Mère
l'Agenda
Volume 5
...La grosse difficulté, c'est que toutes les expériences de N sont dans son mental. Il a travaillé dans son mental, a transformé son mental; il a des expériences, il a eu toutes les expériences – mais dans le mental: pas du tout dans le corps. Et alors tout ce que je dis ici, toutes ces expériences maintenant, c'est dans le corps – il ne comprend pas. C'est cela, la difficulté. Il ne peut pas comprendre. Et qui est-ce qui peut comprendre?... Je n'en sais rien.
Dès qu'il s'agit de choses mentales, il comprend parfaitement bien; dès qu'il s'agit de choses matérielles, il ne comprend plus. Mais qui est-ce qui peut comprendre?...
Je ne peux pas dire que je «comprenne», mais...
Tu sens.
Je transpose. Je transpose une vérité que je comprends mentalement; je me dis que c'est comme cela dans le corps.
Oui, c'est plus proche, mais (riant) ce n'est pas tout à fait cela!
Je vois bien parce que toutes ces expériences (tu n'as qu'à relire Prières et Méditations, tu verras), je les ai eues dans le mental, même dans le vital; et à ce moment-là, naturellement, ce que je disais était très clair, ça se comprenait très bien; mais le corps ne participait pas: il obéissait. Quand il est parfaitement docile, il obéit, et il n'était pas gênant. Mais ce qui arrive maintenant, c'est que tout cela, toutes ces expériences vivantes, c'est le corps lui-même qui les a; et à moins qu'on ne les ait LÀ, toutes mes explications de «vibration» ne veulent rien dire.
C'est seulement quand l'expérience devient mentale et psychologique qu'on la «comprend».
Mais peut-être que l'esprit scientifique moderne qui a étudié les atomes comprendrait mieux. C'est le même genre de compréhension que celle du savant qui analyse la constitution de la Matière; je sens bien que c'est une suite de cette étude-là, et que c'est la seule approche vraie pour la partie la plus matérielle de la Matière. Toute explication psychologique n'a pas de sens.1
Ce matin même, je suivais le mouvement, je voyais le contrôle de cette Vibration de Vérité, dans le corps, en présence de certains désordres (pour de toutes petites choses, n'est-ce pas, du corps: des malaises, des désordres), je voyais comment cette Vibration de Vérité abolit ces désordres et ces malaises, c'était très clair, très évident, et TOUT À FAIT SÉPARÉ de toute notion spirituelle, de toute notion religieuse, de toute notion psychologique, de telle façon qu'il était évident que celui qui possédait cette connaissance-là, d'opposition d'une vibration à l'autre, n'avait besoin d'aucune façon d'être un «disciple» ou un homme ayant des connaissances philosophiques, ou rien du tout: il suffisait qu'il ait maîtrisé ça pour pouvoir réaliser une existence parfaitement harmonieuse.
C'était absolument concret et irréfutable. C'était une expérience vécue, absolue.
Et alors toutes ces cellules, dans un élan... vraiment c'était un Ananda, si inexprimable... se sont précipitées sur le Seigneur en Lui disant: «Mais c'est tellement plus merveilleux quand on sait que c'est Toi!» – tout le corps.
Et la lumière, la chaleur qui s'est exprimée alors, cette intensité d'Ananda, cette béatitude... N'est-ce pas, ce n'était pas en opposition mais comme un complément de cette connaissance vibratoire, qui était une connaissance, je ne peux pas dire «froidement scientifique» parce que ça introduit des notions mentales, mais d'une sagesse!... d'une sagesse et d'un calme, d'une tranquillité si imperturbable, absolument libre de toute notion de bien, de mal, de divin, de bon, de mauvais, tout-tout ça, absolument indépendante, purement matérielle. Et d'un pouvoir absolu. Alors ces mêmes cellules, qui étaient pleinement conscientes de cette connaissance des vibrations comme du contrôle suprême pour leur harmonie, tout d'un coup, en elles, s'est levé comme une... pas une flamme (une flamme est obscure en comparaison), comme un Ananda lumineux: l'Amour dans sa réalité parfaite.
Et ça se traduisait comme cela: «C'est tellement plus merveilleux de savoir que c'est Toi!»
C'était vraiment une expérience. Ça a duré quelques minutes (j'étais assise à ma table en train de prendre mon petit déjeuner), mais pendant ces quelques minutes, c'était une perfection.
Les deux pôles étaient joints.2
(silence)
Vraiment la sensation, dans tout le corps, de l'Ananda parfait de l'Amour.
L'autre, c'est très bien, c'est la connaissance vibratoire et c'est le Pouvoir – mais ça, cet Ananda...
(silence)
Et ce qui est très intéressant, c'est que toutes ces expériences, que l'on a eues dans ses êtres intérieurs et ses êtres supérieurs, que l'on a eues dans tous ses états d'être, paraissent faibles, inconsistantes et comme un rêve en comparaison de l'expérience identique dans le corps. Là, ça devient tellement... Le Pouvoir et l'Intensité sont tellement formidables que, tout d'un coup, on comprend POURQUOI il y a un monde matériel.
(silence)
Le rapport avec le monde extérieur deviendrait difficile si cette expérience était constante...
Alors il y a une Sagesse si merveilleuse, qui dose toute chose pour que l'avance totale ne soit au détriment de rien: que TOUT marche. Là, on est émerveillé par cette Sagesse – que l'humanité injurie constamment, qu'ils revêtent des noms les plus péjoratifs: Destin, Fate.
C'est une Sagesse merveilleuse.
Et malgré tout ce que l'on sait, malgré tout ce que l'on peut, malgré toutes les expériences que l'on a eues, on se sent tout petit devant Ça.
Cette Sagesse-là est une merveille.
(silence)
Une minute d'expérience comme cela, tu sais, ça vous donne du courage pour des années – ça a duré quelques minutes, j'étais en train de déjeuner.
Au fond, c'est cela que j'attends aussi, une expérience dans le corps.
Mais oui, mon petit!
C'est pour cela, peut-être, que je suis déçu par la «vie yoguique».
Mais moi, je n'ai jamais eu beaucoup de respect pour la vie yoguique! – jamais.
Oui, il y a des jours où je me sens un peu amer, je trouve que vraiment ce n'est «pas ça».
Non, ce n'est pas ça. C'est pas ça.
Mais tu vois, tu vois tout le chemin que j'ai fait?... Et je suis née avec un corps préparé consciemment – Sri Aurobindo était conscient de cela, il l'a dit tout de suite la première fois qu'il m'a vue: je suis née libre. C'est-à-dire libre au point de vue spirituel: sans désir. Sans désir et sans attachement. Et mon petit, s'il y a le moindre désir et le moindre attachement, c'est IMPOSSIBLE de faire ça.
Un vital comme un guerrier, avec un contrôle absolu sur lui-même (le vital de cette présente incarnation était insexué: un guerrier), un guerrier absolument calme et imperturbable – pas de désirs, pas d'attachements... Depuis ma toute petite enfance, j'ai fait des choses «monstrueuses» pour la conscience humaine; je me suis entendu dire par ma mère que j'étais vraiment un «monstre», parce que je n'avais pas d'attachements et je n'avais pas de désirs. On me demandait: «Est-ce que tu as envie de faire cela» – «Ça m'est égal» (mon père surtout, ça le rendait furieux!3). S'il y avait des gens méchants avec moi, ou des personnes qui mouraient, des gens qui s'en allaient, ça me laissait absolument calme; alors: «Tu es un monstre, tu n'as pas de sentiments.»
Et avec cette préparation-là... Il y a maintenant quatre-vingt-six ans que je suis venue ici, mon petit! Pendant trente ans j'ai travaillé avec Sri Aurobindo consciemment, sans arrêt, nuit et jour... Il ne faut pas être pressé.
Il ne faut pas être pressé.
Et il y a eu cette expérience, qui vraiment de toutes les expériences a été... on peut dire la plus décisive: c'est quand Sri Aurobindo a quitté son corps; parce que matériellement, pour le corps, c'était l'écroulement de toute une espèce de confiance imperturbable, de sentiment d'une sécurité absolue, de certitude que les choses allaient être faites «comme ça», harmonieusement; et puis son départ – un coup de massue sur la tête... Et tout le poids de la responsabilité ici, sur le corps. Voilà.
Ça veut dire vraiment une préparation – qui est aussi sage que tout le reste.
Et c'est ce que Sri Aurobindo me disait très bien (lui, voyait, n'est-ce pas, il savait), il me disait: «Il n'y a que ton corps qui puisse résister à ça, qui a le pouvoir de résister»... Il est un peu usé, mais avec la lutte et l'effort et le travail qu'il a fourni, il n'y a pas à se plaindre; il a résisté – il a résisté très bien. Et il a su profiter de ses accidents.
Alors il ne faut pas être pressé... D'ailleurs, c'est une règle absolue: il ne faut pas s'impatienter.
Oui, mais ce n'est pas très encourageant pour l'humanité que nous sommes.
Mais pardon! il y a un moyen.
Tout ce que je fais, tout ce que ce corps fait, il a le pouvoir de le passer aux autres – c'est justement ce que je suis en train de voir maintenant. Je suis en train de le voir. C'est cette espèce de pouvoir de mettre en rapport avec la Vibration de la Conscience (geste de rayonnement autour de la tête), qui est concentrée sur un certain nombre de gens et de choses (naturellement sur toute la terre), mais aussi sur des points. C'est le Pouvoir qui est venu cette nuit-là quand il y avait cette descente dans le cerveau: je pouvais à n'importe quel moment diriger un rayon, diriger un autre, toucher un point, toucher un autre... (geste comme un phare).
Et c'est ce que Sri Aurobindo n'a pas cessé de répéter: «N'essayez pas de le faire tout seul, mais la Mère le fera pour vous, si vous avez confiance en Elle.»
Ça, je ne le dis à personne. Mais c'est un fait.
Je ne le dis pas. Je te le dis à toi, juste maintenant. Mais c'est un fait absolu.
Ce n'est pas – ça, tu le sais –, ce n'est pas pour un corps que c'est fait: c'est pour la terre.
Mais l'avantage de l'individualité, c'est que l'on peut diriger un rayon sur des points précis (même geste comme un phare) et obtenir un résultat – pas d'une façon miraculeuse qui laisse les gens béats et imbéciles, pas cela; mais quand l'aspiration est sincère, que la volonté est sincère... N'est-ce pas, ce que moi, je fais constamment (geste d'offrande): «Seigneur, je ne peux pas, mais Tu le fais pour moi. Seigneur, je ne peux pas, mais Tu le fais pour moi...» Eh bien, c'est ce que Sri Aurobindo disait: que les gens autour de moi, s'ils n'ont pas le Rapport direct avec le Seigneur (que j'ai apporté avec ma naissance, dont je suis devenue de plus en plus consciente, mais qui était à la source même de cette existence terrestre), si l'on n'a pas ce Rapport, on peut avoir un rapport conscient avec moi, c'est facile, parce que c'est quelque chose de visible, de tangible, n'est-ce pas, qui a une existence réelle; et alors, si l'on peut être dans cet état d'offrande (pas des mots, pas des phrases, mais vraiment un sentiment sincère): «Non, moi tout seul, je ne sais pas comment ça peut se faire, comment est-ce qu'on peut faire? C'est si formidable à faire, comment?... Comment même discerner exactement le mouvement vrai de celui qui ne l'est pas, ou celui qui mène à la Vérité et celui... Non, ça, je ne sais pas – je Te donne tout, fais-le pour moi.»
Et ça, c'est vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et je peux dire autant de milliers de secondes qu'il y en a dans une journée, spontanément, sincèrement, absolument (geste d'offrande): «Voilà, je Te le donne.» Oh! voilà une difficulté, oh! celui-là a une difficulté, oh! ces circonstances sont mauvaises, oh .... «Tiens, tiens, tiens, moi je ne peux pas arranger ça avec la connaissance que j'ai – fais ce qu'il faut, fais ce qu'il faut; fais ce qu'il faut, je Te le donne.» Et c'est un geste de chaque minute, de chaque seconde.
Alors au bout d'un certain temps, on voit une Réponse si évidente, n'est-ce pas, si claire, que tout ce qui a des doutes et des incompréhensions, tout cela est obligé, d'abord de se tenir tranquille, et puis d'abdiquer.
Seulement, je suis dans une période de transition où je ne peux pas m'occuper activement des gens, c'est-à-dire voir, parler, recevoir les gens, leur donner des méditations – je ne peux pas, c'est impossible, le corps n'est pas capable de faire les deux. Et il est évidemment plus important qu'il puisse attirer le plus de Force de Vérité possible et travailler comme cela dans le silence (geste de rayonnement) que d'aider une ou deux, ou trois, ou dix ou cent personnes à faire des progrès.
Plus tard, je ne sais pas... S'il y a une puissance d'un autre ordre qui descend dans le corps, et s'il se remet de l'usure de l'effort, alors ça pourra être diférent, mais pour le moment...
Sri Aurobindo Ta dit, il y a des gens qui s'en souviennent, il y en a qui le répètent et je ne dis pas non (parce que ce n'est pas non – ça ne peut pas être non: c'est vrai), mais je n'insiste pas, je ne le dis pas... Je te le dis à toi parce que nous travaillons ensemble, et puis justement parce que tu vas t'en aller en France pendant quelque temps et que pendant ce temps-là, ce sera pour toi, vraiment, le moyen de faire ce progrès: te brancher, et puis tenir ferme et t'envelopper constamment avec la Force.
Alors, comme je le disais l'autre jour (riant): il se passera peut-être quelque chose!
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1 Rappelons la conversation du 4 novembre 1963: «... Ce ne sont rien que des vibrations.»
2 Mère a fait un geste, comme un éclair qui joint le haut suprême et le bas.
3 Mère a rajouté ceci plus tard. (Le père était surtout furieux que sa fille n'ait pas envie d'aller au cirque... qu'il adorait!)