Mère
l'Agenda
Volume 3
(Mère montre au disciple des feuillets imprimés du temps de Théon: «Axiomes de base de la philosophie cosmique», que l'on vient de retrouver parmi d'anciens papiers:)
Ça, c'est amusant! (Mère lit:)
«Dans l'état physique, l'homme est le suprême évoluteur.
«Il n'y a qu'une loi, la loi de la Charité, une avec la Justice.
«Il n'y a qu'un déséquilibre: la violation de cette loi.
«La cause du déséquilibre est l'excès.
«La perpétuelle évolution vers le perfectionnement...
«La mortalité est l'effet...
Ça n'existe pas en français, «mortalité»!
La mortalité infantile!
«La mortalité est l'effet dont le déséquilibre est la cause. Elle est accidentelle et temporaire...»
N'est-ce pas, selon Théon, le monde a été créé et détruit – création et pralaya – six fois. Et chaque fois, un. attribut s'est manifesté, mais cet attribut n'est pas arrivé à s'accomplir et le monde a été «ravalé». Et puis nous sommes la septième fois, et c'est l'attribut de l'Équilibre. Et quand l'Équilibre sera établi, ce sera un progrès ininterrompu et sans déséquilibre naturellement, c'est-à-dire sans mort, sans désintégration.
(le disciple continue la lecture:)
«Il n'y a qu'une royauté, qu'une aristocratie: celle de l'intelligence.
«Il y a quatre classifications de formations terrestres: la minérale, la végétale, l'animale, et la psycho-intellectuelle ou divine humaine. Parmi ces quatre, en ordre, il n'y a point de divisions.
«L'unité divine, revêtue et manifestée par l'humanité collective...»
C'était bilingue. Il appelait cela: «Axiomes de la base de la philosophie cosmique.» C'était un certain métaphysicien français, connu au commencement du siècle – son nom commençait par un B. Il avait rencontré Théon en Égypte quand Théon était avec Bla-vatski (ils avaient fondé une revue avec un nom de l'ancienne Égypte, je ne sais quoi, je ne me souviens plus), et alors ce B avait dit à Théon (Théon devait savoir le français déjà) de fonder une Revue Cosmique et de publier les «Livres Cosmiques», et c'est lui qui avait donné les formules et écrit ce charabiah!
Il y avait le nom de l'imprimeur et la date, l'année, mais ce n'est plus là...
Si: «Imprimerie du Petit Tlemcénien».
Ça vient de Tlemcen?
Oui.
Ce B avait, paraît-il, l'idée que l'homme parfait, l'homme immortel, serait sphérique! Et alors Théon me disait toujours (c'est lui qui m'a raconté tout ça): «Et moi, je lui disais que ce n'est pas possible parce que ce ne serait pas commode, on ne pourrait pas s'embrasser»! Des plaisanteries de ce genre. Théon me disait aussi que quand ce B est venu à Tlemcen, il avait vu la maison que Théon était en train de construire (parce qu'ils s'étaient rencontrés en Égypte, puis ils s'étaient retrouvés à Tlemcen), et il lui avait demandé: «Pourquoi votre maison est-elle rouge? Est-ce que ça a un sens mystique?» Et Théon lui a répondu: «Non, c'est parce que le rouge, ça fait bien avec le vert!» Voilà. Mais je ne me souviens plus de son nom, il était très connu de son temps, c'était un contemporain de celui qui a écrit Les Grands Initiés.
Schuré?
Oui, Édouard Schuré. Il était contemporain, un petit peu plus âgé qu'Édouard Schuré (que j'ai rencontré d'ailleurs – il était assez creux). Ça commençait par un B et c'est lui qui avait formulé ces «Axiomes».
Tu m'avais parlé, une fois, d'un nommé Barley?
Ah! c'est Barley. Oui, ce doit être Barley.
La femme, Madame Théon, était anglaise, et c'est elle qui écrivait, mais elle écrivait des histoires, tandis que ça, ça me paraît être de ce Barley parce que j'ai lu une chose à la fin, à la dernière page, qui est assez... c'est pauvret, tout ça, c'est très pauvret.
(Mère feuillette et lit en riant:)
«Le seul culte légitime, c'est le culte de l'homme...»
Le surhomme, oui, qu'il appelle «psycho-intellectuel». Ça c'est le surhomme – c'est le seul culte légitime...
Ça a l'air un peu sommaire, tout ça.
Très sommaire. Je ne crois pas que ce soit la peine que tu perdes ton temps là-dessus. Seulement, ça m'a amusée de retrouver ce premier paquet parce que... regarde le symbole. (Mère montre la première page)
Oui, j'ai vu!
Le symbole est intéressant.
Ça ressemble à celui de Sri Aurobindo.
C'est moi qui ai dessiné celui de Sri Aurobindo d'après ça.
Tu vois, ils ont fait le carré au centre très allongé. Celui qu'on a fait ici est plus correct: Pavitra l'a fait égal. Mais celui de la Revue Cosmique était allongé, avec le lotus au centre.
C'est le même [que celui de Sri Aurobindo], seulement il est allongé pour que le carré vienne à la jonction du triangle.
Je garde ça pour le montrer à Pavitra parce que c'est ça que j'avais essayé de faire d'abord. Mais évidemment celui de maintenant est correct.
C'est Théon qui m'avait dit que c'était le sceau de Salomon.
Voilà, maintenant tu as apporté ton livre?1
(Sans enthousiasme:) Ou-ui...
(Mère se remet à feuilleter les pages)
Ils font là toutes sortes de recommandations: par exemple, qu'il faudrait, pour faire les expériences d'extériorisation, mettre une robe lâche que l'on ne met que pour ça.
Pourquoi donc? Quelle est l'idée?
Question d'aura. L'idée, c'est que les forces s'accumulent. Et même, cette robe, elle disait qu'il valait mieux ne pas la laver!
Ce sont des «idées».
Il y a quelque chose de vrai derrière.
Elle disait aussi que pour rester dans son corps, il fallait mettre sur ses pieds (n'est-ce pas, quand on dort, on a les pieds nus), mettre sur les pieds une étoffe bleue, et que ça vous garde dans votre corps.
???
C'est le résultat des expériences occultes de Mme Théon, dont ils faisaient une règle générale.
Mais une robe lâche, c'est tout à fait évident: il ne faut pas avoir froid pour ces expériences, c'est important, et il faut que rien ne vous gêne nulle part. Et puis il est très important que rien ne dérange la circulation parce qu'elle diminue beaucoup, alors il faut la protéger.
Ce sont des choses pratiques, mais...
C'est une pauvreté.2
Toutes ces choses mises en paragraphes ont toujours un petit air sommaire et dogmatique.
Oui, stupide: ce sont des affirmations de contradiction, c'est-à-dire une affirmation pour contredire certaines choses. Ce n'est pas du tout pour affirmer quelque chose qui a été VU – vu et transmis –, c'est pour contredire les histoires de péché originel avec toutes les religions, qui, selon Théon, s'adressent toujours à des êtres plus ou moins hostiles.
Théon disait aussi que l'homme était né parfait et qu'il a dégringolé.
C'est l'histoire du paradis terrestre?
Pardon, Théon disait toujours que le «Serpent», ce n'était pas du tout Satan: c'était le symbole de l'évolution (lui, il était tout à fait pour l'évolution), l'évolution qui va en spirale, et que, au contraire, le paradis terrestre était sous la domination de Jéhovah, le grand Asoura qui prétendait être unique – qui voulait être un Dieu unique. Pour Théon, il n'y a pas de Dieu unique: il y a l'Impensable. Ce n'est pas un «Dieu».
Mais ça me paraît être le résultat de son origine juive. Parce que Théon était juif, bien qu'il ne l'ait jamais dit (ce sont les autorités de Tlemcen qui l'ont dit: quand il est arrivé, il a bien fallu qu'il dise qui il était). Il n'en parlait jamais, il avait changé de nom. Ils ont dit qu'il était d'origine juive, mais ils n'ont jamais pu dire s'il était Polonais ou Russe. Ou bien la personne qui me l'a dit ne l'a jamais su. Mais pour les Juifs, c'est «l'Impensable» dont on ne doit pas prononcer le nom (on ne le prononce qu'une fois par an, le jour du «grand Repentir»; je crois que c'est ainsi qu'on l'appelle). C'est la lettre Yaveh qu'on ne doit pas prononcer. Mais les prières parlent des «Elohims», et les Elohims c'est un pluriel (le mot hébreu «Elo-him» est un pluriel), et ça veut dire les «seigneurs invisibles». Alors pour Théon, il n'y avait pas de Dieu unique: il y avait le Sans-Forme impensable; et tous les êtres invisibles qui ont prétendu être des dieux uniques étaient des Asouras.
Il appelait le Christ: «Ce jeune homme»!! (rires) C'était très amusant!
Enfin, voilà. J'ai retrouvé ça, ça m'a amusée.
Je vais le lire.
Mais c'est pauvre.
C'est succinct.
C'est très mince.
C'était évidemment un instrument pour démolir de vieilles choses. C'est cette idée que l'homme est divin et qu'il peut le redevenir par l'évolution: originairement il était immortel et il doit être immortel.
On se demande comment, en Europe, on pourra passera travers cette carapace chrétienne qui a l'air d'être excessivement solide. Elle est terrible, cette carapace!
Oui, oh!...
Et même en Amérique, mon petit, ça les tient. Ils retombent toujours dans leur christianisme.
Ça va être très dur.
Je ne sais pas pourquoi, chaque fois que j'entre en contact avec une pensée chrétienne, ça m'emplit de colère.
Oui! mais je comprends! Mais c'est vrai, tu sais, qu'il y a derrière, là, un Asoura – pas le Christ! Le Christ, Sri Aurobindo le considérait comme un Avatar (une forme mineure d'Avatar). Il l'a toujours dit: c'était une des émanations du côté d'Amour du Divin. Mais alors ce que l'on en a fait!... D'ailleurs, la religion a été fondée deux cents ans après sa mort. Et c'est tout à fait une construction politique de domination, faite avec, par derrière, le Seigneur du Mensonge, qui a pris quelque chose [de vrai] et qui l'a tordu, comme il a l'habitude de le faire.
Il y a à boire et à manger dans cette religion – le nombre de sectes! Il n'y a qu'une chose en commun, c'est la divinité du Christ, et alors c'est devenu asourique en ce sens qu'il s'est fait unique: il n'y a eu qu'UNE incarnation, c'est le Christ. Et c'est là où tout est allé de travers.
On verra.
Ça résiste – ça résiste partout. C'est encore plus résistant que le matérialisme.
Mais oui! il n'y a rien de plus terrible que les idéalistes, ils sont pires. Ils sont pires que les gens mauvais.
Oh! mais si tu parles des puritains, des protestants... ceux-là sont effroyables, ceux-là sont les pires. Encore, le catholicisme garde un peu le sens occulte, et puis ils ont après tout une certaine adoration de la Vierge, qui les laisse en contact avec quelque chose qui n'est pas asourique.
Ce pape qui est mort, le précédent [Pie XII], avait élargi son esprit beaucoup, élargi la doctrine beaucoup aussi: c'était un fidèle de la Vierge.
Mais les protestants sont retournés au Père, et alors c'est devenu exactement l'adoration du Dieu personnel unique, asourique. Et ils ont tout inventé et tout déformé: comme l'ascétisme, par exemple, comme toutes ces choses – partout ils ont pris les choses, ils les ont tordues, et tout est abîmé.
Ah! lis-moi ton livre.
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1 L'enregistrement du bref passage suivant n'a pas été conservé.
2 L'enregistrement reprend ici.