Mère
l'Agenda
Volume 4
(À propos de la traduction anglaise de «L'Aventure de la Conscience»:)
...Il y a une chose qui est intraduisible, c'est le rythme musical de la phrase – c'est impossible. Parce que le rythme anglais et le rythme français ont une façon tout à fait différente; ce qui est poétique en anglais, ce rythme-là, si on le traduit exactement, ce n'est pas poétique du tout en français. Alors une traduction est une traduction, il faut en prendre son parti... Mais il restera encore bien assez d'idées pour que cela fasse du bien aux gens!
Non, mais souvent cela devient très coupé. Le français est haché, fort, avec un rythme, alors en anglais on a l'impression que ce sont des petits bouts coupés, collés. Mais enfin je crois qu'elle fait le mieux possible.
Mais Sri Aurobindo m'a toujours dit que le français traduit faisait du bon anglais, tandis que l'anglais traduit fait du mauvais français. Justement, il y a une précision de langue, qui vient de la traduction, qui n'existe pas dans l'anglais naturel.
Enfin je sais que ça ira.
*
* *
(Puis Mère lit un passage de «Savitri»:)
Il y a ici quelque chose...
A slow reversal's movement then took place:
A gas belched out from some invisible Fire,
Of its dense rings were formed these million stars;
Upon earth's new-born soil God's tread was heard.
(II.101)
C'est magnifique... magnifique.
En français, ce serait pauvre.1
Je ne cherche pas à traduire poétiquement, j'essaye seulement de donner le sens. Je lis la phrase anglaise jusqu'à ce que je VOIE le sens clairement, puis, quand je vois, je le dis en français, mais très maladroitement –je n'ai pas la prétention d'être poète! Seulement le sens est juste.
Cette traduction ne servira à rien du tout – elle ne sert qu'à moi. Mais je n'ai même pas le temps, j'ai à peine une demi-heure à lui donner tous les jours – je peux bien me donner une demi-heure à moi-même tous les jours!
*
* *
(Le disciple lit à Mère une ancienne conversation, du 11 mai, ou Mère disait que le vrai mantra n'est pas celui qu'un gourou vous donne, mais celui qui jaillit spontanément du dedans, comme le cri de votre âme.)
Mais comment se fait-il, si le mantra contient automatiquement le pouvoir de l'expérience, que l'on dise toujours qu'à moins que le mantra ne vous ait été «donné» par le gourou, il n'a pas de pouvoir.
Quand vous n'avez pas de pouvoir vous-même, naturellement!
Si, par exemple, n'importe qui vient et me demande un mantra, je ne lui dis pas de trouver son mantra intérieur... Ce que je dis là s'applique à ceux qui sont en contact avec leur âme. Mais ceux qui ne sont pas en contact conscient avec leur âme ne peuvent pas avoir le mantra – c'est la tête qui cherche un mot, alors ce n'est rien. J'ai dit que le mantra doit jaillir du dedans – pour ceux-là, ça ne jaillit pas! Ils ne l'ont pas. Ils ne l'ont pas, ils ne risquent pas de l'avoir! Alors c'est le gourou qui passe le pouvoir qu'il a.
Oui, mais un mantra qu'on lit dans un livre, par exemple, il paraît que ça n'a pas de force – comment se fait-il, puisque la vibration est là?
Mais quelqu'un qui a le pouvoir en lui, il le lit dans le livre et il a la force! (Mère rit) C'est la capacité de sentir et d'être en contact qui est nécessaire.
Au fond, le gourou, qu'est-ce qu'il fait? Il met ensemble (geste de jonction), ce n'est pas autre chose qu'un lien. Ce n'est pas «son» pouvoir qu'il vous donne (il le croit, mais ce n'est pas vrai): il est le lien. Il vous met en contact avec le Pouvoir – un contact que vous n'avez pas sans lui. Mais ceux qui n'ont pas besoin de gourou, ils ont le contact SANS le gourou.
Ce n'est pas du tout quelque chose qu'il a dans sa poche (riant) et dont il vous fait cadeau! Ce n'est pas du tout cela: c'est le pouvoir d'établir le contact.
(silence)
Au fond, c'est simplement une question de conscience: les gens (ordinaires) ont une conscience qui va jusqu'à un certain point (qui n'est généralement pas très lointain), et après cela, pour eux, c'est «l'inconscient» (quoique ce soit plein de conscience!), mais c'est pour eux l'inconscient parce qu'ils n'ont pas de contact. C'est comme la nuit quand on s'éveille dans un autre état d'être et que l'on devient conscient, on a un «rêve» (ce que les gens appellent un rêve, c'est-à-dire une expérience), puis ils reviennent dans leur conscience ordinaire et il n'y a pas de contact entre les deux consciences, alors ils ne se souviennent même pas de leur rêve. Mais on peut, par un développement méthodique, prolonger sa conscience et faire un lien entre les deux; et de la minute où on a un lien, il suffit de très peu de chose pour se souvenir de tout. Mais ce qui est difficile, c'est de prolonger sa conscience.
Et au fond, le vrai pouvoir du gourou, c'est de boucher les trous! C'est de vous mettre en contact; quand on est dans les plans supérieurs, de vous mettre en contact avec Tout-en-Haut. Ou de vous mettre en contact avec votre âme, votre être psychique au-dedans, ou de vous mettre en contact avec le Suprême – mais ça, il n'y en a pas beaucoup qui puissent le faire.
(silence)
C'est cela que je voyais quand je t'avais parlé l'autre jour de ce que j'appelais un «bain de Seigneur». L'atmosphère est pleine, n'est-ce pas, pleine-pleine d'une Présence (on ne peut même pas dire une «vibration», c'est beaucoup plus qu'une vibration: c'est une Présence), mais les gens entrent, ils ne sentent rien! Ou s'ils sentent, ils ne comprennent même pas, ça ne correspond à rien dans leur conscience. Mais si je concentre une certaine vibration sur leur conscience, je les mets en contact. Et tout d'un coup, ils sentent quelque chose, avec l'impression que c'est une chose nouvelle – ce n'est pas nouveau du tout! c'est leur capacité de percevoir qui est nouvelle.
Et d'une façon générale, c'est comme cela: le Seigneur est partout, Sa vibration est partout, mais c'est la capacité de Le sentir ou d'en être conscient qui est nouvelle. De toute éternité Il est là, pour toute éternité Il est là.
Et l'expérience que j'ai constamment – constamment –, ce n'est pas que je vais chercher quelque chose qui n'est pas là et que je l'amène là où ce n'est pas! Quand je dis au Seigneur: «Manifeste-Toi», je ne veux pas dire qu'il ne s'est pas manifesté! je veux dire: «Donne-nous le pouvoir de sentir Ta manifestation.» Il faudrait dire (je ne sais pas si c'est français ou si c'est une traduction de l'anglais): «Rends-Toi manifeste... Permets que nous devenions conscients de Ta Présence.»
Et ça donne bien le sentiment de l'Irréalité, de l'Inconscience – et de tout le désordre qui en résulte. Parce qu'il y a une Réalité CONSTANTE, un Ordre divin CONSTANT, et c'est seulement l'incapacité de le percevoir qui est le Désordre, le Mensonge actuel.
Les expériences sont en train de se multiplier; alors, extérieurement, c'est comme si tous les gens commençaient à se disputer, à se quereller (riant, encore beaucoup plus qu'avant!) pour les choses les plus futiles du monde, absolument inutilement, sans raison, comme cela. Et alors, pour moi, les deux deviennent visibles en même temps: la chose vraie et sa déformation; l'événement tel qu'il devrait se passer et la déformation. Et l'événement RESTE LE même – la déformation est simplement comme une excroissance qui est dessus, tout à fait inutile, qui complique atrocement, pour rien. Et alors, qui donne tout à fait l'impression vraiment du Mensonge (dans le sens de falsehood, pas dans le sens de lie):2 ça n'a pas de sens, ça n'a pas de raison d'être, c'est absolument inutile, parfaitement imbécile, et pourquoi c'est là??... C'est pris et tordu – tout est pris et tordu. Quelle est cette habitude de tordre les choses? Je ne sais pas.
Au fond, on se demande qui ça amuse?! Les gens se plaignent, ils disent qu'ils sont bien malheureux – mais c'est leur propre faute! ce sont eux qui font cela! S'ils ne le faisaient pas, tout serait tout à fait simple.
Et les événements ne seraient pas changés.
(silence)
Voilà.
C'est tout?
À moins que tu ne veuilles demander quelque chose?
Non... J'étais à contempler ce que tu disais... C'est vrai, on voit les choses à l'envers.
Oui, c'est ça! c'est tout à fait ça!
En ce moment, je suis en train de vivre cette expérience à chaque minute, avec tout-tout, tous les gens et les choses qui m'entourent, à chaque MINUTE. C'est tout à fait intéressant.
Tiens, c'est comme ce que Pavitra m'a dit hier: il avait toujours l'habitude de sortir de son corps dans son aspiration et de monter très haut – je lui avais dit cent fois de ne pas le faire, que ce n'était pas bon (pour lui; pour un autre, je dirais de le faire). Il n'avait jamais compris, et chaque fois qu'il méditait, brrt! il sortait de son corps. Alors l'autre jour, il m'a dit: «Ah! maintenant j'ai compris! je cherchais toujours Mère là-haut, et puis tout d'un coup, je n'ai plus rien trouvé. Alors je me suis concentré ici (dans le corps) et puis j'ai trouvé Mère immédiatement», et il a ajouté: «C'est parce que Mère est ici maintenant!» (Mère rit) Je ne lui ai rien expliqué, mais c'était tellement ça!
Je ne lui ai rien dit, mais j'ai souri comme si c'était une découverte qu'il avait faite!
On cherche à entrer en rapport avec quelque chose qui est là!
(silence)
Et le Pouvoir... c'est une montagne d'expériences qu'il faudrait dire. Le Pouvoir, pendant des années et des années et des années, était comme cela (geste au-dessus de la tête): la Conscience est là et le Pouvoir agit comme cela (même geste); et ça prend longtemps pour se traduire (ça dépend des gens, mais enfin ça prend toujours du temps pour se traduire), et ça se déforme au passage; et alors ce qui reste est un résidu pas très efficace. Je demandais au-dedans de moi: «Mais pour que tout ça change, il faudrait un pouvoir direct! Il faudrait un pouvoir qui se fasse sentir directement, c'est-à-dire qui passe de cellule à cellule: vibrations de même qualité...» Ça commence à venir. Mais je me demandais aussi pourquoi ça ne vient pas plus vite?... Quoique je le sache très bien: c'est parce que nous déformons tout; nous avons une telle habitude de vivre dans une conscience mentalisée que nous déformons tout, et que naturellement le Pouvoir ne peut pas venir pour être déformé. Et maintenant, la leçon est ainsi: le Pouvoir vient pour un fait spécial, par exemple pour agir sur quelqu'un – et le Pouvoir est là, il agit –, et en même temps, il m'est donné d'observer, de visualiser réellement les... (comment dire?)... Sri Aurobindo emploie le mot accretions («excroissances» n'est pas le vrai mot, parce que excroissance donne l'impression de quelque chose qui croît du dedans au dehors – ce n'est pas ça, c'est quelque chose qui vient du dehors et qui s'ajoute). Je visualise comment la déformation vient et s'ajoute automatiquement sur le Pouvoir – et ça gâte tout. Alors le Pouvoir s'arrête net, on remet tout en place... et puis ça recommence.
Il faut une observation très aiguë, très attentive, et surtout très impersonnelle (dans le sens d'objectif, où il n'y a aucune réaction), pour voir ces choses-là.
C'est petit à petit, petit à petit que l'on apprend le vrai fonctionnement; parce que ces choses qui s'ajoutent et qui gâtent, ce ne sont pas des adjonctions volontaires venant d'un désir ou d'une impatience, ou d'un excès d'enthousiasme – ce n'est pas tout cela, c'est... une habitude. C'est tout simplement une habitude.
C'est-à-dire que l'élément psychologique est purifié et n'intervient pas: c'est seulement une habitude. La substance a l'habitude de faire ça, elle le fait. Alors il faut lui apprendre à ne pas bouger, à se tenir tranquille; que lorsque la Vibration vient, cette espèce de chose qui se précipite ne se précipite pas.
C'est très intéressant.
C'est comme si l'on se tenait au seuil d'une réalisation for-mi-da-ble, et qui dépend d'une chose toute petite.
(silence)
Sri Aurobindo a dit quelque part que les réalisations miraculeuses ne durent pas (elles se produisent, mais elles ne durent pas) et que c'est seulement la transformation qui fera que ce sera durable – maintenant je comprends! Parce qu'il se trouve des gens qui, pour une raison quelconque (un moment, un éclair, une utilité), reçoivent la Force: tout d'un coup la Force vient, passe, agit, le résultat est fantastique, mais... ça ne se reproduit pas. Ça ne peut pas se reproduire, parce que c'est comme un concours de circonstances, c'est tout. C'est seulement quand un petit travail comme cela, de transformation que l'on pourrait appeler «locale», sera achevé et qu'il y aura la pleine conscience dans la pleine maîtrise de la manière de se servir de la Force sans que rien n'intervienne, que, alors... c'est comme l'expérience de chimie que l'on a appris à bien faire: on peut la refaire à volonté, chaque fois que c'est nécessaire.
C'est la période du travail actuel. C'est très intéressant.
Mais sans gloire!
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1 Nous avons seulement conservé l'enregistrement magnétique de la lecture anglaise de Mère, dont voici la «pauvre» traduction:
Puis il y eut un lent mouvement de renversement
Un gaz éructa de quelque invisible Feu
De ses anneaux denses, ces millions d'étoiles furent formées,
Sur le sol de la terre nouveau-née on entendit les pas de Dieu.
2 La fausseté et non le mensonge dans les paroles.