le Désir», et Sri Aurobindo disait: «C’est la Joie qui est la force initiale de la Manifestation.» Alors Richard disait: «C’est Dieu qui a désiré se connaître Lui-même», et Sri Aurobindo disait: «Non, Dieu avait la joie de se connaître Lui-même.» C’était tout le temps comme cela!

Sri Aurobindo a continué à traduire. Quand Richard était au Japon, il a envoyé ses manuscrits, «Le pourquoi du monde» et «L’éternelle Sagesse», et Sri Aurobindo retraduisait en anglais.

Et au fond, pour Sri Aurobindo, cela a été un soulagement quand nous sommes partis (il l’a écrit à je ne sais qui, mais c’était d’une façon tout à fait superficielle), c’était un grand soulagement quand Richard est parti. Parce que nous sommes retournés en France, puis il s’est fait réformer pour raison de santé (il a eu une maladie de cœur yoguique!) et la vie en France était impossible, et puis ma présence là-bas était dangereuse parce que les choses qui s’y passaient étaient monstrueuses – monstrueuses – et que, comme le dit Sri Aurobindo, assise dans ma maison toute seule, ça produisait des révolutions: il y avait des armées qui se révoltaient.6 Quand j’ai vu cela (moi, je ne voulais pas que les Allemands aient la victoire, c’était encore pire!) j’ai dit: «Il vaut mieux que je m’en aille.» Alors il a réussi à se faire envoyer au Japon (pour des raisons commerciales, c’est admirable!) comme représentant de certaines maisons (les gens n’avaient pas envie de voyager, c’était assez dangereux: on risquait d’aller au fond de l’eau; alors, quand nous nous sommes offerts, ils ont été contents et ils nous ont envoyés au Japon).

Et alors là (ça aussi, c’est un grand roman), Richard continuait à écrire, il envoyait ses papiers à Sri Aurobindo, puis, quand la Paix a été signée et que l’on a eu la possibilité de voyager, les Anglais ont déclaré que si l’on essayait de retourner en Inde, ils nous coffraient! Mais tout cela s’est arrangé tout à fait miraculeusement. Ça a presque fait des «incidents diplomatiques»: le gouvernement japonais avait décidé que si l’on nous mettait en prison, ils feraient des protestations auprès du gouvernement anglais (une histoire! on pourrait écrire des quantités de romans). Bref, Richard est revenu avec moi ici. Et c’est là qu’a commencé la tragi-comédie.

Un jour, je te raconterai cela.

Fantastique! fantastique!

Et c’est certainement le pouvoir de Sri Aurobindo qui a fait que Richard a décidé de partir. N’est-ce pas, tout le temps, pendant douze ans, j’étais le «gourou» de Richard (c’est comme cela que notre relation se situait), mais quand on est revenu ici, je lui ai dit: «Moi, fini.» – J’ai essayé, je n’ai pas réussi à le convertir. Je n’ai réussi à rien et il faut demander à Sri Aurobindo. Et dès que Sri Aurobindo l’a pris en main, ça a été une autre histoire... Il n’a pas pu tenir le coup: il est parti.

C’était diabolique, n’est-ce pas.

C’était devenu quelque chose de fantastique.

Il est parti.

Évidemment, c’était un homme qui avait une vie plutôt déréglée. Quand il est parti, il a d’abord séjourné dans l’Himalaya et il a fait le Sannyasin là, puis il est allé en France, et, de France, il est allé en Angleterre. En Angleterre, il s’est remarié: il était bigame! Moi, je ne m’en souciais pas naturellement (moins il apparaissait, mieux c’était), mais lui, cela le gênait un peu! Alors, tout d’un coup, un jour, j’ai reçu des lettres d’un avocat – des lettres officielles – pour me dire que «j’avais commencé un procès contre Richard, pour divorce.» Et la raison que «j»’avais donnée (j’avais un avocat là-bas! un avocat que je n’avais jamais demandé! je ne connaissais pas son nom ni son existence: il était «mon avocat»! c’était à Nice que se faisait le procès), j’accusais Richard de m’avoir abandonnée sans me laisser de quoi vivre!! (C’était moi qui avais toujours payé toutes les dépenses depuis le premier jour de notre rencontre, alors ce n’était pas nouveau! mais enfin.) Et naturellement, il ne pouvait pas plaider qu’il était bigame, il ne pouvait pas non plus me faire l’accuser d’être bigame parce que c’était vrai! Alors, paraît-il, il ne payait pas mes dépenses. Je ne lui réclamais rien non plus dans le procès, pas de pension – un peu incohérent, tout cela. Enfin, au bout de quelques mois, j’ai reçu l’avis que j’étais divorcée, ce qui était assez commode d’ailleurs – c’était commode pour la banque. J’avais toujours eu un contrat de mariage avec séparation de biens (parce que, lui, n’avait rien, c’était moi qui avais l’argent et je voulais être libre d’en faire ce que je voulais, mais pour cela, les Français sont impossibles (!) ils voulaient tout de même que le mari autorise la femme – la femme est mineure en France; je ne sais plus si cela continue mais elle était mineure, alors quoi qu’il arrive, il fallait que le mari contresigne, même si l’argent était à la femme et pas du tout au mari: elle ne pouvait pas en disposer; c’était ennuyeux). Au Japon, je m’étais tirée d’affaire (le banquier japonais, lui, trouvait que c’était stupide et il m’a dit de ne pas y faire attention), mais ici, à la Banque, ils sont embêtants. Alors c’était bien que ce soit fini.

Il s’est d’ailleurs encore remarié deux ou trois fois. Maintenant, il est père d’une nombreuse famille (je crois): il a des petits-enfants, peut-être des arrière-petits-enfants. Il est en Amérique. Quelqu’un m’avait dit qu’il était mort, mais moi je sentais qu’il ne l’était pas.

Puis, tout d’un coup, E est arrivée me disant (elle était pleine d’admiration!) qu’elle avait rencontré Richard, qu’il savait prêcher aux gens d’une façon épatante... Mais tu sais, il avait une vie!

Je n’aime pas parler de ces choses, ça ne m’intéresse pas. J’ai vécu toute ma vie, comme Sri Aurobindo l’a dit, absolument libre: je passais à travers les événements comme on regarde un cinéma. Je me regard vivre comme on regarde un cinéma. J’avais une vision intérieure, une volonté intérieure, j’avais ma raison intérieure de faire les choses, qui était un Ordre reçu et dont j’étais consciente, mais extérieurement, fantastique!... Naturellement ça ne pouvait pas être autrement.

Ici, à Pondichéry, les derniers jours auraient pu devenir tragiques (c’était impossible, n’est-ce pas). Le grand argument (il était parfaitement conscient de qui j’étais), il me disait: «Mais enfin, puisque tu es la Mère éternelle, pourquoi as-tu choisi Aurobindo comme Avatar – choisis-moi! Il faut que tu me choisisses, moi.» C’était l’Asoura qui parlait quand il parlait. Alors je souriais. Je ne discutais pas, je lui disais (riant): «Ce n’est pas comme cela que ça se fait!» Puis un jour, il m’a dit: «Ah! tu ne veux pas... (Mère fait un geste à la gorge), eh bien, si tu ne me choisis pas, voilà...» C’était un grand gaillard avec des mains formidables. Alors je suis restée bien tranquille et j’ai dit: My Lord, my Lord... [Seigneur, Seigneur...] comme ça, au-dedans: j’appelais Sri Aurobindo. Et je L’ai vu arriver comme cela (geste qui enveloppe Mère et immobilise tout). Alors les mains se sont relâchées.

Il y a eu des marques sur mon cou.

Après, un autre jour, c’était la même scène – toujours la même scène: il prenait tout le mobilier (ce n’était pas à nous, nous avions loué la maison avec le mobilier) et il commençait à le jeter par la fenêtre dans la cour!

Un roman...

(silence)

Mais tu comprends, ce n’était pas la lutte d’un homme contre un dieu: c’était la lutte d’un dieu contre un dieu. Et il est évident que quand il était comme cela, il avait un pouvoir FORMIDABLE, formidable! Il obligeait tout le monde à lui obéir. Mais c’était le Mensonge – et il prêchait une spiritualité ascétique, tu ne peux pas t’imaginer!7 Et à quel point il était convaincant! Et il ne pouvait pas voir un jupon sans... Garçons, filles, tout y passait! Fantastique.8

Il avait écrit «le Seigneur des Nations»... Et moi, je le voyais, oh! je l’ai vu ce Seigneur des Nations. Et pendant l’autre guerre, la dernière [la seconde guerre mondiale], j’ai eu encore des relations avec lui, mais pas à travers Richard: directement. C’était le Seigneur des Nations, cet être qui apparaissait à Hitler. Ça, c’était fantastique!... Et alors, moi, je savais quand ils allaient se rencontrer (parce que, après tout, c’est mon fils! c’est cela qui était le plus comique) et une fois, je me suis substituée à lui et je suis devenue le dieu d’Hitler (!) et alors je lui ai conseillé d’attaquer la Russie – deux jours après, il attaquait la Russie. Mais sortie de «l’entrevue», je rencontre l’autre [le vrai] qui arrivait à l’entrevue! Il était assez furieux. Il m’a demandé pourquoi j’avais fait cela; j’ai dit: «Ça ne te regarde pas! Parce que c’était cela qu’il fallait faire.» Et alors il m’a répondu: «Tu verras. Je sais, je sais que tu me détruiras, mais avant d’être détruit, je ferai autant de décombres qu’on peut en faire, tu peux en être sûre.»

Alors je revenais de mes promenades nocturnes et je racontais cela à Sri Aurobindo.

Cette vie-là!... Les gens ne savent pas ce qui se passe. Ils ne savent rien – rien.

Mais c’est fantastique.

Il y avait, de temps en temps, des gens qui étaient un peu conscients, comme quand je passais toutes mes nuits de la dernière guerre au-dessus de Paris pour qu’il n’arrive rien (pas intégralement, mais une partie de moi). Je planais. Plus tard, on a su que des gens avaient vu: il y avait comme une grande Force blanche, avec une forme indistincte, qui planait au-dessus de Paris pour que Paris ne soit pas détruit.

C’était une tension si constante pour Sri Aurobindo et pour moi, pendant toute la guerre, que cela avait complètement interrompu le yoga. Et c’était pour cela que la guerre est venue: c’était pour arrêter le Travail. Parce que, à ce moment-là, il y avait une descente extraordinaire du Supramental: ça venait comme ça (geste massif), une descente! C’était juste en 39. Puis la guerre est venue et a arrêté tout, net. Parce que si nous avions continué personnellement le travail [de transformation], nous n’étions pas sûrs d’avoir le temps de finir avant que «l’autre» ne fasse une bouillie de la terre, et alors ça aurait reculé toute l’Affaire pendant... des siècles. Il fallait D’ABORD arrêter ça, cette action du Seigneur des Nations. Le Seigneur du Mensonge...

Tu ne crois pas qu’il va recommencer?

(silence)

X était convaincu que ça allait recommencer. On essaie. On essaie.

C’est ce que Sri Aurobindo avait dit: si on tient le coup jusqu’en 1967, alors ce sera fini... C’est possible.

Mais les «si»... Il y a un domaine où il n’y a plus de «si». Quand je ne suis plus ici, n’est-ce pas, quand JE suis «là-bas», il n’y a encore aucun signe de l’inévitabilité. L’endroit où X voit, c’est tout mélangé. J’ai eu un certain nombre de visions, mais pas LA vision de la guerre inévitable.

Ce n’est pas qu’ils n’essayent pas!

Voilà.9

(silence)

Alors, petit, quand auras-tu fini?

??

Depuis le moment où j’ai su que Sri Aurobindo attachait de l’importance à ce livre, j’ai beaucoup regardé. Je t’ai dit ce que j’avais vu l’autre jour – je ne t’ai pas dit cela?... Tu m’avais demandé, on choisissait les photos, et tu avais choisi cette photo de la «méditation» [Sri Aurobindo sur son lit, après son départ]. Et avant,

moi, j’avais vu la photo où il est jeune. Et au moment où je la voyais, Sri Aurobindo était là et il m’a tout d’un coup pris des millénaires en avant – je t’avais raconté ça. Et il m’a dit: The beginning of the legend [le début de la légende]. Alors j’ai compris que c’était cette photo qu’il fallait pour le livre.

Mais il est évident qu’il fait de ton livre le starting point [le point de départ] de tout ce qui se pensera et se dira et se fera sur le plan intellectuel, sur la terre. Mais je t’assure que je t’aide et il t’aide!

Il faut lui demander.

Si ça (Mère désigne la tête), ça pouvait se tenir tranquille! Il y a une grande tension là (les tempes). Si tu pouvais juste monter ta conscience de façon à recevoir l’indication quand tu as des problèmes à résoudre: tu reçois l’inspiration d’en haut. Et tu tiens ça tranquille-tranquille-tranquille (la tête) – c’est ça qui fatigue!

Tu sais, deux-trois minutes de silence font beaucoup, et ça ne prend pas de temps.

Tu n’as pas le temps, autrement j’aurais eu un problème à te poser... Ce sera pour une autre fois.10

Lequel?

Sur la découverte du Supramental dans le Véda et chez Sri Aurobindo. Il y a quelque chose que je ne saisis pas très bien.

Parce que, dans le Véda, ce n’est pas complet.

Non, ils en avaient eu un hint [aperçu], comme une vision de la «chose», mais il n’y a aucune preuve qu’ils l’aient réalisée. D’ailleurs, pour moi, il me paraît impossible que si ça a été réalisé, on ne retrouve pas ce qui était avant – il y aurait des traces. Et il ne reste pas de traces.

Parce que Théon savait aussi. Il savait, il appelait ça (je ne sais plus) «le nouveau monde», ou «la nouvelle création sur la terre et le corps glorieux» (je ne me souviens plus de sa terminologie), mais enfin il connaissait l’existence du Supramental, il en avait eu la révélation et c’était ça qu’il annonçait. Et il disait que ce serait PAR la découverte du Dieu intérieur; que c’était cela qui mènerait à la «chose». Et pour lui, comme je te l’ai dit l’autre jour, c’était une densité plus grande – ce qui paraît être une expérience correcte. Eh bien, de mon côté, j’ai fait des investigations et j’ai eu d’innombrables visions sur l’histoire de la terre, j’en ai parlé beaucoup avec Sri Aurobindo...

(silence)

D’après ce que Sri Aurobindo a vu, et que moi j’ai vu aussi, les Rishis avaient eu le contact, l’expérience (comment dire?...) une sorte de connaissance vécue de la chose, mais qui vient comme une promesse pour dire: «C’est ça qui sera.» Mais ça ne reste pas.

C’est cela qu’ils ont eu. Et c’est une très grande différence avec la descente – ce que Sri Aurobindo appelle «la descente du Supramental» –, c’est-à-dire la chose qui vient et qui s’établit.

Parce que même quand j’ai eu cette expérience [la «première manifestation supramentale». le 29 février 1956], que le Seigneur a dit: «Le moment est venu», eh bien, ce n’était pas une descente complète: c’était la descente de la Conscience, de la Lumière, et d’une partie, d’un aspect du Pouvoir. Et immédiatement, ça a été absorbé dans le monde de l’Inconscience, qui engloutissait tout ça. Et ça a commencé à travailler depuis ce moment-là. Ça a commencé à travailler dans l’atmosphère. Mais ce n’était pas la chose qui vient et qui s’établit définitivement – d’ailleurs, nous n’aurons pas besoin de le dire parce que ce sera évident!

Mais l’expérience de 56, c’était encore un pas de plus, mais ce n’est pas... Ce n’est pas la chose définitive.

Et ce que les Rishis ont eu, c’était une sorte de promesse – une expérience individuelle.

Enfin, il y a un problème que je te poserai. Tu n’as pas le temps maintenant.

Tu ne veux pas me l’écrire?

L'enregistrement du son fait par Satprem    

This text will be replaced

 

1 La tradition indienne fait une distinction entre une «incarnation» directe (avatar) et une simple «émanation» (vibhouti) sortie de la conscience d’un dieu (ou d’un diable).

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2 Il ne s’agit pas d’un lieu physique.

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3 Richard est décédé aux États-Unis en 1968, puis il a vainement tenté de se réincarner à Auroville. Le danger de l’«accrocher» semble donc écarté, du moins sous cette forme.

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4 Le 28 juin eut lieu l’assassinat de l’archiduc d’Autriche, François- Ferdinand, à Saraïevo.

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5 Nous ne nous souvenons plus où nous avions déniché ce faux renseignement.

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6 Mère fait allusion à l’Aphorisme suivant de Sri Aurobindo: 120 – «Si tu peux percevoir que tu conduis des révolutions, alors même que tu es assis tout seul, immobile et sans paroles au sommet de la montagne, tu as la vision divine et tu es libre des apparences.» Cet Aphorisme est complété par un autre: «Si tu peux percevoir que TU ne fais rien, alors même que tu accomplis de grandes actions et mets en mouvement des résultats formidables, sache que Dieu a retiré son sceau de tes paupières.»

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7 Il est remarquable que toute la tradition indienne dépeint les Asouras comme de grands ascètes: ils veulent arracher le Pouvoir à force d’ascèse et d’austérités. Et en fait, les hommes sont incapables de percevoir et de saisir le vrai pouvoir: il est transparent.

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8 Selon le vœu de Mère, nous avons effacé tout l’enregistrement qui précède, mais ayant retrouvé dans nos papiers la transcription de cette conversation, il nous a paru bon, les années ayant passé et les circonstances étant changées, de conserver en grande partie ce texte pour son intérêt historique. Les difficultés de Mère sont toujours les difficultés du «Travail terrestre»; nous ne pouvions guère passer sous silence cet Asoura particulier qui dérange la terre si particulièrement. La suite de l’enregistrement de cette conversation a été partiellement conservée.

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9 Il existe encore un enregistrement de cette partie de la conversation. Nous n’avons pas gardé la suite (hélas), sauf la toute dernière partie.

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10 Il existe un enregistrement de cette dernière partie de la conversation.

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