Mère
l'Agenda
Volume 4
(Mère commence par lire une lettre de Sri Aurobindo:)
The way to get faith and all things else is to insist on having them and refuse to flag or despair or give up until one has them –it is the way by which everything has been got since this difficult earth began to have thinking and aspiring creatures upon it. It is to open always, always to the Light and turn one's back on the Darkness. It is to refuse the voices that say persistently, «You cannot, you shall not, you are incapable, you are the puppet of a dream,»–for these are the enemy voices, they cut one off from the result that was coming, by their strident clamour and then triumphantly point to the barrenness of the result as a proof of their thesis. The difficulty of the endeavour is a known thing, but the difficult is not the impossible–it is the difficult that has always been accomplished and the conquest of difficulties makes up all that is valuable in the earth's history. In the spiritual endeavour also it shall be so.1
Sri Aurobindo
N'est-ce pas, they cut one off from the result that WAS coming... [Ils vous coupent du résultat qui ÉTAIT EN TRAIN de venir]... by their strident clamour [par leurs clameurs stridentes], and then triumphantly point to the barrenness of the result as a proof of their thesis [puis elles vous montrent triomphalement un désert de résultats comme une preuve de leur théorie]! Et c'est TELLEMENT vrai, c'est une expérience que j'ai eue tant-tant-tant de fois, non seulement pour moi mais pour des quantités de gens.
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Je crois («je crois», c'est comme le «il semble» des savants) que je peux annoncer que quelque chose s'organise dans le Subconscient – ça commence à s'organiser –, dans le subconscient des individus et dans le Subconscient général. C'est moins inconscient. C'est un petit peu plus... oui, un petit peu plus conscient, réfléchi et organisé – un tout petit commencement d'organisation, très peu, mais une croissance dans la conscience; ce n'est pas tout à fait aussi inconscient.
C'est toujours la dernière partie de la nuit que je passe là-dedans... Tu te souviens de cette histoire du bateau supramental? et que les choses s'organisaient par la volonté, pas par des moyens extérieurs; eh bien, c'est cette action-là qui commence à exister dans le Subconscient.
Par exemple, la nuit dernière, de bonne heure le matin, il y avait comme des étages de petites cellules,2 et chaque cellule était, je ne peux pas dire la propriété mais le bien de chacun, ce qui est sous son contrôle direct et reflète ce qu'il est convenu d'appeler son «état d'âme», sa manière d'être. Et il y avait des étages comme cela: on montait, on descendait... L'impression, pour moi, c'est que j'étais beaucoup-beaucoup plus grande et que je dominais tout ça, et j'étais d'une autre texture, comme faite d'une autre substance, pas tout à fait pareille; et c'était comme si tout ça était au-dedans de moi sans être au-dedans (je ne peux pas expliquer): j'étais à la fois comme en surplomb et agissant au-dedans. Et alors, suivant l'action, les gens montaient, descendaient, allaient, revenaient; mais chacun avait son petit carré – ils commençaient à l'avoir, ça commençait à s'organiser.3 Chaque cellule était plus ou moins précise: certaines étaient très précises, d'autres plus floues, comme en voie de précision. Et l'ensemble avait une sorte de précision dans l'expérience de la nuit dernière. Et j'étais comme quelque chose de très gros, en dehors, et je riais, je parlais à chacun, mais ils ne s'apercevaient pas de l'action (de Mère); n'est-ce pas, ils me paraissaient grands comme ça. (geste de 10 cm), tout petits. Mais tout à fait vivants: ils allaient, ils venaient, ils bougeaient... Et je leur parlais, mais ils ne savaient pas d'où ça venait. Et alors je riais, je m'amusais, je disais à certains: «Ah! tu vois, c'est comme cela que tu conçois les choses!» Et c'était... oh! si je remonte à l'année dernière, il y a une différence formidable de conscience, au point de vue conscience. Avant, tous les mouvements étaient des réflexes, des instincts, comme si les gens étaient poussés par une force dont ils étaient tout à fait inconscients et qu'ils considéraient être leur «caractère» la plupart du temps, ou le Destin (ou leur caractère ou la Fatalité, le Destin). Et c'était tout comme des marionnettes qu'on pousse. Maintenant, ce sont des êtres conscients – qui commencent, ils commencent.
La proportion a changé.
Et je pouvais leur montrer justement la proportion entre le mouvement conscient, voulu, qui s'observe, et cette espèce d'instinct presque inconscient qui obéit à une Force qui contraint, c'est-à-dire que l'on ne sait pas d'où ça vient ni ce que ça veut ni rien – on va.
Certains avaient encore des espaces tout à fait flous et nuageux; d'autres, c'était précis, il y avait même des détails très précis; et clair-clair: il y avait une lumière – il y avait une lumière qui commençait.
Si ça continue, ce sera bien. Ça changera beaucoup de choses.
C'était dans le subconscient des individus?
Des individus, oui.
Ce n'est pas leur conscience éveillée?
Non-non! ce ne sont pas les individus tels qu'ils se connaissent – c'est leur subconscient. C'est dans le subconscient. Le subconscient est un domaine comme le matériel est un domaine – c'est dans le subconscient.
Il y a eu beaucoup d'efforts, de concentrations, de méditations, de prières pour amener l'éclaircissement et le contrôle de tous ces réflexes semi-conscients qui gouvernent les individus – une grande concentration sur ce point-là. Et cette expérience paraît être le résultat.
Il y a beaucoup de choses dont on ne s'aperçoit même pas dans la vie (quand on vit la vie ordinaire, on ne s'en aperçoit pas), il y a tout un domaine de choses qui sont absolument, pas tout à fait inconscientes mais ce n'est certainement pas conscient, et qui sont des réflexes – des réflexes, des chocs en retour, etc.; puis la réponse (la réponse semi-consciente, très peu consciente) à la poussée donnée par la Force d'en haut dont on est tout à fait inconscient. C'est l'étude de cette question qui est au tableau; je m'occupe beaucoup de cela. Une étude de chaque seconde... N'est-ce pas, il y a différentes manières pour le Seigneur d'être là, c'est très intéressant (ce n'est pas pour Lui, la différence, c'est pour nous!) et ça dépend justement de la quantité de mouvements réflexes habituels qui se produisent presque en dehors de notre observation (généralement tout à fait en dehors). Et ça m'a beaucoup-beaucoup préoccupée: la façon de sentir la Présence du Seigneur, les différentes façons. Il y a une façon où on la sent comme quelque chose de vague, mais dont on est sûr – on est toujours sûr mais la sensation est vague et un peu floue –, puis il y a des fois où c'est une Présence aiguë4 (Mère touche son visage) et précise-précise, dans tout ce que l'on fait, tout ce que l'on sent, tout ce que l'on est. C'est toute une échelle. Et alors si on suit le mouvement (geste en dégradé vers le lointain), il y a l'échelle de ceux qui sont si-loin-si-loin qu'ils ne sentent rien du tout.
Cette expérience-là m'a fait écrire quelque chose hier (mais l'expérience a duré plusieurs jours), c'est venu comme le résultat du travail fait, et hier je l'ai écrit en anglais et en français:
«Il n'y a pas d'autre vice, pas d'autre péché
que d'être loin de Toi.»
Alors tout le monde, l'univers me paraissait comme cela, et à chaque point (qui n'occupe pas d'espace), à chaque point de l'univers et dans la totalité de l'univers c'est comme cela; et ce n'est pas qu'il y ait des endroits de l'univers qui soient loin et des endroits qui soient près, ce n'est pas cela (c'est en dehors de l'espace), mais il y a toute une hiérarchie de proximités, jusqu'à quelque chose qui ne sent pas, qui ne sait pas – ce n'est pas que ce soit en dehors parce que rien ne peut être en dehors du Seigneur, mais c'est comme l'extrême limite: si-loin-si-loin-si-loin – c'est tout noir – que c'est comme s'il n'y touchait pas.
C'était une vision très totale. Et une expérience tellement aiguë que ça paraissait être la seule chose vraie. Ça n'occupait pas d'espace, et pourtant il y avait cette sensation de proximité et d'éloignement. Et alors c'était comme un Foyer, ou un Centre, je ne sais pas (mais qui était partout), qui était le paroxysme de Toi – Toi pur. Et ça avait sa qualité propre. Puis ça commençait à s'éloigner, s'éloigner, s'éloigner, ce qui produisait une sorte de mélange avec quelque chose... qui n'était rien – qui n'existait pas – mais qui faisait que ça changeait de vibration, ça changeait d'intensité, et ça s'en allait, ça s'en allait, ça s'en allait jusqu'à... l'Obscurité – l'Obscurité inconsciente.
Et alors il me venait et revenait tout le temps comme cela: il n'y a pas d'autre péché... (parce que c'était à la suite de quelques vers de Savitri que j'ai lus, sur la glorification du péché dans le monde vital, et les mots me sont venus à cause de cela)... il n'y a pas d'autre péché, il n'y a pas d'autre vice que d'être loin de Toi.
Ça paraissait tout expliquer.
Puis l'anglais:
"There is no other sin, no other vice
than to be far from Thee."
Ce n'est pas moi qui l'ai écrit! Il n'y a pas de moi là-dedans: ça vient comme cela.
Le far from Thee [loin de Toi], c'est si-si intense comme vibration, ça a un sens concret.
Et c'est la seule chose: tout le reste, toutes les notions morales, tout-tout, même la notion d'Ignorance... ça devient du bavardage mental. Mais ça, cette expérience-là est admirable. Far from Thee...5
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1 La façon d'obtenir la foi ou quoi que ce soit d'autre est de s'obstiner à l'avoir et de refuser de s'amollir ou de désespérer ou d'abandonner jusqu'à ce qu'on l'ait – c'est de cette façon que tout s'est accompli depuis que cette terre difficile a commencé de porter des êtres qui pensent et aspirent. C'est d'être toujours ouvert, toujours à la Lumière, et de tourner le dos à l'Obscurité. C'est de refuser les voix qui vous répètent inlassablement: «Tu ne peux pas, tu n'arriveras pas, tu es incapable, tu es la marionnette d'un rêve», car ce sont des voix ennemies; par leurs clameurs stridentes, elles nous coupent du résultat qui était en train de venir, puis elles nous montrent triomphalement un désert de résultats comme une preuve de leur théorie. La difficulté de l'entreprise est bien connue, mais le difficile n'est pas l'impossible: c'est le difficile qui toujours s'est accompli et c'est la conquête des difficultés qui a bâti tout ce qui a de la valeur dans l'histoire de la terre. Pour cette entreprise spirituelle aussi, il en est de même.
Sri Aurobindo
2 Il ne s'agit pas des cellules au sens biologique mais de constructions.
3 Par suite d'une brève panne de courant, les deux phrases suivantes ont été notées de mémoire.
4 Mère a commenté et développé ce passage dans la conversation suivante, du 11 décembre.
5 Il existe un enregistrement de cette conversation.